JOUYNEAU-DESLOGES

Numéro

424

Prénom

René

Naissance

1736

Décès

1816

1. État-civil

René Alexis Jouyneau Desloges est né en septembre 1736, à la Chapelle-Saint-Laurent, entre Bressuire et Parthenay (Deux-Sèvres). Il s'est marié très tard, en l'an VI ; il meurt au début de la Restauration, en septembre 1816.

2. Formation

Issu d'une famille ou l'on était notaire de père en fils depuis bien longtemps, J. suit une double tradition familiale - son grand-père maternel, Pierre Gentilz, était professeur en droit de l'université de Poitiers - en entreprenant des études juridiques à Poitiers. Licencié ès lois en 1755, il trouve d'abord un emploi à la direction des domaines de La Rochelle (1756-1760). Fatigué des questions financières, il parvient à se faire nommer secrétaire des commandements du marquis de Narbonne-Pelet, lieutenant général des armées du roi en Aunis, Poitou et Saintonge (1761-1772).

3. Carrière

Pendant ses loisirs, il se lance dans le journalisme en rédigeant gratuitement et pour le plaisir les Affiches de La Rochelle (1769-1772). Son protecteur ayant quitté le service à l'automne de 1772, il décide d'aller créer sa propre Affiche à Poitiers, plaçant son entreprise sous les patronages du comte de Blossac, intendant de Poitou, du nouveau Conseil supérieur siégeant à Poitiers, des lieutenants généraux de police, «des chefs et des membres de tous les tribunaux de la province, et de tous les ordres des citoyens». Il installe le Bureau d'avis à son domicile, canton ou quartier de la Cloche-Perce. Le succès des Affiches du Poitou lui vaudra des honneurs. J. devient en novembre 1776 avocat du duc de Chartres, gouverneur de la province du Poitou, un office qui lui donne une évidente influence : les secours et les grâces de ce prince passent par sa médiation. En février 1781, il est nommé historiographe du comte d'Artois, prince apanagiste du Poitou. Il obtient toutes ces satisfactions d'amour-propre dont sont si friands les gens de lettres à l'époque : l'Académie des belles-lettres de La Rochelle et la Société d'agriculture de cette même ville, l'Académie des Arcades de Rome, l'Académie des antiquités de Hesse-Cassel, etc.

Il obtient surtout des fonctions d'influence. Lors de la création dans le royaume des vingt chambres syndicales de l'imprimerie et de la librairie, par l'arrêt du Conseil d'Etat du 30 août 1777, il est nommé inspecteur de la librairie et gardera ce poste important jusqu'en 1789. Il doit surveiller tout ce qui s'imprime et se vend en fait de librairie sur le territoire dépendant de la chambre syndicale de Poitiers : Poitou, Aunis, Saintonge, Angoumois et Limousin. Ses attributions sont très étendues et doivent être fort occupantes (Ventre, p. 120-137). Il dut séjourner quelque temps à Limoges pour y organiser ses services entre août et octobre 1778.

6. Activités journalistiques

Fondateur, directeur et rédacteur des Affiches du Poitou entre 1773 et 1781 (D.P. 1 55), J. est certainement le plus remarquable des journalistes provinciaux français de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Dès son prospectus, Jouyneau-Desloges nourrit de grandes ambitions. Ses Affiches devront «être regardées comme la Gazette économique, civile et littéraire de la province de Poitou», et pourront «un jour servir de mémoires pour une histoire particulière de cette province». Elles seront donc beaucoup plus qu'un simple recueil d'annonces : «Tout ce qui peut être avantageux ou agréable à ses habitants, tout ce qui peut les éclairer, les servir et les honorer, soit au dedans, soit au dehors, enfin tout ce qui leur est généralement personnel et relatif, dans quelque genre que ce soit, propre à les intéresser avec une sorte de distinction, doit y trouver sa place, en même temps que les objets de moindre importance, auxquels on se fixait autrefois : c'en est le dépôt naturel, immédiat et indispensable» (7 janvier 1773).

