BOINOD
Numéro
Prénom
Naissance
Décès
1. État-civil
D'une famille d'Aubonne dont la «bourgeoisie» remontait à 1584, Jean Daniel Mathieu Boinod est né le 29 octobre 1756 à Vevey, canton de Vaud. Son père, Charles Boinod, était horloger à Aubonne. Un frère, François, mort en 1863, fut commandant de place à Vérone (Chuquet, p. 308 ; Godet). B. s'est marié et a eu plusieurs enfants. Il est mort à Paris le 28 mai 1842.
2. Formation
Entre 1776 et 1780, B. aurait étudié à l'université de Leyde (Barthold, p. 76). Chevalier de la Couronne-de-Fer (21 déc. 1807). Chevalier (24 mars 1803), officier (22 déc. 1807), commandeur (20 avril 1831) de la Légion d'Honneur.
3. Carrière
A la fin de ses études, B. revient à Aubonne où il est employé comme précepteur. En 1781, il est à Haarlem, maître-de-pension à la pension française pour jeunes gens que son ami Alexandre Gaillard a ouverte dans cette ville en mai 1780. Au cours de l'été 1783, Boinod et Gaillard s'embarquent tous deux pour les Etats-Unis où ils ont décidé d'immigrer. A Philadelphie où ils s'établissent à l'automne 1783, ils ouvrent une librairie dans Second Street, puis s'installent l'année suivante dans «Arch Street au coin de Fourth Street» (Barthold, p. 76-78). Le Courier de l'Amérique, qu'ils entreprennent de publier à la fin juillet 1784, leur vaut de nombreux démêlés avec les autorités américaines et françaises. A la suite de plusieurs articles jugés préjudiciables à l'alliance franco-américaine, ils sont convoqués devant un magistrat de Philadelphie, puis forcés, par des «moyens indirects», de cesser la publication de leur journal (D.P.1 266). Alexandre Gaillard étant mort soudainement en novembre 1784, Boinod continue à tenir la librairie dans les années qui suivent, et peut-être jusqu'en 1788 ; il est encore à Philadelphie au mois d'octobre de cette année-là (Barthold, p. 94-95).
En 1789, B. est de retour à Aubonne où il ouvre de nouveau une librairie. Acquis aux idées philosophiques, il accueille favorablement les débuts de la Révolution dont il voudrait voir les principes se propager en Suisse. Ayant participé aux manifestations de Lausanne du 14 et 15 juillet 1791, qui marquent l'anniversaire de la prise de la Bastille, il est menacé d'arrestation et doit s'enfuir (Chuquet, p. 308 ; Godet). Réfugié à Paris, B. s'affilie au club révolutionnaire «Propagande des Alpes» dont les membres, «des patriotes de la ci-devant Savoie, du pays de Vaud, de Genève, du Valais et autres parties de la Suisse», se donnent pour but «le triomphe de la révolution française et la liberté de leurs patries respectives». Au début du mois d'août 1792, ce club obtient de l'assemblée nationale la permission de se former en légion afin de «porter un corps révolutionnaire et propagandiste sur les frontières des états du roi de Sardaigne» (Réponse, p. 3-6). B. participe activement à la fondation de cette légion, la Légion franche des Allobroges, dont il est élu quartier-maître trésorier le 13 août 1792. Trois jours auparavant, il avait participé à l'attaque des Tuileries dans le bataillon des Cordeliers (Chuquet, p. 308). A la fin du mois d'août 1792, B. est à Grenoble où se rassemble la Légion allobroge pour faire campagne en Maurienne, sur les frontières de la Suisse, en Dauphiné et en Savoie. Intégré l'année suivante dans l'armée régulière, B. est nommé commissaire provisoire des guerres (15 nov. 1793) auprès des corps d'artillerie de l'armée du siège de Toulon. Il y fait la connaissance de Napoléon Bonaparte avec lequel il se lie d'amitié. Devenu commissaire des guerres titulaire (8 oct. 1795), B. fait la campagne d'Italie, puis participe, en 1798, à l'expédition d'Egypte. Sous le Consulat et sous l'Empire, il continue sa carrière dans l'intendance militaire. Commissaire-ordonnateur (12 janv. 1800), inspecteur aux revues (6 fév. 1800), il est chargé de préparer et d'assurer les subsistances et les transports lors du passage du Saint-Bernard. Il participe à la seconde campagne d'Italie, puis est en poste à la place de Besançon (14 janv. 1802) et à l'armée des côtes de l'Océan (3 oct. 1803). Après avoir fait les campagnes de 1805 avec la Grande Armée, il est détaché au ministère de la guerre du royaume d'ltalie (17 sept. 1806) – «Je vous envoie Boinod, laissez-le faire», écrit Napoléon au vice-roi Eugène en lui envoyant le décret de cette nomination (Fastes, t. IV, p. 223). B. sera par la suite intendant général de l'armée d'ltalie (15 mai 1809), puis commissaire-ordonnateur en chef de cette armée lors de sa réunion avec l'armée d'Allemagne en juillet 1809. Le 20 janvier 1810, il est nommé inspecteur en chef aux revues de l'armée avec le grade d'officier général.
