COSTE D'ARNOBAT
Numéro
Prénom
Naissance
Décès
1. État-civil
Pierre Nicolas (et non Charles Pierre) Coste d'Arnobat est né à Bayonne le 22 août 1731. Il est le fils de Jean Noël Coste, «bourgeois et marchand», et de Gracieuse Darius (a), apparentée à la noblesse (d). Il a un neveu, Pierre François Lambert Lamoureux de La Genetière, qui meurt général de division, gouverneur de la Guyane française, le 11 messidor an IV (e).
Atteint, depuis 1788 environ, de la goutte, qui lui rend difficile l'usage de ses jambes et le retient parfois dans son lit des semaines ou des mois entiers (d), il meurt «vers 1810» selon A.A. Barbier.
3. Carrière
Ayant sans doute achevé ses études et peut-être accompli un voyage dans la Navarre espagnole, il quitte Bayonne pour Paris où il mène une vie de divertissement, fréquentant avec assiduité les spectacles de la comédie et de l'opéra ; ce qui lui donne l'occasion de composer son premier écrit, qui est une critique de la Lettre sur la musique française de JJ. Rousseau : Doutes d'un pyrrhonien proposés amicalement à J.J. Rousseau, 1753.
Le 20 septembre 1756, il entre comme écuyer dans la Gendarmerie de la garde du Roi. Le 2 janvier 1767, il demande son congé pour passer, dit-il (e), comme lieutenant-colonel dans un régiment espagnol qui doit être levé pour le service de la France. Dans une notice et un Mémoire datés du 22 thermidor an V et adressés au ministre de la Guerre (ibid.), il prétend que, cette levée n'ayant pas eu lieu, il est rentré aux Gendarmes du Roi et y est resté jusqu'en 1775 (date de la première réforme de ce corps). Il affirme en outre avoir été^apitaine de dragons dans la légion de Nassau le 20 décembre 1778 jusqu'à la réforme de ce corps 18 mois après sa formation, et avoir été nommé, le 20 janvier 1785, lieutenant-colonel dans la légion du Rhingrave de Salm Kirbourg pour la première révolution de Hollande. Mais le nom de Coste d'Arnobat ne figure plus sur les contrôles de la Gendarmerie du Roi à partir du 7 janvier 1767 et rien dans les documents de la légion de Nassau et de celle du Rhingrave de Salm ne permet de confirmer les assertions de C. qui peuvent être d'autant plus suspectées qu'il les avance alors qu'il demande son admission aux Invalides et cherche à faire état du plus grand nombre d'années de service (40 ans), sans cependant apporter de preuves formelles (celles-ci auraient été, à l'en croire, perdues au cours des troubles de la Révolution). De toute façon, même quand il est gendarme du Roi, C. ne semble guère se préoccuper du service et continue à s'intéresser au théâtre puisqu'il publie en 1757 une Lettre sur le spectacle du chevalier Servandoni. Vers 1760-1761, ayant renoué avec des Bayonnais, amis d'enfance et d'éducation (dont le chevalier de Bruix), il se livre aux intrigues et aux affaires - sans oublier les plaisirs (il a comme maîtresses la Gauthier et la Desandre chez qui il se rend souvent «rue Neuve du Château Bourbon près l'abbaye Saint-Germain») (b). Avec ses compatriotes, en effet, il se lance dans une entreprise de chimie ou d'alchimie, dirigée par un certain M. de Langlade. En juin 1764, il loue en son nom une maison à Lay (ou L'Hay) près le Bourg-la-Reine dont il renouvelle pour trois ans le bail en juin 1765 et où il s'installe avec le chevalier de Bruix, le frère de celui-ci, M. de Langlade. Mais lui et ses amis, pour subvenir à leurs besoins –qui sont grands– et mener à bien une entreprise dont ils déclarent attendre beaucoup, se couvrent de dettes et notamment auprès d'un marchand épicier, A. Sauvel, établi rue Neuve des Petits Champs, qui finit par porter plainte en avril 1766. L'affaire, d'abord objet d'une tentative d'arbitrage confiée par M. de Sartine au fils de l'avocat général Joly de Fleury, tend à apparaître comme une véritable affaire d'escroquerie et contraint C, bien que les ordres d'arrestation et d'emprisonnement donnés par le Roi le Ier septembre 1766 ne semblent pas le viser personnellement, à s'enfuir à l'étranger avec les frères Bruix. Il se réfugie à Bruxelles et il est possible qu'il ait alors visité la Hollande. Il a dû rentrer en France au plus tard en avril 1770, date à laquelle les frères Bruix ont pu regagner le royaume.