En 1781, il brûle ses vaisseaux et annonce sa retraite définitive : «Le désir de nous livrer avec plus d'assiduité à des fonctions importantes qui nous ont été confiées, ne nous permettant plus de nous occuper de la direction et de la rédaction de ces feuilles, nous annonçons qu'à commencer du 1er janvier prochain, nous cesserons d'en exercer le privilège qui nous avait été accordé.» (6 décembre 1781). Cette fois-ci, on le laisse faire. Avide de voir reconnus ses mérites, ce célibataire de 45 ans ne veut plus exercer cette fonction de journaliste quelque peu décriée, au moins dans certains cercles de la société poitevine : «Nous oublierons encore qu'il est quelques lecteurs, en petit nombre à la vérité, dont l'opinion, cherchant à dégrader, s'ils l'avaient pu, ce genre de nos occupations, a osé prétendre que l'état, le titre d'un journaliste, d'un écrivain hebdomadaire, quelques talents, quelques connaissances qu'il pût avoir, quelque honnête que fût son ouvrage et quelques avantages qu'il pût présenter au public, étaient incompatibles avec d'autres états, d'autres titres considérés dans la société [...] Le citoyen que l'on veut avilir injustement, a le droit de rappeler aux principes de la raison et de la vérité, ceux de ses compatriotes qui s'égarent sur son compte ; nous voudrions qu'ils pensassent tous comme ceux d'entr'eux qui sont faits pour leur donner l'exemple. Quand on fait un ouvrage toujours honnête, soit journal ou feuille, rédigé d'une manière à le faire lire avec intérêt [...] je vous le demande, ô mes compatriotes! peut-il être un seul d'entre vous qui se dégrade lui-même au point de penser, de croire, d'oser dire, d'oser écrire, que l'homme de bien qui emploie ainsi son temps, s'est chargé d'une fonction qui l'avilit, qui l'isole au milieu de la société.» (27 décembre 1781).

Que d'amertume, réelle ou feinte! Le journalisme avait permis à J. de se faire connaître. Il devenait urgent de l'abandonner pour réaliser de plus grandes ambitions. En 1783, notre ancien journaliste touche enfin les dividendes de son travail. Le voici devenu chef de bureau à l'intendance du Poitou, un poste important qu'il gardera jusqu'à la Révolution. Il se garde bien, désormais, de collaborer aux Affiches du Poitou ou à une quelconque autre feuille. N'était-ce pas indigne d'un fonctionnaire d'autorité?

Il accueille la Révolution avec beaucoup d'opportunisme, si ce n'est de l'enthousiasme, et rédige seul le cahier de doléances du corps du commerce de Poitiers (avril 1789). Il est élu notable de la ville. Membre de la Société des amis de la Constitution qu'il préside en 1790, il se donne un label de parfait jacobin en publiant dans la Correspondance du département de la Vienne, journal publié à Poitiers au début de 1793, neuf lettres ayant pour but de «dénoncer les abus, les erreurs et les vexations de l'Ancien Régime». Le 8 janvier, il réfléchit sur son ancienne expérience de journaliste : «Vous entrez citoyen, dans une carrière que j'ai parcourue longtemps. Fondateur, et rédacteur pendant neuf ans - de 1773 à 1781, et je n'ai pas écrit un mot depuis -, du journal que vous rétablissez, je serais très aise de concourir à son succès, quoique vous n'ayez pas besoin de secours. Il me serait doux encore de m'occuper de l'instruction et de la prospérité de mes compatriotes, de mes concitoyens. Mais quelle différence entre mon temps et le vôtre! Vous n'aurez pas les entraves qui m'ont contrarié : aussi réussirez-vous mieux que moi. Vous n'aurez pas par exemple, de censeurs, de ces hommes qui défendaient de penser, dès qu'il s'agissait de dénoncer des abus ou des erreurs qui leur étaient utiles. Et moi, j'en avais. Eh! comme la plupart étaient susceptibles, étaient chatouilleux! on n'osait pas toucher le plus faible préjugé, le plus mince privilège, qu'ils jetaient les hauts cris. Il fallait bien se taire, et attendre un temps plus opportun. Cependant, malgré eux, j'ai dit, parfois, quelques bonnes vérités, qu'heureusement ils n'entendaient pas. D'autres les entendaient à demi-mot, et mon but était rempli. Personne n'a désormais le droit de contraindre la pensée, dès qu'elle ne sera ni séditieuse ni injurieuse. Chacun aura celui de bien dire, comme de bien faire. Je vous félicite, citoyen, de ce que vous allez jouir de cette faculté que je tâcherai de partager. Pendant que vous proclamerez, que vous justifierez les avantages du nouveau régime, je dénoncerai, moi, des abus, des erreurs, des vexations de l'ancien, qui ne sont pas connus. Les cendres de quelques morts en seront troublées : qu'importe? Tant pis pour les vivants dont les lecteurs soulèveront le masque que je leur conserverai! Je suis déjà un peu vieux : j'ai été à portée de voir de près la plupart des anciennes administrations. J'ai vu conséquemment beaucoup d'injustices et beaucoup de sottises, et je m'en souviens. Une anecdote est souvent une leçon. Je n'en raconterai que de vraies. Ou je les aurai vues ou entendues, ou je les tiendrai de témoins dignes de foi. Ma conscience vous les garantit. Au surplus je signerai tous les articles que je vous fournirai. Un homme libre doit dire la vérité et se nommer. Anathème à celui qui craint, comme à celui qui ment! ceux-là ne sont pas républicains, ils sont encore esclaves. Voilà, citoyen, la tâche que je m'impose pour contribuer, avec vous et avec vos collaborateurs, au progrès des lumières, au triomphe de la raison, à l'expansion de l'esprit de justice, dans notre commune patrie. Puissions-nous mériter tous et à la fois son estime et sa reconnaissance! alors les témoignages de ces sentiments l'honoreront autant que nous.»

