CASTILLON

Numéro

148

Prénom

Jean de

Naissance

1708

Décès

1791

1. État-civil

Jean de Castillon, de son vrai nom Giovanni Francesco Mauro Melchior Salvemini da Castiglione, naquit le 15 janvier 1708 à Castiglion Fiorentino (entre Arezzo et Cortona), où «dès le XlVe siècle la famille Salvemini était patricienne et une des premières de la ville». Son père, Giuseppe, était avocat ; sa mère, Maria Maddalena Lucia Braccesi, descendait d'une noble famille de Pise. Il eut plusieurs frères, dont l'un au moins était encore vivant en 1787 (E p. 52). Il épousa en Suisse, en 1745, Elisabeth du Fresne, qui était «issue d'une des meilleures familles de Savoie» (E., p. 45) et qui mourut d'une «maladie de langueur» en 1753. Il en eut trois enfants, un garçon qui «mourut quelques heures après sa naissance», une fille qui «ne vécut que six mois» (E, p. 53) et enfin Frédéric, professeur de mathématiques à l'école militaire de Berlin (E, p. 51 ; D. Thiébault, Mes Souvenirs, t. II, p. 270), puis professeur de philosophie à la même école, qui succéda à son père comme professeur de mathématiques au Corps royal d'artillerie de Prusse en 1787 et fut membre et directeur de l'Académie de Berlin (voir ce nom). Remarié en 1759, à Utrecht, avec «Madelaine Ravené, Hollandaise de naissance, mais Française d'origine», qui mourut «au commencement de 1781», Jean de Castillon n'eut pas d'enfant de ce second lit. Il décéda à Berlin le 11 octobre 1791 (E, p. 53).

2. Formation

«Le jeune Castillon fit de bonnes études, jusqu'en philosophie exclusivement, dans la maison paternelle» où son cousin, Paolo Cantini, docteur en médecine, cultiva son goût pour les mathématiques. «Ensuite on lui enseigna une mauvaise philosophie scholastique au séminaire de Florence, et il se rendit à Pise dans le collège Ferdinand pour y étudier le droit». A l'en croire, comme étudiant à Pise, il aurait surtout satisfait les penchants qui le portaient vers le dessin, la poésie, la musique, le chant et la danse, faisant «peu de progrès dans les mathématiques, sous le célèbre abbé Grandi, et point dans le droit». Au début de 1729 (3 mars, «Stilo antiquo Pisano») il fut cependant reçu docteur in utroque jure, et une vingtaine d'années plus tard commença sa longue carrière académique : membre de la Société royale des sciences de Londres avant juin 1751 (E, p. 44), puis de la Société royale des sciences de Göttingen (1753), «il se fit recevoir maître ès-arts et docteur en philosophie dans l'Université d'Utrecht» en 1754. Accueilli en 1762 par la Société hollandaise des sciences de Harlem, associé étranger à l'Académie royale des sciences et belles-lettres de Prusse à partir de septembre 1755, il fut admis par cette Académie comme membre ordinaire le 5 janvier 1764 et y devint directeur de la «classe de mathématiques», poste où il eut à sa mort comme successeur Jean Bernoulli (voir ce nom). Il fit partie également de l'Institut de Bologne (1768), de l'Académie électorale des sciences et belles-lettres de Mannheim (1777), de l'Académie des sciences, lettres et arts de Padoue (1784) et de la Société des sciences de Bohême (1785).