Après avoir publié, en 1769, des Observations sur la poétique française et, en 1775, la traduction de deux Nouvelles exemplaires de Cervantes (sous la responsabilité de Lefebvre de Villebrune), C. délaisse la littérature pendant une douzaine d'années et se consacre à diverses affaires d'ordre commercial et économique (c). En 1776, il importe le premier en France la rhubarbe de la Tartarie chinoise. Il fait venir un Alsacien nommé d'Ambach qui a pratiqué des essais de cette culture dans le Palatinat et sous le nom duquel il obtient, le 6 janvier 1777, le privilège exclusif pour trente années de transplanter, cultiver, préparer dans toute l'étendue de la France la rhubarbe de la Tartarie chinoise dite Palmata (Rheum Palmatum de Linné). Le gouvernement lui promet des terrains des domaines du Roi pour y monter son établissement en grand et le dédommager des dépenses faites et à faire. Quoique d'Ambach se révèle un gérant peu fidèle et finisse par prendre la fuite par crainte des suites du procès que lui a intenté C, la plantation réussit et, en 1792, se trouve à Lay «en pleine activité». En mars 1792, C. demande au ministre de l'Intérieur la conversion du privilège en brevet d'invention, ne manquant pas d'insister sur les avantages de son entreprise pour l'agriculture, la médecine, l'art vétérinaire, le commerce, et de rappeler qu'il sollicite en vain depuis 14 ans la concession promise de terrains. Le 31 mars, il apprend que la faculté de prendre un brevet lui est accordée. Comme, d'autre part, le terrain de Lay vient d'être vendu et doit être abandonné en avril, C. demande également que lui soient accordés pour un an 4 ou 5 arpents de terre afin de semer et de ne pas perdre une récolte. Mais, le 23 avril, il se heurte à un refus. Cependant il n'a pas dû renoncer puisqu'en juin 1794, la culture est établie sur «un vaste terrain».
Par ailleurs, C. est en relation avec Frédéric III de Salm Kirbourg (qui a, du reste, un intérêt dans la plantation de rhubarbe) à propos de l'affaire du canal de Provins. Aux alentours de 1784-1785, il se rend à Londres, jouant le rôle d'intervenant dans le procès qui oppose le prince à un banquier londonien.
A la suite du décret de la Convention qui éloigne les nobles de Paris, C, qui habite depuis 10 ans rue et enclos du Temple n° 21 et a publié diverses brochures en faveur de la Révolution, se retire à Saint-Mandé (d). Des bruits malveillants courent, en effet, au sein de sa Section du Temple, selon lesquels il est noble. De Saint-Mandé, il adresse un Mémoire au Comité de Salut public et deux lettres à Barère, sollicitant la liberté de rentrer. Il obtient l'autorisation le 27 floréal an II, revient à Paris, se présente devant le Comité révolutionnaire de sa Section pour y faire viser sa réquisition. Mais voici qu'un ordre du Comité de Salut public, en date du 14 prairial an II, la rapporte. Mis aussitôt (le 15 prairial) en état d'arrestation, transporté au corps de garde, accusé d'être noble et suspect (en particulier à cause de ses relations avec le prince de Salm), C. est écroué, le 19 prairial, dans la maison d'arrêt «aux Bénédictins Anglais près l'Observatoire». Il comparaît devant le Comité de Surveillance de la Section du Temple le 23 thermidor et, le 25, est libéré grâce à un «certificat de patriotisme» qu'a délivré le Conventionnel Louis Stanislas Fréron.
En l'an V, il est domicilié au «ci-devant couvent des filles du Saint-Sacrement faubourg Germain rue Cassette» (e). Il demande, le 22 thermidor, son admission aux Invalides (sa demande, renouvelée le 13 vendémiaire et le 12 brumaire, est appuyée par deux attestations en sa faveur, l'une d'un membre du Conseil des Cinq-Cents, l'autre d'un membre du Conseil des Anciens). Bien qu'il n'ait pas participé aux « guerres de la liberté » et qu'il n'ait aucune pièce justificative, il est admis comme chef de bataillon le 12 brumaire an VI. Il jouit de la pension attachée à son grade hors de l'Hôtel, mais, comme un règlement exige ensuite que les pensionnés rentrent obligatoirement à l'Hôtel, il donne sa démission et est rayé des registres le 18 juillet 1807. Il est alors installé au petit hôtel de Genève, rue du Petit Lion Saint Sulpice n° 6. Dix mois plus tard, il sollicite sa réintégration et prétend qu'il a démissionné parce qu'«impotent et paralytique» et, que démuni de tout, il a été dans l'impossibilité de se rendre à l'Hôtel. Il est réadmis le 1er avril 1808 grâce à la recommandation et la protection de la reine de Naples qui l'a pris en pitié. Mais, comme il n'a pas d'argent pour régler ses dettes et ses frais de transport, il n'a peut-être pas pu bénéficier de cette réintégration.
