MOUHY

Numéro

597

Prénom

Charles de Fieux de

Naissance

1701

Décès

1784

Charles de Fieux, chevalier de Mouhy, est né à Metz le 9 mai 1701 ; il était le fils d'un colonel des dragons, et le neveu du baron de Longepierre, auteur dramatique. Il s'établit très tôt à Paris et se maria avec une femme aussi pauvre que lui, dont il eut cinq enfants. Il est mort à Paris le 29 février 1784.

2. Formation

Il a été officier de cavalerie et pensionnaire du roi, titres qu'il lui arrive de citer en tête de ses ouvrages.

3. Carrière

En 1735, il publie plusieurs romans et Le Répertoire, ouvrage périodique. En août 1736, il offre ses services à Voltaire ; il lui emprunte 200 pistoles en novembre (lettre de Voltaire à Moussinot, vers le 6 nov. 1736, D1191), et lui envoie « les petites nouvelles » deux fois par semaine à Cirey (V. à Moussinot, vers le 30 nov. 1736, D1213). En 1738, Voltaire le paie 200 £ par an en qualité de « correspondant littéraire» ; il exige de lui «des nouvelles très courtes, des faits, sans réflexion, et plutôt rien que des faits hasardés » (V. à Moussinot, 18 août 1738, Di593) ; il lui fait endosser, en outre, la paternité du Préservatif contre Desfontaines : le « cher chevalier» obtient 2000 £ pour ses peines (V. à Moussinot, 20 avril 1739). En août 1742, Voltaire emploie Mouhy auprès du lieutenant de police Marville, qu'il souhaite gagner à sa cause (voir D2640) ; mais dès cette époque, M. travaillait pour Marville (Boislisle, 1.1, p. LXXXIX et suiv.).

Quoique ses gazettes manuscrites aient circulé dès 1736 avec la tolérance de la police, il fut enfermé à la Bastille le 25 avril 1741 pour avoir publié les Mille et une faveurs sans permission. Il n'y resta que quinze jours et eut une première entrevue avec Marville. Quand, quelques mois plus tard, un édit du Parlement interdit la circulation des nouvelles à la main, M. s'adressa à Marville qui l'employa, à partir de mai 1742, comme agent secret et fournisseur des gazetins de la police. Cependant, il céda à la tentation de vendre ses bulletins, notamment au cardinal de Tencin et au maréchal de Belle-Isle, et fut de nouveau conduit à la Bastille, le 16 février 1745 ; il y resta un mois, puis fut relégué à Rouen pour six mois. A son retour à Paris, il offrit ses services à Berryer, successeur de Marville, qui lui demanda les nouvelles du théâtre en 1748-1749. En 1746, il passa en Hollande, où il dirigea Le Papillon jusqu'en 1751. Voltaire le soupçonnant de l'avoir calomnié dans La Bigarrure, périodique imprimé à La Haye, toutes relations cessèrent entre les deux hommes à dater de 1750.

On sait très peu de chose des vingt dernières années de sa vie. En 1755, M. est installé à Paris rue des Cordeliers {Supplément aux Tablettes dramatiques. Pour les années 1754 et 1755, Paris, 1755, Avis, p. 18).

En 1758, le maréchal duc de Belle-Isle, nommé, le 3 mars, ministre de la Guerre, remet à M., qui était déjà à son service et lui avait été utile pour des ouvrages militaires, la charge des « affaires secrètes » de ce « département » et lui demande de s'en occuper exclusivement(Abrégé de l'histoire du théâtre françois depuis son origine jusqu'au Ier juin de l'année 1780, nouv. éd., Paris, 1780, t. I, Avertissement). Formule bien pompeuse pour désigner des «fonctions» dont, selon la C.L. de décembre 1780, «tout Paris» connaissait la nature exacte ! Dans le Testament politique du maréchal-duc de Belle-Isle (Amsterdam, 1761, p. 33 et 119) et dans L'Esprit de M. le Maréchal de Bell'lsle ou commentaire de son Testament politique (La Haye, Van Duren, 1762, p. 6 et 17-18), Chevrier compte M. parmi les « créatures » que protégeait le ministre, le montre instruisant son supérieur des «nouvelles courantes», «bruits du jour», bref «de toutes ces petites choses que les Ministres ont tort de négliger», et prétend même que M. n'hésitait pas à se qualifier de «gentilhomme de la chambre de M. le Maréchal». A la mort du duc de Belle-Isle (26 janvier 1761), M. se retrouve «sans emploi et sans occupation». Le comte de Pont-de-Veyle, qui l'honore de son amitié depuis plus de 30 ans et lui veut beaucoup de bien, l'encourage alors à «mettre au jour un corps complet de l'Histoire du Théâtre Français», l'aide de ses conseils et le laisse maître de sa bibliothèque, une des plus riches de France en pièces de théâtre(Abrégé de l'histoire du théâtre françois, loc. cit.). L'Abrégé de l'histoire du théâtre lui valut une pension du roi en 1780. [Paragraphe rédigé par R. Granderoute.]

