CHAMFORT

Numéro

161

Prénom

Sébastien

Naissance

1740

Décès

1794

1. État-civil

Sébastien Roch Nicolas, qui prendra, à son entrée dans le monde, le nom de Chamfort, est né à Clermont-Ferrand en 1740 de parents inconnus. Un acte de naissance retrouvé dans ses papiers et daté du 6 avril 1740 lui donne pour parents François Nicolas, marchand épicier, et Thérèse Croizet (née vers 1700, morte le 25 juin 1784) ; mais celle-ci ne fut sans doute que sa mère adoptive. Un autre acte de naissance, reconnu par Chamfort et daté du 22 juin 1740, le nomme «Sébastien Roch», né de «parents inconnus» ; peut-être était-il le fils naturel d'un chanoine et de Françoise de Cisternes de Vinzelles (Chamfort R, p. 25). Chamfort est mort le 24 germinal an II (13 avril 1794).

2. Formation

Il est envoyé, probablement dès 1745, au collège des Grassins à Paris. A l'issue de brillantes études, il prend le petit collet mais refuse de se faire prêtre. Il devient précepteur dans plusieurs familles et en particulier chez le comte de van Eyck dont il élève le neveu ; cette tâche lui vaut de voyager en Allemagne. En juin 1761, il quitte la famille van Eyck et revient en France.

3. Carrière

Il débute sur la scène par La Jeune Indienne, représentée à la Comédie-Française le 30 avril 1764 sans grand succès. Il concourt pour différents prix littéraires, adresse à l'Académie d'Amiens un discours sur le sujet : «Combien les lettres sont utiles». L'«Epître d'un père à son fils» est couronnée en 1764 ; le «Poème sur la délivrance de Salerne» remporte le prix à Rouen en 1765 ; l'Académie de Marseille couronne en 1767 son discours : «Combien le génie des grands écrivains influe sur l'esprit de leur siècle». L'«Eloge de Molière» lui vaut en 1769 le prix d'éloquence de l'Académie et un véritable succès ; l'«Eloge de La Fontaine» sera couronné par l'Académie de Marseille en 1774. Le 26 janvier 1770, il fait jouer Le Marchand de Smyrne, qui connaît un certain succès. Chamfort envisage à cette époque, sur l'invitation du baron de Breteuil, une carrière diplomatique, mais doit y renoncer pour raison de santé (M.S., 28 janv. 1771). Il est accueilli à Auteuil par Mme Helvétius (1774), puis par le comte et la comtesse d'Angivillers (1776). Le succès de Mustapha et Zéangir, représenté le 1er novembre 1776 devant le Roi et la Reine lui vaut une pension ; le prince de Condé lui offre la place de secrétaire des commandements et le loge au Palais-Bourbon ; mais Chamfort, jaloux de sa liberté, se démet de ses fonctions en 1777. En 1779-1780, il se retire à Auteuil par dégoût de la vie parisienne. Il rencontre vers cette époque Marie Anne Buffon à qui il voue une amitié passionnée ; il se retire chez elle, à Vaudouleurs, près d'Etampes, mais elle meurt le 28 août 1783, âgée d'environ cinquante-cinq ans. En septembre 1784, il est nommé secrétaire du cabinet de Mademoiselle Elisabeth, soeur du Roi ; il loge chez son ami, le comte de Vaudreuil. Il était entré à l'Académie le 5 avril 1781, il en devient le chancelier en 1786. Il est à cette époque l'ami intime de Mirabeau dont il est à la fois le confident et le conseiller littéraire (R, p. 30). Dès le début de la Révolution, il collabore avec lui ; ils fondent ensemble la «Société de 1789». En 1791, Chamfort collabore aux Tableaux de la Révolution de Claude Fauchet ; il aurait fourni treize livraisons de deux «tableaux». En 1792, il est nommé administrateur de la Bibliothèque Nationale par Roland, ministre de l'lntérieur. En mai 1793, il est dénoncé par Tobiesen-Duby, employé au Département des Estampes ; il est interrogé puis, en août, incarcéré aux Madelonnettes. Dénoncé de nouveau par Tobiesen le 6 septembre, il donne sa démission et tente de se suicider le 14 novembre (R, p. 32-33). Soigné par ses amis, il recouvre la liberté le 28 janvier 1794, mais succombe le 13 avril 1794, victime, semble-t-il, d'une erreur médicale.

