DU GARD

Numéro

266

Prénom

Guillaume

Naissance

1606

Décès

1662

1. État-civil

Guillaume Du Gard, connu en Angleterre sous le nom de William Dugard, est né le 9 janvier 1606 à Bromsgrove Lickey (Worcestershire), fils du révérend Henry Dugard (1589-1637). Il semble que ce soit son grand-père, Guillaume Du Gard, pasteur huguenot de Normandie qui soit venu en Angleterre, par les îles de la Manche, avant la Saint-Barthélemy. De toute façon on trouve plusieurs porteurs du nom à Londres et à Jersey, à partir de 15 70. Marié deux fois, il eut d'Elisabeth, sa première femme, morte en 1641 à Colchester, deux fils : Richard, né le 29 novembre 1634, et Thomas né le 29 novembre 1635. A sa mort, le 3 décembre 1662 à Londres, il semble que sa seconde femme fût morte aussi, car il laissait ses biens à une fille, Lydia, qui était mineure.

2. Formation

Elève de l'Ecole royale près la cathédrale de Worcester, puis admis à seize ans comme boursier («sizar») à Sidney Sussex Collège, à Cambridge, où son oncle Richard Dugard enseignait avec grande réputation. Bachelier ès arts en 162 7, maître ès arts en 1630.

3. Carrière

D'abord assistant à Oundle School (Northamptonshire), il devient professeur titulaire à Stamford School (Lincolnshire) puis directeur de Colchester School, de 1637 à 1643, où il augmente le nombre des élèves et agrandit les bâtiments. En mai 1644 il devient directeur de Merchant Taylor's School à Londres et réussit si bien que quatre ans plus tard, les autorités lui confient le rôle d'inspecteur de leurs écoles provinciales. On a de lui un registre in-folio concernant ses élèves qui révèle quelques-unes de ses idées politiques. Il installe des presses dans l'école et il imprime en 1649 la Defensio regia pro Carolo Primo, de Saumaise. Cette publication royaliste amène le Conseil d'Etat à jeter D. en prison, à Newgate, ordonnant la destruction de ses presses, sa destitution de directeur d'école et l'expulsion de sa femme et de sa famille de leur maison (1650). L'amitié de John Milton lui vaut le pardon du Conseil et la restitution de ses biens, y compris les presses sur lesquelles il imprime en 1652 la traduction française de L'Iconoclaste, de Milton, réponse à Saumaise. Peut-être était-il lui-même l'auteur de cette traduction ; il indique à la première page : « Par Guillaume Du Gard, imprimeur du Conseil d'Etat». Cette faveur du Conseil d'Etat se manifeste par les trois injonctions aux Merchant Taylors qui le font replacer à la tête de leur école. Elle lui permet aussi de ne pas être inquiété quand sort de ses presses en 1652 le Catéchisme de Rakow, en latin, écrit d'inspiration socinienne, jugé si hétérodoxe que la Chambre des communes le fait brûler. Enfin c'est en juin 1650 qu'il commence à publier un hebdomadaire en français : Nouvelles ordinaires de Londres, manifestement inspiré par le souci de servir le Conseil d'Etat et le besoin de propagande de Cromwell à l'intérieur et à l'extérieur. Son activité est importante : il est à la fois journaliste, écrivain, pédagogue et directeur d'une grande école qu'il développe si bien que la Compagnie des tailleurs qui le patronne lui reproche de prendre trop d'élèves et ne voit pas d'un bon œil ses activités d'imprimerie. Il prépare lui-même des manuels scolaires en anglais, latin, grec, dont certains eurent de nombreuses réimpressions après sa mort. A la Restauration, la Compagnie des tailleurs le révoque (juin 1661), mais il s'empresse de rouvrir une école privée à Coleman Street, qui a bientôt deux cents élèves.

Il meurt donc en pleine réussite et prospérité à la fin de 1662, à cinquante-six ans. Il habitait Newington Butts, banlieue campagnarde au nord de Londres.

4. Situation de fortune

Si son grand-père pasteur réfugié, eut une existence modeste, à la seconde génération son père et ses oncles, tous membres du clergé anglican étaient confortablement installés dans de bonnes prébendes. Lui-même, seul laïc de la famille, comme directeur de plusieurs écoles, toutes florissantes, et imprimeur - ses presses saisies en 1649 valaient l'importante somme de 1000 £ -, était un homme riche. En témoigne encore le fait qu'en 1660, il se porte garant pour un ami et donne une caution de 5000 £ sterling, soit 65 000 £ tournois environ à l'époque. Bien qu'il ait traversé une période difficile, pris des positions politiques exposées, subi la persécution et la prison, il laissait à sa mort des biens importants (testament conservé : cf. Plomer, p. 67).

