DU CERCEAU

Numéro

253

Prénom

Jean Antoine

Naissance

1670

Décès

1730

1. État-civil

Jean Antoine Du Cerceau naquit à Paris le 12 novembre 1670 : il mourut subitement le 4 juillet 1730, non pas d'« une apoplexie» comme le précisait la lettre circulaire envoyée aux maisons de la Compagnie de Jésus pour annoncer son décès (B.C.J., t. II, 1891, p. 967), mais victime d'un coup de fusil de chasse tiré accidentellement par son élève, Louis François de Bourbon, prince de Conti. Michaud rapporte ainsi ce fait divers : «Le jeune prince, se trouvant avec son maître à Véret, au château du duc d'Aiguillon, près de Tours, venait d'obtenir un fusil de chasse qu'on lui avait longtemps refusé. Ivre de joie, il retournait en tous sens cette arme, qui était chargée. Le coup part et le P. Du Cerceau tombe mort. » (B.Un., t. VII, p. 328).

2. Formation

Brillant élève au collège Louis-le-Grand, D. y étudia la théologie pendant onze ans, de 1681 à 1688 et de 1696 à 1700. Il entra au noviciat des Jésuites le 12 janvier 1688 (D.B.F.).

3. Carrière

«Voué de cœur à l'enseignement de la jeunesse», D. occupa plusieurs fonctions dans les collèges de la Compagnie : après avoir été régent à Rouen pendant cinq ans, il enseigna la rhétorique à La Flèche ( 1702-1703) et fut préfet des études à Bourges de 1710 à 1714. Il fut attaché à la maison professe comme scriptor et bibliothécaire de 1703 à 1706, puis au collège Louis-le-Grand, où il exerça comme écrivain, cubiculaire ou précepteur de jeunes nobles (notamment du duc de Château-Thierry en 1718) (D.B.F.). Il se livra de bonne heure à son goût pour les lettres et réussit en bien des genres : poésie, théâtre, éloquence, critique, histoire. «Son esprit était de ces esprits faciles qui prennent aisément toutes les formes. » (Eloge).

5. Opinions

D. prit part à plusieurs débats, tant pour le compte de la Compagnie qu'en son nom personnel. Il défendit l'honneur des Jésuites dans la querelle qui les opposa, en 1696, au poète Santeuil, à l'occasion de l'épitaphe que ce dernier avait faite pour Antoine Arnauld de Port-Royal, dans une satire en vers latins, Santeuil vengé, qu'il traduisit ensuite en français. Cette satire est publiée dans l'Histoire des troubles causés par M. Arnauld après sa mort (1696, 84 p.) (B.C.J., n° 7). Il composa plusieurs factums qui parurent au nom de la Compagnie contre la calomnie de Brest qui occupa les esprits de 1717 à 1723 (B.C.J., n° 35). On lui attribue également un libelle en vers à propos de la bulle Unigenitus, La Constitution Unigenitus rejetée depuis plusieurs siècles (1718, in-8°, 10 p.), condamné par le Parlement de Dijon le 5 mai 1718 (B.C.J., n° 37). D'après la B.Un., «la franchise de ses jugements» lui attira plusieurs querelles littéraires : la première avec P.J. Burette, rédacteur au Journal des savants (J.S.), au sujet de la musique des Anciens grecs, s'étendit de 1727 à 1730. Cette dispute commença avec la publication par D. d'une longue dissertation adressée au P. Sanadon sur la traduction et le commentaire d'un passage d'Horace par André Dacier. Dans cet article (Mémoires de Trévoux (M.T.), 1727), D. exposait ses vues sur la musique des Anciens grecs et critiquait les thèses de Burette. Ce dernier répliqua à D. en présentant le compte rendu de la traduction d'Horace par le P. Sanadon (qui avait adopté l'opinion de D.) dans le J.S. de mai 1728. La querelle se développa pendant trois ans par le canal des M.T. et du J.S. (Supplément de la Table générale du J.S., t. X. p. 276 ; Eloge ; B.C.J., p. 979-980 ; Péricaud). Deux autres controverses de nature religieuse le mirent aux prises avec l'abbé d'Olivet. Rendant compte dans un extrait des M. T. (1721, p. 2015-2041) de la traduction par l'abbé d'Olivet des Entretiens sur la nature des dieux de Cicéron, D., inquiet de l'influence grandissante des philosophes païens, se demandait «s'il était bien à-propos de mettre entre les mains de tout le monde un ouvrage qui semble mener à l'athéisme ou du moins à un esprit d'indifférence et d'incertitude en matière de religion» (Desautels, p. 217). L'abbé d'Olivet, qui avait également été mis en cause par le P. Castel (M.T., juin 1725, p. 989) à propos de son édition du Traité philosophique de la faiblesse de l'esprit humain (1723) par Huet, évêque d'Avranches, fit publier une réponse à ses deux accusateurs, en 1726. D. se chargea de l'affaire et répliqua successivement sur les deux points (M.T., janv. 1727, p. 164 ; févr. 1727, p. 197). Dans sa deuxième Réponse, il se rangea aux côtés du P. Castel pour réfuter l'attribution du Traité philosophique à l'évêque d'Avranches. Selon Sommervogel, «en défendant la mémoire du célèbre Huet», il se fit «le champion d'une cause perdue» (Essai historique ; sur ces deux controverses, voir J.S., juin 1727, p. 341 et suiv. ; Péricaud ; B.C.J., p. 980-981, n° 43 ; Desautels, p. 185).