Rayé des contrôles de l'armée lors de la première Restauration, B. alors âgé de 58 ans, retourne avec sa famille à Aubonne. C'est là que Joseph Bonaparte, également réfugié en Suisse, vient le chercher pour l'envoyer secrètement à l'ile d'Elbe prévenir l'Empereur du complot que trame contre lui le général Guérin de Bruslart – ce dernier, nommé gouverneur de la Corse par Louis XVIII, préparait l'enlèvement et l'assassinat de Napoléon. Ayant réussi à rejoindre l'île d'Elbe, B. fait déjouer le complot : «le brave et stoïque B. [...] sauva l'Empereur lorsque ses ennemis étaient les maîtres de l'Europe», note Joseph Bonaparte dans une lettre au général Lamarque (t. X, p. 209-210, 314-316). Resté à l'île d'Elbe, B. dirige les services administratifs de l'île. Pendant les Cent-Jours, il occupe les fonctions de commissaire-ordonnateur en chef de l'armée, poste auquel il avait été nommé le 1er mars 1815, le jour du débarquement au golfe Juan, et d'inspecteur en chef aux revues de la Garde impériale (14 avril 1815). Après la seconde abdication de Napoléon, B. est de nouveau rayé des cadres de l'armée. La Monarchie de Juillet le nomma président de la commission des anciens fonctionnaires militaires, par décision royale du 14 août 1830. Elle lui rend également son grade et le réintègre dans le cadre d'active de l'armée (31 déc. l830, A). B., âgé de 76 ans, est admis à la retraite le 27 mai 1832.
4. Situation de fortune
Le passage de B. et Gaillard en Amérique, et l'établissement de leur librairie à Philadelphie, furent financés en grande partie par la vente de la pension d'Haarlem dont Alexandre Gaillard était propriétaire (Barthold, p. 77-78). B. lui-même ne semble pas avoir eu de fortune personnelle. Leur commerce de livres semble avoir été, du moins les deux premières années, assez florissant. Le catalogue qu'ils font circuler au début de 1784, compte plus de 1500 titres, et ils annoncent, en octobre de la même année, l'ouverture d'un «magasin de livres de louage» et d'un «cabinet de lecture», le premier de ce genre en Amérique selon A.J. Barthold (p. 94 ; v. C.A., n° XIII). Dès 1784, ils se lancent également dans l'édition, publiant des éditions américaines du Procès des Trois Rois et des Aventures de Télémaque (Barthold, p. 82 ; Evans, n° 18466). A la mort d'Alexandre Gaillard, B. est nommé administrateur de ses biens et reste en charge de la librairie.
Au cours de sa carrière d'intendant militaire, B. se signale par sa probité et son désintéressement. Anecdotes et témoignages s'accordent pour souligner son intégrité dans les nombreux marchés qu'il eut à passer pour l'intendance des armées, et son souci de l'intérêt général, même au détriment de son propre intérêt. Ainsi, lors de la première campagne d'Italie, il refuse une gratification de cent mille francs que lui octroie, pour marquer son appréciation, Bonaparte : «Je ne te reconnais pas, citoyen général, le droit de disposer ainsi des deniers de la République. L'armée souffre, je viens d'employer cette somme à ses besoins» (Fastes, t. IV, p. 223). Se souvenant sans doute de ce refus, Napoléon légua à Boinod, par son troisième codicille du 24 avril 1821, une somme identique. Il avait également tenu, en 1800, lors de la nomination de B. au poste de commissaire-ordonnateur, à lui faire écrire «une lettre de satisfaction sur le zèle qu'il a toujours montré, sur son exacte probité, sur sa sévérité à empêcher les dilapidations», une lettre qui sera imprimée au journal officiel à la demande de Napoléon (ibid.).
La Restauration, tout en le rayant des cadres de l'armée, lui permet, par un «acte de clémence» signé du roi le 16 avril 1817, de faire admettre ses droits à la retraite – B. est alors âgé de 63 ans. On ne lui octroie cependant que trois mille francs, le minimum de la pension de son grade. N'ayant pas accumulé de fortune personnelle, B. doit alors, pour soutenir sa famille, solliciter un emploi à la manutention des vivres de Paris. Entré comme agent (1er mai 1818), il fut par la suite nommé gérant de cette manutention (1er juillet 1821), puis directeur des subsistances faisant fonction d'agent comptable (1er juillet 1825 ; Chuquet, p. 309).
A sa retraite définitive, en 1832, B. n 'a pour toute fortune que sa pension militaire, rétablie dans son intégralité, son traitement d'officier de la Légion d'Honneur, et les cinquante mille francs auxquels se réduisit en fait le legs que lui avait fait l'Empereur (Fastes, t. IV, p. 224).
