VERSE

Numéro

802

Prénom

Noël Aubert de

Naissance

1645?

Décès

1714

1. État-civil

Noël Aubert de Versé est né au Mans vers 1645 ; il est mort à Paris, dans la paroisse Saint-Benoît, en 1714. Il avait épousé, à une date inconnue, Mlle Cabaret, protestante réfugiée (D.B.F.).

2. Formation

II fit ses études au collège de l'Oratoire du Mans, où il eut pour maître Mascaron. Il quitte le collège vers 1664, pour «crime abominable» au dire de Jurieu et de La Croze. Il s'inscrit à l'Université de Genève le 22 novembre 1664, en théologie, mais se voit refuser le témoignage honorable en mars 1666 (Stelling-Michaud, t. II, p. 80).

3. Carrière

Devenu pasteur en Bourgogne, il est déposé par le synode d'Is-sur-Tille en août 1669 pour socinianisme. II revient au catholicisme, est reçu par les Oratoriens de Paris, qui lui font une pension en 1675 (ibid.) ; mais professant de nouveau le socinianisme, il est contraint de s'enfuir vers 1679 (D.B.F.). Il exerce alors comme ministre dans les environs d'Amsterdam, ce qui lui vaut les poursuites du consistoire d'Amsterdam et des synodes des églises wallonnes (Haag 2) ; en avril 1685, son Protestant pacifique est dénoncé par le synode de Brielle. Avant cette date, il a déjà renoncé au ministère. Docteur en médecine et bourgeois d'Amsterdam, il écrit dans divers journaux. Il apparaît plus que jamais comme défenseur attitré du socinianisme, mais il reçoit en même temps, au moins depuis 1682, une pension du clergé de France, et possède un domicile à Paris, paroisse Saint-Martial (A. Paul, «Noël Aubert de Versé», Revue chrétienne, 1.1, 1912, p. 232­239). Il est à peu près certain qu'il est utilisé par le clergé de France et par l'ambassadeur d'Avaux comme agent de renseignements et comme polémiste contre le Refuge (D.B.F.). Ses attaques violentes contre Jurieu lui valent la dénonciation des synodes en mars 1687 : il gagne Hambourg où il habite durant l'hiver 1687-1688 chez le pasteur L. Hémérens de La Conseillère, autre adversaire de Jurieu ; il enseigne la philosophie, est de nouveau dénoncé et doit se réfugier à Dantzig, où il exerce quelque temps le ministère. Il passe un an à Londres en 1688 et, faute de moyens d'existence, se résout à entrer en France en 1689. Il restitue tous ses papiers au lieutenant de police La Reynie (lettre de Ponchartrain à La Reynie, 9 déc. 1690, citée dans D.B.F.) ; en 1692, il publie, en témoignage de conversion définitive, L'Anti-socinien, puis cesse d'écrire.

5. Opinions

Ses hésitations, ses conversions successives, sa fougue et son instabilité sont connues ; elles l'ont mené jusqu'à la duplicité ; mais il apparaît surtout, dans l'ensemble de son oeuvre, comme un défenseur de la tolérance et du droit des consciences errantes. D'un rationalisme cartésien, il passe au socinianisme et de là à un spinozisme latent. P. Vernière discerne en lui un lecteur attentif, voire un « disciple authentique », de Spinoza dont il a montré les attaches à la philosophie cartésienne (t. I, p. 82 et suiv.). Malgré les critiques de L'Impie convaincu, il apparaît comme l'un des premiers interprètes fidèles de Spinoza et un précurseur des philosophes. Il a surtout été considéré, de son temps, comme un hérétique ; la violente polémique qu'il a entretenue de 16 8 4 à 16 8 7 contre Jurieu et ses démêlés permanents avec les synodes ont masqué le sérieux de sa réflexion.