4. Situation de fortune

Né pauvre, Chamfort doit d'abord vivre de sa plume ; il travaille successivement pour le libraire Lacombe (Dictionnaire dramatique de La Porte en 1774) puis pour Panckoucke. En 1776, il reçoit une pension de 1200 £. sur les «Menus», puis une pension de 2000 £ du prince de Condé. Il est alors tout prêt d'atteindre au «périgée» de la fortune pour un homme de lettres : 4 ou 5000 £ de rente (Lettre à ..., vers 1780, éd. Dagen, p. 371), mais ce revenu ne lui permet pas de se soutenir dans le monde qu'il fréquente, d'où sa «retraite subite» à la fin de 1779. En 1784, il est payé 2000 £ comme secrétaire de Madame Elisabeth. En 1786, il reçoit une pension de 2000 £ sur le Trésor royal.

5. Opinions

Après la représentation de la Jeune Indienne, il fait la connaissance de Voltaire – qui l'invite peut-être à Ferney –, de Marmontel, Duclos, Thomas, Delille, Diderot. Aux eaux de Barèges, en 1774, il se lie avec Mme de Gramont et Mme de Choiseul. Il fréquente surtout Mme Helvétius, Mme Saurin, Mme Agasse qui lui resteront fidèles. Il fut très lié à Mirabeau, puis à Sieyès, Condorcet, Brissot, Cabanis.

6. Activités journalistiques

La collaboration de Chamfort au Journal Encyclopédique, naguère défendue par G. Charlier et R. Mortier dans Le « Journal encyclopédique ».(1756-1794) : une suite de l' « Encyclopédie ». (Bruxelles, Paris, 1952) est aujourd'hui remise en question. Cette thèse est démentie à plusieurs reprises par Pierre Rousseau, le fondateur du journal. Le «M. de C…» dont il est question (J.E., 1er mai 1763), n'est autre que Jean Castilhon. P. Rousseau écrit (J.E., 15 févr. 1767, p. 61) : «depuis cinq ans il n'y a que M.J. Castilhon et nous qui travaillons à ce Journal auquel n'a aucune part M. Prévost que les lexicographes annoncent comme un des Auteurs de cet ouvrage périodique». Et le 1er janvier 1774, p. 172 : «En 1756, MM. Morand et Prévost de La Caussade étaient à Paris les seuls correspondants de ce Journal [...] ; un an après M. de Méhégan fut chargé seul de la correspondance jusqu'en 1763». Ces textes donnent raison à Francotte et Kintziger, qui croyaient à la collaboration de Castilhon (Essai historique sur la propagande des Encyclopédistes français dans la principauté de Liège, Bruxelles, 1880).[Renseignements communiqués par P. Matthieu].

Dans l'Almanach des Muses (D.P.1 80), ont été publiés sous le nom de Chamfort : «Couplet chanté devant le roi de Danemark» (1769, p. 92) ; «Le rendez-vous inutile, conte en vers» (1769, p. 35-38) ; «Vers mis au bas d'un portrait de Mirabeau» (1791) ; «Vers à mettre au bas du portrait d'Alembert» (1797, p. 202) ; «Epître à M...» (1797, p. 171-174, pièce datée de 1780) ; «Le Chapelier, conte en vers» (1786, p. 232) ; «Calcul patriotique» (1790, p. 19-20 et 1797, p. 5) ; «L'amour de la campagne» (1790, p. 205-206) ; «Sur un mari » (1797, p. 42) ; «Epigramme» (1797, p. 58) ; «Contre un oncle avare» (1797, p. 113) ; «Autre imitation» (1799, p. 199) ; «Vers mis au bas du portrait de Mlle Sophie Arnould» (1801, p. 184) ; «Vers à M... » (1807, p. 186).

Chamfort a publié ou laissé publier dans la C.L. de nombreuses pièces fugitives : bouts-rimés, épîtres, épigrammes, poèmes, anecdotes, contes. On en trouvera la liste dans U. Kölving et J. Carriat, Inventaire de la correspondance littéraire de Grimm et Meister, S.V.E.C., 225-227, 1984, t. III, p.248.