6. Activités journalistiques

D. collabora à plusieurs journaux, comme auteur et comme critique. D'après F. Moureau, il publia des pièces de poésie dans le Nouveau Mercure de Trévoux (1708-1711) (D.P.1 986) ; on peut citer notamment une Epître au duc du Maine sur un présent de vingt deux pâtés (janv. 1708, p. 203-211).

Il fit paraître également plusieurs poèmes profanes dans le Mercure galant de Dufresny (1710-1714). F. Moureau donne la liste des œuvres de D. insérées dans ce journal : deux poésies, La Rune (juil. et nov. 1712, p. 145-189 et p. 60-64), Le Chêne et l'épine (sept. 1712, p. 93-97) ; une pièce de flatterie courtisane : Pour M. le dauphin, le futur roi Louis XV (déc. 1713, p. 207-224) ; deux épîtres en vers : Les Plaintes du messager du Mans (sept. 1711, t. IV, p. 3-22) et A Monsieur Estienne, libraire à Paris (mai 1711, t. IV, p. 9-28) ; L’Epître à l'occasion d'un ouvrage d'esprit obscur (févr. 1713, p. 3-37) et le poème Nécessité de la critique (févr. 1714, p. 49-93) constituent une sorte d'art poétique où s'exprime de manière nuancée l'esprit moderne de D.

Le Nouveau Mercure (1717-1721) dirigé par François Buchet accueille plusieurs articles de D., qui contribuent, par rapport aux précédents Mercure, à approfondir le débat esthétique : en janvier 1717, D. publie une Défense de la poésie française (contre la dissertation de l'abbé Pons sur le poème épique) ; en avril-mai 1717, il donne une Apologie sur les savants (sur les vivacités et les impolitesses qui leur échappent dans leurs querelles) et en novembre 1717 et avril 1718, des Réflexions sur la poésie française (Moreri, t. III, 1759 et Supplément, 1.1, p. 269 ; B.C.J., p. 978 ; D.P.1 922).

Cior 18 signale la publication dans le Nouveau Mercure d'un extrait de la comédie Le Philosophe à la mode, attribuée à D. (juin 1720, p. 66-116) ; cette attribution est confirmée par l'Eloge du Mercure de France, mais discutée par Sommervogel (B.C.J., p. 981). Ce dernier mentionne en outre diverses productions de D. dans le même journal, une pièce de poésie, La Ravigotte (juil. 1720, p. 1755-1759) ; le Journal de Verdun de juin 1722 (p. 399) et la Clef du Cabinet de novembre 1722 (P- 315-318) accueillent Dépit contre le jeu du quadrille (B.C.J., P- 975)-