5. Opinions

D., élevé dans un milieu fort anglican et traditionaliste, doit sans doute aux circonstances historiques, mais aussi à sa personnalité courageuse et indépendante, une carrière mouvementée. Son refus d'entrer dans la prêtrise anglicane, malgré l'exemple de toute sa famille ecclésiastique, montre déjà qu'il s'en distancie ; sa carrière d'enseignant, réussie, mais non sans heurts successifs, suggère aussi une indépendance d'esprit croissante. Le fait qu'à l'encontre des siens il s'est mis à écrire son nom à la française, en deux mots, avec le prénom de Guillaume au lieu de William, indique un retour bien réfléchi à ses racines huguenotes après son arrivée à Londres, en 1644, en pleine guerre civile. Or la majorité des huguenots y appuyait avec enthousiasme la cause du Parlement, comme presque tous les marchands de la cité. L'absence de D. dans les registres des églises huguenotes où figurent d'autres Dugard, n'est pas étonnante : le directeur d'une école importante ne pouvait afficher une appartenance non anglicane, étant tenu d'y résider et d'y présider des services orthodoxes journaliers, mais rien ne l'empêchait de voir des intellectuels huguenots moins fondamentalistes que certains de leurs pasteurs. Ni même d'aller discrètement dans quelques-uns des conventionnels plus radicaux qui essaimaient alors à Londres, ce que suggèrent certaines de ses publications après 1650. Il semble bien avoir trouvé le milieu capable de l'émanciper des traditions anglaises et de le porter en avant, religieusement et politiquement parlant, vers un nouveau credo ; notons d'ailleurs qu'il a toujours travaillé dans la moitié est de l'Angleterre, plus dissidente et non-conformiste que l'ouest où vivait sa famille en majorité. C'est bien un « latitudinaire » avant la lettre, qui n'a pourtant pas rompu avec les siens.

Royaliste jusqu'en 1643, il inscrit dans son registre d'élèves des vers grecs en l'honneur de Charles Ier, compensés par deux autres morceaux sur l'enterrement de la mère de Cromwell, lors de sa nomination à Merchant Taylor's School. Il y installe très vite une presse privée, se fait enregistrer comme imprimeur-éditeur par le Stationers' Company (sept. 1648) et édite d'abord un manuel scolaire : Rhetoricae Elementa. L'apparition en 1649 de son édition de Eikon basilike, défense personnelle supposée du roi décapité, avec le texte du grand érudit Saumaise à l'appui, ne manifeste pas forcément une prise de position royaliste mais le besoin de transmettre au public toutes les pièces politiques importantes. L'épisode des sanctions brèves : saisie, prison, destitution de son école puis réhabilitation rapide, invite à des recherches supplémentaires. On sait peu de chose sur son amitié pour John Milton, «secrétaire latin» du Conseil et sur les bons offices de celui-ci, mais on peut penser que comme D. figurait déjà parmi 1'«intelligentsia» classicisante de Londres, leur fréquentation était antérieure. Son revirement apparent après son élargissement et la gratification du titre d'« imprimeur du Conseil d'Etat», soulève la question de sa sincérité et de son désintéressement. Dut-il payer cette faveur en s'engageant à traduire et imprimer en français la riposte fameuse de Milton à Saumaise, comme à lancer ensuite ses Nouvelles ordinaires au service de Cromwell ? Hypothèse peu conforme au caractère de celui qui ose jeter sur le marché en 1652 le Catéchisme de Rakow, en anglais, credo des sociniens polonais (qu'on regardait comme des monstres d'impiété) que d'autres n'osaient pas imprimer. Et pour cause, car la Chambre des communes en ordonna promptement la destruction, sans que le Conseil inquiétât l'imprimeur, Cromwell ayant toujours été favorable aux Indépendants. Il semble donc préférable de croire chez D. à une évolution sincère, sans doute accélérée par son emprisonnement : il fait confiance au Commonwealth et maintint pendant dix ans un journal pro-gouvernemental, pour l'arrêter brusquement à la Restauration.

Une autre preuve de sa sincérité se trouve dans la caution fort élevée de 5000 £ sterling qu'il fournit en 1660 pour l'écrivain libéral Sir James Harrington, auteur de l'utopie critique Oceana, lorsque la Restauration voulait lui intenter un procès. Risquer de perdre une grosse partie de sa fortune et s'associer avec un homme mal vu des autorités n'est pas le geste d'un homme sans convictions. Ajoutons qu'il refusa d'obéir aux directives réitérées des gouverneurs de son école qui n'aimaient pas ses activités d'imprimeur, avec, sans doute l'appui gouvernemental, car son nom figure chaque année jusqu'à sa mort sur les listes de livres nouveaux. La plupart des siens sont des classiques pour les écoles, mais on trouve d'autres choix surprenants, en plus du traité socinien : l'utopie Arcadia, et d'autres ouvrages critiques de Sir Philip Sidney, et trois volumes in-40 des Propos de table de Martin Luther, - risque commercial certain ! - où il semble chercher plus l'influence que le bénéfice. L'historien d'imprimeurs britanniques, Plomer, ne sait quelle part il y eut «de ses mains», mais lui accorde d'avoir égalé les meilleurs de l'époque pour la qualité et la variété des caractères employés dans ses impressions. Soulignons enfin chez lui comme moteur central de sa vie le besoin constant d'agir sur les esprits par le double moyen de l'école et du livre à visée pédagogique où s'inscrit bien une activité de journaliste.