3. Carrière

«Il avait les passions fort vives, et sa jeunesse fut orageuse» (E, p. 41). «En 1729 quelques imprudences» (des propos athées, d'après ce que nous suggère son fils) «lui firent prendre le parti précipité de quitter l'Italie» et il «tomba en Suisse, dans le canton de Berne, seul, sans secours». Ayant acquis de la réputation, des amis et des protecteurs grâce à «des vers latins [et à] la traduction qu'il fit à Lausanne de l'Essai alors tout nouveau de Pope sur l'Homme», il fut «pourvu d'un poste de principal» au collège de Vevey en novembre 1737. De plus, au collège, il enseignait les humanités, et au dehors, les mathématiques. Il quitta cette place «très probablement au commencement de 1745» (E, p. 43), pour s'établir à Lausanne, où il donna des leçons de mathématiques au prince d'Anhalt-Zerbst. «Il se rendit à Berne en 1748 ou 1749», pour y disputer une chaire de professeur en mathématiques qui lui fut finalement refusée, de même qu'une chaire de théologie, «alors vacante à Lausanne». Sollicité en 1751 pour enseigner à Utrecht et à Saint-Pétersbourg, il fut d'abord lecteur en mathématique et physique à l'Université d'Utrecht, puis professeur extraordinaire en mathématique, physique expérimentale et astronomie (Délibération du 29 novembre 1751 ; prise de possession de la chaire, le 6 décembre) et il obtint en 1755 la chaire de professeur ordinaire en philosophie et mathématique. Son principal protecteur, le stathouder, étant mort «presque à son arrivée» en Hollande, il dut subir une violente campagne de dénigrement, à laquelle son fils attribue l'aggravation de l'état de santé de sa femme ; il l'avait vainement ramenée en Suisse, «dans l'espérance que l'air natal la remettrait». Recteur de l'Université d'Utrecht en 1758, il accompagna cette année-là, «pendant les grandes vacances», la princesse d'Anhalt-Zerbst, mère de Catherine II, «dans un voyage» que celle-ci «fit en diverses provinces de Hollande». Il sortit de charge le 26 mars 1759. En 1763 Frédéric II «l'appela à Berlin pour donner des leçons de mathématiques au Corps d'artillerie» ; il remplit jusqu'à la fin de 1790 cette charge qu'il avait transmise à son fils en 1787. Le roi lui confia par ailleurs différentes missions : c'est ainsi qu'il remania pour une représentation de circonstance, en 1764, l'opéra de Métastase, Achille in Sciro, et qu'il fit, pendant l'été dé 1765 et «au commencement de 1766», deux voyages aux Salines de Schoenebeck, dans le duché de Magdebourg, pour proposer des changements «dans la construction des fourneaux et des chaudières», en vue d'économiser le bois de chauffage et «chercher» un combustible de remplacement : «de la houille».

4. Situation de fortune

D'après son fils, même en Hollande, la «situation domestique» de Jean de Castillon «n'était que trop difficile et bornée», au moins pendant les premières années de son séjour, et les frais engagés pour accompagner sa femme en Suisse suffirent à la grever lourdement (E, p. 45). En Prusse, il eut enfin son avenir assuré, car à son poste de professeur s'ajoutaient une pension d'académicien et diverses indemnités (il figura dès 1764 parmi les six commissaires désignés pour «diriger les finances de l'Académie», où il fut nommé premier astronome en 1768, et, sur la fin de sa vie, «directeur de la classe de mathématique»).

5. Opinions

Newtonien passionné, Jean de Castillon se lia avec Gabriel Cramer, qui lui fournit le manuscrit de la correspondance entre Leibniz et Bernoulli, avec «l'illustre M. Euler» (E, p. 42 ; v. D. Thiébault, t. II, p. 254) et surtout avec l'astronome Jean Philippe Loys de Cheseaux, son «plus ancien ami», après le marquis de Sacramoso, de Vérone, qui lui fit obtenir en 1751 une proposition de poste pour Saint-Pétersbourg. «Athée dans sa jeunesse», il revint «au déisme, et puis au christianisme», pendant son séjour à Vevey. Son fils ajoute : «Défenseur courageux et connu du christianisme, il n'en eut pas moins pour amis sincères les d'Alembert et les Helvétius» (E, p. 59), comme l'attestent les lettres d'eux qu'il a laissées. Le 7 septembre 1776, dans une lettre bizarre, adressée à Condorcet, où il semble qu'il soit question de Pascal, Voltaire l'a appelé son «consolateur», ajoutant avec un soupçon d'ironie : «Ce Monsieur de Castillon de Berlin est en vérité un grand philosophe» (D 20282).

