FONTENELLE

Numéro

309

Prénom

Bernard Le Bovier de

Naissance

1657

Décès

1757

1. État-civil

Bernard Le Bovier de Fontenelle fut baptisé à Rouen le 14 février 1657. Il était le troisième enfant de François Le Bovier, écuyer, avocat au Parlement de Rouen et de Marthe Corneille, la soeur de Pierre et de Thomas. Sa famille paternelle et sa famille maternelle étaient également formées de robins ; petits nobles ou bourgeois anoblis, avocats ou présidents de présidiaux (Trublet, Mémoires). Fontenelle mourut à Paris presque centenaire, le 9 janvier 1757.

2. Formation

Il fut élevé chez les Jésuites de Rouen, où il se fit remarquer par l'éclat et la précocité de ses dons. En 1670, il est déjà en rhétorique, puis il poursuivit sa logique, sa physique, sa métaphysique. Il refusa toutefois quand il eut terminé ses études, de faire son noviciat (B.V. Rouen, O 40, Traits, notes et remarques de Cideville). Mais son attachement à ses maîtres se prolongea bien au-delà de ses années de collège : il fut lié aux Pères Commire, Buffier, Daniel, Bouhours, La Rue, Tournemine ; il obtint souvent l'appui des Jésuites -en particulier, quand il fallut démontrer que l'Histoire des Oracles n'était pas un ouvrage impie (Journal de Trévoux, août 1707). Après ses études secondaires, Fontenelle fit sa licence en droit ; il devint avocat, mais il n'aurait plaidé qu'une seule cause, et sans succès, ce qui suffit à le décourager (Trublet).

3. Carrière

De 1674 à 1691, Fµ. ne cessa d'alterner les séjours à Paris et les séjours à Rouen. Il vient à Paris en 1674, en 1675, en 1677, en 1680. Il revient à Rouen après l'échec d'Aspar (déc. 1680), et semble y résider le plus souvent jusque vers 1686. En revanche, après cette date, il est fréquemment à Paris ; on le rencontre dans l'entourage de la Dauphine (Oeuvres, Paris, 1766, t. IV, dédicace des Pastorales) et avec ses amis normands, Vertot, Varignon et l'abbé de Saint-Pierre (ibid., t. VI, p. 159, Eloge de Varignon). Reçu à l'Académie française le 5 mai 1691, il se fixa désormais à Paris, où il vécut successivement chez son oncle Thomas Corneille, chez son ami des Aguais, au Palais-Royal (où le régent l'hébergea) et enfin chez son neveu Richer d'Aube (Trublet, p. 208, 302). Il semble qu'aucun voyage ne vint rompre cette existence sereine jusqu'à la monotonie.

4. Situation de fortune

F. fut de toutes les Académies, et, en particulier, de 1697 à 1740, secrétaire de l'Académie des Sciences. Mais il s'enrichit surtout par sa plume, et l'on sait comme La Bruyère caricatura, dans le portrait de Cydias, cette polygraphie cupide. Ses commanditaires et ses mécènes firent que cet homme, qui n'avait d'abord que peu de bien, touchait, à sa mort, 21 000 £ de rente (Tougard, Documents concernant l'histoire littéraire du dix-huitième siècle, Rouen et Paris, 1912, t. I, p. 19).

5. Opinions

La discrétion et la prudence de F. rendent assez malaisé, voire assez téméraire, l'exposé de ses opinions. Il fit cependant partie de plusieurs groupes, ou clans, bien précis, Son oncle Thomas Corneille et Donneau de Visé dirigeaient ensemble le Mercure galant ; F. comme tous les rédacteurs de ce journal, fut un «moderne» : avec autant de ténacité, mais peut-être plus de mesure que Perrault, il combattit Racine, La Bruyère, Boileau ; il voulut introduire l'esprit critique en littérature, et en chasser la pompe et le sublime ; il s'efforça de décomposer l'idéal classique, et de promouvoir un art plus gracieux, plus souple, mais aussi plus intellectuel. C'est le même combat qui se poursuivit plus tard dans les autres sociétés où il régna, chez Mme de Lambert et Mme de Tencin. Protégeant La Motte, Dufresny, Marivaux, Moncrif, il parvint par leur intermédiaire à régenter les belles-lettres, et à y imposer l'esthétique qu'il avait depuis longtemps conçue (Discours sur la nature de l'églogue, Digression sur les anciens et les modernes, Réflexions sur la poétique).

