R. se fit connaître par son projet sur le «règlement des pauvres», un grand dessein qui avorta, mais qui lui permit de se pousser auprès des puissants de l'époque. Au début du XVIIe siècle, alors que la France, tout juste sortie des malheurs de la guerre civile, reconstruit sa société et son économie, le pouvoir royal et les municipalités des villes doivent affronter le mal endémique de la pauvreté, du vagabondage et de la mendicité. Les «Aumônes générales» qui depuis les années 1530 avaient distribué les secours aux «pauvres assistés» dans les grandes villes, ne peuvent plus faire face devant l'accroissement des besoins. La faillite du système d'assistance et les difficultés de la reconstruction économique poussent les premiers penseurs mercantilistes - par exemple Barthélémy de Laffemas - à militer sans relâche pour la mise au travail de tous les Français, à argumenter sur la valeur morale autant qu'économique du travail, à mener la guerre contre les «oisifs». Dès 1601, Laffemas se prononce explicitement pour l'enfermement des pauvres qui refuseraient de se mettre au travail. Ainsi passait-on tout naturellement de la nécessité du travail à la contrainte, voire à l'enfermement. De nombreux «donneurs d'avis» et autres «économistes» reprirent de telles idées pendant tout ce premier XVIIe siècle. S'il ne fait aucun doute que R. ait lu et relu beaucoup de ces projets et s'en soit manifestement inspiré pour bâtir son propre «règlement des pauvres», il s'en écarta en refusant l'enfermement que les administrations, à Paris, à Rouen, à Lyon, finirent elles-mêmes par préconiser, tant était grand l'échec des «Aumônes générales». 1612, 1617-1618, deux fois de suite, R. essaya de faire valoir ses idées à Paris. Mais sans succès, malgré des décisions favorables du Conseil du roi. Ses protecteurs, grands ou petits, avaient tout juste été capables de le soutenir auprès du Conseil. Pour passer à la phase des réalisations, il fallait des appuis autrement puissants. A qui doit-on le premier essai de 1612 ? Scévole de Sainte-Marthe pourrait avoir été d'un grand secours. Il est très probable aussi que Richelieu a agi. Le projet philanthropique de R. pouvait être, pour le futur cardinal, un moyen parmi d'autres, de ne point se faire oublier du pouvoir. Au printemps 1611, Richelieu avait été introduit auprès de la reine-mère Marie de Médicis par le P. Joseph. Rentré en Poitou pendant l'été suivant, il était revenu à Paris pour le carême 1612 et avait pu alors y nouer d'utiles relations avec le pouvoir. La coïncidence des dates ne paraît pas fortuite. Le 26 juin 1612, R. était lui aussi à Paris, où il présentait son projet à une commission de notables, réunie depuis avril 1610, pour discuter du sort des pauvres. «Messieurs les commissaires establis sur le fait des pauvres» voulurent bien l'écouter, mais ne retinrent pas ses suggestions. Ils ne désiraient s'occuper que du sort des pauvres de Paris et avaient déjà opté pour l'enfermement, alors que R. étendait son «règlement» à tout le royaume. Avec très probablement de bonnes paroles, l'importun «donneur d'avis» fut renvoyé vers le Châtelet de Paris, qui le 28 août approuva ses « inventions et moyens ». Devenu médecin ordinaire du roi, R. parvenait à obtenir le brevet du 14 octobre 1612, qui lui accordait le «privilège exclusivement à tous autres de faire tenir Bureaux et Registres d'adresse de toutes les commoditez réciproques » des sujets du roi en tous les lieux du royaume, et la promesse de lettres patentes. R. avait ainsi préservé l'avenir de son projet contre tout éventuel concurrent, mais l'affaire en était restée là. Le deuxième essai, celui de 1617-1618, n'aurait pu non plus exister sans le patronage de Richelieu. Par la grâce de la reine-mère et de Concini, ce dernier était entré quelques mois au Conseil du roi, pour s'occuper des Affaires étrangères, entre novembre 1616 et avril 1617. R. profita manifestement de ce premier et