En 1778, Panckoucke reprend le Mercure et propose à Chamfort de tenir la chronique des spectacles : Chamfort refuse (Lettre à M. Panckoucke, éd. Dagen, p. 369-370). Il y entrera en janvier 1790 et y publiera, jusqu'au 26 novembre 1791, quarante-huit articles : «Relation d'une expédition à la Baie Botanique», c.r., janv. 1790, p. 67-72 ; «Suite du Comte de St. Méran», 16 janv. 1790, p. 127-130 ; «Plan d'établissement [...] pour élever les enfants trouvés...», 16 janv. 1790, p. 130-131 ; «Motifs essentiels de détermination pour les classes privilégiées», 16 janv. 1790, p. 132-133 ; «La proposition n'est pas neuve», 23 janv. 1790, p. 170-174 ; «Situation politique de la France», c.r., 30 janv. 1790, p. 203-208 ; «Voeux d'une solitaire», 6 fév. 1790 ; «Voyage de M. Le Vaillant», c.r., 20 mars 1790, p. 57-58 ; «Le réveil d'Epiménide à Paris», c.r., mars 1790 ; «Pétition des Juifs», c.r., 27 mars 1790, p. 115-119 ; «Mémoires du Maréchal de Richelieu», c.r., 17 avr. 1790, p. 113-135, 24 avr. 1790, p. 156-179 ; «Despotisme des ministres de France», c.r., 22 mai 1790, p. 133-139 ; «La Constitution vengée», c.r., 19 juin 1790, p. 106-111 ; «Adresse des habitants», c.r., 17 juil. 1790, p. 105-113 ; «Observations sur les hôpitaux», c.r., 17 juil. 1790, p. 121-126 ; «Du massacre de la Saint Barthélémy», c.r., 24 juil. 1790, p. 146-155 ; «Mémoires sur l'administration de la Marine», c.r., 31 juil. 1790, p. 191-196 ; «Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations», c.r., 31 juil. 1790, p. 196-198 ; «Essai sur les aides», c.r., 31 juil. 1790, p. 200-202 ; «Les inconvénients du célibat des prêtres», c.r., 14 août 1790, p. 56-66 ; «Le décret de l'Assemblée Nationale sur les biens du Clergé», c.r., 14 août 1790, p. 66-68 ; «Essai sur les réformes à faire dans notre procédure criminelle», c.r., 28 août 1790, p. 129-138 ; «Exposé de la Révolution de Liège en 1789», c.r., 11 sept. 1790, p. 58-73 ; «Véritable origine des biens ecclésiastiques...», c.r., 11 sept. 1790, p. 58-73 ; «Palladium de la Constitution politique», c.r., 2 oct. 1790, p. 35-46 ; «Mémoires secrets de Robert, comte de Paradès», c.r., 9 oct. 1790, p. 62-70 ; «Lettre d'un Grand-Vicaire à un évêque», c.r., 9 oct. 1790, p. 71-76 ; «Essai sur la mendicité», c.r., 16 oct. 1790, p. 92-106 ; «Prônes civiques, ou le Pasteur patriotique», c.r., 20 nov. 1790 ; «Collection abrégée des voyages faits autour du monde», c.r., 27 nov. 1790, p. 142-144 ; «Motifs et plan d'établissement dans l'hôpital de la Salpêtrière d'un séminaire de médecine», c.r., 4 déc. 1790, p. 37 ; «L'élève de la nature», c.r., 4 déc. 1790, p. 37 ; «Histoire de la Sorbonne, dans laquelle on voit l'influence de la théologie sur l'ordre social», c.r., 11 déc. 1790, p. 54-57 ; «Mémoires secrets sur les règnes de Louis XIV et de Louis XV», c.r., 11 déc. 1790, p. 78-79 ; «Histoire du très honorable Docteur Castelford», c.r., 5 févr. 1791, p. 36-40 ; «Antiquités nationales», c.r., 12 févr. 1791, p. 69-76 ; «Observations faites dans les Pyrénées», c.r., 19 mars 1791, p. 93-104 ; «Vie privée du maréchal de Richelieu», c.r., 2 avril 1791, p. 26-46 ; 9 avril 1791, p. 53-83 ; 16 avril 1791, p. 100-120 ; «Lettres sur les Confessions de J.J. Rousseau», c.r., 11 juin 1791, p. 56-62 ; «Mémoires sur la vie privée de Benjamin Franklin», c.r., 15 juin 1791, p. 127-136 ; «Mémoires secrets des règnes de Louis XIV et de Louis XV», 3e éd., c.r., 2 juil. 1791, p. 31-43 ; «La Police dévoilée», c.r., 23 juil. 1791, p. 128-137 ; «De l'autorité de Rabelais dans la Révolution présente», c.r., 23 juil. 1791, p. 147-149 ; «Nouveaux voyages dans les Etats Unis de l'Amérique septentrionale», c.r., 13 août 1791, p. 55-68 ; «Voyage en Italie, ou les Considérations sur l'Italie», c.r., 3 sept. 1791, p. 36-46 ; «Discussions importantes débattues au parlement d'Angleterre», c.r., 24 sept. 1791, p. 135-143 ; «Voyages et Mémoires de Maurice, comte de Benyowski», c.r., 15 oct. 1791, p. 91-105 ; «Les Ruines, ou Méditations sur les révolutions des empires», 12 nov. 1791, p. 43-62 ; «Eloge historique de Louis-Joseph-Stanislas le Féron», c.r., 26 nov. 1791, p. 116-122.

