LE MOYNE

Numéro

496

Prénom

Nicolas, dit Des Essarts

Naissance

1744

Décès

1810

1. État-civil

Nicolas Toussaint Le Moyne, qui prendra le nom de Des Essarts (ou Desessarts) naît à Coutances (Manche) le 1er novembre 1744 de Me François Jean Baptiste Le Moyne, avocat au Baillage et Siège présidial du Cotentin à Coutances, et de Marie Marguerite Josèphe Guillard (acte de naissance, A.M. Coutances). L. avait un frère qui s'est porté volontaire dans la marine au début de la guerre d'Amérique (Réponse, p. 13). Il est mort à Paris le 5 octobre 1810 (B.Un. ; N.B.F.), sans laisser d'enfants (Le Carpentier). «La droiture de caractère, la douceur de moeurs et l'esprit conciliateur qui le distinguaient le font vivement regretter de ses amis et de sa famille» (ibid.).

Le Cabinet des Estampes de la B.N. possède trois portraits de L., dont l'un est signé Pujos et Vinsac (1785).

2. Formation

L. a été élevé au collège de sa ville natale (Lair, p. 36, 37). Il a fait probablement des études de droit. Il était membre de l'Académie des Sciences et Belles-Lettres de Rouen, de l'Académie des Belles-Lettres d'Arras, de l'Académie de Caen, de la Société académique de Cherbourg (Siècles, t. II, p. 316 et F.L. 1784, t. IV, 1re part., p. 46, III).

3. Carrière

L. est arrivé à Paris vers 1768 (Le Carpentier). Il est d'abord secrétaire d'un avocat général au Parlement de Paris (Gerville, p. 244), probablement Vergès (M.S., 1er mai 1773). Devenu lui-même avocat au Parlement de Paris, il rédige parallèlement ses Causes célèbres et ses autres ouvrages. Vers 1795, il s'oriente vers des activités d'éditeur et d'imprimeur (Siècles, t. II, p. 316), tout en se chargeant «d'affaires contentieuses, spécialement auprès de la Cour de cassation» (Boisjolin, t. II, p. 1325).

En 1789, L. possédait le titre de Secrétaire ordinaire de Monsieur (Motion, p. 2-3). L. ne dédaigna pas de courtiser quelque peu le gouvernement de Louis XVI, en présentant au Roi et à la Reine deux de ses livres (Gazette de France, 2 mai et 21 août 1777). Plus tard, en 1786, il dédie son Dictionnaire de Police, à Le Noir, Lieutenant général de Police, ouvrage qu'il a, dit-il, «rédigé sous [ses] yeux» (t. I, p. V). Cette dédicace lui fut vivement reprochée durant la Révolution : on l'a même accusé d'avoir été «un agent de police» pendant l'administration de Sartine et de Le Noir, ce dont il se défend vigoureusement (Réponse, p. 12, 13).

D'après les éléments précis que L. donne de l'administration de la ville de Londres dans son Dictionnaire (1786, t. I, p. VII et IX), il est possible qu'il ait séjourné dans cette ville avant la Révolution. Ses Mélanges historiques et politiques sur l'Angleterre (1801) font supposer qu'il y est revenu pendant la Terreur, lorsqu'il s'est caché (Draville, p. 414).