6. Activités journalistiques

De juin 1650 à juin 1660, D. est l'imprimeur et sans doute le rédacteur, en tout cas le responsable des Nouvelles ordinaires de Londres (D.P.1 1053), feuille de nouvelles paraissant le jeudi. Comme il a le titre de « Printer of the Council of State», il semble bien que son journal ait été officiellement soutenu et contrôlé. Les historiens (Ascoli, C. Bastide, J.B. Williams et J. Frank) qui s'en sont occupés, soulignent l'aspect politique de ce journal destiné à la propagande pour le Commonwealth.

Ce que nous savons de la vie même de D. à cette époque nous invite à penser qu'il fut lui-même personnellement engagé dans cette publication qu'il commença, aussitôt libéré de prison. Mais fût-ce par ordre d'en-haut, ou par zèle et conviction personnelle, aucun document ne le révèle directement. Et pas davantage la lecture attentive du journal qui pendant dix ans donne toutes les semaines sur quatre pages in-40 des nouvelles d'Angleterre, d'abord, mais aussi d'autres pays. Le ton est en général fort mesuré et fort neutre. Nous ne savons rien sur la diffusion et la réception des Nouvelles. Mais nous savons pour l'avoir comparé avec la presse anglaise de l'époque qu'il s'agit d'un journal rédigé et non traduit.

La fin de la participation de D. intervient en 1660. Les Nouvelles s'interrompent au n° 525 et reparaissent trois semaines plus tard chez un autre imprimeur, expliquant : «Nous avons été obligés d'interrompre le cours ordinaire de nos relations par le caprice et la mauvaise humeur de l'imprimeur». Ce qui désigne D., dont les 524 numéros précédents indiquaient le nom comme imprimeur. L'explication psychologique sommaire alléguée pourrait bien recouvrir une crise de conscience d'un homme qui a été dix ans l'apôtre de la République et qui accepte mal la Restauration, dont il pouvait aussi craindre des ennuis personnels analogues à ceux qu'il avait connus lors du premier renversement politique. La reprise de 1660 fut éphémère (3 numéros seulement chez le nouvel imprimeur) ; le journal fut repris une seconde fois par l'imprimeur royaliste Brown, revenu de Hollande, mais avec une publication très irrégulière (40 numéros seulement jusqu'en 1663).

Enfin il faut noter ce que dit J.B. Williams : «Nouvelles ordinaires had, next to the still existing Gazette, the longest life of any seventeenth century journal».

7. Publications diverses

A part les manuels scolaires : Rudiments of Graeca Lingua (1656), Vestibulum Linguae Latinœ (1656), Lexicon Graeci Testamenti (1660), etc., que signa cet humaniste de haut niveau universitaire, il est difficile de découvrir la part qui lui revient dans les livres qui sortirent de ses presses. On lui attribue généralement la version française de Eikonoklastes de Milton. A quoi s'ajoute peut-être la traduction ou la rédaction des nouvelles qu'il publie chaque semaine.

8. D.N.B. – Plomer H.R., Dictionary of booksellers and printers in London (1647-1667), Londres, 1907, p. 67-68. – Ascoli F., La Grande-Bretagne devant l'opinion française au XVIIe siècle, Paris, Gamber, 1927. – Bastide C, Anglais et Français au XVIIe siècle, Paris, Alcan, 1912. – Frank J., The Beginning of the English newspapers (1620-1660), Harvard U.P., 1961. – Stow J., Survey of London, London, J. Wolfe, 1598, t. I. – Williams J.B., History of English journalism to the foundation of the Gazette, London, 1908. – Wilson J., Merchant Taylor's School. – Wood A., Athenae Oxonienses, London, T. Bennet, 1691, t. II, p. 178. – Registers of the French church of Threadneedle Str., London, Huguenot Society, 1.1. – Registres de l'Eglise wallonne de Southampton, Huguenot Society, 1890, t. IV. – Darier J.M., La Politique extérieure de l'Angleterre de Cromwell à travers les «Nouvelles ordinaires de Londres», thèse dact, U. de Grenoble II, 1997, 3 vol.