LA HARPE

Numéro

444

Prénom

Jean François

Naissance

1739

Décès

1803

1. État-civil

Jean François La Harpe (ou de la Harpe, ou Delaharpe) est né à Paris, le 20 novembre 1739, sur la paroisse de Saint-Nicolas du Chardonnet. Il est le fils de Jean François de La Harpe et de Marie Louise Devienne (A.N. 0679). Son père était «gentilhomme et officier suisse» au service de la France (Mercure, 20 fév. 1790). Il épouse en novembre 1764 Marthe Marie Monmayeux, fille du limonadier qui le logeait alors : jeune femme sans fortune, mais qui va briller comme actrice sur le théâtre de Voltaire à Ferney. Après le suicide de sa première épouse (1794), L. se remarie (1797) avec Louise Catherine Hatte de Longerue, âgée de vingt-trois ans, qui demande le divorce au bout de trois semaines ; L. cède avec dignité (Récamier). Il reste sans enfants et meurt à Paris, après une longue maladie, le 11 février 1803.

2. Formation

Orphelin de père à l'âge de neuf ans, L. est élevé par charité en la paroisse Saint-André des Arcs, puis au collège d'Harcourt. Etudes d'abord sans facilité, puis brillantes en rhétorique (Petitot). Accusé d'avoir écrit des couplets satiriques contre ses maîtres, il est emprisonné au Fort l'Evêque en 1756 (Bonnefon).

3. Carrière

Essentiellement parisien, L.H. ne quitte la capitale que pour de brefs séjours d'été chez des amis nobles ou fortunés, pour de plus longs séjours à Ferney (mai-juil. 1765 ; nov. 1766 ; nov. 1767 ; fév. 1768) et, vers la fin de sa vie, pour l'exil provincial : s'il reste clandestinement à Paris alors qu'il devrait être arrêté, au moment du 13 vendémiaire an IV (5 oct. 1795), c'est à Dôle, puis près de Corbeil qu'il se cache après le 18 fructidor an V (4 sept. 1797), et jusqu'en janvier 1800, pour échapper à la déportation que lui vaudrait sa collaboration au Mémorial. Le consulat l'éloigne encore à 25 lieues de Paris, en février 1802 (Jov. 3 : A.N. 7-6311) ; il reste quelques semaines à Châtillon-sur-Loing puis, jusqu'en juillet, à Corbeil.

4. Situation de fortune

Sauf pendant la brève période (1768) où il est secrétaire intime de Boutin, intendant des finances (Saint Burin), L. vit uniquement des ressources que lui procurent ses très diverses activités d'homme de lettres : part aux recettes des tragédies, quand elles connaissent le succès (Warwick est un coup de maître qui sera suivi de nombreux échecs), édition de son théâtre (Mélanie lui vaut 1000 écus de Choiseul et son impression lui rapporte 4000 £ : M.S., t. V, p. 68 ; C.L., t. VIII, p. 471), publication de ses discours, éloges ou poèmes couronnés par l'Académie Française ou par les Académies de province («Dans l'espace de dix ans, il obtient onze médailles dont neuf à l'Académie Française», Agasse), traductions, abrégé du Journal des voyages (1775 ; contrat de 20 000 £, publié dans J1), commentaire pour une édition des oeuvres de Racine (1796 ; contrat de 6000 £ : J1). S'y ajoutent les abonnements à sa Correspondance littéraire : le Grand Duc Paul de Russie lui fait envoyer 100 £ par an (Daunou) ; le produit de son travail de journaliste : Panckoucke lui verse 6000 £ l'année où il dirige le Mercure (M.S., t. XII, p. 193) ; puis le revenu de ses cours de littérature au Lycée à partir de 1786 ; la première année on compte au Lycée, pour l'ensemble des matières enseignées, 700 souscripteurs à 7 louis chacun (Peignot). L. obtient enfin, le 6 janvier 1795, 3000 £ d'aide du gouvernement, grâce à M.J. Chénier (J3).