E. Kaeppler a étudié les rapports de V. avec Hémérens de La Conseillère {Bulletin d'histoire du protestantisme, 1037,

p. 146 et suiv.) : V. habitait déjà chez Hémérens à Hambourg en 1687-1688 ; les attaques de Jurieu ont visé Hémérens autant que V. {Factum de l'affaire de M. de La Conseillère et de sa conduite envers le Sr. Aubert de Versé, 1690). Sur V. on est bien mieux renseigné depuis 1987 par le livre de Morman. Jurieu regardait V. « comme le plus dangereux et détestable des sociniens» et le joignait à Hémérens dans ses poursuites contre ce dernier en 1690, aussi bien qu'Isaac Papin et Daniel de Larroque qui, paraît-il, rentrèrent tous en France cette année-là pour abjurer et y vivre de pensions. Le départ du trio put sembler une grande victoire pour Jurieu, plus que l'issue de procédures indécises contre Hémérens et Papin, ce dernier ayant été chassé de Danzig par son intervention fin 1689, et Hémérens obligé quelques années plus tard de se réfugier à Londres, où il mourut. Pourtant ce triomphe passager faillit être fatal pour sa réputation et même sa santé. Entre lui et V. les échanges polémiques étaient une habitude ancienne : depuis le Protestant pacifique de V. (1684) dont l'attitude œcuménique fut qualifiée «d'indifférence des religions» par Jurieu, ils avaient bataillé continuellement, V. devenant de plus en plus ironique et Jurieu de plus en plus virulent dans ses idées et son langage. Sa haine pour son adversaire atteignit son comble dans son Factum pour demander justice aux Puissances contre Noël Aubert de Versé atteint et convaincu des crimes d'impureté, d'impiété et de blasphème (anon., 1687) où il voulut se donner le rôle de policier des comportements en plus de celui de juge de l'orthodoxie calviniste. V., dans sa réplique Manifeste de Maître Noël Aubert de Versé [...] contre l'auteur anonyme d'un libelle diffamatoire intitulé Factum (Amsterdam, 1687), indiquait, en préservant cet anonymat, l'influence de son ennemi dans les cercles politiques et ecclésiastiques, et aussi la difficulté de réfuter des accusations vagues. Il est vrai que si d'autres, laïcs et pasteurs, voyaient en V. un coquin, ils devaient attendre qu'il en soit convaincu juridiquement avant de publier leur verdict ; mais une difficulté majeure pour les «consciences errantes» d'alors, était que les juridictions publiques et privées se trouvaient mal distinguées dans la pratique quotidienne aux Pays-Bas. Mais Jurieu ne triompha pas longtemps. Après une nouvelle polémique et des écrits rageurs contre l'Avis important aux Réfugiés qu'il attribuait à Bayle et non à Larroque, il revint à la charge contre Hémérens dans un Factum de l'affaire de M. de la Conseillère (1690, p. 4), nouvelle occasion de noircir V., après l'insuccès de Heusden. Mais sur ces entrefaites Hémérens produisait la disculpation de presque toutes les accusations contre V. dans un Factum écrasant pour Jurieu. Celui-ci avait inclus parmi ses attaques de nombreuses citations de documents juridiques relatifs aux tentatives faites par V. pour récupérer sa fille de la garde de sa grand-mère catholique, avec le succès que la mentalité des magistrats et fonctionnaires français permet d'imaginer. Le mal que Jurieu s'était donné pour se procurer tous ces documents et pour les éplucher minutieusement afin d'utiliser chaque phrase défavorable pour ce veuf malheureux privé de son seul enfant, prouve la hargne et l'aveuglement où il sombrait. Hémérens reprenait tous ces documents sans doute procurés et fournis par V. avant son retour en France. Il montrait dans le détail que toutes les citations avaient été extraites de leur contexte pour leur donner un sens opposé. Pour les lecteurs de ce texte à sensation, Jurieu, le grand défenseur de l'orthodoxie qui prétendait régenter la vie de ses collègues pasteurs, se trouva convaincu de mauvaise foi et de falsification de documents, ce qui était grave. Alors que V., loin d'être détruit, remontait dans l'opinion, Jurieu sombrait dans un effondrement nerveux qui arrêta la composition des Lettres pastorales, et le jeta dans des rechutes répétées. Bien que les amis et admirateurs de Jurieu aient évidemment détruit au maximum les exemplaires de ce factum, devenu rarissime, et bien qu'il ait continué à publier des ouvrages mineurs, au ton radouci par une veine quelque plus mystique, son règne d'inquisiteur (c'est Paul Hazard qui utilise le mot) sur les intellectuels de sa communauté se termine [Développement rédigé par E. Briggs].