bien éphémère ministériat de l'évêque de Luçon pour reprendre les démarches avortées de 1612. Après tout un cheminement administratif, l'affaire fut évoquée favorablement le 30 octobre 1617 par la Chambre du commerce, tout juste créée à Paris le 20 novembre 1616. Le 3 février 1618, R. obtenait enfin « la charge de Commissaire général des pauvres de ce royaume». Il recevait aussi le droit de nommer un commis « dont il demeurera seulement responsable civilement » dans chaque bailliage ou sénéchaussée. Ses projets étaient très vastes puisqu'il s'agissait de créer une véritable administration couvrant tout le royaume, alimentée financièrement par les aumônes, le revenu des biens affectés aux pauvres, ainsi que par des prélèvements fiscaux sur les jeux et l'exportation de «matières non manufacturées». Projets si vastes que tout naturellement deux conseillers d'Etat furent commis à en examiner les implications financières, moyen bien commode de les faire disparaître dans les sables, alors que Richelieu n'était plus là pour les appuyer. Au printemps 1624, le cardinal de Richelieu rentre en grâce. En avril, le voici de nouveau au Conseil du roi, dont il devient le chef en août suivant. R. se presse d'en profiter et obtient deux nouveaux arrêts du Conseil les 28 février et 22 mars 1624. Au début de l'année 1625, il vient s'établir à Paris. Mais lorsqu'il faut appliquer le « règlement des pauvres », Richelieu laisse traîner les choses. Comme tous ses maîtres mercantilistes - les Laffemas, les Montchrestien -, R. attend de la Couronne qu'elle veuille bien patronner et diriger toutes initiatives susceptibles de donner prospérité au royaume. Mais ses projets sont très vastes et très complexes de réalisation. Au vrai, Richelieu va très vite les considérer comme une utopie qu'il convient d'oublier. Certes, en 1625, dans son Règlement pour toutes les affaires du royaume, véritable programme de gouvernement, le cardinal avait bien prévu de réformer la « mauvaise administration des hôpitaux», mais il s'était clairement prononcé pour l'enfermement des pauvres et avait laissé aux notables citadins le soin de se concerter avec I'évêque de l'endroit pour trouver les « fons » nécessaires à leur entretien. Propositions bien éloignées de celles de R. Une dernière fois cependant, Richelieu laissa le médecin présenter son projet lors de l'Assemblée des notables réunie entre décembre 1626 et février 1627. La Requeste présentée au Roy et à Nosseigneurs de l'Assemblée convoquée à Paris affirme haut et fort qu'il est du devoir de l'Etat de s'occuper du sort des pauvres. Belle construction bien vite oubliée par Richelieu. Outre les difficultés de financement, elle vidait de leur substance les anciennes Aumônes générales et le Grand Bureau des pauvres de Paris qui ne désiraient pas disparaître, et elle heurtait de front les intérêts des divers corps de métier.
Après avoir perdu toute chance de jamais faire admettre son «règlement des pauvres», R. se replia sur l'établissement des seuls Bureaux d'adresse. Le 31 mars 1628, une déclaration royale les instituait. R. pourrait y « mettre des commis » qui tiendraient « livres et registres dans lesquels il sera permis à un chacun de faire inscrire et enregister, par chapitres distincts et séparez, tout ce dont il pourra donner addresse sur lesdites nécessitez, et semblablement d'y venir apprendre et recevoir lesdites addresses par extraits desdits registres. Sans qu'il soit payé plus de 3 sols pour chacun enregistrement ou extrait desdits registres, et gratuitement pour les pauvres». Il s'agissait toujours de permettre aux pauvres de «rencontrer les addresses de leurs nécessitez», mais il n'était plus question de contraindre qui que ce fût à les utiliser. La grande administration des pauvres aux ressources fiscales variées, se réduisait à de simples Bureaux de placement qui ne pourraient vivre que des bénéfices de leur activité. Cantonné dans cette