EPSTEIN

Numéro

291

Prénom

Jean

Naissance

?

Décès

?

1. État-civil

Jean Epstein, bourgeois de Paris, d'origine allemande et de religion calviniste ; on ignore tout de ses dates de naissance et de décès.

6. Activités journalistiques

E. tenait un véritable bureau de traduction des gazettes étrangères, venues des Pays-Bas et d'Allemagne. Le 9 juillet 1631, il s'associe par acte notarié à l'imprimeur Jean Martin et au libraire Louis Vendosme, pour publier les Nouvelles ordinaires, feuille concurrente de la Gazette de Théophraste Renaudot (acte publié par G. Jubert, p. 161-162) : «Ledict sieur Epestein a promis et promect faire venir et apporter toutes les septmaines d'Allemagne les nouvelles courantes communément appellées Gazettes, les rendre traduictes et translatées en françois en telle sorte qu'elles puissent estre receues et avoir cours - à commencer vendredy unziesme jour des presens moys et an et continuer de la en avant par chacune sepmaine audict jour. Ce qu'il effectuera tous les jeudys avant midy pour estre si faire se peult le mesme jour imprimées et assistera icelluy sieur Epestein à l'impression et correction desdictes nouvelles pour estre lesdictes nouvelles vendues et distribuées le vendredy de bonne heure. Et sera aussy tenu icelluy sieur Epestein supporter la tierce partye de tous les frays et despens qui se feront en ladicte composition, impression, publication et distraction desdictes nouvelles. Par mesme moyen est convenu que lesdicts Martin et Vendosme seront tenuz asseurer et s'obliger comme ilz promectent et s'obligent que lesdictes nouvelles pourront estre exposées en vente sans aulcun péril ni danger. A ces fins poursuivront iceulx Martin et Vendosme - à leurs frays, dilligence et despens - les permissions et licences nécessaires à ladicte exposition, mesmes obtiendront previllege si faire se peult, sinon lesdictes licences et permissions après qu'elles auront esté levées et relevées par personnes ayans à ce pouvoir, à ce que rien ne soit faict contre l'honneur de Dieu et service du roy, bien et repos de son royaume sans offense de qui que ce soit. Et tous lesdicts susnommez comparans promectent de porter chacun d'eulx la troisiesme part de tous frays et despens nécessaires à ladicte fourniture et exposition desdictes nouvelles jusques en cette ville de Paris, le tout modéré en quatre livres pour chacune septmaine. Lesquelles nouvelles seront promptement imprimées et en tel nombre d'exemplaires que lesdictes partyes adviseront sans perdre temps ny occasion de proffiter de la vente desdictes nouvelles. Et seront lesdictes nouvelles baillées par compte à l'une et à l'autre desdictes partyes pour en faire le débit soit en ceste ville de Paris soit hors d'icelle et se tiendront icellesdictes partyes bon et fidel compte l'une d'elles à l'autre de tout ce qu'elles en auront vendu pour estre partager entre elles par tiers esgalement et de bonne foy. »

Au cours de l'été 1631, Renaudot parvient à s'accorder avec E., ce qui explique sa longue querelle avec les libraires Martin et Vendosme qui l'accusaient de leur avoir volé la collaboration de ce personnage : «Il [Renaudot] s'avisa de recercher tellement ledit Epstin, qu'il l'obligea de luy fournir les Mémoires et Traductions qu'il fournissoit ausdits Imprimeurs, suivant le contract qu'il avoit fait avec eux, lesquels au mesme instant mirent en procez ledit Renaudot, et eurent trois Sentences contre luy du Baillif du Palais, soustenans qu'il n'estoit Imprimeur, qu'il ne pouvoit faire leur fonction, et encore moins empescher ledit Epstin de continuer à leur fournir ladite Gazette » (Requête des libraires contre Renaudot, oct. 1634).

En novembre 1631, peut-être parce que ses accords avec E. l'y contraignaient, peut-être aussi pour garder et «fidéliser» leurs lecteurs, Renaudot annexait les Nouvelles ordinaires à la Gazette. Désormais, jusqu'en décembre 1682, Renaudot et ses successeurs publièrent chaque semaine, deux cahiers ordinaires, les Nouvelles ordinaires, consacrées au «Nord» de l'Europe, c'est-à-dire aux pays germaniques, à la Scandinavie, à la Pologne et à la Russie, toutes régions dont E. traduisait les gazettes qu'il recevait à Paris, la Gazette, réservée au «Midi», c'est-à-dire aux nouvelles d'Angleterre, des Provinces-Unies et de Flandre, de France, d'Espagne et d'Italie, d'Orient.

