AUNILLON

Numéro

023

Prénom

Pierre

Naissance

1684?

Décès

1758

1. État-civil

Né vers 1684, Pierre Nicolas Aunillon était le fils de Nicolas Aunillon et d'Eléonore Thomelin. Son frère, l'abbé Pierre Charles Fabiot Aunillon (1685-1760), protégé du marquis d'Argenson, secrétaire d'Etat aux Affaires Etrangères (1744-1747), fut envoyé en mission diplomatique auprès de l'Electeur de Cologne (1744-1747). Substitut du procureur général du Grand Conseil, leur père devint Premier Président de l'élection de Paris le 30 mars 1694. Pierre Nicolas le remplaca dans cette charge en 1714. Il épousa Marie Elisabeth Rivière, fille de Jean Rivière, trésorier des Cent Suisses de la garde du roi. Leur fils unique, Jean Régis Aunillon, chevalier, seigneur d'Espiais du Coudray, fut quelque temps gentilhomme ordinaire du roi, charge achetée à Ange Jacques Gabriel, premier architecte du roi (21 juillet 1747), puis revendue par la suite pour défaut de paiement (1751). Ne s'entendant plus avec son fils, accablé de dettes, il tomba à la charité de sa paroisse et mourut en 1758.

4. Situation de fortune

Domicilié rue d'Enfer, paroisse Saint-Cosme, A. jouissait d'une fortune importante. Selon les contemporains, cette fortune aurait disparu parce que le président avait placé beaucoup trop d'argent en rentes viagères dont les bénéficiaires ne mouraient pas assez vite. Il semble que le président A. ait fondé de trop grandes espérances sur l'avenir de son fils. Il le dota de 225 000 £ (contrat de mariage signé en 1737). La charge de Premier Président de l'élection de Paris était alors estimée 150 000 £, la maison de la rue d'Enfer 75 000 £. Le Président possédait également divers autres immeubles, dont une terre située à Vitry-sur-Seine. Il l'aida à acheter la charge de gentilhomme ordinaire du roi. Déjà en situation financière difficile, il racheta 97 000 £ le privilège de la Gazette. Il espérait renflouer ses finances grâce au revenu tiré de la feuille des Renaudot. Ne pouvant payer comptant une telle somme au marquis de Verneuil, petit-neveu de l'abbé Renaudot, il lui versa seulement 2000 £ (février 1749) et s'engagea à lui donner 25 000 £ dans les six mois suivants ; les 70 000 £ qu'il fallait encore payer étaient convertis en une rente annuelle de 3500 £, au denier 20. Menacé de saisie, le malheureux dut emprunter 25 000 £ à trois créanciers différents pour rembourser le marquis de Verneuil (janvier-février 1750). La faveur royale dont il semblait jouir le protégea quelque temps encore contre ses créanciers. Dépossédé du privilège de la Gazette, il fut alors poursuivi par sa famille et par ses créanciers qui craignaient d'être ruinés avec lui. Le 19 juin 1751, il obtint du roi un délai d'une année pour le paiement de ses dettes qui s'élevaient alors à la somme de 200 000 £. La maison de la rue d'Enfer, la charge de Premier Président, celle de gentilhomme ordinaire du roi furent vendues pour faire face. A. mourut complètement ruiné et abandonné de tous.

5. Opinions

Selon d'Argenson, A. était hypocrite, paillard et dévoué aux Jésuites. Aux dires des Nouvelles ecclésiastiques, il valait à lui seul plusieurs Jésuites. Il ne fut pas tendre avec les jansénistes au cours des années 1720 et 1730.

6. Activités journalistiques

Depuis qu'il avait hérité de son père (1747), le marquis de Verneuil cherchait à vendre le privilège de la Gazette. A la fin de 1748 ou au début de 1749, l'un des commis du ministère des Affaires étrangères, Nicolas Pierre de Besset, seigneur de la Chapelle (1700-1789), avait essayé de traiter avec le marquis de Verneuil : le privilège était alors estimé 140 à 150 000 £ ; l'affaire ne se fit pas. Grâce à l'influence de son frère l'abbé, A. fut finalement agréé comme septième titulaire du privilège de la Gazette par le marquis de Puisieux, secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères. Cette grâce éclatante, mais oh combien onéreuse ! devait ruiner complètement le président. Pendant deux ans, A. s'efforça d'augmenter le revenu tiré de la Gazette ; il s'aperçut rapidement que le privilège ne rapportait rien, tout au contraire ! La recette des six premiers mois de 1749 était de 4257 £ pour Paris, et de 2223 pour la province. Dans le même temps, les dépenses s'élevaient à 4223 £, et il fallait verser au marquis de Verneuil 1970 £ d'intérêt sur les 97 000 £ qui lui étaient dues. Le total des recettes était de 6840 £ ; celui des frais et des intérêts était de 6193 £ ; le bénéfice n'était donc que de 287 £. Mais il fallait encore servir 800 gazettes gratuites à la Cour! Et le malheureux président d'observer : «Le produit de ce privilège sera toujours absorbé par les 800 Gazettes qu'on est dans l'usage de donner gratuitement. Le travail pénible, et continuel, ne sera jamais payé».