4. Situation de fortune
C. a connu des difficultés d'argent qui ont été croissantes. En 1766, il est présenté comme «sans bien apparent», couvert de dettes (il a d'ailleurs été emprisonné au Petit Châtelet, mais en est sorti presque aussitôt: (b)) et il semble bien qu'il n'ait pas hésité, pour trouver de l'argent, à recourir à des moyens plus ou moins reprehensibles, comme le montre l'affaire Sauvel. Lui et les frères Bruix, même s'ils ont reconnu leurs dettes par des billets à ordre, ont manifestement abusé de la naïveté et de la confiance du marchand épicier - qui a été jusqu'à se porter caution des meubles de la maison de Lay. Ont-ils vraiment voulu, comme ils le prétendent lorsque sont engagées les poursuites judiciaires, l'intéresser à leur affaire de chimie et lui faire partager les risques et les bénéfices ? Sauvel, dans sa défense, dénonce cette prétendue association. Quoi qu'il en soit, en 1766, la dette globale s'élève à plus de 30 000 £ dont 2144 ont été personnellement prêtées à C. qui soutenait, sur présentation de lettres fausses, devoir subvenir aux frais d'un riche mariage.
La plantation de rhubarbe a été, d'autre part, la source d'incessants ennuis financiers par suite de l'inexécution des promesses de l'Ancien Régime. C, qui a donné à d'Ambach «un pot de vin énorme» et lui a versé 1000 écus d'appointement par an, déclare, en mars 1792, qu'il a, en quinze ans de travaux et de recherches, dépensé 40 000 écus et contracté d'inévitables dettes (c). Lorsqu'il obtient le brevet d'invention, il ne peut acquitter la moitié de la taxe exigée, c'est-à-dire 812 £. Cependant la Convention Nationale, après avis du Bureau de consultation des arts, reconnaît le montant des sommes engagées, autorise Coste à demander des indemnités et des secours et lui accorde, à titre de provision ou récompense nationale, 9000 £.
Au cours de l'interrogatoire consécutif à son arrestation, il ne cache pas qu'il a encore des dettes. Et comme on lui reproche de vivre d'intrigue, il énumère ses moyens d'existence, faisant état notamment du «produit d'une brûlerie assez considérable à laquelle il est intéressé » et du « produit de ses travaux littéraires» (d), car, depuis 1788-1789, il a repris la plume et, pressé par le besoin, écrit et publie beaucoup.
Après un refus définitif du ministre de l'Intérieur P. Benezech en réponse à une nouvelle réclamation en vue du dédommagement des frais occasionnés par la plantation de rhubarbe, C, qui vient de perdre son neveu le général de La Genetière (son seul soutien), n'a d'autre ressource que les Invalides (e). Quand il obtient sa réintégration, il demande une «modique gratification» en compensation des secours dont la perte des Invalides l'a privé pendant 10 mois. Cette gratification lui est indispensable pour payer son hôtesse et se mettre en état de «se rendre à l'Hôtel pour jamais». Car il est «sans habit, sans linge, sans chauffage, sans ressource pour se procurer sa nourriture ». Mais le ministre de la Guerre rejette sa demande le 29 avril 1808 et C. a dû mourir dans le plus extrême dénuement.
5. Opinions
Originaire de Bayonne, C, qui a sans doute été très tôt en contact avec l'Espagne, manifeste une attention particulière a ce pays, à sa langue (qu'il connaît, même s'il ne semble pas la posséder parfaitement) et sa littérature.
Dès sa première publication en 1753, il paraît lié à Fréron, qui, dans L'Année littéraire (t. I, 1754, p. 264), loue hautement ce «jeune homme de Bayonne» plein de «feu». Il le restera, et nous avons vu qu'il est libéré le 25 thermidor an II sur l'intervention du fils de Fréron. Il est aussi en relation avec Palissot de Montenoy qui, dans ses Mémoires, prétend avoir joué le rôle de conseiller littéraire à propos de la «Réfutation» des «paradoxes littéraires» que Marmontel a « semés avec profusion » dans sa Poétique et à propos de l'Essai sur de prétendues découvertes nouvelles (1803). Ces liaisons d'amitié permettent de situer C. du côté des anti-philosophes. Par ailleurs, C. s'est plu à prendre part aux disputes littéraires et artistiques de son temps, et son œuvre révèle une tendance polémique et satirique : querelles relatives au spectacle (musique française et italienne, rivalités entre actrices), à la poésie.
