LE BAS DE COURMONT
Numéro
Prénom
Naissance
Décès
1. État-civil
Issu d'une famille de financiers protégée par Mazarin puis par Colbert, Louis Dominique Le Bas de Courmont était l'un des sept enfants de Michel François Le Bas du Plessis (1663-1725), conseiller du roi, trésorier général de l'extraordinaire des guerres, et de Charlotte de Serre. Veuf en premières noces de Marie Anne Saget (mariage avait été célébré en 1729), L. épousa, en mars 1740, Louise Elisabeth Le Noir, fille de Séraphin Le Noir, conseiller du roi, trésorier des rentes de l'hôtel de ville et d'Elisabeth Jourdan de La Salle. Comme son père, il eut sept enfants. Il mourut le 20 novembre 1777, en son hôtel parisien, rue de Ménars, paroisse Saint-Roch.
3. Carrière
Ecuyer, conseiller du roi, L. fut trésorier payeur des rentes de l'Hôtel de ville. En 1758, il devint fermier général, charge dont il démissionna quelques années avant sa mort en faveur de son fils Louis Marie Le Bas de Courmont. Ce fils devait être guillotiné le 19 floréal de l'an II (8 mai 1794), le même jour que son collègue Lavoisier.
4. Situation de fortune
Lors de son second mariage, C. possédait deux charges de payeur des rentes de l'Hôtel de Ville, une autre charge de contrôleur de ces mêmes rentes, cinq autres charges de contrôleur des bois à bâtir de la ville de Paris, une maison de campagne sise à Clichy, quelques portions de maisons héritées de ses parents, 60 000 £ de meubles (vaisselle d'argent, pierreries, bijoux et équipage). A tout cela s'ajoutaient quelques rentes, ainsi que des billets sur des particuliers (26 5OO £), etc. La nouvelle épouse apportait à son mari une dot de 200 000 £, dont une grande maison sise à Paris, quai Malaquais. A la fin de l'année 1770, les époux Le Bas de Courmont vivaient en leur hôtel parisien, entourés de trois de leurs enfants et de quinze domestiques. En bon père de famille, L. avait déjà établi six de ses enfants. Deux de ses fils avaient hérité de ses charges de finance : Louis Marie était fermier général, Charles Claude payeur des rentes de l'hôtel de ville. Le troisième fils, Louis Dominique, avait été orienté vers la vie militaire : il était capitaine au régiment royal Normandie. Trois de ses filles avaient épousé, l'une Jacques François de Croismare, ancien commandant en chef de la petite écurie du roi, l'autre Gilles François de Maupeou, comte d'Ableige, mestre de camp de cavalerie, sous-lieutenant des gardes du corps du roi, la troisième Jean Marie Quentin, baron de Champlost, premier valet de chambre et gentilhomme ordinaire du roi.
5. Opinions
La bibliothèque de L. était nettement moins fournie que celle de son associé le chevalier de Meslé : seulement 27 lots de livres. Des ouvrages religieux (Bible, Histoire du peuple de Dieu, Histoire de la Bible, Missel de Paris, oeuvres de Bourdaloue, et autres «livres de dévotion»), quelques livres de littérature (Marot, Corneille, Bussy-Rabutin et La Fontaine), des dictionnaires (Trévoux, Moreri), quelques ouvrages de pratique financière (Recueil sur les amortissements et les domaines, Dictionnaire des domaines, Code des tailles, Recueil des arts et métiers), peu de livres d'histoire (Histoire du vicomte de Turenne, Recueil de pièces sur les affaires du temps, Histoire de France, Histoire de Mézeray, Jugement de M. le Cardinal de Mazarin, Histoire des provinces), quelques périodiques (les Petites Affiches de Paris, l'Année littéraire, quelques autres journaux non précisés). Cette bibliothèque reflète donc fort peu l'esprit du Siècle des Lumières. Le ménage Le Bas de Courmont semble être resté très religieux : en témoigne sa bibliothèque, mais aussi la fondation à perpétuité dans la paroisse de Clichy de deux messes basses de Requiem (1772). Cette haute bourgeoisie de finance n'est pas encore complètement assimilée à la noblesse : elle n'en a pas encore totalement adopté le genre de vie ni l'univers moral et intellectuel. En revanche, le second fermier général de la famille, Louis Marie, semble avoir tout à fait adopté les goûts de la haute société : témoin sa splendide collection de tableaux inventoriée le 5 vendémiaire an III (26 septembre 1794).
Si la bibliothèque de L. paraît très éloignée de l'esprit des Lumières, ce personnage de la haute finance n'en croyait pas moins aux vertus de l'instruction. Le 11 novembre 1764, les époux Le Bas de Courmont «ont fondé et érigé à perpétuité audit Clichy une école gratuite pour les enfants de l'un et l'autre sexe de tous les habitants de Clichy».