structure très étroite, R. va en étendre les compétences, soit parce qu'un simple Bureau de placement n'était pas suffisamment rentable, soit parce qu'il se heurte à l'opposition des «recommanderesses», «proxénètes» et autres intermédiaires traditionnels. Encore lui faut-il protéger d'éventuels concurrents ses nouveaux projets. Aussi obtient-il le 8 juin 1629 un privilège de librairie préservant de toute contrefaçon L'Inventaire des Addresses du Bureau de rencontre, un livre où il va pouvoir exposer ses idées. Au début de l'été 1629, les intermédiaires traditionnels tentent sans y parvenir d'empêcher la fondation du Bureau d'adresse. L'affaire remonte jusqu'au Parlement qui déboute le 16 août les opposants et ordonne que R. jouira «du contenu desdits Brevet, Arrests du Conseil, Déclaration et Privilège», «sans qu'aucun autre se puisse immiscer, sinon par son consentement, de faire les impressions et adresses y mentionnées». Le roi tranche enfin l'affaire le 13 février 1630, dans ses «lettres de confirmation du don desdits Bureaux d'addresses», lettres patentes entérinées le 5 mars suivant par le prévôt de Paris et le lieutenant civil. Alors semble-t-il, à la fin de mars ou au début d'avril 1630, R. établit son Bureau d'adresse et publie l'Inventaire des addresses du Bureau de rencontre, où il détaille ses fonctions - voir sur cet Inventaire, D.P.1 457, Feuille du Bureau d'adresse. Bien sûr, le Bureau est d'abord au service des pauvres. Il enregistrera toute idée nouvelle concernant leur soulagement, donnera l'adresse de ceux qu'il faut «ausmoner», des médecins, chirurgiens et apothicaires voulant bien dispenser gratuitement leurs soins, consignera « toutes les expériences qu'on aura et qu'on voudra donner au public des effets admirables des simples et autres remèdes » - voilà les débuts de la publicité pharmaceutique, si riche d'avenir -, recevra les factums «bien circonstanciés» et anonymes pour les «maladies secrettes» et «se chargera de leur faire donner promptement avis et consultation ample». Au-delà du service des pauvres, le Bureau révèle ses compétences universelles, lorsqu'il se tourne vers une clientèle plus aisée (voir D.P. 1 457).
Disposant enfin d'une «institution» reconnue par toutes les autorités de l'Etat et de la ville de Paris, R. va rebondir de cette position de repli pour élargir sans cesse le champ de ses activités. Après avoir trois fois déménagé depuis le début de leur séjour parisien en 1625, R. et sa famille louent le 30 septembre 1628 «deux corps d'hostel», rue Sainte-Croix de la Bretonnerie. Ils s'installent enfin le 11 juillet 1630 dans l'île de la Cité, rue de la Calandre, à l'enseigne du Grand Coq. Situé entre le Marché-Neuf et le Palais, le Bureau d'adresse ne pouvait que profiter de l'intense activité de ce quartier d'affaires où se rencontraient les gens du commerce, les libraires de la Cour du Palais, les très nombreux robins grands et petits. Dès la fin de l'année 1630 ou au début de l'année 1631, R. développe suffisamment son Bureau pour éprouver le besoin d'offrir à sa clientèle marchande des mercuriales et des nouvelles de l'étranger. Voulant publier tout cela sans dépendre des libraires, il demande et obtient du roi le 30 mai 1631, un second privilège de librairie pour «imprimer ou faire imprimer» les «affiches, mémoires, actes et autres choses et matières dont il se donne addresse audit Bureau, comme le prix des Marchandises et les gazettes dont il retire les mémoires des pais estrange[r]s» (voir Feyel, L'Annonce et la nouvelle). Retrouvé sur une pièce imprimée de la Bibliothèque Mazarine, ce privilège fonde la légitimité de la Gazette dont R. publie la première livraison ce même 30 mai 1631, et prouve qu'il distribuait périodiquement alors «le prix des marchandises». Au-delà du marché parisien, ces mercuriales auraient enregistré les prix des grands marchés étrangers, ainsi que le laissent entendre les termes du privilège et