Dans l'ensemble, sa fortune décrit une courbe très nette : il est fort gêné au début de sa carrière (par une lettre du 30 déc. 1773, Voltaire prie encore d'Argental de lui donner 25 louis de sa part, car il est «dans une situation pressante»). Puis, à la veille de la Révolution, «au moyen de ses pensions et du produit de ses longs travaux, il se trouvait, pour un homme de lettres, dans une sorte d'opulence» (Saint Surin). Il est à nouveau aux prises avec les plus grandes difficultés à la fin de sa vie. «Contraint de vendre ses livres pour exister» (Courrier de l'Egalité, 12 avr. 1796), il demande de façon pressante à l'éditeur Agasse le règlement de ses contrats (J2).

5. Opinions

Par ambition littéraire plus peut-être que par conviction profonde, L. gravite dans l'orbe des philosophes dès le moment où il se lance dans la carrière des lettres : il obtient la protection de Voltaire grâce à la lettre-préface de Warwick. Déiste, il prend part, de Ferney, à la lutte contre l'«infâme» en protestant contre les voeux forcés et l'état monastique en général (Réponse d'un solitaire de la Trappe à la lettre de l'abbé de Rancé, 1767), et continue la lutte à Paris (Mélanie, 1770). Son Eloge de Fénelon encourt les foudres de l'Archevêque de Paris (M.S., 1er oct. 1771). En 1775, il est blâmé par le Parlement pour avoir inséré dans le Mercure un extrait de la Diatribe à l'auteur des Ephémérides de Voltaire. Il fréquente l'entourage de Choiseul, puis les salons de Mlle de Lespinasse et de Mme Necker. Son mauvais caractère et ses jugements de critique intransigeant, autant que ses prises de position philosophiques, lui valent des inimitiés redoutables : Fréron, Dorat, Linguet, Palissot.

Il accueille la Révolution avec une certaine sympathie. Se disant «dans le sens de la Révolution et de la Constitution» (Mercure, 9 avr. 91), il est favorable au régime monarchique et, après la mort du roi, ses déclarations violemment patriotiques et parfois républicaines semblent être plutôt des mesures de prudence que des professions de foi. En décembre 1793, comme tous ses collègues du Lycée, il porte le bonnet phrygien pendant ses cours. Arrêté le 16 mars 1794 (J3 : Arch. préf. police, AQ/16 pièce 579), il est transféré à la prison du Luxembourg, puis à la maison de santé Montprin. Pendant sa réclusion, influencé par ses compagnons d'infortune, et surtout par la comtesse de Clermont-Tonnerre (Lacretelle), lisant les psaumes, les évangiles et l'Imitation de N.S.J.C., il trouve la foi chrétienne. C'est un L. contre-révolutionnaire et dévot qui est libéré le 14 thermidor an II (1er août 1794). Il fréquente alors le salon de Mme Récamier, et devient l'ami de Fontanes (J1), le protecteur de Chateaubriand et la cible favorite de la Décade.

6. Activités journalistiques

Fin 1768, il est engagé par le libraire Lacombe pour travailler au Mercure (critique littéraire, surtout théâtrale). Lorsque Linguet est chassé du Journal de politique et de littérature, (ou Journal de Bruxelles), sans doute pour son compte rendu injurieux (25 juil. 76) de la réception de L.H. à l'Académie Française, Panckoucke choisit L. pour diriger la partie littéraire du journal. Celui-ci cesse momentanément d'écrire dans le Mercure (oct. 76). Au Journal de Politique et de Littérature, il soutient le parti des piccinistes en de nombreux articles. Après la faillite de Lacombe, Panckoucke obtient le privilège du Mercure et réunit à ce périodique le Journal de Bruxelles (juin 1778). L. devient rédacteur général de la nouvelle publication (7000 abonnés contre 1800 à l'ancien Mercure, d'après Delisle de Sales). Mais en septembre 1778, il cède la place à Suard, sous la pression de ses ennemis (affaire de la critique de Zulime : M.S., nov. 1778), et cesse toute collaboration en septembre 1779.

Fin 1789, lorsque du fait de la libre concurrence, le Mercure et les pensions qu'il verse aux gens de lettres sont en danger, L. reprend sa collaboration (textes signés D.) : articles littéraires en principe, mais fréquentes incursions dans le domaine politique, jusqu'à son arrestation. En collaboration avec l'abbé Bourlet de Vauxcelles et Fontanes, il travaille au Mémorial, ou Recueil historique, politique et littéraire, qui est interdit le 18 fructidor (108 numéros à partir du 20 mai 1797). Après 1800, il donne quelques fragments d'oeuvres inédites pour publication au Mercure de Fontanes. C'est cette même revue qui publiera son éloge funèbre, par Fontanes, le 13 février 1803.

