GENET

Numéro

340

Prénom

Edme

Naissance

1726

Décès

1781

2. Formation

G. est élevé au collège de Navarre puis au collège des Jésuites. Son père est un dévot, austère et autoritaire, dont il supporte mal les exigences. Le différend éclate entre père et fils à propos d'essais poétiques de G. jugés frivoles, et parce que G. refuse d'être magistrat (il a le goût des langues et de la littérature, dit Mme Campan). Il refuse aussi l'épouse riche et pieuse que lui destine son père, car il aime Lise Cardon, une lingère sans fortune. Il quitte la maison et reste quatre ans en Allemagne (1746-1750) où il étudie le droit public et apprend à parler «comme le saxon le mieux élevé». Puis il passe en Angleterre et prend pension chez le gouverneur du château de Douvres.

Il fut membre de la Société littéraire d'Upsal (D.L.F.).

3. Carrière

En 1750, il revient clandestinement en France voir sa mère et sa fiancée. Mais comme son père est toujours intraitable, il retourne en Angleterre et y reste jusqu'à sa majorité (13 déc. 1751). Il rentre en France et se marie dès janvier 1752. Le maréchal de Belle-Isle crée pour lui la place de secrétaire interprète aux Affaires étrangères, avec 6000 £ de traitement. Il s'installe à Versailles au printemps 1753. En 1756, son activité de traducteur se manifeste par la publication de plusieurs textes traduits de l'anglais. Pendant la guerre de Sept Ans, il accomplit de nombreuses besognes pour Choiseul et Belle-Isle. Il travaille aussi pour le ministère de la Guerre et de la Marine (Archives de la Guerre, Ya 194, p. 19).

Il se consacre particulièrement à l'Angleterre et rassemble, à partir de la lecture et de la traduction des gazettes anglaises, une masse d'informations, en particulier sur la marine (un dossier par bateau, dit Samoyault). «Il a un énorme cabinet divisé et sous-divisé en une infinité de tiroirs et dossiers classés et étiquetés [...]. Il était en position de corriger tous les rapports des espions employés par son propre gouvernement» (cité par Minnigerode comme le témoignage d'un espion publié en Angleterre en 1779 et envoyé à G. par Villoison). Le même Minnigerode cite une lettre de G. à Vergennes où il dit : «Je n'ai jamais rien appris des agents secrets : en fait je les ai souvent corrigés et leur unique mérite quand ils faisaient un rapport était de corroborer mon propre système». C'est dans cette documentation que G. va puiser la matière pour les périodiques dont il a la charge, commandités par les Affaires étrangères. En 1762, il est conseiller d'ambassade à Londres ; en 1763, premier secrétaire d'ambassade pour le traité de paix.

Conjointement, il mène une autre activité, à partir de 1759 : la formation d'interprètes qualifiés, «plusieurs élèves de langues pour les ministres du roi en pays étranger», ainsi qu'il le dit lui-même dans les mémoires de 1761 et 1772 conservés dans son dossier aux A.A.E. A l'anglais, l'allemand, l'italien qu'il parlait lui-même, se sont ajoutés l'espagnol, le polonais, le suédois, le danois (pièce 330 du dossier).

«En 1762», dit Mme Campan, «on enleva d'une autre division du ministère des Affaires étrangères une branche de travail qui augmentait l'importance de sa place». Il semble que l'autorité de G. ne cesse de croître, depuis le moment où, entre 1755 et 1759, Moreau l'avait connu : «ce Genêt, le plus laborieux des instituteurs, d'une famille originairement très chrétienne et fidèlement royaliste, lorsque je travaillais à l'Observateur hollandais avait ordre de traduire pour moi les papiers anglais dont j'avais besoin» (Souvenirs, t. II, p. 320).

Mme Campan, confirmée par Minnigerode, dit qu'il tenait salon. Minnigerode relève, dans une correspondance dont il dut avoir connaissance aux Etats-Unis mais dont il ne donne pas la source, la liste de ses correspondants illustres : «Ducs, ministres, maréchaux, cardinaux : Bernis, Soubise, Luynes, Broglie, Noailles, Chevreuse».

En 1781, il tombe malade d'une fièvre maligne qui l'emporte à cinquante-quatre ans, le 11 septembre. Mme Campan dit que les journaux «retentirent de ses louanges et que son convoi fut suivi d'un immense cortège et par tous les corps militaires de la maison du Roi». Il fut enterré à Montreuil où il avait une campagne.

On trouve dans L’Almanach de Versailles la mention : «Bureau des interprètes du Roi pour le Département des Affaires Etrangères, de la Marine, de la guerre et des finances : M. Genest, premier commis, à l'Hôtel des Affaires Etrangères, rue de la Surintendance». Les Notices de Mme Campan, qui datent de 1819, ne font pas allusion à une fonction de secrétaire-interprète de Monsieur, que l'on trouve chez D.O.A. et dans toutes les biographies.

