RABIOT DE MESLÉ

Numéro

663

Prénom

Denis

Naissance

?

Décès

1761

1. État-civil

Issu d'une famille de petite noblesse bourguignonne, Denis Louis de Rabiot, «chevalier», seigneur de Meslé et de Chazeu, était le fils de Jean Baptiste Rabiot. De sa femme Christine Patizet de Morelle, il eut trois enfants : deux filles décédées célibataires et un fils, Victor Pierre François. Il mourut le I e r mai 1761, à Paris, en l'hôtel qu'il louait rue de Charonne, paroisse Sainte-Marguerite. Son fils disparut peu de temps après lui, en 1763, laissant une veuve chargée de trois enfants.

3. Carrière

Mousquetaire de la seconde compagnie de la garde du roi, R. participa aux campagnes de Bohême (1741-1742) sous les ordres du comte de Belle-Isle. Il séjourna ensuite à Francfort (1742-1743). Ce séjour fut-il d'une grande utilité? L'abbé Aunillon en doutait. R. affirma constamment par la suite y avoir dépensé énormément pour représenter dignement le roi. Rentré en France, il se trouva hors d'état de rembourser les emprunts qu'il avait faits pour ce voyage. Lui aussi ancien mousquetaire de la seconde compagnie de la garde du roi, Victor Pierre François servit comme capitaine de dragons dans le régiment de Flandre lors de la guerre de Sept Ans.

4. Situation de fortune

Vivant noblement et sur un grand train, R. mourut complètement ruiné, ne léguant que des dettes à son malheureux fils. Après son voyage de Francfort, R. vécut sans trop compter, accumulant dettes sur dettes pour paraître à Versailles et obtenir du roi un «dédommagement» financier. En 1758, il avouait 260 000 £ de dettes : «J'ai été obligé d'habiter Versailles pendant dix ans, pour solliciter un dédommagement : pendant tout ce temps je n'ai rien retiré de mes terres ; j'ai continué au contraire d'emprunter tous les ans des sommes considérables, et de faire de mauvais marchés pour soutenir ma famille à Paris et pour subsister moi-même à Versailles» (Mémoire). R. hérita également des dettes de son père : celui-ci s'endetta lourdement pour acheter en 1730 la terre de Chazeu. Il dut aussi honorer celles de son oncle, Jean de Rabiot Du Ban, demeurant à Autun. Il héritait ainsi de plus de 100 000 £ de dettes. Ces dettes ne l'empêchèrent pas de vivre confortablement : en 1761, il employait dix domestiques, dont un secrétaire, un maître d'hôtel, un valet de chambre, un cuisinier, des femmes de chambre, un cocher et des laquais. Après sa mort, toutes ses terres bourguignon-nes furent vendues 347 300 £ (les terres de Chazeu, fief de Rabiot ou du Reulet, les domaines de Santenay et des Chaumottes, la maison d'Autun, les domaines de Sampigny-des-Vignes et une maison, les quatre domaines et la maison de Meslé, les trois domaines et la manouvrerie de Runchy et la maison dite du Ban, sise à Autun). Les autres biens de R. furent également vendus. Le règlement de ses créanciers fut si long qu'il n'était pas encore achevé en 1780.

5. Opinions

Selon une note manuscrite découverte par E. Hatin dans un volume des Affiches conservé à la B.N., R. était un «homme d'esprit, parlant bien, noble et généreux dans ses procédés, bon officier» (H.P.L.P., t. IL p. 113). Le chevalier aimait les arts. L'inventaire dressé après son décès mentionne 19 lots de tableaux dont une toile de Tintoret, La Naissance d'Adonis, prisée 500 £, deux petits portraits de femme peints par Boucher, une toile de Jordane estimée 300 £, deux tableaux de Poussin, représentant l'un le Capitule, l'autre le Monte Cavallo, prisés ensemble 300 £, une peinture de Raphaël, Le Mariage de Sainte Catherine, estimée 1200 £, des œuvres des Carrache, etc. Sa bibliothèque était riche de plusieurs centaines de volumes : en tout 120 lots de livres, dont de nombreux volumes d'histoire et de géographie, des ouvrages de médecine, beaucoup de dictionnaires dont l'Encyclopédie, et surtout de nombreux périodiques : la Gazette de France, bien sûr (131 vol., 1631-1760), mais aussi le Mercure françois (33 vol.), le Mercure de France (224 vol., 1720­1760), les Mémoires de Trévoux (74 vol., 1745-1760), la Bibliothèque universelle et «autres journaux».