La Gazette était alors réimprimée dans 27 villes de province. A. s'empressa d'augmenter tous les fermages des baux provinciaux, non sans quelques mécomptes, puisque certains fermiers cessèrent de réimprimer la Gazette et refusèrent de payer leur redevance. Enfin, défendant son privilège contre les entreprises de Denis Louis de Rabiot, seigneur de Meslé (voir art. « Rabiot de Meslé »), A. trouva une autre source de revenu. Depuis 1745, le libraire Antoine Boudet publiait avec une simple permission du gouvernement les Affiches de Paris, Avis divers, etc. Pour 24 £ par an, les Parisiens recevaient francs de port deux numéros de huit pages chaque semaine. Aux dires de Boudet, les Affiches auraient produit chaque année 7000 £ «tous frais faits» ; selon A., elles auraient rapporté «plus de 30 000 £ de revenu net». Espérant mettre la main sur les Affiches, le chevalier de Meslé obtint, le 9 mai 1749, le privilège exclusif «des feuilles périodiques». S'avisant que les Affiches dépendaient du privilège de la Gazette, A. s'opposa à l'enregistrement de ce nouveau privilège. Le 18 juin 1749, il traita avec Boudet : contre un fermage annuel de 2000 £, le libraire reçut le droit de publier ses Affiches pendant neuf ans. Malheureusement, le chevalier de Meslé persévéra : puisque les Affiches dépendaient du privilège de la Gazette, il obtiendrait ce privilège !

Très rapidement, A. perdit l'appui du ministère des Affaires étrangères. Il ne sut pas s'entendre avec Pierre Remond de Sainte-Albine qui rédigeait la Gazette depuis 1733. Sainte-Albine la quitta le 19 mai 1749. Son premier successeur n'eut pas l'heur de plaire au ministère. Le 21 août suivant, le ministre écrivait a Aunillon : «Votre gazette, Monsieur, est une rapsodie de toutes les mauvaises nouvelles qui se trouvent dans les autres». Nommé rédacteur de la Gazette en avril 1750, le Sr de Saint-Mars ne réussissait pas mieux et était remplacé en décembre de la même année par Louis de Boissy qui abandonnait la place à la fin de mai 1751 au profit de l'inévitable «faiseur de gazettes par excellence», Sainte-Albine. Insatisfait du contenu de la Gazette, le ministère ne pouvait qu'écouter favorablement le chevalier de Meslé qui s'employait activement à supplanter A. Voici une rapide chronologie de la longue lutte qui s'acheva sur la victoire du chevalier de Meslé.

Mai 1749 : Le 9 mai, le chevalier de Meslé reçoit le privilège des feuilles périodiques. Le 20 mai, le chevalier emprunte 62 000 £ pour faire valoir ce privilège. Sur opposition d'A., le chancelier refuse de faire enregistrer le privilège.

Juin 1749 : Le 18 juin, A. traite avec le libraire Boudet et lui afferme le droit de publier ses Affiches.

Décembre 1749 : Meslé fait offrir à A. de racheter tout le privilège de la Gazette pour la somme de 145 000 £ (selon A.) ou de 130 000 £ (selon Meslé qui reconnaît implicitement que le privilège des Affiches est incorporé à celui de la Gazette). Refus d'A.

Février 1750 : Menacé de saisie, A. emprunte à trois créanciers différents pour rembourser au marquis de Verneuil les 25 000 £ qu'il lui doit.

Avril 1750 : Meslé s'entend avec Besset de La Chapelle ; La Chapelle aurait la Gazette, cependant que Meslé jouirait du privilège des Affiches. Le 20 avril le ministre annonce à A. que le roi a accordé à La Chapelle le privilège de la Gazette. Cela est confirmé par le marquis d'Argenson (Mémoires, p. 191, 23 avril 1750).

Mai 1750 : A. se résigne à céder son privilège pour 97 000 £. Le libraire Boudet s'inquiète et proteste auprès des ministres (Saint-Florentin et de Puisieux) : il veut que Meslé lui maintienne l'affermage des Affiche, L'affaire ne se fait pas. A. veut rendre responsable La Chapelle de l'exécution du bail Boudet. Surtout, les prêteurs éventuels refusent d'investir de l'argent dans un brevet comportant seulement le privilège de la Gazette, Meslé désirant garder les Affiches

Juin-juillet 1750 : A. présente au roi un mémoire sur son différend avec Meslé. Il obtient gain de cause. Il a emprunté à Boudet 2400 £ pour conserver son privilège.