Dès 1788, il écrit la première de ses trois Lettres adressées aux grands (les deux autres datent du début de 1789), violent pamphlet contre les ordres privilégiés, et ses travaux littéraires ultérieurs le montrent zélé partisan de la Révolution et du gouvernement républicain, travaillant à propager les «bons principes», faisant «valoir avec force, mais sans excès, les droits du Tiers Etat» (Palissot).
6. Activités journalistiques
Peut-être dès décembre 1755, à coup sûr à partir de mars 1756 et au moins jusqu'à mai 1757, C. collabore au Journal étranger (avril 1754-sept. 1762, 45 vol., Paris, in-8°), dirigé, depuis septembre 1755, par Fréron. Il fournit des articles relatifs à la littérature espagnole: présentation, résumés ou extraits d'essais de Feijoo, traductions, ou plutôt libres adaptations de nouvelles (de Juan Perez de Montalban, Maria de Zayas y Sotomayor, etc.), analyses critiques de comédies.
Il reprend une activité journalistique sous la Révolution. C'est lui qui, à ce qu'il prétend (d), a conçu l'idée du Thermomètre de l'opinion publique ou Journal des sections de Paris (par une société de gens de lettres, mars-juillet 1791, n° 1-8, Paris, chez L.P. Couret, in-8°, directeur: Monsieur de Sainte-Agnès), et qui l'a rédigé seul. Selon le Prospectus, il s'agit de rendre compte de ce qui se passe dans les 48 Sections de Paris (motions, arrêtés, discours) afin de «faire voir» l'opinion publique telle qu'elle est. C. nous apprend (d) que l'extrait des séances, paraphé par le Président et le secrétaire de chaque Section, était envoyé au Bureau du journal. Mais, comme la correspondance devenait trop volumineuse, il ne put assumer seul une tâche si lourde et dut abandonner malgré lui et en dépit du projet d'étendre le Journal à «tous les départements, directoires et districts du royaume» (n° 4).
7. Publications diverses
Voir Cior 18, n° 21276-21290. Ajouter: Mémoires de Marie-Françoise Dumesnil, éd. revue et augmentée, Paris, 1823 et 1829 (B.L. et Catalogue de la Bibliothèque du Congrès). – Diverses brochures parues anonymement, dictées par les circonstances et animées d'un esprit patriotique : Les Trois Bossus (de concert avec L.S. Fréron), Les Crimes des Princes lorrains, Observations sur la séance de Necker à l'Hôtel de ville, Avis aux Patriotes, aux volontaires sur la scélératesse des Autrichiens à la guerre, etc. (d). – Des mémoires utiles: sur le feu grégeois (envoyé à Louis XV, puis aux Assemblées révolutionnaires), sur l'Espagne et le Bilan de la Maison d'Autriche (envoyés également aux Assemblées par l'entremise de Fouché) (d). – Selon Palissot (Mémoires), Coste aurait traduit de l'anglais le Voyage du Commodore Byron autour du monde (cf. Premier Voyage de M. Byron à la mer du sud [...] avec un extrait du second Voyage autour du monde, ouvrage traduit de l'anglais par le Cen Cantwel, Paris, an VIII).
8. Bibliographie
F.L. 1769 : Ersch, t.1 et Second Supplément ; B.Un. ; D.B.F. ; D.L.F. – Biographie des hommes vivants, 1817. – (a) A.M. Bayonne, reg. par., GG. 75. – (b) Archives de la Bastille, 12272 f° 153-263. – (c) Archives du Ministère de l'Intérieur, F1 7(A) 1136, dossier n° 31 (A.N.). – (d) Police générale F7 4654 (A.N.). – (e) Service historique de l'Armée, dossier Coste d'Arnobat (Château de Vincennes). – Barbier A., Examen critique et complément des dictionnaires historiques, Paris, 1820, p. 221-222. – Palissot de Montenoy C, Mémoires pour servir à l'histoire de notre littérature depuis François Ier jusqu'à nos jours, Paris, 1803,1.1, p. 216-219. – Pagard R., «Une curieuse figure d'hispanisant français: Coste d'Arnobat», R.L.C., t. XXXII, 1958, p. 556-565. – GranderouteR., «Quand Coste d'Arnobat répond à Jean Jacques Rousseau», Cahiers de l'Université de Pau, n° 16, p. 57-70.
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