6. Activités journalistiques
Avec L., le monde de la haute finance et du grand affairisme s'intéressa, peut-être pour la première fois, aux entreprises de presse. Nouveauté lourde de conséquences pour l'avenir. Innovation dont les contemporains les mieux informés eurent parfaitement conscience ; ainsi de Malesherbes : les Petites Affiches étaient une affaire d'argent, on avait voulu «dépouiller les libraires et les gens de lettres pour enrichir des financiers» (Grosclaude, p. 68).
Le 22 janvier 1751, le chevalier de Meslé s'entendait avec L. qui lui apportait ses protections (la famille de Noailles) et surtout ses capitaux (120 000 £) : il s'agissait de racheter au président Aunillon le privilège de la Gazette (97 000 £). Une société était formée entre les deux hommes. Les lettres patentes d'avril 1751 ayant réuni au privilège de la Gazette celui des Affiches, Meslé et L. s'efforcèrent de tirer un profit maximum d'un privilège si chèrement acquis (voir art. « Rabiot de Meslé »). Le 13 mai 1751, débutaient les Annonces, Affiches et Avis divers (Petites Affiches de Paris). Après quelques hésitations, une seconde édition de la Gazette (petits caractères, 2 colonnes sur 4 pages) était envoyée aux provinciaux contre un abonnement de 7 £. 10 s. (29 avril 1752). Pour le même tarif annuel, les Affiches des provinces leur furent proposées le 3 mai suivant.
Le 19 janvier 1752, les deux compères avaient confirmé leurs accords de l'année précédente. Il avait été convenu que leur société durerait 4 ans à partir du 1er mai 1751. L. avait reconnu à Meslé la pleine propriété du privilège et lui avait encore avancé 20 000 £. Le chevalier avait abandonné au financier l'administration de toute l'affaire. Chaque année, L. recevrait 6000 £ (5% d'intérêt), plus un quart des bénéfices escomptés, soit 6000 £. Au bout de ces 4 années, Meslé s'avéra toujours incapable de rembourser les avances de Courmont. Aussi, comme il avait été décidé en janvier 1752, le financier obtint, à dater du 1er mai 1755, la moitié des bénéfices procurés par l'exploitation de la Gazette et des Affiches. En 1756, les deux hommes décidèrent de réviser les termes de leur traité. Ils y avaient chacun intérêt : Meslé, très endetté, avait besoin de nouvelles liquidités financières ; connaissant la difficile situation de son associé, L. désirait très certainement sauver pour son propre compte l'exploitation la plus lucrative de l'affaire, celle des Affiches. De nouvelles lettres patentes furent obtenues du roi (juillet 1756) : Meslé gardait la Gazette, mais laissait les Affiches à L. pendant 40 ans. Le 17 juillet, le financier donna au chevalier 324 000 £ auxquelles s'ajoutèrent 4500 £ de rentes payables pendant ces mêmes 40 années. Ces 4500 £ déduites, L. prélèverait chaque année au moins 30 000 £ sur le produit des Affiches ; au-delà de cette somme, 10 000 £ reviendraient à Meslé ; le reste serait partagé (3/4 pour L., 1/4 pour Meslé). Le brevet de retenue de 97 000 £ (coût originel du privilège) restait au nom du financier. Certes tout cela était fort onéreux pour L. La suite des événements devait cependant montrer que le financier avait agi au mieux de ses intérêts. Après la mort du chevalier de Meslé, les lettres patentes enregistrées en août 1761 donnèrent au ministère des Affaires étrangères le privilège de la Gazette et des Affiches. Le ministre se vit forcé de confirmer à L. la cession des Affiches.