Il est donc certain qu'après l'annexion des Nouvelles ordinaires, E. continua ses traductions dont profitaient Renaudot et quelques autres pourvoyeurs de nouvelles, par exemple l'écrivain Jean Chapelain. Ce dernier dirigeait un véritable bureau de nouvelles multipliant chaque semaine les copies d'une gazette manuscrite envoyée à de grands nobles alors en campagne dans les armées du roi ainsi qu'à quelques amis, tels Balzac et Godeau. E. ne se contentait pas de traduire les nouvelles étrangères, il proposait lui aussi une gazette manuscrite reçue en 1636 par le duc Bernard de Saxe-Weimar (B.N., ms. Baluze 183), en 1639-1640 par le marquis de Montausier. Il n'envoyait pas seulement des nouvelles du «septentrion» ou «de Hollande et d'Allemagne», il donnait aussi des informations sur la guerre franco-espagnole. Au marquis de Montausier, Chapelain écrit le 4 novembre 1639 «Vous trouvères icy encore une fois les nouvelles de tous les endroits où il y a guerre. A l'avenir, je laisseray faire le bon Epestheim pour le septentrion» (Lettres de Jean Chapelain, t. I, p. 521) ; le 9 avril 1640, «Monsieur, je suis bien aise de voir par vos lettres que les miennes vous sont rendues fidellement et que la correspondance du bon Epestein est aussy seure que je vous l'avois asseurée» (p. 602) ; le 21 mai 1640, «Monsieur, par la response que je receus du bon Epestein en luy envoyant nostre dernière despesche pour vous, je reconnus que vous l'aviés embarassé par les nouveaux ordres que vous luy donniés de vous faire tenir vos paquets par Nancy, pour ce qu'il n'y a point de correspondance en cette ville là, et qu'il craint qu'en les envoyant par cette voye, ils ne courussent fortune de se perdre. Si M. de la Perche eust peu demeurer un peu davantage à Paris et conférer de cette afaire avec le bon homme, nous eussions pris nos mesures pour cela et eussions réglé ce nouveau commerce. A faute de cela, nous avons continué comme aupravant par Basle, la voye estant seure, quoy que longue ; s'il revient bientost, nous résoudrons prontement ce qu'il faudra faire et vous en donnerons avis» (p. 628) ; le 15 juin 1640 «Vous recevrés désormais vos lettres par Nancy selon vos ordres, ayant averti M. Epestein de la voye que vous vouliés qu'il tint pour cela» (p. 640) ; le 10 août 1640, «Monsieur, je ne vous diray point le détail de ce qui s'est passé à l'attaque de nos retranchemens d'Arras pour ne pas courir sur le marché du bon Espestein et pour ne remplir pas tout ce papier de nouvelles de guerre» (p. 666).

A Conrart, Chapelain confie le 12 juin 1640 : «Je ne vous mande rien d'Italie, quoyqu'il y ait mille choses dignes d'estre sceues, puisque les gazettes qu'on vous a envoyées vous ont appris tout ce que nous en sçavons, et pour la Hollande et l'Allemagne j'espère vous en escrire demain les nouvelles que le bon Epestein me doit faire voir» (p. 639). A l'abbé Henri Arnauld, alors à Pomponne, il écrit les 26 et 27 octobre 1640 : «Je vous envoyé les nouvelles que M. du Maurier et M. Epestein m'ont communiquées ; vous me les renvoyerés, s'il vous plaist» (p. 711).

E. servait aussi à la nation allemande de l'université d'Orléans les nouvelles d'Allemagne. L'assesseur de l'Université lui écrit d'envoyer des nouvelles chaque semaine, le dimanche, s'il est possible, et de les donner sans parti pris, avec exactitude et brièveté : « estans intéressés par nos biens et parens aux affaires d'Allemagne, nous sommes bien aise de sçavoir les choses comme elles vont» (Mathorez, t. II, p. 25). Pressé par le duc de Saxe-Weimar puis par Chapelain, le chancelier finit par reconnaître les bons services d'E. en lui accordant à la fin de 1639 ou au début de 1640 la nationalité française, ainsi que Chapelain l'apprend à son ami Balzac, le 20 janvier 1640 : «A propos d'homme de lettres, M. Esprit, de chés M. le Chancelier, à ma prière a obtenu de luy des lettres de naturalité pour le Sr Esperstein, Alleman, Calviniste, que le Duc de Weimar luy avoit recommandé pour la mesme chose sans effect» (p. 558-560).

Mais E. donna une telle ampleur à son «industrie» qu'il finit par gêner Renaudot. Le gazetier obtint le 31 juillet 1646 un arrêt du Conseil d'Etat interdisant à E. «et plusieurs autres » de faire « ordinairement des assemblées où ils rapportent comme dans un bureau tout ce qu'ils apprennent» et de composer, écrire à la main ou copier « des nouvelles à leur fantaisie», «desquels écrits ils débitent très grande quantité tant en la ville de Paris qu'ailleurs au préjudice du service deSaMajesté» (A.N., V4 1499, f° 155-160,11epièce enregistrée).

8. Bibliographie

Dahl F., Petibon F. et Boulet M., Les Débuts de la presse française : nouveaux aperçus, Goteborg et Paris, 19 51. – Jubert G., «La légende dorée de Théophraste Renaudot», Bulletin de la Société des antiquaires de l'Ouest, 4e série, t. XVI, 2e trimestre 1981, p. 141-162. – Feyel G., «Richelieu et la Gazette», Richelieu et le monde de l'esprit, catalogue de l'exposition organisée en Sorbonne, Paris, nov. 1985, p. 205-216. –Id, « Richelieu et la Gazette : aux origines de la presse de propagande», Richelieu et la culture, actes du colloque international en Sorbonne, éd. R. Mousnier, Paris, 1987, p. 103-123. Lettres de Jean Chapelain, de l'Académie française, éd. P. Tamizey de Larroque, Paris, 1880-1883, t. I. – Mathorez J., «Les Allemands, les Hollandais, les Scandinaves», Les Etrangers en France sous l'Ancien Régime, Paris, 1921, t. II, p. 25.

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