D'après J.M. Faux, D. collabora aux Mémoires de Trévoux de 1719 à 1730. En réalité, il semble qu'il y apporta sa contribution de manière épisodique dès 1703, au moins en qualité de poète. Deux épigrammes, attribuées à D., parurent en 1703 dans les M.T. (déc, p. 22 : il s'agit d'une pièce contre Boileau ; p. 37), mais le doute subsiste sur leur paternité (B.C.J., n° 18). En 1707, les M.T. publièrent dans son intégralité une œuvre en vers intitulée Portrait du roi de Suède (août, p. 1466). En tant que critique, il écrivit plusieurs extraits (Eloge, p. 1965) qu'il est difficile d'identifier. On sait cependant qu'il est en partie responsable (avec les PP. Catrou et de Courbeville) de la nouveauté de style du journal, que l'abbé Desfontaines railla dans son Dictionnaire néologique à l'usage des beaux esprits en 1726 (Sommervogel, Essai historique, p. LIII). Seuls ses articles qui ont nourri les controverses sont connus : le débat avec PJ. Burette prit naissance avec la Dissertation adressée au Père Sanadon (M.T., janv. 1727, p. 100-141 ; suite en févr., p. 285-310 ; additions en avril, p. 605-629, juil., p. 1223-1254 et août, p. 1420-1443).

D. répliqua à l'extrait du J.S. de mai 1728 (sur la traduction d'Horace par Sanadon) en novembre et décembre 1728 (p. 2085-2107 ; 2189-2213), puis en janvier et février 1729 (p. 69-98 ; 234-250).

Enfin, il répondit à l'article du J.S. de mai 1729 (Réplique pour l'un des auteurs du Journal des savants) en juin et juillet 1730 (p. 950-969 ; 1149-1166). Les articles de D. se rapportant à son différend avec l'abbé d'Olivet sont mentionnés ci-dessus (Sommervogel, Table méthodique, p. 99-100).

7. Publications diverses

D. est l'auteur d'une œuvre considérable et variée. Avant l'âge de 25 ans, il livra au public quelques poèmes latins (Balthasar, 1695 ; Papilliones, 1696 ; Gallinae, 1696 ; et plusieurs odes), puis des poésies françaises qui prennent le plus souvent Marot comme modèle (on peut citer Les Pincettes, Les Tisons et la Nouvelle Eve). Ses vers latins ont été publiés dans un recueil en 1705 (et en 1724), une partie de ses vers français parurent sans l'autorisation de l'auteur en 1715 (puis en 1720, 1726, 1733, 1749). Mais bon nombre de ses chansons, satires et vers de circonstance sont restés inédits. Orateur apprécié, il prononça en 1703, dans la classe d'éloquence du collège de La Flèche, une oraison latine De Christo in cruce patiente (insérée en tête de ses Opéra latinae, 1724). Il fit à Bourges L’Oraison funèbre de Mgr Louis, dauphin (père de Louis XV) le 1er juin 1711 et celle de son épouse, Marie-Adélaïde de Savoie, le 1er avril 1712 (imprimées en 1711 et 1712). D. doit surtout sa popularité à ses productions dramatiques qui furent représentées d'abord au collège Louis-le-Grand, puis dans de nombreux collèges jésuites de France. Son plus grand succès fut Les Incommodités de la grandeur (comédie en cinq actes et en vers français, connue aussi sous les titres Grégoire ou Le Faux duc de Bourgogne), jouée à de nombreuses reprises dans des collèges de province jusqu'au XIXe siècle ; elle fut imprimée en 1733. On peut également mentionner Les Cousins, tragi-comédie représentée notamment le 16 mai 1725, Esope au collège (joué à Lyon pendant le Carnaval de 1715), L'Ecole des pères, Le Destin du nouveau siècle, récits en musique composés par D., musique de Campra, qui servit d'intermède à la tragédie Maxime martyr (représentée le 12 mai 1700) et qui parut en 1700, puis fut réimprimée dans un recueil en 1726, 1733, 1749 ; il écrivit une pièce latine Filius prodigus qu'il traduisit lui-même en français (1726, 1733, 1749) et les récits en musique de Jason ou La Conquête de la Toison d'or (ballet de Lejay) représenté les 3 et 6 août. 1701. B.Un. cite en outre un certain nombre de pièces restées inédites. D. s'intéressa aussi à l'histoire et donna en 1728 une Histoire de la dernière révolution de Perse, traduite en anglais, réimprimée sous deux titres différents : Histoire de Thomas Kouli-kan, sophi de Perse (1741) et Histoire des révolutions de Perse depuis le commencement de ce siècle jusqu'à la fin de l'usurpateur Aszraff (1742). Le P. Brumoy publia en 1733, après l'avoir terminé La Conjuration de Nicolas Gabrini, dit de Rienzi que D. avait laissé inachevé. D'après Péricaud, D. avait entrepris des commentaires sur Horace, Pline le Jeune et sur le traité de Cicéron : De la Nature des Dieux ; il avait poussé plus loin un Essai sur le caractère du style poétique et un Traité de la perspective, mais aucun de ces ouvrages ne fut mené à son terme. D'autres œuvres posent des problèmes d'attribution : si Moreri (Supplément, t. I) et Péricaud, tout comme l'Eloge lui accordent la paternité d'une Lettre critiquant l'Histoire des flagellants (écrite par l'abbé Boileau en latin), et publiée en 1703 (ou 1706), il est plus difficile de préciser la part prise par D. dans La Vie de Socrate et La Vie de Platon. Selon la B.Un., Fénelon avait laissé un canevas de ces deux livres, à partir duquel D. aurait rédigé la version définitive. L'attribution des Lettres d'Eudoxe (I à VI) sur l'apologie des Provinciales est plus problématique encore : s'agit-il d'un ouvrage de D., comme l'indiquent l'Eloge et Moreri (Supplément, t ; I) ou d'un écrit du P. Daniel ?

