PALISSOT de MONTENOY

Numéro

613

Prénom

Charles

Naissance

1730

Décès

1814

1. État-civil

Charles Palissot de Montenoy est né à Nancy, paroisse Saint-Sébastien, le 3 janvier 1730 de Hubert Palissot et de Marguerite Charlotte Remion (Lepage, t. III, p. 279). Hubert Palissot, avocat, substitut du procureur général de la Cour souveraine de Lorraine, conseiller d'Etat du Duc de Lorraine Léopold, s'était marié le 26 novembre 1715 (ibid., t. III, p. 305 et O. 1809, t. III, p. 254). Il mourut en novembre 1751 (La Chesnaye). Son grand-père, Sébastien Simon Palissot, (1655-1731) architecte, intendant des bâtiments de Léopold (Lepage, t. III, p. 330), avait été anobli en 1722. Il accola à son nom celui de Montenoi, bourgade située près de Nancy (D., p. 1). Ses armes étaient «d'azur, au chevron d'argent, chargé d'une étoile d'azur» (La Chesnaye). P. avait un frère, Nicolas Francois, capitaine au régiment de Senlis et une soeur Marie Thérèse, mariée à Louis Poinsinet de Sivry, journaliste et érudit (voir ce nom). P. a épousé en premières noces Marie Jeanne Fleury le 6 juin 1748 (A.V.P., V 2E 8118), fille d'un traiteur (S1, 341). P. s'était marié «par inclination» (ibid.), mais sa première femme «née de gens honnêtes» était «sans fortune et d'une condition inférieure à la [sienne]» (O. 1777, t. I, p. XIV). Le ménage ne fut uni que quelque temps car en juillet 1753 une lettre de Fréron à d'Hémery signale que Mme Palissot a deux amants : «P. est un mari commode : il ferme les yeux sur tout cela» (Balcou, p. 75-76). A la fin, fatigué, P. fait enfermer sa femme au couvent du Refuge à Nancy de 1757 à 1762 (D, p. 7). Les pamphlets de l'année qui se rattachent à la représentation des Philosophes n'ont pas manqué d'évoquer à leur façon les ennuis conjugaux de P. : «Quand on a prostitué sa femme à Nancy et à Paris, et qu'on l'a fait enfermer lorsqu'elle n'a plus été lucrative, on ne peut pas accuser les Philosophes d'être ni amants ni maris» (La Condamine, p. 18-19). Elle meurt en juillet 1772 : «Ce mariage ne fut heureux qu'en ce qu'il me donna deux enfants qui sont jusqu'ici la consolation de ma vie» (O. 1777, t. I, p. XIII), c'est-à-dire Hubert Honoré, ingénieur ordinaire du Roi (1749-1784) et Marie Françoise (1750 - oct. 1818) (La Chesnaye et A.V.P., V 2E 11237). Le 27 avril 1773 P. épouse en secondes noces Agnès Charlotte Petit-Radel, «fille mineure» (ibid., V 2E 8129 et O. 1809, t. V, p. 207). Cette union fit «le bonheur de [sa] vie» (ibid., t. I, p. XVIII). De ce second mariage, naquit Sophie née en 1777 (lettre de P. à Castilhon, 11 mai 1787, Douais, 232). Dans sa vieillesse, P., qui «allait rarement au théâtre dont il déplorait la décadence», occupait ses soirées par des visites à ses amis et par des parties de whist (Meneval, t. I, p. 7). P. «conserva jusqu'à la fin de ses jours une parfaite liberté d'esprit, son goût pour la littérature et sa mémoire : à plus de quatre vingts ans, il récitait fidèlement et à propos les poètes classiques, latins et français» (Feletz, p. 147). P. s'éteignit le 15 juin 1814, «à deux heures après-midi» (A.V.P., V 2E 11130).

Le portrait de P. qui accompagne l'édition de 1788 de ses Oeuvres est «fait de main de maître et très ressemblant» (n.a.fr. 1393, f° 11). Dans sa notice nécrologique, le Journal royal (19 oct. 1814) fait observer que, «aux charmes de l'esprit, il joignait ceux d'un physique agréable, auquel, dans sa jeunesse, il dut de nombreux succès. Ses liaisons avec les gens du plus haut rang lui avaient donné cet usage du monde, cette politesse recherchée, cette galanterie noble et aisée, qui ne s'acquièrent pas dans le cabinet».

2. Formation

P. se distingua, dans ses études, par une précocité très grande. D'abord il fut élève du collège des Jésuites de Nancy (Calmet, p. 708). Puis il prit ses «degrés en philosophie à onze ans», soutint «une thèse de théologie à douze» et fut reçu bachelier à quatorze ans par l'université de Pont à Mousson (O. 1777, t. I, p. XI-XII). D'après Dom Calmet il fut reçu «Prince des Philosophes» et maître ès arts (p. 708). A la fin de son cours de philosophie, le père de P. voulut lui faire embrasser l'état ecclésiastique (O. 1777, t. I, p. XII). Malgré ses réticences, P. entra à l'Oratoire de Paris où il resta «environ deux mois». Il en sortit en 1746 (ibid, p. XIII). Dès cette époque, «ayant déjà lu la plupart de nos bons auteurs», il était «passionné pour les ouvrages dramatiques» (ibid.). A Paris, P. fit des études de droit (Calmet, p. 409). Le 8 mai 1753, en même temps que Fréron, il devint membre associé de la Société royale des sciences et belles-lettres de Nancy, dont le directeur était Choiseul (D, p. 22-23). Après la Révolution, lors de la reconstitution des Académies, il fut nommé associé-correspondant de cette même académie de 1802 à 1809 (Favier). Un manuscrit de la Bibliothèque de l'Arsenal indique qu'il est aussi après 1755 membre de l'Académie des belles lettres de Marseille (ms. 2759). Dans une lettre du 3 février 1767, Voltaire lui écrit que s'il ne s'était pas fait «des ennemis irréconciliables de gens d'un extrême mérite» (les Encyclopédistes) par ses écrits satiriques, s'il avait «tourné [ses] talents d'un autre côté», il aurait eu «le plaisir» de l'avoir avant sa mort «pour confrère à l'Académie française» (D 13951). Pendant la Révolution, P. fit paraître dans La Chronique de Paris une adresse à l'Assemblée nationale pour demander la suppression de l'Académie française «sous prétexte que c'est un reste d'aristocratie» (La Harpe, t. VI, p. 42). P. devint associé à la section de poésie de l'Institut en février 1796, «sans en avoir fait jamais la moindre démarche pour le devenir» (lettre de Le Brun à P., 25 pluv. an IV dans O. 1809, t. III, p. 522-523). En l'an VI, P. demanda à être membre de l'Institut à part entière (Méaume, p. 21-22). Sa candidature fut défendue par M.J. Chénier, François de Neufchâteau et Collin d'Harleville. Par trois fois, il se présenta : en vain. C'est que Naigeon et Lalande veillaient. Une première fois, ce fut Cailhava qui fut élu, la seconde l'abbé Leblanc -malgré Bonaparte qui avait voté pour lui- (Meneval, t. I, p. 5), la troisième enfin, Legouvé (Delafarge, p. 493-495). P. avait appris l'italien avec Patu (voir une lettre de 1752, O., 1809, t. III, p. 234).