Au début de 1763, Sartine lui proposa de surveiller le salon de Mme Doublet ; après quoi l'on perd sa trace.

4. Situation de fortune

Toujours besogneux, obligé de pourvoir aux besoins de ses cinq enfants, Mouhy vendait lui-même ses gazettes, exploitait dans ses romans les modes successives, vendait ses services au plus offrant. «Pauvre à faire pitié et laid à faire peur» (Chronique scandaleuse de 1785, citée dans N.B.G.), il ne s'est guère montré pointilleux sur le genre de travail qu'il faisait, tout en gardant ses entrées dans le monde de la noblesse et des finances.

6. Activités journalistiques

Dès 1735, il fonde à Paris un bureau d'adresses et publie Le Répertoire, «ouvrage périodique par M. le Chevalier de Mouhy», Paris, Dupuis jeune ; cette publication devait paraître tous les 15 jours et contenait des anecdotes et des critiques littéraires (voir le c.r. du Doyen de Killerine, n° 1) ; elle ne comporta sans doute qu'un numéro (D.P. 1 1191).

Il demanda en 1744 le privilège du Mercure, et en 1749 celui de la Gazette, mais sans succès.

Le Papillon « ou Lettres parisiennes, ouvrage qui contiendra tout ce qui se passe d'intéressant, de plus agréable et de plus nouveau dans tous les genres » : M. le dirige de 1746 à 1751 (avec une absence de 18 mois) et en publie 4 vol. ; il y donne des nouvelles de guerre, des scandales, de la critique de théâtre, des énigmes, des épigrammes, et y fait beaucoup de propagande en faveur de la France (D.P. 1 1104). M. travailla en même temps à la Gazette de France du 18 mai 1749 au 1er juin 1751 (F.L. 1769, 1.1, p. 348).

Il collabora en même temps à La Bigarrure (La Haye, 1749-1753, 20 vol. ; D.P. 1 175) dont il fut sans doute le premier auteur ; Durey de Morsan lui aurait succédé à partir du t. IV (6 juin - 13 août 1750), comme il l'a déclaré lui-même : « L'auteur trop médiocre et trop médiocrement payé qui faisait à La Haye le petit journal hebdomadaire sous le titre de La Bigarrure avait décrédité cet ouvrage périodique ; on augmenta du double le salaire ; j'y travaillai pendant un an, et avec succès» (texte cité en entier dans l'art. «Crébillon»).

L'essentiel de sa production de journaliste est passé en nouvelles manuscrites. Une partie de ses lettres manuscrites, adressées à de nombreux abonnés – dont Stanislas, Belle-Isle, Voltaire – se trouve à l'Arsenal sous le titre de Postillon de Paris, n° 10 (ms. 11498). Utilisés à double usage, public et secret, les gazetins qu'il a adressés au lieutenant de police appartiennent au même genre. M. y donne de pittoresques descriptions de la «nervosité parisienne», des intrigues de cour et du monde théâtral. Ce sont les observations d'un lettré qui se mêle à la foule. Ces rapports quotidiens sur l'opinion publique étaient destinés essentiellement à Maure­pas, à Marville, au cardinal de Fleury et au roi. On peut en reconstituer la série pour les années 1742-1744 avec les collections suivantes : Ars., ms. 3866, 1er juil. 1742 - 26 juil. 1743 ; Revue rétrospective, 1834-1835, 27 juil. i743-8août 1743 (éd. V. Schoelcher) ; voir aussi les numéros isolés, p. 248-252 ; Ars., ms. 10029 : série incomplète de brouillons, 30 mars 1744-7 févr. 1745.

En même temps que ces gazetins, M. offrait au public un bulletin de nouvelles de la cour et de l'étranger, pour un abonnement de 30 à 40 sous par mois. La police en surveillait rigoureusement le contenu, ce qui amena Voltaire et le duc de Richelieu à résilier leur abonnement. Il existe des copies de ces nouvelles pour l'année 1744 dans les Archives du ministère de la Guerre, ms. 3070, Diplomatie, 1743-1744.