6. Activités journalistiques

V. aurait collaboré à la Gazette d'Amsterdam vers 1684 ; le fait est difficile à vérifier. La Gazette fut en effet interdite en septembre 1679 intervention du comte d'Avaux. Les numéros publiés en particulier par Swoll entre 1680 et 1686, sans permission, donnent lieu à diverses poursuites (contre Swoll, Chavigny, Crosnier : voir ces noms). On peut alors s'interroger sur le rôle de V. dans la Gazette, qui fut peut-être un rôle d'agent double.

V. travailla aux Nouvelles solides et choisies publiées par la veuve Ceinglein en 1684 (D.P.1 1059) ; le fait est attesté par Bayle (lettre à Lenfant, 18 janv. 1685, Œuvres diverses, La Haye, 1737, t. IV, p. 620). Il écrit sous divers pseudonymes : Léon de La Guitonnière, Théognoste de Berée, ou signe «A.D.V.», mais la plupart de ses articles sont anonymes. Il a traduit le 1.1 des Acta eruditorum de Leipzig (La Haye, Leers, 1685).

7. Publications diverses

7. L'Impie convaincu, ou dissertation contre Spinoza dans laquelle on réfute les fondements de son athéisme, Amsterdam, Jean Creile, 1684 (Conlon, n° 1789). – Le Protestant pacifique, ou traité de la paix de l'Eglise, Amsterdam, Genesi Taxor, 1684 (Conlon, n° 1790). – L'Avocat des protestants, Amsterdam, Mortier, 1686 (Conlon, n° 2761). – Le Nouveau visionnaire de Rotterdam, ou examen des parallèles mystiques de Mr. Jurieu, Callonge, 1686 (Conlon, n° 2762). – Manifeste de Maître Noël Aubert de Versé, «docteur en médecine et ci-devant ministre de la religion P. réformée, bourgeois de la ville d'Amsterdam», Leyde, 7 janv. 1687 (Conlon, n° 3237). Le Tombeau du socinianisme, Francfort, F. Arnaud, 1687 (Conlon, n° 3238). – Traité de la liberté de conscience, Cologne, P. Marteau, 1687 (Conlon, n° 3239). – Les Trophées de Port-Royal renversés, Amsterdam, R. Roger, 1688 (Conlon, n° 3792). – La Véritable Clé de l'Apocalypse, Cologne, P. Marteau, 1690 (Conlon, n° 4754). – L'Anti-socinien, Paris, Mazuel, 1692.

8. Bibliographie

Moreri ; B.Un. ; Haag 2 ; D.B.F., « Aubert de Versé, Noël» ; Conlon. Une bonne partie des indications données ci-dessus proviennent de la notice de Huetz de Lemps dans D.B.F. On signalera en outre : Livre du Recteur de l'académie de Genève, éd. S. Stelling-Michaud, t. II, Genève, Droz, 1966, p. 80. – Vernière P., Spinoza et la pensée française avant la Révolution, I, Paris, P.U.F., 1954, p. 81-89. – Morman P.J., Noël Aubert de Versé, a study in the concept of toleration, Lewiston U.S.A. et Queenstown Canada, Mellon Press, 1987.

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