6. Activités journalistiques

Depuis le 22 février 1745, Antoine Boudet publiait les Affiches de Paris (puis Affiches de Paris, Avis divers). «Le chevalier de Meslé prétendait en avoir conçu le projet, et l'avoir présenté au ministre de Paris, dans les bureaux duquel l'affaire avait langui pendant quelques années» (note ms., H.P.L.P., t. II, p. 113). Les Affiches eurent un tel succès (voir « Aunillon») que R. vit dans leur gestion le moyen de refaire sa fortune. Sans se lasser, il fatigua les différents ministères de ses sollicitations et finit par obtenir le 9 mai 1749 le privilège exclusif «des feuilles périodiques». Propriétaire de la Gazette, le président Aunillon s'avisa que les Affiches dépendaient de son privilège et empêcha l'enregistrement du privilège de R. Après plusieurs tentatives infructueuses, R. parvint à récupérer le privilège de la Gazette. Il s'entendit avec le financier Louis Dominique Le Bas de Courmont (voir ce nom), protégé par la famille de Noailles. Le 22 janvier 1751, les deux hommes formaient pour quatre ans une société pour l'achat et l'exploitation du privilège. Courmont avançait 120 000 £. En contrepartie, il devait recevoir 6000 £ chaque année (5 % d'intérêt), plus un quart des bénéfices escomptés, soit 6000 £. Non sans difficultés, Courmont obtint les désistements d'Aunillon et de Boudet. En avril 1751, des lettres patentes révoquaient le privilège du président Aunillon. Réuni à celui de la Gazette, le privilège des Affiches était concédé à Courmont. Un brevet précisait le 10 avril que le nouveau privilège était en fait la propriété de R. Quel que soit l'avenir du privilège de la Gazette, les lettres patentes leur garantissaient pour 30 ans le droit de publier les Affiches à Paris et dans les autres villes du royaume. Fait nouveau, le roi se réservait la nomination du rédacteur de la Gazette, que Courmont et R. devraient rétribuer 1800£ chaque année. Au début de juin 1751, Rémond de Sainte-Albine reprenait la rédaction de la Gazette qu'il avait abandonnée deux ans plus tôt. Le 21 avril 1751, Courmont traitait avec l'imprimeur Guérin l'impression des Affiches. Le 24 avril, Courmont et R. prenaient possession des bureaux de la Gazette. Le 3 mai suivant, Boudet cessait la publication de ses Affiches. Le 13 mai débutaient les Annonces, Affiches et Avis divers (Petites Affiches de Paris). Le malheureux Boudet fut forcé de restituer à Courmont 3500 £ sur les abonnements qu'il avait perçus dès le début de 1751.

Courmont traita avec la ferme générale des Postes et supprima tous les baux précédemment passés pour la réimpression provinciale de la Gazette. Malgré les protestations des imprimeurs provinciaux, un arrêt du Conseil (28 oct. 1751) approuva cette suppression qui avait pris effet le 1er août précédent et autorisa pour 30 ans l'établissement d'une compagnie chargée de créer dans les villes «des bureaux d'adresse et de rencontre» où l'on pourrait lire la Gazette pour un sou, chargée aussi de distribuer en province l'édition parisienne de la Gazette, franche de port, contre un abonnement annuel de 21 £. Le 19 janvier 1752, Courmont et R. passèrent ensemble une convention qui confirmait les termes de leur traité de janvier 1751. Courmont prêtait à R. 20 000 £ supplémentaires et lui reconnaissait la propriété du privilège de la Gazette et des Affiches. R. lui abandonnait l'administration de toute l'affaire. Courmont, ne parvenant pas à établir les bureaux d'adresse et de rencontre projetés en province, se résolut à proposer aux provinciaux, contre un abonnement de 7 £ 10 s., une nouvelle édition parisienne de la Gazette, composée sur 4 pages et 2 colonnes à l'aide de petits caractères. Il leur proposa également, au même tarif de 7 £ 10 s., une Affiche pour les provinces. Le 29 avril 1752 parut le premier numéro de la nouvelle édition de la Gazette ; le 3 mai suivant était publiée la première livraison des Affiches des Provinces. Le I e r mai 1755, Courmont obtint la moitié des bénéfices que pouvait procurer l'exploitation de la Gazette et des Affiches. En juin 1756, de plus en plus endetté, R. traita de nouveau avec Courmont. Il fut convenu qu'il demanderait un nouveau privilège ; il jouirait entièrerement seul du produit de la Gazette et concéderait pour 40 ans à Courmont l'exploitation des Affiches. Le financier garderait les bénéfices des Affiches et aurait à son nom le brevet de retenue de 97 000 £. Le 17 juillet 1756, Courmont donna à R. 324 000 £ (159 750£ déjà prêtées à R. et 164 250 £ données en espèces ce jour-là) ; il s'engagea en outre à payer pendant 40 ans à R. ou à ses créanciers 4500 £ de rente. Sur le produit des Affiches, Courmont prélèverait, ces 4500 £ déduites, au moins 30 000 £ ; au-delà de cette somme, il reviendrait 10 000 £ à R. ; le reste serait partagé (3/4 pour Courmont, 1/4 pour R.). Les nouvelles lettres patentes de juillet 1756, scellées et enregistrées les 31 août et 2 septembre suivants, confirmèrent cet arrangement.