A son début, L. accueille favorablement la Révolution : il se dit «plein de confiance dans les lumières des Représentants de la Nation» (Réponse, p. 1), il offre un exemplaire de son Dictionnaire de Police à l'Assemblée Nationale (Procès-verbaux de l'A.N., 7 déc. 1789, p. 16), et enfin renonce aux privilèges fiscaux dont il jouit, en tant que Bourgeois de Paris, sur sa propriété de Passy (Motion, p. 2). En décembre 1789, lors de la réorganisation administrative et territoriale du pays, L. est député par la Commune de Passy «pour suivre auprès de l'Assemblée Nationale la formation de notre District & de nos Cantons» (Réponse, p. 3 et Procès-verbaux, 28 décembre 1789, p. 13). Après les élections de février 1790, il occupe, à l'Assemblée électorale du Département, la fonction de Scrutateur général (Réponse, p. 8-10). En juin 1790, L. prononce à Saint-Denis un discours le jour de la Fédération préparatoire à la Fête du 14 juillet suivant (ibid., p. 6, 18-19). Quelques mois auparavant, il avait organisé la Garde nationale de Passy et en avait été nommé Commandant par la Commune de Paris (ibid., p. 2-3). Trop modéré, L. subit la pression de ses «ennemis», reçoit «des lettres anonymes, infâmes, remplies de menaces de [l'] assassiner» (ibid., p. 5). Le Club de Passy («Cette société renferme plusieurs personnes qui m'ont voué une haine implacable», ibid., p. 10-11), avec à sa tête F.J. Denizot, l'accuse, pendant son commandement, de «vexations & d'actes de despotisme revoltans» (ibid.). L. donne sa démission, la reprend, puis démissionne définitivement le 9 janvier 1791 : les membres du Comité sont «désesperés» de cette défection forcée (ibid., p. 7-8, 22-23).

Par la suite, L. s'est opposé aux développements de la Révolution. Sur le plan religieux, il est scandalisé de l'attitude de l'Evêque constitutionnel Gobel qui se déclare athée à la barre de la Convention : cela lui inspire «le plus profond mépris» (Précis, p. 72). Il critique le vandalisme commis dans les églises (Procès, t. II, p. 213-214 et 232-233). Il condamne les représentations du Culte de la Raison : «processions indécentes», «cérémonies puériles» (ibid., p. 213, 221). Sur le plan politique, L. réprouve les massacres de septembre 1792, «ces journées exécrables», qui sont autant d'«attentats révoltants» commis par d'«affreux assassins» (Procès, t. I, p. 139, 140). Plus vivement encore, il blâme «l'exécrable» loi du 22 prairial an IV qui institua la «Grande Terreur» (ibid., t. I, p. 189). Les hommes responsables de cette politique sont voués aux gémonies : Couthon, «l'âme la plus féroce et la plus complètement perverse qui ait jamais souillé l'humanité» (Précis, p. 164-165), Fouquier-Tinville, «cannibale», «atroce bourreau des Français» (ibid., p. 99 et Procès, t. I, p. 142), et surtout Robespierre «le plus hypocrite, le plus lâche, le plus féroce des monstres à figure humaine», le «plus exécrable des tyrans qui ait paru sur la scène du monde pour le malheur de l'humanité» (Précis, p. 3).

Pendant la Terreur, L. s'est caché en France ou peut-être en Angleterre. Il est vrai qu'il risquait sa vie : F.J. Denizot, l'«ennemi» de Passy, était, entre-temps, devenu juge au Tribunal révolutionnaire. En cette qualité, il a instruit le procès des Dantonistes, signé l'arrêt de mort de Mme Roland et des Fermiers généraux (Tuetey, t. X, n° 400, t. XI, n° 825-829, 1585).

L. en 1773 habitait «rue Saint-Dominique, Faubourg Saint-Germain» (Prospectus des Causes célèbres). Peu après cette époque, il est installé «rue de Verneuil, la 3e porte cochère à gauche avant la rue de Poitiers», pour, en 1786, emménager «rue du Théâtre français, au bâtiment neuf» (Choix, t. X, 1786, Avertissement). En 1797, et probablement jusqu'à sa mort, il habitera à cette même adresse (page de titre du Précis ou de l'éd. des Oeuvres de Duclos).

4. Situation de fortune

Vers 1785-1786, L. avait demandé une pension aux Services de la Maison du Roi : en vain, Louis XVI s'était contenté de souscrire au Dictionnaire de Police (Tourneux, n° 73, 239). Il semble que son Journal des Causes célèbres, eu égard à son succès, lui ait procuré des gains appréciables.