4. Situation de fortune

Ses premiers appointements, en 1753, sont de 6000 £. «Il resta six ou sept ans avec ces appointements», dit Mme Campan. Mais elle explique qu'il avait la charge des parents et des frères de sa femme et qu'il dépensa plus de 100 000 £ sur le futur héritage de son père. En 1759, il est augmenté et payé par les trois ministères : Affaires étrangères, Guerre, Marine. Son dossier aux A.A.E. comporte plusieurs rapports d'activité avec demande de remboursement de ses frais pour l'achat des gazettes, la formation des interprètes, l'achat des dictionnaires, les frais de bureau, pour lesquels il a fait avance depuis que la vente du périodique Etat de l'Angleterre ne peut plus alimenter ces dépenses. Le dossier comporte aussi une lettre par laquelle, à sa mort, sa femme demande une pension.

5. Opinions

G. est royaliste et catholique, d'après sa fille et d'après son collègue Moreau. C'est un grand commis, un fonctionnaire. Aux Affaires étrangères (voir Samoyault) il innove, il organise, sur des bases très modernes, un centre de documentation et une école d'interprètes. Son activité de publiciste est aussi nouvelle. Dans les premiers périodiques, ceux de 1757 à 1761, il fait œuvre de traducteur et de compilateur. Mais dans les Affaires, vingt ans après, il s'exprime par les «Lettres du banquier», rubrique régulière qui commente et rectifie les textes et documents publiés. Il ne parle pas en son nom, mais exprime le point de vue de son ministre, et sert une politique. Seule la découverte de documents nouveaux sur sa relation avec Vergennes permettrait de définir la part de liberté, de conseil et d'invention qu'il eut dans son activité de commis et de journaliste. Ses œuvres littéraires ne sont que des traductions ou des compilations, avec quelquefois des introductions comme celle que signale avec satisfaction la CL., t. VII, p. 475, nov. 1767, pour un Mémoire sur l'administration des finances de l'Angleterre.

6. Activités journalistiques

Ce sont les circonstances politiques extérieures qui amènent G. à devenir journaliste. Comme il est spécialiste de l'Angleterre, il est tout désigné pour se voir confier, quand le ministère l'estime utile, en temps de conflit, par exemple, un périodique d'opinion. La guerre de Sept Ans impose le premier : Etat politique actuel de l'Angleterre, bimensuel, en 1757, qui paraît jusqu'en 1759, chez les frères Estienne. Le sous-titre donne une idée du contenu : « Lettres sur les Ecrits publics de la Nation anglaise, relativement aux circonstances» (D.P.1. 409). La matière est tirée des gazettes et écrits en provenance d'Angleterre, et chaque livraison donne un tableau des «prises faites à la mer», car les nouvelles maritimes sont l'obsession du périodique. Le choix des textes est toujours fait d'une façon défavorable à l'Angleterre.

En 1759 un autre projet vient doubler celui de G. : David qui a le privilège de la distribution des gazettes étrangères s'entend avec Palissot pour donner une feuille hebdomadaire de traductions des gazettes anglaises. Choiseul demande à G. de cesser son périodique et de contrôler cette publication qui s'appelle d'abord : Papiers anglais (1-22 janv. 1760, D.P.1 1102), puis Etat actuel et politique de l'Angleterre (janvier à novembre 1760, D.P. 1 403), enfin : Gazettes et papiers anglais jusqu'en 1762 (D.P.1 561).