Par la suite, R. s'efforça d'augmenter les revenus qu'il pouvait tirer de son privilège. Le 3 septembre 1756, il traita avec un groupe de financiers l'établissement de « bureaux de correspondance » chargés de recevoir pour tous les particuliers les sommes, rentes et revenus qui pourraient leur être dus, et de remplir les commissions de toute espèce. La concession fut faite pour 25 ans. Simon Gilly, directeur de la Compagnie des Indes, Pierre François Goossens, négociant, Jean Joseph Tapret, bourgeois de Paris, et R. formèrent une société. Le nouvel établissement fut garanti financièrement par un cautionnement de 500 000 £. R. retirerait le tiers des bénéfices, mais devrait également participer au déficit et aux frais s'il y avait lieu. Enfin, R. disputa à la ferme générale des Postes le droit d'introduire en France les gazettes étrangères (1756-1758). Il fit explicitement mentionner ce privi­lège dans les lettres patentes de juillet 1756. Dès le début de 1756, il s'était efforcé sans succès de faire valoir ses droits. La ferme générale des Postes jouissait de ce privilège depuis plus de 30 ans ; elle le garda.

Après la mort de R., les lettres patentes enregistrées le 29 août 1761 donnèrent au ministère des Affaires étrangères le privilège de la Gazette et des Affiches. Le ministère confirma à Courmont la cession pour 40 ans que R. lui avait faite des Affiches. Il s'engagea à indemniser les héritiers et les créanciers de R. Le 4 décembre suivant, les héritiers de R. reconnurent avoir reçu du ministère 5171JE16S. pour prix de l'imprimerie de la Gazette. Le 29 mai 1762, Gilly, Goossens et le fils de R. se désistèrent de la société des Bureaux de correspondance. Malgré tous leurs efforts, l'affaire n'avait pas produit les bénéfices escomptés. Par la suite, le ministère traita avec d'autres financiers la constitution de Bureaux de correspondance : plusieurs sociétés se succédèrent et le succès fut lent à venir. Le 16 juillet suivant, les héritiers de R. abandonnèrent tout droit sur les bénéfices des Affiches : depuis 1756, ces bénéfices n'avaient jamais dépassé 30 000 £.

R. était décédé si complètement ruiné qu'il devait au jour de sa mort 4900 £ à l'imprimeur de la Gazette. En 1780, Jean Philippe Castellas, directeur et caissier de la Gazette, et Denis Clément Couturier, imprimeur, étaient encore au nombre des créanciers.

8. Bibliographie

8. D.P.2, art. «Aunillon». Il faut y ajouter : A.N., Sous-série V4, enregistrement des lettres patentes, 1504, 13 mai 1751 (f° 54 et 55), lettres de Courmont, 9 janvier 1762 (f° 154­156), lettres donnant au ministère des Affaires étrangères le privilège de la Gazette et des Affiches. – M.C., LXXXIX, 64 (20 mai 1749), traité passé par R. à propos de son privilège des feuilles périodiques, CXV, 591 (21 avril 1751), traité entre Courmont et Guérin, 595 (19 janv. 1752), 695 (19 juin 1756), 696 (17 juil. 1756), 698 (3, 8, 24 sept. 1756), 744 (4 déc. 1761), 747 (29 mai 1762), 748 (16 juil. 1762), divers traités passés par R., Le Bas de Courmont et autres, XXIII, 638 (17 juin 1761), inventaire après décès deR., 661 (3 avril 1764), union de ses créanciers, 663 (juil. 1764 -juil. 1781), cahier de quittances des créanciers, XXVIII, 375 (17 août 1761), traité passé entre l'imprimeur Couturier et les héritiers de R. – A.N., F. 90 20 241, Mémoires de la ferme générale des Postes, réponse au mémoire de Mr de Meslé, 15 févr. 1756, (f° 66-68), second mémoire, 22 janv. 1758 (f° 88-90). – B.N., Imprimés, Fol. Lc2 2bis, Mémoire de R., s.d. (doit être daté de l'extrême début de 1758).

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