3. Carrière

En 1747, P. présenta aux Comédiens-Français une tragédie à sujet biblique, qui rappelait Andromaque. L'année suivante, il publia une sorte de roman, Apollon Mentor ou le Télémaque moderne, où admirateur de Voltaire, il se déclare un partisan de la tradition et fait déjà sa cour aux Grands (D, p. 6). Encouragé par Choiseul (O., 1777, t. I, p. XV), il fait représenter à la Comédie française une tragédie, Zarès, en juin 1751, mais la retire au bout de trois représentations (D, p. 12-13). Dans l'édition de 1788 de ses Oeuvres, il remania cette pièce sous le titre de Ninus second. En 1752, P. lut à Choiseul Les Tuteurs : le futur ministre «exhorta fort» le jeune écrivain à suivre la «carrière» du théâtre (O., 1777, t. I, p. XVI). La pièce fut représentée aux Italiens en septembre 1754 : elle se soutint pendant sept représentations (D, p. 26 et suiv.). Auparavant, en novembre 1753, Choiseul, pendant son ambassade à Rome, avait chargé P. d'être son agent littéraire à Paris (Balcou, p. 122). C'est à cette même époque, en 1755, que P. grâce encore à Choiseul, obtint la recette générale du tabac en Avignon (O., 1777, t. I, p. XVII). Il garda cet emploi jusqu'en 1757 : sa carrière de financier se termina par une banqueroute (ibid., t. I, p. XX). Le premier ouvrage qui fit connaître P. fut Le Cercle ou les Originaux, divertissement représenté en novembre 1755 à Nancy pour l'inauguration de la statue de Louis XV. A la huitième scène, J.J. Rousseau était ridiculisé ; P. le reconnaît lui-même dans une lettre à Voltaire (D 6103). Mais le comte de Tressan, soutenu par d'Alembert, intervint auprès de Stanislas pour sanctionner P. qui risqua d'être exclu de l'académie de Nancy. L'affaire se calma grâce à Rousseau lui-même (Guénot, t. I, p. 17-20). En 1757 parurent les Petites Lettres sur de grands Philosophes où il se moquait du Fils naturel de Diderot. Mais la carrière de P. en tant que critique des encyclopédistes atteignit son apogée par la représentation le 2 mai 1760 à la Comédie française d'une pièce en trois actes et en prose, Les Philosophes qui eut un immense succès. C'est une satire très vive de Diderot, de Duclos et des idées d'Helvétius. A la fin de la pièce (III, 9), un valet, Crispin, s'avance sur scène à quatre pattes, broutant une feuille de salade : c'était une métaphore de la doctrine de J.J. Rousseau (ibid., t. I, p. 37-51). Les Philosophes ont donné lieu à des parodies (ibid., p. 31, 33, 51, 54) et à une foule de libelles (voir D, p. XV-XVI et Cior 18 n° 48864-48883). Les Philosophes procurèrent à P. de nombreux ennemis et lui firent une réputation déplorable : vers 1760, Malesherbes écrit que «ce M. Palissot [...] n'a jamais passé pour ce qu'on appelle un homme de bien», biffé : «Je peux même assurer que c'est un assez mauvais sujet» (f.fr. 22191, f° 228 r°). Cela ne l'empêcha pas en 1764 de publier La Dunciade d'après Pope (nombreuses rééd.). Dans cette satire, P. n'attaquait pas seulement les encyclopédistes, mais aussi les ennemis de Voltaire : Fréron, Trublet, Crevier, Bergier, Chaumeix, Le Franc de Pompignan (D, p. 278 et suiv.). En 1763, lassé de «l'agitation», P. se retira à la campagne, à Argenteuil, «n'ayant à faire à Paris que des voyages très rares, très courts, et n'ayant même gardé aucun établissement dans la capitale» (O., 1777, t. I, p. XXXI).