Depuis le début des années 1750, deux Affiches paraissaient à Paris : les Petites Affiches (13 mai 1751) et les Affiches des provinces (3 mai 1752). Les provinciaux se plaignirent très vite de leurs Affiches, peu intéressantes. En mai 1753, L. et Meslé cherchèrent à vendre pour 30 ans l'établissement de Bureaux d'Adresse dans 35 villes du royaume. Chaque Bureau ferait imprimer son Affiche une fois par semaine ; chacun recevrait les Affiches imprimées dans les autres villes. «Par cette circulation d'Affiches, qui se ferait toutes les semaines entre tous les Bureaux d'Adresse et de Rencontre établis dans le royaume, rien de ce qui se passerait d'utile et d'intéressant dans toute son étendue, ne serait ignoré d'une province à l'autre». Ce plan était trop ambitieux ; il ne semble pas avoir recueilli un grand écho ; il était surtout trop dispendieux pour les provinciaux éventuellement intéressés, puisqu'il prévoyait non d'affermer, mais bien de vendre les Bureaux d'Adresse «pour une somme d'argent comptant». En 1750, seule Lyon avait ses Affiches. Après 1756, L. favorisa la création des Affiches en reprenant le vieux système du bail qui avait si bien montré son efficacité lorsque la Gazette était réimprimée en province (1631-1752). Il ne fut plus question d'aliéner les Bureaux d'Adresse. Le droit de publier les Affiches fut affermé aux libraires ou aux journalistes qui en firent la demande. Après Lyon, Nantes (1757), Bordeaux (1758), Toulouse (1759), Rouen (1762) eurent leurs Affiches. Pendant les années 1770, de nombreuses autres villes bénéficièrent elles aussi d'une feuille locale. Le phénomène acheva de se généraliser au cours des années 1780.
Le 19 décembre 1776, L. traita de nouveau avec le ministère des Affaires étrangères. Il s'agissait de lutter contre une nouvelle concurrence, celle du Journal de Paris, premier quotidien français, distribué pour la première fois le 1er janvier 1777. Pour 19 ans et 4 mois, le ministère accorda à L. «le droit et privilège de porter et augmenter jusqu'à concurrence de 16 pages d'impression in-octavo la feuille des Affiches de Paris». Une autre feuille de même format «et de pareille étendue de 16 pages d'impression» était établie sous le titre d'Avis divers ; elle serait distribuée conjointement avec les Affiches ou séparément. Ces deux feuilles paraîtraient deux fois par semaine et leur abonnement annuel serait de deux fois 24 £. En échange de l'élargissement et de la confirmation de son privilège, L. devait payer chaque année au ministère des Affaires étrangères, «à titre de redevance», un seizième des abonnements soit 30 s. pour les Affiches, un quart des abonnements soit 6 £ pour les Avis divers, la somme de 2500 £ (dont 1000 £ pour payer le travail du censeur) et le service de huit exemplaires gratuits. Effectivement, à partir de janvier 1777, chaque livraison des Affiches de Paris fut composée régulièrement de 16 pages ; les Avis divers étaient une feuille littéraire contenant «toute sorte d'avis instructifs concernant l'agriculture, le commerce, les sciences et les arts».
Un peu plus d'un an après la mort de L., le 10 décembre 1778, sa veuve et ses enfants vendirent à un groupe de financiers, dont Pierre Benezech, «le droit et privilège des Annonces, Affiches et Avis divers de Paris et des provinces», le brevet de retenue de 97 000 £ ainsi que «les meubles, effets et ustenciles du Bureau ou se fait actuellement l'exploitation des Petites Affiches». La cession se fit moyennant la somme de 220 000 £ ; les acquéreurs s'engagèrent à continuer de payer 4500 £ de rentes diverses dues aux créanciers du chevalier de Meslé et 1000 £ de rente versées à Meusnier de Querlon «précédemment auteur des Affiches de province», rentes qu'il fallait ajouter aux engagements pris envers le ministère des Affaires étrangères.
Les enfants Le Bas de Courmont revendaient donc 220 000 £ ce que leur père avait acheté 324 000 £. Ces chiffres ne doivent pas laisser penser que l'affaire n'avait pas été bonne pour les Courmont. Entre 1756 et 1762, les bénéfices des Affiches (tous frais déduits, y compris le paiement des rentes) n'avaient certes jamais dépassé 30 000 £ ; mais en 1778, une année d'abonnement et de concession des provinces (fermages des Affiches publiées dans les différentes villes du royaume) était évaluée, très certainement tous frais déduits, à 23 000 £. En 22 ans (1756-1778), la famille Le Bas de Courmont a probablement tiré de son privilège près de 440 000 £. L'affaire n'avait donc pas été si mauvaise!
8. Bibliographie
H.P.L.P., t. II. – Voir les sources et la bibliographie des notices «Aunillon» et «Rabiot de Meslé». – A.N., M.C., XXXV, 793, 19 décembre 1776 : concession de privilège à L. par le ministère des Affaires étrangères ; LVI, 224, 11 décembre 1777 : inventaire après le décès de L. ; 234, 10 décembre 1778, vente du privilège des Annonces, Affiches et Avis divers de Paris et des provinces. – Grosclaude P., Malesherbes, témoin et interprète de son temps, Paris, 1961.- Durand Y., Les Fermiers généraux au XVIIIe siècle, Paris, 1971. – Feyel G., La Gazette à travers ses réimpressions en province, 1631-1752, Amsterdam, 1982.
- Se connecter pour publier des commentaires