Avec la conclusion du traité de paix, la nécessité d'un organe public ne semble plus ressentie aux Affaires étrangères. Jusqu'au moment où éclatent les hostilités en Amérique. En 1776, il est l'homme de confiance de Vergennes. C'est lui qui suggère (voir A.A.E.) le lancement d'un périodique dont l'origine devrait être soigneusement cachée, pour s'opposer au Courrier de l'Europe et soutenir habilement la politique du roi, appuyant les Confédérés américains et en même temps discutant et corrigeant leur républicanisme. Ses relations d'amitié avec les commissaires de Passy, Franklin et Adams, qui fréquentent familièrement chez lui, lui fournissent une importante matière et l'exclusivité de textes documentaires ou critiques. Ce périodique, qui commence à paraître en mai 1776, s'appelle : Affaires de l'Angleterre et de l'Amérique. Ce périodique paraît jusqu'en novembre 1779 (D.P.1 4). Le Journal politique de Genève et le Journal politique de Bruxelles annoncent que l'auteur des Affaires de l'Angleterre et de l'Amérique cesse son journal et leur fournira des nouvelles traduites des gazettes anglaises. Cette «petite feuille» sera aussi diffusée par le Mercure. C'est toujours G. le rédacteur, ainsi qu'en témoigne sa correspondance avec Franklin et Adams, qui continue à fournir des textes. Et cela continue après sa mort, quand son fils prend sa place. Dans son Diary, John Adams parle de G. comme du rédacteur du Mercure. Lié à Panckoucke, il fait parvenir au Mercure de France les nouvelles destinées au Courrier de l'Europe (G. et M. von Proschwitz, Beaumarchais et le Courier de l'Europe, S.V.E.C. 273- 1990, p. 105-106). La correspondance de Franklin (voir Franklin Papers, en cours d'édition à l'Université de Yale) comporte un texte émanant de G. qui développe le projet d'une feuille périodique en anglais destinée à renseigner les Américains sur les affaires commerciales françaises. Il semble donc qu'à la fin de sa vie les journaux politiques (y compris la Gazette, prise en charge par les Affaires étrangères depuis 1761) aient pris l'habitude de s'adresser à G. pour toutes les nouvelles d'Angleterre et d'Amérique, et qu'il agisse comme le tenant officiel d'un bureau de presse spécialisé. Nous en avons la preuve pour l'Angleterre, mais il est possible qu'il ait étendu sa méthode à d'autres pays.

7. Publications diverses

On trouve la liste des œuvres de G. dans Cior 18, n° 30584-30599. Mais les Affaires n'y figurent pas. Le secret n'avait pas été percé en France. C'est d'Amérique qu'est venue l'identification de G., par Minnigerode. Gilbert Chinard trouva aux A.A.E. confirmation des renseignements donnés par les correspondants américains de G.

8. Bibliographie

Les Notices de Mme Campan sur sa famille ne figurent pas dans ses œuvres. Elles avaient été rédigées en 1819 à l'intention de ses neveux d'Amérique, les enfants d'Edmond Charles Genêt, marié à la fille du général Clinton. C'est Edouard Harlé, descendant de G., qui les publia en 1915 dans : Livre de famille, recueil de documents sur ma famille, 2e part., t.  I, Bordeaux, 1915.En 1925, Gabriel Vauthier reprit ces notices et les publia à part avec des notes, des explications et des pièces d'archives en complément sous le titre : Notices de Mme Campan sur sa famille, Versailles, 1924. – A.A.E., Personnel, Première Série, XXXIV. – Minnigerode M., Jefferson, friend of France : the career of Edmond-Charles Genêt, New York, 1928. Ce livre qui utilise une documentation inédite sans préciser ses sources indique que la Library of Congress possède des «Private papers» de G. – Jusserand J.J., En Amérique, jadis et maintenant, 1918. L'auteur cite à propos de G. une collection privée d'un vicomte Dejean où figureraient des lettres de G. à son fils. – Chinard G., « Adventures in a library», The Newberry Library Bulletin, 2e série, n° 8, mars 1952. Il dit avoir trouvé des renseignements sur G., auteur des Affaires, à Aix-en-Provence. – Samoyault J.P., Les Bureaux du Secrétariat d'Etat des Affaires étrangères sous Louis XV, Paris, 19 71 (l'auteur cite le fonds Chabrillon aux A.D. Drôme qui comporte des lettres de G.). – Franklin B., Calendar of the Papers of Benjamin Franklin, Philadelphia, U. of Pennsylvania, 1908. – List of the Benjamin Franklin Papers, Library of Congress, 1905. – The Papers of Benjamin Franklin, ed. W.B. Wilcox, New Haven, Yale U.P. L'édition chronologique est en cours. A partir du t. XXV on trouve des allusions aux Affaires de l'Angleterre et de l'Amérique et des lettres de G. ou à G., particulièrement dans les t. XXVI, XXVII et XXVIII, qui portent sur les années 1778 et 177. – Adams J., Diary and autobiography, Harvard U.P., 1961.

SAINT-FLOCEL, baron de

Numéro

728

Naissance

?

Décès

?

Sa date et son lieu de naissance sont inconnus. En 1783, il était réfugié à Londres. D'après Brissot «il fut victime de sa crédulité et mourut martyr de sa frénésie pour l'indépendance», mais ni la date, ni le lieu, ni les circonstances de cette mort ne sont donnés. H.P.L.P. l'appelle Saint-Flocel ou Saint-Flozel. C'est lui qui « sous le nom de Lefèvre fut secrétaire du comte d'Aigremont, ministre de France à Coblentz ». Brissot le nomme Saint-Flomel.

3. Carrière

Un séjour en Allemagne, dont nous ne connaissons pas les dates, semble s'être mal terminé. H.P.L.P., citant des «notes de la police», dit qu'il avait «perdu sa place de secrétaire de d'Aigremont, par sa mauvaise conduite et ses escroqueries». Il passa en Angleterre, grâce à un ancien chapelain du duc des Deux-Ponts, l'abbé Séchamp, un «homme mielleux qui se disait l'ami de toute la France et qui l'avait fait venir à Londres pour l'aider dans le projet qu'il avait formé de publier un journal pour le bien de l'humanité».