Le Satirique, inspiré du Méchant de Gresset est encore une attaque contre ses ennemis de toujours, les Encyclopédistes. P. voulut faire croire que cette pièce était une satire dirigée contre lui-même par les philosophes. Mais la supercherie fut découverte. La première de la pièce fut annoncée pour le 16 juin 1770, mais les encyclopédistes furent suffisamment puissants pour faire interdire la représentation. P. montra la pièce sur le théâtre privé de sa maison d'Argenteuil et y joua lui-même le rôle de l'homme dangereux (Guénot, t. I, p. 92-95). En 1787, il semble que P. ait traversé une longue période de découragement : «Les lettres depuis longtemps me sont demeurées indifférentes ; je ne les ai même jamais regardées comme devant faire l'unique état d'un citoyen» (lettre à Castilhon, 11 mai 1787, Douais, p. 232). P. demande à Castilhon d'agir pour lui trouver un emploi, de préférence en province, par exemple une direction de poste ou une place de receveur des tailles qu'il pourrait résigner à son futur gendre, car il songe à l'établissement de sa seconde fille (lettre à Castilhon, 31 mai 1787, ibid., p. 233). Sa demande n'aboutit pas. En 1788, il dédie l'édition de ses Oeuvres au duc d'Orléans dont il était lecteur (Lettre à Castilhon, 14 nov. 1788, ibid., p. 237). Au début de la Révolution, P. offrit à l'Assemblée nationale la dédicace des Oeuvres de Voltaire qu'il s'était chargé d'éditer. Pendant la Terreur, il demanda l'autorisation d'entrer à Paris, car il était concerné par la loi du 27 germinal an II frappant les anciens nobles. Il souhaitait revenir à Paris pour surveiller l'impression des volumes de son édition des Oeuvres de Voltaire (Guillaume, t. IV, p. 938). Sous le Directoire, P. fut élu par le département de Seine-et-Oise au Conseil des Anciens le 14 floréal an VI (T.M.P.V.D.C., t. II, p. 268). L'activité parlementaire de P. fut réduite. En ventôse an VII, il lut un rapport sur les vingt-cinq élections municipales de son département cassées pour vice de forme et en germinal une résolution relative à des travaux pour la prison des Madelonnettes à Paris. Il fit de plus un discours à la louange du pédagogue Maismieux et un autre pour présenter cinq nouveaux volumes de son édition de Voltaire (D, p. 493-494 et T.M.P.V.D.C., t. II, p. 268). C'est à partir de 1797 que l'on trouve trace de P. en tant que conservateur de la bibliothèque Mazarine (S2, B.B., 383 n° l). Puis il fut nommé administrateur et enfin administrateur perpétuel en oct. nov. 1805 (A.N., f° 17 3491). En l'an IX, le gouvernement l'avait nommé membre du jury de l'Opéra. A la même époque, on lui avait proposé de faire partie du Comité de lecture du théâtre Feydeau, mais il refusa, en partie à cause de son grand âge (D, p. 505-506). A la fin de sa vie, il fit partie de l'entourage de Napoléon où il était fort considéré, et fit un séjour à Mortefontaine chez Joseph Bonaparte (Meneval, t. I, p. 64). P. a fait le voyage de Genève en 1771 chez le diplomate Pierre Michel Hennin (lettre du 27 avril 1771, Inst.., ms. 1271). Il était allé voir Voltaire aux Délices en 1755 (D, p. 41). Durant sa longue carrière, P. a eu de nombreuses demeures à Paris. En août 1749, il habitait rue des Fossés-Saint-Jacques «sur la place de l'Estrapade, vis-à-vis la muraille, la 1ère porte cochère, au second» (S1, p. 339). En 1763, il s'installa à Argenteuil dans une maison construite près de la Seine (D, p. 277). Il y habita jusqu'en 1786 (Douais, p. 229). En novembre 1788, P. demeurait «rue de Corneille, arcade du Théâtre français» (n.a.fr., 1393, f° II), puis en octobre 1790 rue de Faubourg Saint-Jacques, près du Val de Grâce, n° 230 (Chronique de Paris, 13 oct. 1790). Pendant le Directoire, en ventôse an VI, P. a élu domicile au 21, rue Guénégaud (Ars., ms. n° 6490, f° 277). Enfin, il réussit à obtenir un appartement au Palais des arts. Il partait à la belle saison dans une maison qu'il possédait au Pré Saint-Gervais (D, p. 536).

4. Situation de fortune

En 1755, la Recette des tabacs d'Avignon devait lui rapporter annuellement 2000 écus (6000 £). Mais s'étant absenté d'Avignon, P. avait confié à un négociant une partie de ses intérêts : celui-ci fit une banqueroute dans laquelle il était engagé personnellement pour plus de 50 000 £. Choiseul servit de caution et P. remboursa 20 000 £ à M. de la Mark. Les Fermiers généraux acceptèrent de faire une remise de 9000 £ (O., 1777, t. I, p. XX-XXIV). En 1760, P. a touché 2000 £ pour l'impression des Philosophes (Brûlé, p. 101). Lors de son second mariage en 1773, on estime qu'il possédait 12 000 £ de rente (S2, B.B., p. 383). Dans une lettre à Castilhon du 21 octobre 1786, il annonce qu'il vient de recevoir une pension annuelle du Roi qui s'élève à 2000 £. Dans une lettre du ministre qu'il cite, il est dit que P. «a attaqué avec autant de courage que d'esprit une secte dangereuse ; c'est un droit aux faveurs du gouvernement». P. ajoute que «quelques Académiciens» sont allés faire des «représentations» au Ministre concernant cette pension, mais que celui-ci, s'il en a été «ébranlé», a cependant maintenu sa décision (Douais, p. 230). En 1786, P. reçut une pension de 800 £ du nouveau duc d'Orléans, futur Philippe Egalité, grâce sans doute à Mme de Genlis (D, p. 435). En octobre de la même année, il avait vendu sa maison d'Argenteuil (Douais, p. 229). Au début de la Révolution, en novembre 1789, P. offrit à la Monnaie des bijoux d'or et de la vaisselle d'argent (D, p. 442). La pension annuelle sur le Journal de Paris de 800 £ qu'il devait toucher depuis 1782 est supprimée en 1790 : les privilèges n'existaient plus (voir P., Réclamation d'un homme de lettres contre MM. Romilly, Cadet, Corancez, p. 2). En octobre 1793, P. en est réduit à n'avoir plus qu'une seule pension (Le Moniteur, t. XVIII, p. 9) et il ajoute même que les événements révolutionnaires lui ont «enlevé les deux tiers de [sa] fortune» qu'il devait à ses «économies» (O., 1809, t. I, p. XVIII). Ainsi, l'on comprend pourquoi il évoque dans une lettre à Déherain, notaire «les pertes successives que la Révolution [lui] a fait éprouver» (B.N., Rothschild A XVIII, t. VIII, p. 439). Sa situation financière est si précaire qu'une place de correspondant de l'Institut ne l'intéresse même pas : «De quelle utilité serait pour moi une place sans honoraires?» Il poursuit : «J'aimerais beaucoup mieux, je vous l'avoue, une bibliothèque départementale, car c'est un secours dont j'ai besoin» (ibid.). Cependant, il faut dire qu'il avait reçu, de la Convention, sur proposition de M.J. Chénier, une gratification de 3000 £ en janvier 1795 (Le Moniteur, t. XVIII, p. 130 et Guillaume, t. V, p. 360 et 384). Son emploi de conservateur, puis d'administrateur de la bibliothèque Mazarine le tira d'affaire. Le traitement de conservateur s'élevait, à partir de novembre 1797, à 3300 francs par an (S2, p. 384). En septembre 1798, cette somme fut portée à 5000 francs (ibid.). Lorsque P. devint en octobre novembre 1805 «administrateur perpétuel» de la Mazarine, son traitement ne fut pas modifié (A.N., F 17 3491). Pendant l'Empire, le baron de Meneval demanda à Napoléon une pension pour son «vieil ami». On lui en octroya une de 3000 francs sur le Journal de l'Empire ; cette somme fut augmentée finalement de 1000 francs (Meneval, t. II, p. 408-409). On conserve plusieurs contrats entre P. et ses éditeurs. Dans une lettre à Castilhon du 14 novembre 1788, il explique qu'il est intéressé pour un tiers dans l'édition de 1788 de ses Oeuvres et que sa «mise de fond passe quatre mille livres». Sortie de l'Imprimerie de Monsieur, cette édition très soignée, dont les frais ont été très élevés, ne fut pas une bonne affaire pour P. : elle lui a «enlevé toute espérance de bénéfice» (Douais, p. 237-238).