D'autre part, F. fut le collaborateur des «gazettes du Nord» qui le soutinrent fidèlement. Ami des frères Basnage, de Catherine Bernard et de Mme de la Mésangère, tous huguenots, lié à Bayle, il n'hésita pas à défendre les protestants persécutés par Louis XIV, à ridiculiser la révocation de l'Edit de Nantes dans la Relation de Bornéo, et peut-être à chansonner Jacques II (Voltaire, Le Siècle de Louis XIV), Sa politique semble avoir hésité, penchant tantôt vers l'idéale démocratie, qu'il proposa dans l'Histoire des Ajaoiens, une utopie écrite vers 1680, tantôt vers le despotisme éclairé, la souveraineté absolue d'un prince indépendant et progressiste, tel Pierre-le-Grand, dont il fit l'Eloge (OEuvres, t. VI, p. 174-213). En tout cas, il resta à l'écart de la cour dévote de la fin du règne de Louis XIV. Il fut assurément plus favorable au régent et à Dubois, qu'il connaissait depuis longtemps, à Tencin, à Fleury et à Machault.

Quand F. se tourna vers les sciences, il garda son esprit «moderne» : il encouragea Varignon et le marquis de l'Hôpital, qui définissaient une «nouvelle géométrie», le calcul infinitésimal ; il donna lui-même des Eléments de la géométrie de l'infini. En physique, on sait que F. et son ami Dortous de Mairan demeurèrent obstinément attachés, jusqu'au coeur du XVIIIe siècle, aux «tourbillons cartésiens». F. publia, en 1752, sa Théorie des tourbillons. L'attraction newtonienne lui semblait une qualité occulte, pareille à celles que proposait la philosophie scolastique. Ce modernisme en littérature et en mathématiques, cette fidélité à la physique de Descartes, peuvent-elles nous persuader que F. ait été vraiment un cartésien? Il n'en est rien. Il admire la méthode et le «système du monde» que le philosophe a exposés, mais il démantèle toute sa métaphysique. Avec Huet et les Jésuites, il demeure fidèle à l'empirisme de la vieille scolastique, et concilie cet enseignement avec celui de Gassendi. Ses adversaires principaux furent évidemment le christianisme, et les fables dont il se nourrit (De l'origine des fables) et les miracles qui l'embellissent (Histoire des oracles). Il tenta de promouvoir une vision du monde parfaitement nette, sans ombres ni équivoques : un Dieu qui n'est démontré que par l'observation de la Nature, et non par des arguments métaphysiques, et qui demeure comme étranger à sa création ; le déterminisme absolu dans le monde matériel et même dans l'humanité, dont la liberté n'est qu'une chimère (Traité de la liberté). Mais ce système n'est peut-être pas absolument unifié, et le dogmatisme en est absent. C'est que pour F. l'esprit humain ne parvient à des idées générales qu'en cumulant les observations empiriques, mais ces idées générales sont souvent inadéquates et erronées (Fragments d'un traité de la raison humaine, De la connaissance de l'esprit humain). Toute synthèse est donc, pour longtemps encore prématurée. La saine philosophie doit d'abord se borner à des observations exactes. A «l'immense avenir» revient la mission d'accorder et d'enchaîner cet empirisme décousu.

6. Activités journalistiques

F. fut un journaliste. On peut dire que la plus grande partie de son oeuvre, soumise à l'actualité immédiate, voire à la «mode» est une oeuvre de journaliste. D'autre part, il donna beaucoup de poèmes au Mercure galant qui publia : en 1677, «L'Amour noyé» (mai) ; l'«Eloge de Marquès, petit chien aragonais», et «A une de ses amies qui l'avait prié de lui apprendre l'espagnol» (juil.) ; «L'Amour commode» (sept.) ; «Apollon à Daphné et les Flèches d'Amour» (oct.) ; «Le Ruisseau amant de la prairie» (nov.) ; «Apollon à Iris» et «L'Amour à Iris» (déc.). – En 1678, «L'lndifférence à Iris» (janv.) ; «Réponse d'lris à l'lndifférence» (févr,) ; «Tirsis à la belle Iris» (mai). – En 1679, «Le Duc de Valois» (août). – En 1680, «Les Zéphyrs» (nov.).- En 1682, «Les Jeux olympiques» (nov.). – en 1687, «Portrait de Clarice» (août).

Dans la même gazette, parurent trois lettres de F., l'une consacrée à la Princesse de Clèves en mai 1678 ; l'autre à Eléonor d'Ivrée, une nouvelle de Catherine Bernard, en mai 1687 ; et enfin, une galante «Lettre à une demoiselle de Suède» en octobre 1688. Le Mercure galant de janvier 1678 contenait sa «Description de l'empire de la poésie» ; et on y lisait en janvier 1681, son «Histoire de mon coeur», suivie, en février, de l'«Histoire de mes conquêtes». Il est probable que cette liste n'est pas exhaustive. Tout indique que Fontenelle composa pour le Mercure maints écrits anonymes, qu'il est désormais presque impossible d'identifier. La Bruyère dans le portrait de Cydias, suggère qu'il est un peu le directeur de la gazette. Derrière Donneau de Visé et Thomas Corneille, puis Dufresny, son influence fut certainement très importante ; il mit, en tout cas, la main au célèbre article de juin 1693, consacré à la réception de La Bruyère à l'Académie française.