La Correspondance littéraire qu'il envoie au Grand Duc de Russie et au Comte Schowalow s'étend de février 1774 à 1791. L., après l'avoir remaniée, en publie quatre volumes en avril 1801, suscitant contre lui de violentes réactions (Correspondance turque de Colnet du Ravel) ; deux autres volumes posthumes en 1807. De mars 1776 à septembre 1779, il envoie également des exemplaires légèrement différents de cette Correspondance littéraire au roi de Suède Gustave III (Landy).

Un choix d'articles littéraires de L. figure dans les éditions importantes de ses oeuvres (Verdière, 1821 ; Dupont, 1826). C. Todd a donné dans sa Bibliographie des oeuvres de J.F. de L.H. un important «Appendice sur le journalisme» qui établit un recensement de tous les articles écrits par L. journaliste.

7. Publications diverses

Responsable de comptes rendus, d'éloges, de traductions et d'un abrégé, le «célèbre critique» se voulait aussi créateur. Il s'est essayé dans tous les genres, y compris les plus nobles, tragédies et épopée (Le Triomphe de la Religion ou le Roi Martyr, 6 chants, inachevé, 1814), négligeant le seul qui ouvrît l'avenir : le roman (cf. Cior 18, n° 35820-35931).

8. Bibliographie

B.H.C., H.P.L.P. (chap. «La Harpe journaliste», vol. II, p. 493-561). – M.S., C.L. – Notices sur la vie de La Harpe : par Agasse, Cours de littérature, an XIII ; Daunou, P.C.F, Cours de littérature, Paris, 1825-1826 ; Petitot C.B., Oeuvres choisies et posthumes de La Harpe., Paris, 1806 ; par Saint Surin P.T., Oeuvres diverses, Paris, 1821 ou 1826. – Sainte-Beuve C.A., Causeries du Lundi, Paris, 1885, t.. V. – Peignot G., Recherches historiques, littéraires et bibliographiques sur la vie et les ouvrages de M. de la H., Dijon, 1820. – Lacretelle le jeune, Histoire de la Révolution française, Paris, 1824, t. V. – Récamier J.J., Souvenirs et correspondance, Paris, 1880. – Delisle de Sales J.B., Essai sur le journalisme depuis 1735 jusqu'à l'an 1800, Paris, 1811. – Bonnefon P., «Une aventure de la jeunesse de L.H., l'affaire des couplets» dans R.H.L.F., 1911, p. 354-363. – Les études biographiques sur L. ont été renouvelées par les ouvrages qui suivent, et notamment ceux de A. Jovicevich : (J1 ) Correspondance inédite de J.F. de L.H., Editions Universitaires, Paris, 1965. – (J2) Thirteen additional letters of L.H., S.V.E.C. 67, 1969, p. 211-228. – (J3) J.F. de L.H., adepte et renégat des Lumières, South Orange, N.J., Seaton Hall U.P., 1973. – Id., «Voltaire and La Harpe. L'Affaire des manuscrits. A reappraisal», S.V.E.C. 176, 1979, p. 77-95. – Todd C., «La Harpe quarrels with the actors, unpublished correspondence», S.V.E.C. 53, 1967, p. 225-337. – Id., «Two lost plays by La Harpe : Gustave Vasa et Les Brames», S.V.E.C. 62, 1968, p. 151-272. – Id., Voltaire's Disciple : Jean-François de la Harpe, M.H.R.A., Londres, 1972. – Id., J.F. de L.H., Letters to the Shuvalovs, S.V.E.C. 108, 1973. – Id., Bibliographie des oeuvres de La Harpe, S.V.E.C. 181, 1979. – Landy R., «La Harpe professeur de poésie» in Oeuvres et critiques, t. VII, n° 1 (hiver 1982), p.53-66. – Id., «La "correspondance suédoise" de Jean-François de La Harpe», S.V.E.C.E. 212, 1982, p. 225-310.

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