les regrets exprimés après leur disparition, lors des « assemblées du commerce» de l'été 1638, réunies au Bureau d'adresse, pendant les «vacations» ou vacances des Conférences : « Mais surtout, en cette occurence est nécessaire la connoissance certaine de la valeur du prix des marchandises dont on veut trafiquer. Ce qui a fait grandement louer les feuilles qui sont autresfois sorties contenans le prix courant des marchandises par chacune semaine, à l'imitation de la ville d'Amsterdam». Lorsque R. fonde la Gazette le 30 mai 1631, il pense d'abord servir le monde marchand, anxieux de connaître les nouvelles de la guerre de Trente Ans, ainsi que le prouvent les termes mêmes du privilège de ce 30 mai. Mais abandonnant très vite cette première utilité marchande, il a dû passer alliance avec le pouvoir monarchique pour installer sa feuille dans la durée, contre les Nouvelles ordinaires de ses concurrents Epstein, Martin et Vendosme (voir D.P.1492, Gazette de France, et 1052, Nouvelles ordinaires). Ouverte le 11 septembre 1631, la querelle avec les imprimeurs et les libraires s'achève en février 1635 sur la victoire complète de R., avec les lettres patentes qui précisent que son privilège s'étend à toutes les formes d'information : « Voulons et nous plaist que ledit Renaudot et ses successeurs et ayans cause, jouissent pleinement, paisiblement, et perpétuellement à l'exclusion de tous autres, du pouvoir, permission et privilège de composer et faire composer, imprimer et faire imprimer en tel lieu, et par telles personnes que bon leur semblera toutes les Gazettes, Relations, et Nouvelles, tant ordinaires qu'extraordinaires, lettres, copies, ou extraicts d'icelles, et autres papiers généralement quelconques contenans le récit des choses passées et avenues, ou qui se passeront tant dedans que dehors le Royaume, prix courant des marchandises, Conférences et autres impressions desdits Bureaux, et généralement toutes les choses mentionnées esdits Arrests. Le tout vendre et faire vendre, exposer et débiter. Avec deffenses à tous imprimeurs, libraires, et autres personnes de quelque condition qu'ils soient de s'immiscer ni entreprendre aucune des choses cy-dessus, sans le pouvoir, consentement et aveu dudit R. ou des siens après luy ; sans que cy-aprés ils puissent estre troublez et privez de tout ou partie des émolumens procedans desdites impressions et choses cy-dessus, par quelque personne ou prétexte que ce soit, sur les peines portées par lesdits Arrests, cy attachez sous le contre-séel de nostre Chancellerie. Nonobstant toutes Déclarations, Ordonnances, Arrests, Règlements, et défenses faites ou à faire pour raison de la papeterie, imprimerie et librairie ; mesmes celle faites à toutes personnes de tenir presses, et imprimerie en leur maison, que ne voulons nuire ne prejudicier directement ou indirectement audit Renaudot et aux siens, et ce tant qu'il nous plaira les Gazettes, Nouvelles et autres impressions avoir lieu en cestuy nostre Royaume et lieux de nostre obéissance.» Désormais libéré des contraintes administratives et corporatives du monde du livre, R. est devenu la voix du pouvoir. La Gazette n'existe que parce que Louis XIII et Richelieu y trouvent leur compte. Elle durera tant qu'il leur «plaira». Ainsi, ces années 1631-1635 furent-elles décisives pour l'avenir de la presse d'information française. A peine de disparaître écrasée par une communauté de libraires supportant mal les empiétements de R., la Gazette dut se mettre sous la protection de la monarchie, qui s'efforçait alors de rassurer et d'amadouer une opinion divisée et hésitante après la «Journée des Dupes» et l'exil de la reine-mère. L'Etat absolutiste en voie de formation, grâce à ses gens - en l'occurence R. -, s'attribue la fonction tribunicienne, sans permettre aux corps intermédiaires de l'exercer. La communauté des imprimeurs et libraires garde certes le privilège reconnu de publier et de vendre des livres. Elle n'a plus celui de diffuser de l'information, quelle qu'en soit la forme, périodique ou occasionnelle. Avec la Gazette, l'information se sépare de la rumeur et du merveilleux pour entrer dans la rationalité.