7. Publications diverses

Bégin a évalué à 80 volumes la production de M. Il fut avant tout un romancier (S.P. Jones, A list of French prose fiction, New York, 1939, et Cior 18 permettent de lui attribuer 20 romans) ; mais journaliste par nature, il consacre souvent ses récits à l'actualité et leur donne une publication en plusieurs parties. A partir de 1752, il s'est consacré à l'histoire du théâtre dans les Tablettes dramatiques auxquelles il donne chaque année jusqu'en 1758 un supplément avec, par ordre alphabétique, les pièces omises, corrigées ou représentées. Liste de ses œuvres dans Cior 18, n° 4510-47555.

8. Bibliographie

CL. ; Ravaisson ; Cior 18. – Begin E.A., Biographie de la Moselle, Metz, 1831. – Boislisle A. de, Lettres de M. de Marville, lieutenant général de police au ministre Maurepas(1742-1747), Paris, Champion, 1896-1905. – Cruickshanks E.G., «Public opinion in Paris in the 1740s : reports of the chevalier de Mouhy», dans Bull. Inst. Hist. Research, t. XXVII, 1954, p. 54-68. – Estrée P. d', «Journal du lieutenant de police Faydeau de Marville (1744)», Nouvelle revue rétrospective, t. VI, 1897. – Id., « Un journaliste policier : le chevalier de Mouhy», R.H.L.F., 1897, p. 195-238. Green F.C, «The chevalier de Mouhy, an 18th-century French novelist», Modem philology, févr. 1925, p. 225-237. Imbert, notice nécrologique, Mercure de France, sept. 1784, p. 122. – Shaw E., «The Chevalier de Mouhy's newsletter of 20th December 1752», Modern language notes, LXX, 1955, p. 114-116. – Voltaire, Correspondence, éd. Besterman.

9. Additif

Bibliographie : Rivara, Annie, éd. du Masque de fer, Desjonquères, 1983. Coulet, Henri, éd. de La Paysanne parvenue, Desjonquères, 2005. Le Chevalier de Mouhy. Bagarre et bigarrure, études réunies par Jan Herman, Kris Peeters et Paul Pelckmans, Amsterdam et New York, 2010 (J.S.).

François Moureau, Répertoire des nouvelles à la main; Dictionnaire de la presse manuscrite clandestine XVIe-XVIIIe siècle, Oxford, Voltaire Foundation, 1999, voir l'index (François Moureau).

FRERON

Numéro

317

Prénom

Louis Stanislas

Naissance

1754?

Décès

1802

Louis Stanislas Fréron naquit à Paris probablement en 1754, d'Elie-Catherine Fréron, directeur de l'Année littéraire et grand ennemi de Voltaire, et de Thérèse Jacquette Guyomar. (Certains disent qu'il ne naquit qu'en 1765, et ainsi aurait eu pour mère Annetic Royou, que le père épousa en 1766 ; voir B.Un.). Il eut pour parrain Stanislas, roi exilé de Pologne et beau-père de Louis XV, et pour protectrice Madame Adélaïde, fille de Stanislas et tante de Louis XVI.

2. Formation

F. entra au collège Louis-le-Grand le 30 septembre 1771.

3. Carrière

Outre sa carrière de journaliste, F. s'illustra surtout comme révolutionnaire. Malgré ses alliances royalistes, il prit part à tous les événements de la Révolution, après avoir renoué avec ses anciens camarades Desmoulins et Robespierre. Il fut chargé de plusieurs missions dans les départements, par exemple à Marseille en 1793, où, par des atrocités, il essaya avec Barras de soumettre cette ville à l'autorité de la Convention. Encore en 1793, lorsque les Anglais se furent emparés de la ville de Toulon, F. fut chargé de la reprendre. Il commença par changer le nom de Toulon en celui de Port-la-Montagne, et fut responsable de l'exécution de centaines de Toulonnais. Au mois de mars 1794, le Comité de Salut Public le rappela à Paris, où il fit partie du Club des Cordeliers, et fut lié à la faction de Danton et de Desmoulins, contre Robespierre. Lors de la chute de ce dernier, le 9 thermidor (27 juil. 1794), F. et Barras dirigèrent l'attaque contre l'hôtel de ville, citadelle des robespierristes. Toujours avec Barras après les événements du 1er prairial An III (20 mai 1795), il reçut l'ordre de désarmer les habitants du faubourg Saint-Antoine, qu'il tenta en vain de raser.

Vers la fin de la Révolution, F. essaya de faire valoir son élection à la Guyane au Conseil des Cinq-Cents mais il fut repoussé. Après la révolution du 18 brumaire, il n'eut qu'un poste médiocre dans l'administration des hospices, en dépit de ses rapports personnels avec les Bonaparte.