Bayle publia, dans les Nouvelles de la République des Lettres, en janvier 1685, l'«Eloge de Monsieur Corneille» ; et en janvier 1686, la «Relation curieuse de l'île de Bornéo». Basnage de Beauval publia dans l'Histoire des ouvrages des savants, en septembre 1699, une lettre que Fontenelle lui avait adressée au sujet de La Pluralité des mondes.

7. Publications diverses

Les grandes oeuvres de F. sont connues. On les trouve dans l'édition de 1766 (Paris, Les libraires associés, 11 vol. in-12), qui demeure la plus complète. Il faut y ajouter l'Histoire de l'Académie des sciences, les Eléments de la géométrie de l'infini (Paris, Imprimerie royale, 1727, in-4°) La République des philosophes, ou Histoire des Ajaoiens (Genève, 1768, in-12), la Relation de l'île de Bornéo («En Europe», 1807, in-12) ; et la Lettre au marquis de La Fare sur la résurrection des corps, et le Traité de la liberté, publiés par Depping, dans Oeuvres (Paris, Belin, 1818, 3 vol. in-8°).

8. Bibliographie

Sur la biographie de F., la meilleure source demeure : Trublet, Abbé, Mémoires pour servir à l'histoire de la vie et des ouvrages de M. de Fontenelle, Amsterdam, M.M. Rey, 1759, in-12. – Maigron L., Fontenelle, l'homme, l'oeuvre, l'influence, Paris, Plon-Nourrit, 1906, in-8°. – Carré J.R., La Philosophie de Fontenelle, ou le sourire de la raison, Paris, F. Alcan, 1932, in-8°. – Grégoire F., Fontenelle une «philosophie désabusée», Nancy, G. Thomas, 1947, in-8°. – Bouchard M., «L'Histoire des oracles» de Fontenelle, Paris, Sleft, 1947. – Pizzorusso A., Il Ventaglio e il compasso, Fontenelle e le sue teorie letterarie, Naples, Edizioni scientifiche italiane, 1964. – Dagen J., «Pour une histoire de la pensée de Fontenelle», R.H.L.F., 1966, fasc. 4 ; observations sur cet article par A. Niderst et réponse de J. Dagen dans la même revue, 1968, p. 152-159. – Krauss W., Fontenelle und die Aufklärung, Munich, Wilhelm Kink Verlag, 1969. – Niderst A., Fontenelle à la recherche de lui-même (1657-1702), Paris, Nizet, 1972. – Marcialis M.T., Fontenelle un filosofo mondano, Gallizi, Sassari, Publicazioni dell'Istituto di Filosofia della Facoltà di Lettere dell' Università di Cagliari, 1978. – Mortureux M.F., La Formation et le fonctionnement d'un discours de la vulgarisation scientifique au XVIIIe siècle à travers l'oeuvre de Fontenelle, Université de Lille III, Atelier de reproduction des thèses-Didier Erudition, 1983. – Niderst A., Fontenelle, Paris, Plon, Collection biographique, 1990.

Editions : Histoire des oracles, par L. Maigron, Paris, E. Cornely, 1908, in-16. De l'Origine des fables, par J.R. Carré, Paris, F. Alcan, 1932. – Entretiens sur la pluralité des mondes, Digression sur les Anciens et les Modernes, par R. Shackleton, Clarendon Press, 1955. – Lettres galantes du chevalier d'Her... éd. D. Delafarge, Paris, Les Belles Lettres, 1961. Entretiens sur la pluralité des mondes, éd. A. Calame, Paris, Didier, 1966. Textes choisis, éd. M. Roelens, Paris, Ed. Sociales, 1966. – Nouveaux dialogues des morts, par J. Dagen, Paris, Didier, 1971. – Oeuvres complètes, éd. A. Niderst, Fayard, 1989, t. I, II, III publiés en 1991.

Enfin, plusieurs recueils d'articles ont été consacrés à F. : Annales de l'Université de Paris, juil.-sept. 1957 ; Revue d'histoire des sciences, oct.-déc. 1957 ; Revue de synthèse, 82, 1961 ; Corpus, 1989. – Signalons Fontenelle : actes du colloque tenu à Rouen du 6 au 10 octobre 1987, éd. A. Niderst, Paris, P.U.F., 1989.

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