Décembre 1750 : nouvelle tentative de Meslé et de La Chapelle. Refus définitif des prêteurs qui ne veulent financer que l'obtention d'un privilège groupant la Gazette et les Affiches. Heureux de se sortir de ce guêpier, La Chapelle demande au roi l'autorisation de se retirer.

Janvier 1751 : pour mieux aider A., et surtout pour mieux se prémunir contre les tentatives de Meslé, Antoine Boudet rachète au marquis de Verneuil les 3500 £ de rente (capital de 70 000 £) encore dues par le président. Meslé contre-attaque. Il obtient du roi «le privilège de la Gazette de France auquel est joint celuy des bureaux de rencontre et petites affiches». Le 22 janvier, il forme avec Louis-Dominique Le Bas de Courmont une société pour l'exploitation du privilège.

Février 1751 : A. propose un arrangement ; il garderait la Gazette plus une rente de 6000 £ à prèlever sur le produit des Affiches que le roi concèderait à qui il voudrait. L'abbé Aunillon intervient en faveur de son frère auprès de la marquise de Pompadour (19 février).

Mars 1751 : Courmont somme A. et Verneuil de comparaître pour leur rembourser les 97 000 £. A. refuse de comparaître (9 mars). Deux suppliques successives d'A. : Meslé rembourserait la moitié des 97 000 £ et jouirait du produit entier des Affiches cependant que le président garderait la Gazette. Le roi passe outre aux oppositions d'A. (arrêt du Conseil du 13 mars). Nouvelle supplique d' A. (23 mars). Autre sommation a comparaître faite par Courmont ; seuls se présentent les créanciers (31 mars).

Avril 1751 : des lettres patentes sont lues et publiées le 7 avril. Rédigées au nom de Courmont, elles révoquent le privilège d'A. et le fermage de Boudet à qui il est interdit de publier ses Affiches. Le brevet de retenue de 97 000 £ est lui aussi libellé au nom de Courmont (10 avril). Le 24 avril, la police envahit le bureau d'Adresse de la Gazette. Les commis d'Aunillon sont expulsés. L'imprimerie, les registres administratifs de la Gazette sont confisqués au profit de Courmont et Meslé.

Mai 1751 : malgré l'opposition des libraires parisiens et d'A., le roi ordonne l'enregistrement des lettres patentes (arrêt du Conseil du 1er mai). Boudet abandonne la lutte ; le 3 mai, il cesse de publier les Affiches de Paris, Avis divers, et le lendemain, il rétrocède au marquis de Verneuil les 3500 £ de rente. Le 13 mai, les Maîtres des requêtes ordinaires de l'Hôtel du Roi ordonnent que les lettres patentes d'avril soient enregistrées en leurs registres. L'arrêt du Conseil du 14 mai autorise les créanciers d'A. à demander le remboursement des 97 000 £. A. continue à faire opposition.

Juin 1751 : l'arrêt du Conseil du 4 juin déboute A. de son opposition ainsi que de ses demandes d'indemnité (7000 £ pour l'imprimerie de la Gazette et 40 000 £ pour faux frais). Le 18 juin un nouvel arrêt ordonne l'exécution de l'arrêt du 14 mai.

Juillet 1751 : le marquis de Verneuil signifie l'arrêt du 18 juin au notaire qui a en dépôt les 97 000 £ versées par Courmont. Au nom de Courmont, le notaire rembourse les créanciers d'A. (13 et 15 juillet).

8. Bibliographie

D.P.2, art. « Rabiot de Meslé ». – A.N., Série E, arrêts du Conseil d'Etat, E 2302, janvier-août 1751, pièces 2, 9, 24, 29, 30, 47, 57, 61, 76, E 2307, 19 juin 1751. Sous-série V4, 1017, Requêtes de l'Hôtel, 13 mai 1751, 1504, enregistrement des lettres patentes de Pierre-Nicolas Aunillon, 1er juillet 1749 (f° 42). – M.C., XII, 504, vente du privilège de la Gazette par le marquis de Verneuil (20 février 1749), XCVIII, 506, bail des Affiches au libraire Boudet (18 juin 1749), CXV, 589 (22 et 29 janvier 1751), traité entre Courmont et Meslé, CXV, S90 (9 et 31 mars 1751), conflit entre A. et Courmont, XII,523 et 537 (22 avril 1752 et 22 décembre 1754), comptes entre le président A. et son fils. – A.E.E., série Memoires et documents, France, 1337, 1339, 1340, 1341. –Argenson, Marquis d', Mémoires, t. VI, p. 191, 250, 363, 401, etc. – D.B.F. (articles sur les frères Aunillon). – Feyel G., La Gazette à travers ses réimpressions en province, 1631-1752, Amsterdam, APA-Holland U.P., 1982.

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