4. Situation de fortune

F. ne s'occupa que très peu de la direction de l'Année littéraire, qu'il laissa à l'abbé Royou et à Geoffroy. Après la suspension du privilège de ce journal en 1781, F. mena une vie de «parasite et débauché» (Arnaud). Pourtant, sur un contrat passé le 26 février 1784, par sa belle-mère, F. put à nouveau participer aux bénéfices de la revue (A.N., t. 546).

Barras nous a laissé de lui un portrait qui ne contredit en rien ses actes : «Fréron était bien un littérateur efféminé, pour qui une carrière militaire devenait un effort plus qu'humain. Il lui était difficile d'en prendre la vigueur et l'activité. L'usage des spiritueux, l'exaltation qu'il devait à cet auxiliaire lui donnait une hardiesse, une intrépidité presque guerrière. Avec un caractère déjà très décidé, cela faisait un excellent révolutionnaire» (Mémoires, p. 119).

Son poste dans une sous-préfecture à Saint-Domingue ne l'empêcha pas de mourir dans la misère (Arnaud).

5. Opinions

F. hérita de son père, en plus de la direction de l'Année littéraire, du courroux de Voltaire, des encyclopédistes et de tous leurs disciples. C'est ainsi qu'on trouve la remarque suivante du grand Voltaire : «Le petit Fréron a autant de malice et moins de talens que son père...» (D 20553) ; ou encore le 26 septembre 1777 : «J'ai un chien gros comme un mulet qu'on appelle Fr..., parce qu'il aboie toujours. Je ferai dévorer Fr... minor par mon chien, s'il ose jamais répéter l'impertinence imprimée dans le gros livre du père Lelong» (D 20816). F. riposta en défendant son père et en accusant Voltaire d'avoir causé sa mort (Année littéraire, 1776, t. IV, p. 224 à 230).

Dans l'Orateur du peuple, il plaida violemment en faveur de l'exécution du roi ; ainsi en juin 1791 : «Louis XVI doit perdre la tête sur un échafaud, et la reine doit, comme Frédégonde, être traînée dans les rues de Paris, à la tête d'un cheval entier». De retour à Paris après ses atrocités de Toulon et de Marseille, il reçut du Club des Jacobins le titre de «Sauveur du Midi» (B. Un.).

Malgré tout, il se montra toujours un des grands défenseurs de la liberté de la presse : «La presse est libre ; dans aucun temps, pour aucun motif, et sous aucun prétexte, elle ne recevra aucune atteinte ni effet rétroactif» (Discours de F. en faveur de la liberté de la presse, mai 1795, Martin et Walter, vol. 2, n° 13944).

6. Activités journalistiques

Ce furent F., l'abbé Royou et le professeur Geoffroy qui continuèrent l'Année littéraire après la mort d'Elie Fréron en 1776 jusqu'en 1790, à l'exception de la période de suspension citée ci-dessus.

Du mois de décembre 1789 jusqu'au n°15 du t. VII (1791), il imprima, sous le pseudonyme de Martel, l'Orateur du peuple. Cette feuille qu'on distribuait alors dans les rues fut non moins anarchique que son modèle, l'Ami du peuple de Marat.

F. collabora à l'Ami des citoyens, 1790-1791, aux Révolutions de France et de Brabant avec Desmoulins, 1791-1792, et encore avec ce dernier à la fondation de la Tribune des patriotes en avril 1792 (Martin et Walter, t. V).

Enfin, après la chute de Robespierre, il reprit l'Orateur du peuple (sept. 1794), qui devint alors le principal organe anti-jacobin, et qui ne s'attaqua plus aux royalistes.

7. Publications diverses

Mémoire historique sur la réaction royale et sur les massacres du Midi, avec des notes et des pièces justificatives, 1re partie (il n'en parut pas d'autres), 1793. – Réflexions sur les hôpitaux et particulièrement ceux de Paris, et l'établissement d'un mont-de-piété, 1800.

8. Bibliographie

B.Un. Arnaud R., Le Fils de Fréron, Paris, Perrin, 1909. – Cornou F., trente années de lutte contre Voltaire et les philosophes du XVIIIe siècle, Elie Fréron, Paris, Champion, 1922. – Martin A. et Walter G., Catalogue de l'Histoire de la Révolution française, Paris, 1936-1943, t. II et V. – Barras P., Mémoires, Paris, Le Prat, 1946. – Voltaire, Correspondence, éd. Bestermann.