Par un acte du 25 prairial des Oeuvres de Pierre Corneille avec commentaire de Voltaire et Observations critiques sur le documentaire par P., à Honoré Nicolas Duveyrier, membre du Tribunal (M.C., t. II, p. 778, f° 269). Un acte du 26 messidor an IX (1er juillet 1801) indique que Duveyrier remet à Didot le manuscrit pour l'impression (ibid., f° 307). Mais l'ouvrage ne vit pas le jour et il fallut attendre un document du 10 avril 1810 où Duveyrier s'engageait à avancer 3000 francs pour réaliser l'édition projetée (M.C., t. II, p. 824). Pour l'édition de 1809 de ses Oeuvres, P. abandonna à Léopold Collin, l'éditeur, la propriété de son manuscrit moyennant cinquante exemplaires en papier ordinaire et six exemplaires en papier velin (contrat du 7 mars 1809, S2, p. 383).

5. Opinions

C'est dans ses Mémoires sur la Littérature que l'on peut le mieux saisir ses opinions littéraires. D'abord, on ne s'en étonnera pas, les hommes de lettres anti-encyclopédistes ont sa faveur, surtout Moreau, «écrivain estimable», dont le Nouveau Mémoire pour servir à l'Histoire des Cacouacs (1757) est «un ouvrage d'une singularité piquante et d'un très bon sel» (O., 1809, t. V, p. 145 et 147). Bien entendu, Diderot, contre qui il avait une rancoeur spéciale, n'écrit que des livres où perce «une espèce de jargon apocalyptique qu'il affecte sans cesse» (t. IV, p. 243). Mais il convient de nuancer : P. fait l'éloge de Condillac dont le Traité des Sensations est «l'un de ses plus utiles ouvrages» (t. IV, p. 187), de Buffon (t. IV, p. 119), d 'Helvétius dont le livre De l'Esprit «est une des productions les plus distinguées du siècle» (t. IV, p. 373), de Jaucourt qui a su montrer «une ardeur infatigable pour le travail» (t. IV, p. 394), de Montesquieu dont «la philosophie a éclairé le monde» (t. V, p. 141) et de Rousseau enfin, «un des plus beaux génies de ce siècle», «l'un de ceux qui pensent avec le plus de profondeur» (t. V, p. 283-284). Mais P. est avant tout un traditionaliste attaché à la littérature du XVIIe siècle. Bouhours, dont les «principes sont très sûrs» (t. IV, p. 104-105), est à mettre sur le même plan que Boileau, dont «on doit regarder [les] satires comme l'époque du bon goût» (t. IV, p. 235). Les opinions traditionalistes de P. se retrouvent dans le domaine théâtral : «L'immortel Molière» est «ce peintre sublime parce qu'il est toujours vrai» (O., 1763, t. I, p. 67), c'est «le premier des poètes comiques anciens et modernes» (O., 1809, t. I, p. 108). Molière est un modèle et P. s'oppose vivement au drame bourgeois ; c'est pourquoi Diderot, théoricien du drame, est sa cible favorite (voir Petites Lettres sur de grands Philosophes, 1757, lettre II, sur le Fils Naturel). Beaumarchais est aussi malmené pour avoir écrit la Préface d'Eugénie où il explique, après Diderot, son projet de nouveau théâtre. «Cette préface, écrit P., est [...] un modèle rare de ridicule, de mauvais goût et de style barbare». D'ailleurs «le style bizarre relègue Beaumarchais dans la classe des écrivains médiocres» (O., 1809, t. IV, p. 60 n. et 63). Malgré tout, quelques dramaturges trouvent grâce à ses yeux, ainsi Collin d'Harleville (t. IV, p. 177) et Goldoni à qui il offre «un couvert à [sa] table» (ibid., t. III, p. 367). C'est dans ses Questions importantes sur quelques opinions religieuses (an VI) que P. expose ses idées théologiques. Un Dieu «rémunérateur et vengeur» existe et la religion est une nécessité absolue (p. 9). Cependant, influencé par le déisme voltairien, P. critique les prêtres qui doivent devenir des citoyens et à qui on permettra de se marier (p. 12-13). Le Pape est considéré comme un «souverain étranger» et P. s'en prend à «des cérémonies évidemment superstitieuses, impolitiques, immorales» (p. l5) et surtout à la confession (p. 18-19). Selon P., il faut essayer de «rapprocher le christianisme de son âge d'or, c'est-à-dire de la simplicité des temps apostoliques» (p. 51). Enfin, «ce n'est pas le dogme qui divise et qui a toujours divisé les hommes qu'il faut prêcher, c'est la morale qui les réunit et qui les console» (p. 52). P. avait dédié cet ouvrage aux Théophilantropes et en avait fait distribuer des exemplaires à l'Institut (Grégoire, t. II, p. 88). Sur le plan politique, on sait que P. fut constamment soutenu par Choiseul : on peut même dire que dans une certaine mesure, il fut une créature du Ministre. Si, au début de la Révolution, P. s'affilia au Club des Jacobins où il se spécialisa dans les questions religieuses (Méaume, p. 10), pendant la Terreur, il quitta Paris «sous peine de mort», «parce que, dit-il, je n'avais pris les livrées d'aucune faction» (O., 1809, t. I, p. XVIII). En septembre 1793, on lui avait d'ailleurs refusé un certificat de civisme ; Chaumette était à l'origine de ce refus : il avait rappelé la scène à quatre pattes des Philosophes et avait conclu que P. «était contre-révolutionnaire avant la Révolution» (Le Moniteur, t. XVII, p. 646). Après rétractation de P., le certificat est accordé (t. XVIII, p. 9). Il accueille avec faveur le 9 Thermidor qui a «fait justice de l'affreux triumvirat qui avait commandé tant de crimes» (O., 1809, t. IV, p. 163). Dès décembre 1797, P. insère des vers dans Le Moniteur en l'honneur de Bonaparte (t. XXIX, p. 96) et admire «l'apparition soudaine d'un de ces hommes rares que la nature ne sème que de loin en loin dans l'immensité des siècles» (O., 1809, t. I, p. XIX).