6. Activités journalistiques

En 1770 (ou 1772?), «quelques académiciens» de Berlin, «entre autres Toussaint» (voir ce nom, et art. « Thiébault ») «se réunirent» à Jean de Castillon «pour publier le Journal littéraire dédié au Roi, dont le premier volume parut chez Decker, au mois de septembre (1772)» (E, p. 49 ; D.P.1 761). «Il ne put se soutenir que quatre ans, faute de débit, et finit avec le mois d'août 1776». Un avocat parisien, Rossel, aurait ensuite réuni, sous le nom de Bibliothèque du Nord, «quelques morceaux restés dans les portefeuilles des premiers auteurs [...], en les engageant, au moins quelques-uns, à continuer leurs travaux», mais «le manque de fonds suffisant pour les avances ne permit de faire paraître que l'année 1778» (E, p. 50) ; voir dans D.P.1 161 (où le «Journal de Berlin» désigne certainement le Journal littéraire). D. Thiébault précise (t. II, p. 270) que M. de Castillon le père «a eu une part principale à la rédaction des vingt-quatre volumes qui ont paru» du Journal littéraire.

7. Publications diverses

Jean de Castillon commença par publier, en latin, chez M.M. Bousquet et associés, Lausanne et Genève, les Oeuvres de Newton, 3 vol., in-4° (1744), la Correspondance entre Leibniz et Bernoulli, 2 vol. in-4° (1745), L'Introduction à l'analyse infinitésimale de Newton, in-4° (1748). En y ajoutant, selon le cas, des poèmes ou des éclaircissements, il traduisit en italien l'Essai sur l'homme de Pope, Berne, Abraham Wagner fils, 1760, in-8° ; en français, l'Essai sur l'histoire de la mer Adriatique, de Vitaliano Donati, La Haye, Pierre de Hondt, 1758 ; l'Abrégé de physique, de Locke, Amsterdam, Scheurleer ; la Dissertation sur les miracles, de George Campbell, Utrecht, Henri Spruit, 1765, in-8° ; les Mémoires concernant la vie et les écrits [d'] Algarotti par l'abbé Michelessi, Berlin, G.J. Decker, 1772, in-8° ; la Vie d'Apollonius de Thyane, par Philostrate [...] avec les commentaires donnés en anglais par Ch. Blount, Berlin, G.J. Decker, 1774, 4 vol. in-12 ; les Livres académiques de Cicéron, ibid., 1779, 2 vol. gr. in-8° ; enfin les Discours sur les vicissitudes de la littérature, de l'abbé Denina, 2 vol. in-8°, Berlin, G.J. Decker, 1786, puis H.A. Rottmann.

Mis à part trois discours académiques en latin, publiés, chez J. Broedelet, à Utrecht : sur «l'usage des mathématiques dans la vie humaine» (1751) et sur «la manière dont les études tiennent les unes aux autres», sujet traité par lui «en badinant», puis sérieusement (1755 et 1761), on possède trois oeuvres originales de Jean de Castillon : Discours sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes. Pour servir de réponse au discours que M. Rousseau, citoyen de Genève, a publié sur le même sujet, Amsterdam, J.F. Jolly, 1756, in-8° (Deleyre l'annonce dans sa lettre du 23 nov. 1756, Leigh, 449) ; Commentaire sur l'arithmétique universelle de Newton, Amsterdam, M.M. Rey, 1761 ; Observations sur le livre intitulé Système de la nature, Berlin, G.J. Decker, 1771, in-8°.

Sur ses communications, publiées dans les Mémoires de l'Académie de Berlin, voir Cioranescu, 18 n° 16168-16181, à la rubrique «Jean-Louis Castillon». Ces seize études concernent principalement les mathématiques, les sciences naturelles et la métaphysique. Enfin J. de Castillon collabora activement au Supplément de l'Encyclopédie.

8. Bibliographie

Thiébault D., [Mes] Souvenirs de vingt ans de séjour à Berlin, éd. par F. Barrière, Paris, Firmin Didot fils, frère et Cie, 1860. – (E) «Eloge de M. de Castillon, père. Par M. de Castillon, fils ; lu dans l'assemblée publique du 26 janvier 1792», Histoire de l'Académie royale des sciences et belles-lettres de Berlin, 1792-1793, p. 38-60.

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