5. Opinions
«Nés républicains», admirateurs de la «glorieuse révolution» américaine, B. et Gaillard avaient immigré aux Etats-Unis par idéal, séduits moins «par l'appât du gain que par l'attrait de vivre au milieu d'un Peuple Roi», dans un pays de «lumières» et de «liberté» (Catalogue, Avant-Propos ; C.A., n° 1 et passim). Cet idéal des «lumières» auquel B. adhère avec enthousiasme, il le défend dans les colonnes du Courier de l'Amérique qui veut mener le combat de la «vérité» et de la «liberté» contre tous les «despotismes». Sa librairie, spécialisée dans l'importation de livres européens, est aussi pour lui le moyen d'aider à la diffusion des idées philosophiques auxquelles il est acquis : si les livres «charment les loisirs des Riches», ils doivent aussi servir à «éclair[er] la Multitude, humanis[er] les Hommes puissants, [...] instruire toutes les Classes de la Société» (Catalogue, cit. de Raynal en épigraphe).
Le combat engagé à Philadelphie, où il s'est heurté aux intérêts et aux réalités politiques de l'Amérique pos-trévolutionnaire, B. le poursuit en Suisse puis à Paris pendant la Révolution. A la «Propagande des Alpes», dans la légion des «soldats de la liberté» puis dans l'armée révolutionnaire, il se fait remarquer par le «civisme le plus pur», par ses «qualités républicaines» et son «patriotisme» (Réponse, p. 3 ; Folliet, p. 134 ; Bonaparte, t. X, p. 316).
Quand, en 1793, B. se lie avec Bonaparte, ils partagent alors tous deux le même idéal révolutionnaire. Par la suite, B. resta dévoué à Napoléon, à la fois par loyalisme militaire et par attachement à sa personne : «ce n'est point l'Empereur que j'ai suivi, remarque-t-il en 1815, mais celui qui fut mon chef et mon ami» (Fastes, t. IV, p. 224). Resté néanmoins attaché aux principes républicains, B. a marqué à plusieurs reprises son opposition à l'évolution et aux travers du régime. Ainsi, lors des élections au consulat à vie et à l'Empire, il est le seul officier de l'ancienne armée d'Italie à voter négativement. «Je le reconnais bien là ; c'est un quaker», aurait été le commentaire de Napoléon (ibid.). Celui-ci, ce qui montre l'amitié et l'estime dans lesquelles il tenait Boinod, non seulement ne lui en a pas tenu rigueur, mais a continué à lui garder et à lui marquer sa confiance.
Parmi les nombreux témoignages qui attestent des talents d'administrateur, de la probité, du courage et du patriotisme de Boinod, citons ceux de Pons de l'Hérault : «l'un des hommes les plus vertueux de l'armée» ; de Joseph Bonaparte : «un homme intègre et courageux», et de Napoléon : «J'ai confiance en [ses] lumières et [sa] probité» (Pons, p. 157 ; Bonaparte, t. X, p. 315 ; Fastes, t. IV, p. 223). De B., qui fut surnommé «l'intègre», on a pu dire qu'il était «taillé à l'Antique» (Fastes, t. IV, p. 224).
6. Activités journalistiques
Associés à E. Dutilh, un commerçant d'origine française établi à Philadelphie, B. et Gaillard publient The American Herald and General Advertiser, dont cinq numéros seulement paraissent, avec une périodicité irrégulière, du 21 juin au 20 juillet 1784. Egalement en juillet 1784, associés cette fois avec Andrew Brown et l'imprimeur Charles Cist, ils annoncent la publication du United States Journal and Continental Advertiser. Le prospectus est publié dans plusieurs journaux de Philadelphie (Freeman's Journal, July 14, 1784), mais le journal lui-même semble n'avoir jamais paru.
Le Courier de l'Amérique a été publié en français à Philadelphie, du 27 juillet au 26 octobre 1784. Bihebdomadaire, il paraissait le mardi et le vendredi sur quatre pages avec de fréquents suppléments de deux p. (D.P.1 266).
7. Publications diverses
Catalogue des livres qui se trouvent chez Boinod et Gaillard, Philadelphie, 1784. – Réponse de la légion franche Allobroge aux ennemis de la République, Paris, 1793 (avec A. Doppet).
8. Bibliographie
A.A.E., CP., Etats-Unis, vol. 27-29. – (C.A.) Courier de l'Amérique. – (F.J.) Freeman's Journal. – Fastes de la Légion d'Honneur, t. IV, Paris, 1844. – Evans Ch., American Bibliography, New York, 1941-1959, 14 vol. – Dictionnaire historique et biographique de la Suisse, t. II, Neuchâtel, 1924. – Bonaparte J., Mémoires et correspondance politique et militaire du roi Joseph, Paris, 1857-1858. – Folliet A., Les Volontaires de la Savoie, Paris, 1887. – Pons de l'Hérault A., Souvenirs et anecdotes de l'île d'Elbe, Paris, 1897. – Chuquet A., La Jeunesse de Napoléon, t. III, Toulon, Paris, 1899. – Barthold A.J., History of the French Newspaper Press in America. 1780-1790, thèse, Yale, 1931.
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