P. fut lié étroitement avec de nombreux hommes de lettres qui n'appartenaient pas toujours à sa génération. L'abbé de La Porte aurait été «son ami» (ibid., t. IV, p. 415, n.) ; on retrouve le pasteur Jacob Vernes chez lui (Balcou, p. 350) ; il fréquente Urbain Domergue le grammairien (Meneval, t. I, p. 8) et Barbier (n.a.fr. 1393, f° 12). P. entretint aussi avec Castilhon en 1786 1788 une correspondance où chaque lettre est émaillée des protestations de la plus vive amitié (Douais, p. 225, 231, etc.). P., enfin, s'était fait des amis dans le milieu du théâtre ; Préville, Talma, Mlle Contat (Meneval, t. I, p. 6-7), Mme Bellecour (Revue rétrospective, 1838). P. accueillait les jeunes écrivains avec générosité : «Nous nous sommes fait de tous les temps, écrit-il, dans notre longue carrière, un devoir d'encourager, dès leurs premiers essais, l'émulation des jeunes auteurs qui nous donnaient des espérances» (O., 1809, t. V, p. 134). Cela est vrai, notamment de M.J. Chénier dont il a «guidé les premiers pas dans sa brillante carrière» (Lettre adressée par le C. Palissot à la classe de littérature de l'Institut, an VI, p. 6). Meneval raconte que P. «aimait beaucoup» Chénier (t. II, p. 406). Il prit sa défense dans la préface de Jean Calas (1793) où il écrit notamment : «Je ne connais point d'ouvrage qui présentât plus de difficultés à vaincre et qui pût donner une idée plus haute du talent capable de le surmonter» (p. VI). Une mention particulière doit être faite des relations de P. avec Fréron et avec Voltaire. Les relations de P. et de Fréron sont, en 1757, très amicales (Balcou, p. 192 et suiv.). Mais Fréron figure dans La Dunciade (éd. de 1773, t. I, p. 106, 111). Après la mort du directeur de L'Année littéraire, P. reconnaît cependant dans le Journal français ses qualités professionnelles : «A l'égard de ses talents, nous aimons à redire qu'il en avait et que son plus grand tort était d'en avoir abusé» (O., 1777, t. I, p. 38). En réalité, P. reprochait surtout à Fréron d'avoir montré un «acharnement inexcusable [...] surtout contre Voltaire» (O., 1809, t. IV, p. 326). Dès son Apollon mentor (1748), P. avait loué Voltaire et cet attachement ne se démentit pas par la suite. Il lui rendit visite aux Délices en 1755 (D, p. 41). «On ne peut vous connaître [...] sans s'intéresser à vous», lui écrit Voltaire le 1er décembre 1755 (D 6608). Même après la représentation des Philosophes, Voltaire écrit (10 août 1760) que «ce drôle-là ne manque pas d'esprit et a même quelque talent» (D 9128). Cependant lors de la souscription pour la statue de Voltaire en 1770, les encyclopédistes refusèrent les deux louis de P. (D 16680). En 1792, il commença la publication des Oeuvres choisies de Voltaire (55 vol.). Dès février 1786, P. songeait à publier les Oeuvres de Voltaire, mais il fallait que Beaumarchais achevât de mettre au jour son édition de Kehl sur laquelle P. ne ménage pas ses critiques : «fatale édition», «injurieux éditeur», «Beaumarchais n'a songé qu'à l'argent» (lettre à Castilhon, 16 fév. 1786, Douais, p. 218). Dans le Prospectus, il prétend que l'édition de Kehl «ne présente qu'une masse indigeste de volumes rassemblés sans choix» (Voltaire, Oeuvres, t. I, p. 4 ; voir aussi n.a.fr. 1393, f° 12).

6. Activités journalistiques

Dans le premier volume du Journal français, P. se livre à une critique sans pitié du métier de journaliste : «[...] quelle confiance peut-on prendre dans des écrivains assez téméraires pour parler de tout, et pour se promettre d'avoir de l'esprit à volonté, quarante fois par an? A quelle estime surtout peuvent-ils prétendre, lorsqu'à l'exemple du rédacteur de L'Année littéraire, ils ne rougiront pas de se contredire ouvertement? [...] Enfin, lorsqu'à la recommandation d'une grande dame qui aura la faiblesse de protéger un écrivain médiocre, ils feront de cette idole l'objet de leurs panégyrique, tandis que pour complaire à un homme en place, qui aura le malheur d'être injuste, ou pour satisfaire leur animosité personnelle, ils déchireront un écrivain du premier mérite qui ne se sera point abaissé devant leur orgueil» (Journal français, 1777, t. I, p. 35-36). P. a collaboré à de nombreux périodiques :

I. Coup d’œil sur les ouvrages modernes ou Réponses aux Observations sur la littérature de M.L.D.L.P. [M. l’abbé de La Porte] par M.D.M. [M. de Montenoy], s.l.n.d. [Paris, 1751], t. I et unique, in-12°, 68 p. L’exemp. De la B.N. (Zz 4372) est incomplet ; voir B.H.C., p. 46, Calmet, p. 709, D.P.1 249. Selon un article du Journal encyclopédique, P. aurait travaillé à ce périodique avec Boulenger de Rivery (1760, t. V, 3e part., p. 116). Dans une lettre de P. à d’Hémery, du 11 mars 1750, l’écrivain demande une permission pour un « ouvrage périodique » de « deux feuilles » : Le coup d’œil. Il y explique ses intentions : « L’abbé de La Porte fait un journal dans le goût de celui de M. Fréron. Je voudrais répondre au journaliste, critiquer ses jugements quand je le trouverai faux, ajouter mes réflexions aux siennes, venger quelques auteurs qu’il pourrait blâmer injustement » (S1, p. 342-343). Dans un article du Coup d’oiel, P. prend déjà la défense de Voltaire : « On me reprochera peut-être de m’être trop étendu sur l’éloge de M. Voltaire ; mais je ne suis pas fâché d’avoir osé dire la vérité dans un temps où les critiques semblent se réunir contre lui » (p. 16).

II. L'Année Littéraire : «Lettre à E.C. Fréron au sujet des Mémoires pour servir à l'histoire des hommes illustres de la Lorraine de F.A. Chevrier», 1754, t. V, p. 334-339. – «Lettre à E.C. Fréron à l'occasion de ce que Fréron a dit de A. Houdar de la Motte», 1754, t. Vl, p. 277-288. – «Lettre à E.C. Fréron sur les Petites Lettres sur de grands Philosophes», 1757, t. VIII, p. 121 131. – «Nouvel avis des éditeurs des Gazettes et Papiers anglais», 1760, t. VII, p. 158-168. – «Lettre à E.C. Fréron sur Les Courtisanes», 1776, t. III, p. 332-346. – «Lettre à J.F. de La Harpe et à L.S. Fréron», 1778, t. V, p. 244-262. – «Lettre à L.S. Fréron. A propos des quelques hommes de lettres, 1787, t. Il, p. 241-268.