En novembre 1632, R. sert aussi la raison en instituant à son Bureau d'adresse, les Conférences, assemblées de gens doctes et sages, discutant tous les lundis de grandes questions de morale ou de physique. Espace de tolérance et de liberté, ces assemblées n'accueillirent pas seulement le mathématicien et astrologue Jean-Baptiste Morin, l'un des tenants les plus influents du géocentrisme, mais aussi de grands défenseurs de l'héliocentrisme, l'astronome Ismaël Boulliau et le P. Mersenne, promoteur du «mécanisme», cette science nouvelle, fondée sur les mathématiques et l'expérimentation, refusant de disserter sur la qualité pour calculer la quantité, s'efforçant de réduire l'enchaînement des phénomènes naturels à une mécanique cohérente. Toujours à partir de son Bureau d'adresse, R. va prendre de nouvelles initiatives, fort dangereuses car elles vont soulever contre lui la double et irréductible opposition de la Faculté de médecine et des Six Corps des marchands parisiens. Au printemps 1630, il s'était engagé à ne faire aucun commerce, et avait fait afficher et distribuer cet Advertissement au lecteur : «Le Bureau ne fournira d'aucune autre chose que d'addresses et mémoires pour faire rencontrer à chacun ses nécessitez et commoditez, en leur donnant plus prompte et facile cognoissance des personnes et lieux où ils les trouveront : affin qu'on n'y vienne chercher autre chose, et qu'aucun ne prenne sujet de se plaindre, comme s'il fournissoit et administrait les choses pour l'exercice, manufacture et débit desquelles sont establies les diverses professions, arts et mestiers, dont la société humaine est composée». Malgré de telles assurances, R. va assez rapidement s'évader des «adresses» ou simples indications pour faire un véritable commerce des objets déposés dans son Bureau. Il a bien sûr pour cela de si excellentes raisons qu'il obtient les 27 mars et 1er avril 1637 un Arrêt du Conseil et un Brevet du roi y autorisant les troques ou échanges, de même que les «Ventes à grâce, et pures et simples» (D.P.1 457). Toujours désireux d'aller au bout de ses initiatives, R. fonda en 1638 un laboratoire - les « fourneaux » du Bureau d'adresse - où les remèdes chimiques seraient préparés gratuitement par les apothicaires parisiens qui le désireraient. Pour conforter cette initiative, il obtint du roi les lettres patentes du 2 septembre 1640. Il s'agissait aussi et surtout d'un véritable laboratoire d'essai où étaient testés les nouveaux remèdes. Par delà les intentions philanthropiques bruyamment affichées, le Bureau d'adresse, en bonne «agence publicitaire», était à l'affût de toute nouvelle « invention » pharmaceutique. Disposant de ses « fourneaux », R. entreprit de faire en grand ce qu'il avait discrètement débuté. Entre mai et juillet 1640, il organisa définitivement les «Consultations charitables pour les pauvres malades». Tous les mardis, à «deux après midy», une quinzaine de médecins siégeaient dans la grande salle du Bureau d'adresse, «divisés en plusieurs tables». Chaque consultant recevait à son arrivée un numéro d'ordre, et riche ou pauvre, n'était consulté que lorsque son tour était venu. Les plus riches déposaient leur obole dans une «boëte» placée à cet effet. Naturellement, ils payaient ensuite le chirurgien ou l'apothicaire à qui ils s'adressaient ensuite pour obtenir leur médication. Les plus pauvres étaient examinés gratuitement, puis étaient envoyés chez un apothicaire ou un chirurgien qui avait accepté, par amour des pauvres, de se faire « simplement indamniser de son déboursé», soit que le prix des remèdes ait été donné au pauvre malade en même temps que la prescription, soit qu'il ait été versé directement à l'homme de l'art. Souvent