Au début de la Révolution, Chamfort a sans doute collaboré avec Mirabeau, Dumont, Clavière, Lamourette, à La Feuille villageoise, et au Courrier de Provence, mais ces contributions sont anonymes. En avril 1792, Dumouriez lui confie la rédaction de la Gazette de France ; les articles ne sont pas signés, mais on peut lire en note à cette date : «On s'adressera [...] pour tous les avis, livres, gravures, annonces, etc. qui concernent la rédaction à M. Chamfort de l'Académie Française, rue Neuve des Petits Champs n° 83». Chamfort démissionne le 17 juin 1792 ; dans une lettre adressée au Directeur général de la gazette, il donne ses raisons : «A peine puis-je voir deux ou trois fois par semaine, à notre rendez-vous, la matière première qui doit servir à la Gazette du lendemain, et il ne faut pas espérer que je puisse voir une seule épreuve tant que l'état actuel subsistera. La tenue des bureaux est dans le même désordre : point d'entente, point d'intelligence et, par conséquent, point de service ou un service négligent» (lettre du 13 juin 1792 : C.). Il publie les causes de sa démission dans la Gazette nationale du 18 juin 1792 (voir également les lettres du 12 août 1792 publiées dans les Oeuvres complètes, t. V, p. 320).

A la fin de sa vie, il met au point le projet d'un journal qui eût vraiment convenu à sa pensée ; c'est la Décade philosophique, que va fonder Ginguené et dont le premier numéro paraîtra en 1794. Des textes de Chamfort y paraîtront à titre posthume : aussitôt après sa mort, Ginguené a trouvé dans ses papiers des notes pour l'ouvrage qu'il projetait et dont il avait laissé le titre : «Produits de la civilisation perfectionnée», connus ensuite sous le titre de Maximes et pensées. Caractères et anecdotes, le seul de ses ouvrages que la postérité ait retenu.

7. Publications diverses

J. Renwick a donné une «liste chronologique des écrits de Chamfort», R , p. 189 et suiv.

8. Bibliographie

B.Un. – Ginguené, «Notice sur la vie de Chamfort» dans les Oeuvres, Paris, 1795, t. I. – Sélis, articles publiés dans la Décade philosophique, t. Vll, p. 537-551 ; t. Vlll, p. 29-39, 214-226, 540-554 ; t. IX, p. 348-357. – Chamfort, Oeuvres complètes, éd. P.R. Auguis,. Paris, Chamerot jeune, 1824-1825, 5 vol., Genève, Slatkine, 1968 ; textes du Mercure dans le t. III, textes de l'Almanach des Muses dans le t. V). – Pellisson M., Chamfort, étude sur sa vie, son caractère, ses écrits, Paris, Lecène, Oudin et Cie, 1895. – Dousset E., Un moraliste au XVIIIe siècle, Chamfort et son temps, Paris, Fasquelle, 1943. – Teppe J., Chamfort, sa vie, son oeuvre, sa pensée, Paris, Clairac, 1950. – Grosclaude P. (éd.) Maximes et pensées, caractères et anecdotes, Imprimerie Nationale, 1953. – List-Marzolff R., S.R.N. Chamfort. Ein Moralist in 18.Jahrhundert, München, Fink, 1966. – Dagen J., (éd.) Maximes et pensées, caractères et anecdotes, Garnier-Flammarion, 1968. – (C.) Chamfort, Actes du colloque de Clermont-Ferrand, 1973 : la présente notice a bénéficié des résultats des travaux présentés lors de cette journée. – Menant S., «Chamfort : naissance d'un moraliste», C.A.I.E.F., n° 30, 1978. – Arnauld C., Chamfort, R. Laffont, 1982. – C. Renwick J., Chamfort devant la postérité. 1794-1984, S.V.E.C. 247, 1986.