III. Gazette de papiers anglais (H.P.L.P., t. II, p. 87 ; D.P.1 561) au début de 1759, deux particuliers sollicitent de P ; son appui pour obtenir le privilège de vendre dans tout le royaume les gazettes étrangères et celui de faire traduire les gazettes anglaises ; P., qui entreprit des démarches en faveur de ces deux futurs associés, s’aperçut que le libraires David avait déjà obtenu des lettres patentes. Abandonnant ses premiers partenaires, il s’associa avec David ; et, pendant dix ans, la traduction des gazettes étrangères (surtout hollandaises) « lui permit d’amasser une fortune honnête » (D, p. 117). Son attitude lui fut vivement reprochée dans les pamphlets qui procédèrent à la représentation des Philosophes : « Quand entre autres, on a volé à ses associés leur part des gazettes étrangères, on ne doit pas faire dire à un valet qui vole son maître, je deviens Philosophe » (La Condamine, p. 16-17). En 1760, commence l'entreprise des Papiers anglais, ouvertement soutenue par Choiseul. Le Prospectus (dans L'Année littéraire, 1760, t. I, p. 59 66 et l'Observateur littéraire, l5 janv. 1760) était l'oeuvre de P. La traduction était assurée par J.B. Suard (voir ce nom). Au début du mois de mars 1760, le titre changea en Etat actuel et politique de l'Angleterre ou Journal britannique, pour se modifier en novembre : Gazettes et Papiers anglais. L'entreprise se termina par le numéro du 29 juin 1762 : le périodique n'avait vécu que ce qui avait été utile au ministre. La paix avec l'Angleterre devenait possible, le journal n'avait en effet plus d'objet (D, p. 117-119). P. n'a fait ce travail aux Papiers anglais qu'à contre-coeur : «On sait avec quelle répugnance il [P.] se chargea des soins que lui confiait l'administration et avec empressement il saisit l'occasion de se débarrasser d'un genre de travail qu'il n'a jamais estimé» (O., 1777, t. VII, p. 229-300).

IV. Le Nécrologe des Hommes célèbres de France, 1764-1782, 17 vol., in 12. (B.H.C., p. 17 et D.P.1 974). A l'origine de cette publication, il y a le Journal des Deuils (D.P.1 698) où P. annonçait au public les deuils de la Cour et l’Ordre chronologique des deuils (D.P.1 1099). P. imagina, en faveur de sa maîtresse, Melle Fauconnier, de joindre au Journal des Deuils, Le Nécrologe. Dans ce périodique, P. «fait l'éloge et donne les particularités de la vie de ceux qui sont morts dans l'année» (C.L., t. IX, p. l99-200). P., de son côté, affirme qu'«il y a travaillé lui-même sans aucun intérêt et avec le plus grand zèle pendant les cinq ou six premières années». Il explique les raisons qui l'ont fait renoncer à sa collaboration : «les difficultés d'obtenir des renseignements qui demanderaient, de la part des vivants, un peu de respect pour la mémoire des morts» (O., 1777, t. V). P. est l'auteur des articles suivants : Marivaux, 1764, t. I, p. 3-17 (avec L. Poinsinet de Sivry) ; abbé Prévost, 1765, t. I, p. 59-81 ; Louis Racine, 1765, t. I, p. 43-55 ; Rameau, 1765, t. I, p. 85-113 ; Bachelou, 1766, t. I, p. 229-232 ; Crevier, 1766, t. I, p. 305. A cela, il faut ajouter l'article Roy (F.L. 1769, t. I, p. 336-337) et les articles Hardion, abbé Mangenot, Lagarde, abbé Trublet, Hénault, La Bletterie, Toussaint, Duclos, Piron, La Beaumelle, Fréron (O., 1777, t. V, p. 223-305).

V. Journal encyclopédique : «Discours sur la satire contre Les Philosophes», 1760, t. VI, i, 114-148. – «Lettre au sujet de La Dunciade», 1764, t. III, i, p. 103-ll5. – «Lettre de P. aux auteurs du Journal encyclopédique au sujet de l'article <Parade> de l'Encyclopédie», 1769, t. II, i, p. 125-127 (article repris dans O., 1777, t. VI, p. 45). – «Lettre de P. au comte de Tressan sur le même sujet», 1769, t. II, p. 127-130. – «Lettre de P. au sujet d'une édition des Mémoires sur la littérature», 1776, t. IV, p. 152.

VI. Le Journal français, 15 janvier 1777 - 30 avril 1778, 24 numéros, in 8°. En collaboration avec J.M.B. Clément, de Dijon (B.H.C., p. 78-79 et D.P.1 734). En novembre 1776, la C.L. annonce que le Journal français paraîtra tous les quinze jours, à partir du 15 janvier 1777 et qu'il est destiné à remplacer le Journal de Verdun (C.L., t. XI, p. 383-384). C'est «le gouvernement» qui aurait chargé les deux écrivains du périodique. «Ils promettent de mettre la décence et l'impartialité au nombre de leurs devoirs les plus sacrés», dit Mettra, mais, ajoute-t-il, «c'est l'espérance de les voir manquer dans chaque feuille à cet engagement qui leur attirera le plus de souscripteurs» (27 déc. 1776, t. IV, p. 57 58). De plus, les auteurs promettent un supplément tous les deux mois qui contiendra les édits, les déclarations, les lettres patentes, les arrêts du Conseil qui auront paru (ibid.). Dès la parution du périodique, La Harpe critique le titre : Journal français, «comme si les autres étaient iroquois» (Correspondance littéraire, t. II, p. 50). Selon les M.S., le Journal français est dirigé contre les encyclopédistes (t. IX, p. 288, 12 déc. 1776). Mais, de son côté, Stanislas Fréron se plaint aussi : «on dirait, en vérité, [...] que MM. Clément et Palissot se sont moins proposés pour objet l'examen des livres nouveaux que la critique de L'Année littéraire» (A.L., 1776, t. VIII, p. 192). La collaboration de P. et de Clément n'a pas été sans heurt. Comme le remarque ironiquement S. Fréron, P. était un admirateur de Voltaire, alors que Clément n'appréciait guère le patriarche de Ferney, «sans doute une moitié du Journal français sera remplie d'un encens grossier brûlé en l'honneur de M. de Voltaire qui, dans l'autre moitié, sera inondé du fiel de la satire» (ibid., p. 216). Même observation chez La Harpe qui note toutefois que «ces deux messieurs traitent ensemble comme Octave et Antoine sur les victimes qu'ils s'abandonneront» (t. II, p. 41). L'équipe rédactionnelle était si peu soudée que le Journal français ne pouvait se soutenir longtemps. Dans les Mémoires sur la littérature, P. porte sur Clément une appréciation nuancée : «les critiques de M. Clément, quoique trop sévères, et souvent exprimées d'une manière trop dure, n'étaient pas sans utilité» (O., 1809, t. IV, p. 169). Cependant, le résultat ne se fit pas attendre : de 900 le nombre des souscripteurs passa en un an à 200 (Mettra, t. VI, p. 198). C'était la faillite : en juin 1778, les Mémoires secrets indiquent que le Journal français «vient de mourir d'inanition» (18 juin 1778, t. XII, p. l9). Dès le mois de février, Stanislas Fréron écrit : «le journal de P. tombe de plus en plus» ; à cette occasion, Fréron fit même une épigramme (Balcou, p. 388 et 389). Après la faillite du Journal français, Panckoucke réunit ce privilège à ceux de l'ancien Mercure, du Journal de littérature et de politique, du Journal des Dames pour créer le nouveau Mercure de France (La Harpe, t. II, p. 250-251). On peut avoir une idée de l'étendue de la collaboration de P. au Journal français en confrontant ce périodique avec le tome VIII de ses Oeuvres en 1777. Ce tome VIII a vu le jour en 1779. La plupart du temps, le texte de l'édition des Oeuvres est très différent de celui du Journal français.