méprisés par les médecins de l'Ecole, les chirurgiens et les apothicaires ne pouvaient qu'applaudir, puisqu'ils étaient ainsi assurés de disposer d'une clientèle solvable, mais bien sûr, ils se devaient de savoir préparer chez eux les médications chimiques expérimentées dans le laboratoire de R. L'habile homme s'était ainsi assuré la publicité et la diffusion de ses innovations pharmaceutiques ! Au cas où certains apothicaires se seraient trouvés incapables de telles préparations, le Bureau d'adresse était tout prêt à les leur apprendre. Frappée de plein fouet par le succès immédiat de ce « dispensaire », en grand péril de voir disparaître et ses étudiants et ses malades, la Faculté ouvrit les hostilités contre R. dès l'automne 1640, autant par intérêt professionnel étroit, que par conviction scolastique : il fallait tuer les «fourneaux», ce laboratoire d'essai et de vérification militant en faveur des remèdes chimiques, ce véritable embryon d'une université parallèle. Le 23 octobre 1640, la Faculté assigna son adversaire devant le Châtelet. Avant même que le prévôt de Paris se fût déclaré favorable à l'Ecole (6 nov. 1640), R. s'était retourné vers le Conseil du roi qui finit par évoquer l'affaire et lui donna gain de cause en interdisant à la Faculté de le gêner dans ses initiatives (14 juin et 9 juil. 1641). Aussitôt le voici poursuivant son avantage et projetant de construire un «Hostel des consultations charitables », le long des remparts, au nord de la porte Saint-Antoine. C'était tout ce que l'Ecole pouvait craindre le plus : fort dangereuse, cette nouvelle institution risquait de l'étouffer par son rayonnement auprès des malades et du corps médical. Au début de 1643, des lettres patentes accordèrent le terrain convoité pour l'érection de l'Hostel, mais la disparition du roi, précédée de celle de Richelieu vint tout remettre en question. Ayant cru tout perdre, la Faculté n'eut de cesse de tout gagner. Malgré les efforts de R., elle obtint du Conseil privé, le 7 août 1643, le renvoi de l'affaire devant ses juges naturels, c'est-à-dire le Châtelet et le Parlement. Le 9 décembre suivant, le prévôt de Paris interdisait à R. et à ses «adhérents et adjoints, soy disants médecins, d'exercer cy après la médecine, ny faire aucunes Conférences, consultations ny assemblée dedans le Bureau d'adresse ou aultres lieux de cette ville et faulxbourgs». Le 1er mars 1644, le Parlement confirmait la sentence du Châtelet, et allait encore plus loin, puisque sous l'influence de l'avocat général Orner Talon, il suspendait les «Ventes à grâce» jusqu'à plus ample examen. Contrairement à ce qui a été souvent un peu rapidement affirmé, l'arrêt du Parlement ne détruisait pas complètement l'œuvre de R. Il lui restait bien sûr la Gazette, mais aussi le Bureau d'adresse qui ne semble pas avoir alors disparu. Il va désormais s'acharner à récupérer les «Ventes à grâce», tout en consolidant et sa feuille et son Bureau. Il ne lui fut pas bien difficile de maintenir la Gazette, parce que dès son arrivée au pouvoir, Mazarin avait bien vu tout l'avantage politique qu'il en pourrait tirer. Au cours du même mois d'août 1643, le Conseil du roi avait su prendre deux décisions fort contrastées : le 7, il avait certes renvoyé R. devant le Châtelet, mais le 18, il prenait bien soin de confirmer le privilège de la Gazette dans toute son étendue contre l'imprimeur Claude Morlot, coupable de contrefaçon. Enfin, le 1er mars 1644, R. put bien perdre son procès devant le Parlement, le 17 du même mois, il obtenait de nouvelles Lettres patentes confirmant les privilèges des seuls Bureaux d'adresse et Gazette. Ces Lettres de confirmation garantissaient l'avenir de l'institution, puisqu'en cas de décès, absence ou empêchement du fondateur, elles ordonnaient que son fils, Théophraste II, sieur de Boissemé, conseiller en la Cour des monnaies, lui serait automatiquement substitué. La suspension des « Ventes à grâce » avait été très durement ressentie. Quelques mois plus tôt, R. avait dû réaffirmer ses droits contre un protégé du duc d'Orléans et du prince de Condé, Balthazar Gerbier. Le 3 septembre 1643, ce dernier avait reçu des Lettres patentes et un Brevet pour l'établissement de monts-de-piété à Paris et dans de nombreuses autres villes de France. A son tour, pour se débarrasser de ce rival inattendu, R. avait dû obtenir le mois suivant (oct. 1643), des Lettres patentes pour conforter le privilège de ses « Ventes à grâce». Pour montrer sa bonne volonté, il se soumit au Parlement et suspendit provisoirement toutes les activités de son Bureau d'adresse, s'efforçant de négocier la réouverture des «Ventes à grâce». Dès 1644, ou peut-être un peu plus tard, il présentait ses Lettres patentes au Parlement. C'est alors qu'il trouva face à lui une nouvelle opposition qui ne désarmera jamais par la suite. Les Six Corps des marchands voyaient dans les «Ventes à grâce» une concurrence commerciale encombrante qu'il convenait de détruire en la taxant d'usure. Aussi s'opposèrent-ils aussitôt à l'entérinement à des Lettres. Le conflit traîna en longueur, parce qu'au tout début, R. n'était plus en mesure de beaucoup peser face à un Parlement heureux de montrer son autorité et point trop pressé d'aboutir. C'est seulement à partir de 1646, année de véritable reconquête, que R. poussa vraiment les feux. En cette année faste, il reçut du pouvoir de nombreux gages de bonne volonté. Le 28 avril, le roi ordonnait l'enregistrement aux requêtes de l'Hôtel des Lettres de confirmation de mars 1644. Le 6 mai, R. était nommé «historiographe du roi» et prêtait serment en cette qualité le 19. Le 31 juillet, il obtenait un arrêt du Conseil contre les nouvellistes à la main qui concurrençaient la Gazette. Enfin, en décembre, le roi ordonnait que les procès que R. et ses enfants avaient « en divers parlements et autres juridictions de ce royaume» seraient évoqués aux requêtes de l'Hôtel qui devraient enregistrer les Lettres patentes, Brevets, arrêts du Conseil obtenus depuis février 1635. Dernière grâce, en mai 1648, R. obtenait la faveur de s'établir dans les galeries du Louvre, «devant la rue Saint-Thomas», où furent installés l'imprimerie de la Gazette et le Bureau d'adresse. Et puis l'affaire s'enlisa de nouveau dans de longues procédures. Depuis 1648, la Fronde donnait bien d'autres soucis au Parlement. En 1650, elle n'était toujours pas réglée au fond. Passée cette année 1650, R. perdait toute chance de la voir aboutir. Depuis l'exil de Mazarin en février 1651, il était tombé en disgrâce, et la Gazette ne recevait plus rien du gouvernement. Mais R. ne perdait pas espoir. Savait-on jamais? Aussi, le 11 octobre 1651, prévoyait-il dans son contrat de mariage avec Louise de Mascon, l'heureuse issue de son procès. S'il ne réussit point à relancer les «Ventes à grâce», R. parvint à réveiller son Bureau d'adresse quelque peu assoupi depuis 1644. Dans sa brochure Le Renouvellement des Bureaux d'Adresse, a ce nouvel an MDCXLVIL - voir D.P.1 457, Feuille du Bureau d'adresse - R. n'indique nulle part qu'il relance un Bureau qui aurait été fermé en mars 1644. Le titre peut prêter à confusion. Mais aucune rupture n'est suggérée. A deux reprises, R. donne à son Bureau toute sa durée : « depuis dix-huit ans que l'ouverture de ces Bureaux a été faite» (p. 4), «l'expérience que la plupart des grandes maisons de cette ville en ont faite depuis dix-huit années, publie assez cette commodité : ayant eu pendant ce temps là, comme j'ai dit, ce grand nombre de personnes placées en divers lieux par l'adresse de ce seul Bureau» (p. 21). Malgré ses difficultés de gestion, le Bureau d'adresse paraît avoir eu beaucoup de succès, s'il faut en croire les chiffres de fréquentation publiés par son fondateur : plus de 80 000 personnes «de plusieurs conditions» auraient été placées entre 1630 et 1646, soit plus ou moins 4700 par an.