5. Opinions

Avant la Révolution, L. est proche des idées des Philosophes. Il reconnaît à Bayle une «critique ingénieuse» et une «dialectique subtile» (Siècles, t. I, p. xvi), à Rousseau «la gloire d'être l'écrivain le plus éloquent du XVIIIe siècle» (ibid., t. V, p. 480) et à Diderot une «célébrité méritée» (ibid., t. II, p. 351). Voltaire aurait certes combattu «l'erreur», mais L. condamne la violence verbale du Patriarche.

La profession d'avocat de L. lui a permis de mettre en pratique ses idées libérales. Il est le défenseur d'«un nègre et [d'] négresse qui réclamaient leur liberté contre un juif» (Choix, t. V, p. 291-329). Cette affaire d'ailleurs vaudra à L. les félicitations de Voltaire (D 18819). Par le canal des Causes célèbres, L. poursuivra son travail d'information sur la question de l'esclavage : «Nègre qui réclamait sa liberté en France» (Choix, t. IV, p. 47-68), mais aussi sur les grandes affaires judiciaires qui ont secoué l'Ancien Régime. L'Affaire Calas est l'objet d'un article (ibid., t. III, p. 1-79) dans lequel il démontre les irrégularités du procès. Il observe que «le sieur Calas père a été sacrifié a des conjectures mal fondées». L. reçut de Voltaire une lettre à ce sujet (D 18604).

Plus tard, L. a partagé l'idéal politique des Girondins. Ainsi Brissot et ses amis «n'étaient point des ennemis de la République». «C'étaient au contraire d'ardens défenseurs de la liberté» (Procès, t. VI, p. 118). Le même Brissot et Condorcet «avaient la passion de régénérer les principes politiques et de créer un nouvel art social, puisé dans la nature, qui rendît l'homme à sa dignité, lui conservât l'exercice de toutes ses facultés, et ne lui donnât d'autre maître que la loi [...]. A ces titres ils ont des droits aux regrets des âmes sensibles» (ibid., p. 119-120).

6. Activités journalistiques

L. est le co-auteur des Causes célèbres : Prospectus d'un Journal des Causes célèbres, curieuses et intéressantes de toutes les Cours souveraines du Royaume, avec les Jugemens qui les ont décidées, Paris, P.G. Simon, 1773, in-4°, 4 p. L'approbation est du 4 janvier 1773. Voir B.N., f.fr. 22085, f° 10-11. – Causes célèbres, curieuses et intéressantes de toutes les Cours souveraines du Royaume, avec les Jugemens qui les ont décidées, Paris, Lacombe, 1773-1789, 196 vol. in-12. 8 vol. par an, puis 12 à partir de 1775 (Causes, 1775, t. I, p. 193-194) ; voir B.H.C., p. 553 et D.P.1 201 ; A.G. Camus, n° 868 ; J.J. Dupin, n° 1306 ; A. Monglond, La France révolutionnaire, t. I, p. 138. – Choix de nouvelles causes célèbres avec les Jugemens qui les ont décidées, Extraites du Journal des causes célèbres depuis son origine jusques & compris l'année 1782, Paris, Moutard, 1785-1787, 15 vol. in-12.

Il existerait «plusieurs contrefaçons [des Causes] faites en pays étrangers» (Procès, t. I, p. 1 et 2).

L. a travaillé en collaboration, depuis le début de son entreprise semble-t-il, avec François Richer (1718-1790), né lui aussi à Coutances, avocat au Parlement (N.B.G.). Situant leur travail dans le sillage des Causes célèbres de Gayot de Pitaval (1738-1750), L. et Richer prennent le parti de ne traiter que des affaires judiciaires contemporaines dans un triple but moral, pédagogique et professionnel, tout en n'excluant pas de «divertir» le lecteur (Prospectus).