Voici une liste de ses articles : n° 1, t. I, p. 1 : «Lettre aux auteurs du Journal français sur le livre De la législation ou Principes des lois de M. l'abbé de Mably» (O., 1777, t. VII, p. 299). – n° 1, t. I, p. 24 : «Sur le poème De la nature de Lebrun» (O., 1777, t. VII, p. 299). – n° 1, t. I, p. 29 : «Précis historique sur la vie et les ouvrages de M. Fréron». – n° 2, t. I, p. 70 : «Le Malheureux imaginaire, comédie en 5 actes par Dorat» (O., 1777, t. VII, p. 324). – n° 4, t. I, p. 169 : «Réponse de P. aux n° 34 et 35 de L'Année littéraire». – n° 5, t. I, p. 231 : «Nouveau fragment du poème De la Nature de Le Brun». – n° 7, t. I, p. 321 : «Les Prôneurs ou les Tartuffes littéraires», de Dorat (O., 1777, t. VII, p. 341). – n° 12, t. II, p. 185 : «Lettre aux auteurs de ce journal par un amateur de l'Académie royale de musique» (sur Céphale et Procris) (O., 1777, t. VII, p. 381). – n° 17, t. III, p. 1 : «Histoire du Cardinal de Polignac» (O., 1777, t. VII, p. 357). – n° 18, t. III, p. 13 : «Les Noces patriarcales, poème en prose» (O., 1777, t. VII, p. 377). – n° l9, t. III, p. 206 : «De la sensibilité par rapport aux drames, aux romans et à l'éducation par M. Mistelet» (O., 1777, t. VII, p. 374). – n° 20, t. III, p. 175 : «Nouvelle bibliothèque d'un homme de goût».

VII. Journal de Paris : nombreuses lettres à partir de 1782.

VIII. Divers : P. a également donné quelques articles dans : Journal de politique et de littérature, 5 juin 1778. Voir O., 1777, t. VII, p. 57-61 : «Lettre de P. à La Harpe». – Lettres sur quelques écrits de ce temps, 1753-1754. – Mercure de France : «Lettre à l'auteur de la notice historique et critique sur les ouvrages de Cl. J. Dorat», 30 sept. 1780, p. 234-237. Après 1789, il a collaboré à deux journaux : La Chronique de Paris : Lettre de P. (à propos des femmes qui ne se comportent pas en citoyennes, faute d'éducation), 16 avril 1791. – Lettre de P. (à propos du chahut lors de la représentation de Henri VIII de M.J. Chénier), 4 mai 1791. – À cela, il faut ajouter des lettres dans les numéros des 28 fév., 20 juil., 1er août, 9 août 1790 et des 9 fév., 10, 12 et 15 mai, 5 et 8 juil., 29 sept., 27 nov. 1791. – La Décade philosophique, littéraire et politique, l0 floréal an II, 30 fructidor an XII (29 avril 1794 - 17 sept. 1804) : Sur l'ouvrage de P. Patte, Les Véritables jouissances d'un être raisonnable sur son déclin, 30 ventôse an V, p. 552-553. (Régaldo, t. V, p. 799). – Lettre ouverte à l'Institut, 30 nivôse an VI, p. 139-144. Dans cette lettre, P. se défend d'être anti philosophe (ibid.). – Sur Le Réveil d'Adam, hiérodrame de F. Nogaret, 10 floréal an XIII, p. 236-237 (t. II, p. 546). «Les articles donnés à la revue par P. sont tous littéraires et peu compromettants» (t. V, p. 799).

7. Publications diverses

En dehors des ouvrages cités, on consultera la liste des oeuvres de P. dans F.L., dans Cior 18, n° 48761-48819 et dans Brenner, n° 9589-9605. Dom Calmet signale que P. en 1751 devait «donner incessamment au public» un opéra intitulé Oedipe (p. 709). L'édition de 1788 de ses Oeuvres fut particulièrement soignée par P. : non seulement on y trouve «environ 800 vers nouveaux», mais encore l'auteur l'a revue et corrigée avec tout le soin possible» (n.a.fr., 1391, f° 11). Concernant l'édition des Oeuvres des grands auteurs, P. avoue qu'il est «plus content de [son] travail pour le grand Corneille» (1801, 12 vol.) que pour l'édition de Voltaire (B.N., Rothschild, A XVIII, t. VIII, p. 439). Il dit avoir l'intention de faire une édition des Oeuvres de Molière, de Boileau et de Racine (ibid.).