Comme l'homme a changé! En dehors des dernières lignes sur le «progrès des lumières», on ne reconnaît plus le rédacteur des Affiches du Poitou. Quels comptes J. a-t-il à régler avec la censure? Il oublie un peu trop facilement qu'il en devint le représentant le plus officiel, comme inspecteur de la librairie, à partir de 1778. Il participe ensuite aux séances de la Société populaire, et y prononce le 30 nivôse an II (19 janvier 1794) un discours reprenant les mêmes thèmes. Elu juge suppléant près le tribunal de la Vienne le 11 ventôse an IV (1er mars 1796), il devient administrateur de la ville de Poitiers, dont il sera par la suite réélu trois fois conseiller municipal. A partir de 1796, il écrit de nouveau de très nombreux articles dans le Journal du département de la Vienne, le Journal des Deux-Sèvres, les Annonces de la Vendée, la Décade philosophique, le Mercure de France, le Publiciste, les Mémoires de l'Académie celtique. Il participe à la fondation de la Société d'agriculture de Poitiers - il donne quatre articles à son Bulletin de correspondance, an XIII - et à celle du Lycée des sciences et des arts dont il est président en l'an VII, un Lycée devenu l'Athénée de Poitiers. A. Richard a fait le bilan de tout ce qu'a publié Jouyneau Desloges : 368 lettres ou articles, en dehors des Affiches du Poitou, traitant des sujets les plus divers, mais plus particulièrement d'histoire, de biographie et d'économie agricole. Son ambition était de donner «un supplément ou une continuation à la bibliothèque littéraire du Poitou de Dreux-Duradier».

Véritable héraut des Lumières dans sa province, cet intellectuel s'est difficilement inséré dans la société poitevine. Refusant le notariat familial, il a trouvé sa voie assez tard, en 1773 seulement. Son célibat prolongé fut-il un choix? N'était-ce pas plutôt le prix dont il dut payer son manque de conformisme? Dans ces anciennes sociétés provinciales, il apparaît que le journalisme n'était pas un métier, n'accordait pas la respectabilité. Son successeur, Chevrier fut beaucoup plus à l'aise. Il était imprimeur-libraire avant d'être le rédacteur des Affiches. On comprend que J.ait accueilli la Révolution avec une certaine satisfaction.

8. Bibliographie

De Lastic de Saint-Jal, Bibliothèque historique et critique du Poitou par Dreux du Radier, précédée d'une introduction, et continuée jusqu'en 1849, t. III, Supplément à la Bibliothèque, Niort, 1849, p. 646-649 (notice sur J.). – Dugast Matifeux, Le premier journaliste du Poitou : notice sur René-Alexis Jouyneau Desloges, écrite par lui-même, 8 p., extr. de la Revue des provinces de l'Ouest, 3e année, 1855-1856. Autobiographie rédigée par J. en nov. 1814. – Imbert, Bulletins de la Société des antiquaires de l'Ouest, 3e trimestre, 1868, p. 115-117 (résumé d'une communication sur J.). – Richard A., «Notice biographique et bibliographique sur Jouyneau Desloges, premier journaliste du Poitou», ibid., 4e trimestre, 1870, p. 425-442. Cette étude est accompagnée d'une liste de 137 articles de Jouyneau Desloges «relatifs à la province de Poitou ou aux personnages qu'elle a produits». – Perlat R., Le Journalisme poitevin : coup d'oeil historique, Poitiers, 1898. Mentionné ici pour mémoire, ce travail n'est qu'un ouvrage de troisième main où l'auteur plagie à la virgule près sans jamais le citer A. Richard. Il recopie les souvenirs inexacts et malveillants de l'ancien recteur de l'académie de Poitiers, Belin de La Liborlière (Vieux souvenirs du Poitiers d'avant 1789, Poitiers, 1846, p. 158-159), cités en note par Dugast-Matifeux (p. 3). – Ventre M., L'Imprimerie et la Librairie en Languedoc au dernier siècle de l'Ancien Régime, 1700-1789, Paris et La Haye, 1958.

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