7. Publications diverses

L. est un polygraphe, auteur de nombreux livres. Il a écrit trois pièces de theâtre, des pamphlets, des ouvrages de droit, d'histoire, de critique littéraire, de pédagogie, de bibliographie. En outre, il a été l'éditeur de Duclos, Gilbert, Saint-Evremond, Thomas, etc., mais son texte le plus connu reste son Dictionnaire universel de Police (inachevé), 1786-1791, 8 vol. in-4°. Voir Brenner, n° 5426, 9028 ;F.L. 1784, t ; II, p. 503-504 Cior 18, n° 23182-23209.

8. Bibliographie

B.Un., Feller-Weiss, F.L. 1769 et suppl. 1784, Q., M.S. ; D.B.F. – Oeuvres de L. : (Choix) Choix de nouvelles causes célèbres, 1785-1787, 15 vol. – (Motion) Motion faite par un bourgeois de Paris à l'Assemblée municipale tenue le 13 avril 1789, s.l.n.d. – (Précis) Précis historique de la vie, des crimes et du supplice de Robespierre et de ses principaux complices (1797). – (Procès) Procès fameux, extraits de l'Essai sur l'histoire générale des tribunaux des peuples tant anciens que modernes, 1786-1788, 9 vol. – (Réponse) Réponse de N.T. Le Moyne Des Essarts [...] à ses calomniateurs, s.d. – (Siècles) Les Siècles littéraires de la France, Paris, 1800-1803, 7 vol. – A.M. Coutances. – A.N., M 44 (1329), lettre de L. du 26 pluviose an IX. –Voltaire, Correspondence éd. Besterman, D. 18279, 18328, 18819, 1988, 19213, 20329. – Camus A.G., Lettres sur la profession d'avocat, 1818, t. II, p. 264. – Draville des Essarts H., «Un ancêtre de la chronique judiciaire» dans Les Contes du Palais, Paris, 1887, p. 405-420. – Dupin J.J., La Profession d'avocat, Paris, 1832, 2 vol. – Frère E.B., Manuel du Bibliographe normand, Rouen, 1858-1860, t. I, p. 345. – Gerville de, Etudes géographiques et historiques sur la Manche, Cherbourg, 1854. – Lair A., Bulletin de l'Association amicale des anciens élèves du Collège-Lycée-de Coutances, 1889, p. 36-41. – Lebreton T.E., Biographie normande, Rouen, 1857-1861, t. I, p. 417-418. – Le Foyer J. , Revue de l'Avranchin, t. XXX, 1937-1939, p. 654. – Lüsebrink H.J., «Les crimes sexuels dans les Causes Célèbres», D.H.S., t. XII, 1980, p. 153-162. – Magasin encyclopédique, 1800, t. I, p. 234 ; t. III, p. 131. 1801, t. I, p. 223 ; t. II, p. 424 ; t. III, p. 480 ; t. IV, p. 340. 1802, t. III, p. 100. 1803, t. I, p. 142. 1808, t. III, p. 225. 1810, t. IV, p. 454. – Mars S.P., Gazette des tribunaux, 1775, t. I, p. 25, 138, 331, 408. 1776, t. II, p. 41, 118, 186, 318, 379, 392. 1777, t. III, p. 91, etc. – Mercier L.S., Tableau de Paris, 1789, t. XI, p. 123-124. – Mirabeau H.G. de Riqueti de, Des Lettres de cachet et des prisons d'Etat, Hambourg, 1782, t. I, p. 264, 265, 266. – Oursel N.N., Nouvelle Biographie normande, 1886, t. I, p. 263. – Tourneux M., «Encouragement aux lettres et aux sciences sous Louis XVI», R.H.L.F., t. VIII, 1901, p. 281-311. – Tuetey A., Répertoire des sources manuscrites de l'histoire de Paris pendant la Révolution française, t. X et XI.

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