8. Bibliographie

C.L., M.S. ; F.L. 1769, t. I, p. 336-337 ; H.P.L.P., t. III, p. 86-87 ; t. V, p. 138. – Mettra, Correspondance sexcrète, 1787-1790, t. IV, p. 53-54, 57-58, t. VI, p. 198, 236. – (A.V.P.) Archives de la Ville de Paris : V 2E 8118, 8129, 11237, 11130, V 5E. – A.D. Meurthe-et-Moselle : B 164, 215, 217, 233, 1600, 1613, 1633, 1718, C 726, 751, H 2783, 2799. – A.N., A.A. 48 (1380), AD IX 548, D XXXVIII, V, 69, F17 3198, 3491, Y 412, f° 244 v. ; 416, f° 195 v. ; M.C. des Notaires : t. II, p. 778, 824 ; t. VI, p. 889 ; t. VIII, p. 1347 ; t. X, p. 796, 797 ; t. XIX, p. 938. – Ars. ms. 2759, copie du Cercle ; 6490, an IX-1810, f° 277-285, lettre de P. – Inst. ms. 1271, f° 41-43, lettres à P.M. Hennin, résidant à Genève. – B.N. : f.fr. 22191, f° 228 r., n.a.fr., 1393, f° 11-18 (lettres à Barbier), n.a.fr. 14300, f° 197-200 ; 15552, f° 192-193 ; 24334, f° 427-428 ; 24335, f° 415-436 ; 24338, f° 41-46 ; 24340, f° 143-144 ; 25146, f° 160-163, Rothschild A XVIII, t. VIII, p. 435, 436, 438, 439. – (O., 1763) P., Oeuvres, 1763, 3 vol. – (O., 1777) P., Oeuvres, 1777-1779, 7 vol. – (O., 1809) P., Oeuvres, 1809, 6 vol. – Journal encyclopédique, 1760, t. V, iii, p. 116 ; 1768, t. III, iii, p. 76-88 ; 1769, t. III, iii, p. 400-417 ; 1770, t. IV, p. 239-252 ; 1781, t. VIII, p. 474-477. – (A.L.) L'Année littéraire, 1760, t. I, p. 59-66, t. VII, p. 158-168 ; 1771, t. II, p. 3-29 ; 1776, t. VII, p. 217-240 ; 1778, t. V, p. 244-268. (références concernant ses activités de journaliste). – Le Moniteur, passim. – Alocco-Bianco L., «Charles Palissot de Montenoy : una paura riflessa», dans Ragioni dell'Anti-illuminismo, éd.. L. Sozzi, Alessandria, Ed. dell'Orso, 1992. – Balcou J., Le Dossier Fréron, Genève, 1975. – Brûlé, A., La Vie au XVIIIe siècle. Les gens de lettres, 1929. – Calmet Dom A., Bibliothèque lorraine, Nancy, 1751, In olio. – Chevrier Fr. A., Mémoires pour servir à l'histoire des hommes illustres de Lorraine, Bruxelles, 1754, t. II, p. 282-286. – Conseils de lanternes ou la véritable vision de Charles Palissot, 1760, p. 9. – (D) Delafarge D., La Vie et l'oeuvre de Palissot, 1912. – Douais abbé C., «Palissot et Castilhon», Revue des Pyrénées, 1897, t. IX, p. 225-252. – Etat nominatif des pensions sur le trésor royal, imprimé par ordre de l'Assemblée Nationale, 1789-1790, 3 vol. – Favier J., Table alphabétique des publications de l'académie de Stanislas (1750-1900), Nancy, 1902. – Feletz C.M., «Palissot de Montenoy» dans Jugements historiques et littéraires», 1840, p. 138-148. – Franklin A., Histoire de la Bibliothèque Mazarine, 1860. – Grégoire H.B., Histoire des Sectes religieuses, 1814. – Guénot H., Le Personnage du Philosophe, au théâtre, entre 1750 et 1772, thèse, U. de Paris III, 1982. – Guillaume J., Procès-verbaux du Comité d'instruction publique de la Convention Nationale, 1894. – Journal royal, 19 octobre 1814. – La Chesnaye Desbois et Badier, Dictionnaire de la Noblesse, 1869, t. XV, p. 361-362. – La Condamine C.M. de, Les Quand, 1760. – La Harpe J.F. de, Correspondance littéraire, 1801-1807, t. II, p. 40-41, 50, 250-251 ; t. V, p. 134-135, 166, 356 ; t. VI, p. 42. – Lepage H., Les Archives de Nancy ou Documents inédits relatifs à l'histoire de cette ville, Nancy, 1865. – Manuel L.P., La Police de Paris dévoilée, an II, t. I, p. 87-88, 113-115. – Mathiez A., La Théophilanthropie et le culte décadaire, 1904, p. 170. – Meneval C.F., Mémoires pour servir à l'histoire de Napoléon Ier, 1894, 3 vol. – Morellet A., Mémoires, 2e éd., 1822, t. I, p. 89 et suiv. – Régaldo M., La Décade philosophique, 1976, 5 vol. – Revue rétrospective, 1838, p. 371-378, «Palissot et la Comédie française» (Arsenal Rf 12530). – Richard C.L., Avis très doux, très sages, très importants, très salutaires, très nécessaires et très chrétiens aux auteurs du Journal soi-disant français, 1777. – Sabatier de Castres, A., Les Trois siècles, 1781, t. III, p. 438-449. – (S1) Saintville G., «Lettres de jeunesse de Palissot» dans Mélange Huguet, 1940, p. 336-347. – (S2) Id., «Un chapitre des rapports entre écrivains et libraires au XVIIIe siècle. Palissot auteur», Bulletin du Bibliophile, 1947, p. 373-387. – (T.M.) Table des matières [...] contenues dans les P.V. des séances des deux conseils formant le Corps législatif depuis le 14 prairial an V jusqu'au 30 floréal an VI, an X, t. II, p. 268. – Voltaire, Correspondence, éd. Besterman, D 8894, D 9128, D 6608, D 21058, D 13951, D 20501, D 20553. – Zeek, C.F., «Palissot and Voltaire », Modern language Quartely, t. X, 1949, p. 429-437.

Auteurs

9. Additif

Opinions : Olivier Ferret a donné, dans la collection « Lire le XVIIIe siècle », dirigée par Henri Duranton, une édition critique des Philosophes « et autres textes » (Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2002), qui fournit un dossier très complet sur l’affaire : circonstances de la représentation donnée le 2 mai 1760 à la Comédie française, personnalités visées, échos immédiats et guerre des pamphlets. La querelle a donné lieu en effet à de nombreuses satires et parodies, qui se répondent pendant quelques mois de l’année 1760 et forment collection : critique de la pièce et de la cabale sous le titre Les Philosophes manqués ; Les Quand adressés au Sieur Palissot, qui touchent à la carrière et à la vie scandaleuse de Palissot ; La Vision de Charles Palissot de Morellet ; la Lettre du Sieur Palissot [...] au Public ; Les Qu’est-ce ?, qui reprennent les accusations portées contre les épisodes scandaleux de la vie de Palissot ; Le Petit Philosophe, comédie donnée aux Italiens le 14 juillet 1760 ; Les Originaux, ou les fourbes punis, parodie non représentée ; Les Philosophes de bois, parodie représentée au théâtre des marionnettes le 20 juillet, 1760, etc. O. Ferret donne une bibliographie très complète des textes polémiques publiés dans le cadre de la querelle.

Bibliographie : Ferret O., La comédie des Philosophes et autres textes, P.U. Saint-Etienne, 2002 (J.S).