La liste des œuvres de D. peut être consultée dans la B.C.J. et dans l'Essai de Péricaud, en tête de l'édition des œuvres. L'Eloge et la B.Un. contiennent des informations sûres.

8. Bibliographie

Moreri ; B.Un. ; Feller-Weiss ; N.B.G. ; D.B.F. ; Cior 18, n° 25684-25709. – «Eloge du P. Du Cerceau», Mercure de France, sept. 1730, p. 1962-1967 (attribué au P. Brumoy). Dezobry et Bachelet, Dictionnaire général de biographie et d'histoire, Paris, 1863, t. I, p. 844. – Goujet, Bibliothèque française, t. VIII, p. 435 ; t. XVIII, p. 253. – Journal des savants, juin 1727, p. 341 et suiv. – Supplément de la Table générale du Journal des savants, t. X, p. 276. – (B.C.J.) Sommervogel C, Bibliothèque de la Compagnie de Jésus, t. II, 1891, p. 967-982. – ld., Essai historique (p. XLIV et XXIX) et Table méthodique des Mémoires de Trévoux, Paris, 1864. – Péricaud M.A., Essai, en tête des Œuvres de D., Lyon, 1828. – Boysse E., Le Théâtre des Jésuites, Genève, 1970, p. 62, 77, 218-226, 260-283, 352-356. – Desautels A.R., Les Mémoires de Trévoux et le mouvement des idées au XVIIIe siècle (1701-1734), Rome, 1856, p. 185,217. – Faux J.M., «La fondation et les premiers rédacteurs des Mémoires de Trévoux (1701-1739)», Archivum historicum societatis Jesu, Rome, janv.-juin 1754, 1954, t. XXIII, p. 131-151. – Myers R.L., «L'esthétique poétique de l'abbé du Cerceau», Revue de l'Université Laval, deéc. 1966. – Pizzorusso A., «Du Cerceau e la teoria delle inversioni poetiche», Studi mediolatini e volgari, t. XIV, 1966. – Moureau F., Le Mercure galant de Dufresny (1710-1714), S.V.E.C. 206, 1982.

9. Additif

6. Les références aux épigrammes dans les M.T. de 1703, puisées dans Sommervogel, sont fausses [SBM]