4. Situation de fortune

Dans le texte de Brissot, on lit que «économiste outré [...] mais environné d'espions, trompé par des entremetteurs, l'honnête Saint-Flomel fut victime de sa crédulité». Escroc en Allemagne, honnête mais trop crédule en Angleterre, le témoignage reste aussi imprécis que contradictoire.

5. Opinions

Le prospectus du Journal des Princes expose les intentions de son rédacteur, S. : lutter contre le despotisme des tyrans et des prêtres, libérer les consciences par une vraie connaissance des principes du droit naturel, au travers d'un « examen critique des journaux et autres écrits périodiques qui se publient en Europe et ailleurs». Les quelques pages conservées du Journal des Princes ne permettent d'apprécier ni les suites du projet, ni les opinions véritables de l'auteur, elles ne font pas allusion aux autres journaux ni à l'actualité.

6. Activités journalistiques

H.P.L.P. rapporte que S. était un ancien rédacteur du Journal de Bouillon, ou Gazette des gazettes, mais de cet aspect de son activité journalistique, rien ne semble connu. Mais le projet de critique des journaux, principe du Journal de Bouillon, pourrait bien avoir inspiré celui que S. prévoyait de mettre en œuvre dans le Journal des Princes. Assorti de l'ambition humanitaire que H.P.L.P. prête à l'abbé Séchamp (p. 451). «Ce journal devait tendre à rendre les hommes meilleurs... et sans doute l'auteur plus riche. Mais les deux amis ne tardèrent pas à se brouiller et Saint-Hyacinthe poursuivit seul la mise sur pied de ce journal philanthropique», dont, par ailleurs, on ne connaît que le prospectus et une brochure de 195 p. Voir D.P. 1 706 et 547.

8. Bibliographie

H.P.L.P., t. III, p. 450-452. – Brissot de Warville J.P., Mémoires, éd. C. Perroud, Paris, 1910.

9. Additif

Activités journalistiques : Dans la Chronique scandaleuse (1783), Imbert de Boudeaux publie deux notices, l’une sur l’abbé de Séchamp (éd. 1791, p.154-155) et l’autre sur  « le sieur de St. Flozel » (p. 156-157),  notices qui  fournissent la base de nos informations sur S.F. : l’abbé Séchamp, « homme mielleux qui se dit l’ami de toute la France », ancien chapelain du prince des Deux-Ponts, soupçonné d’assassinat sur Bustel, négociant de Nantes, s’est enfui avec son complice, le chirurgien Gallois. « Réfugié à Londres, il  a fait venir un de ses amis, le sieur de St. Flozel, pour l’aider dans le projet qu’il a formé de donner le jour à un journal pour le bien de l’humanité... » Au sujet du sieur « St. Flozel », Imbert ne dit presque rien : « C’est sous le nom de Lefèvre qu’il était secrétaire de M. Le comte d’Aigremont, « place qu’il a perdue par sa mauvaise conduite et ses hypocrisies ». Au moment où écrit Imbert, le Journal des Princes doit bientôt voir le jour ; il paraît effectivement en 1783. S.F. a rompu avec Séchamp et « tire de son propre fond les richesses qu’il promet au monde ».

Pierre Louis Manuel consacre un paragraphe de La Police de Paris dévoilée à S.F. (éd. 1794, t. II, p. 244-245) mais il reprend en fait les notices de Imbert sur Séchamp et Saint-Flocel dans la Chronique scandaleuse. Il y ajoute un détail curieux sur Séchamp : « L’abbé de Séchamp est d’intelligence avec Pelporre, Réda, Boissière et le vieux Goudard, pour engager à faire acheter les oeuvres d’iniquité de Pelporre... » (p. 245). Pelporre s’efforçait de monnayer plusieurs  libelles, dont  Les Passe-temps de la Reine et Le Diable dans un bénitier ; le « vieux Goudar », qui devait mourir à Londres en 1791, était alors en mission confidentielle, peut-être pour racheter ces manuscrits. À défaut de connaître Saint-Flocel, on voit dans quel monde il évoluait. Robert Darnton a mené de nombreuses recherches sur le milieu de la Bohème littéraire et sur le commerce de libelles à Londres avant la Révolution ; voir notamment l’édition des Bohémiens de Pelleport (Mercure de France, 2010) et Le Diable dans un bénitier. L’art de la calomnie, 1650-1800  (Gallimard, 2010). Mais Saint-Flocel, qui fut le plus obscur de ces écrivains, n’y apparaît pas. Brissot, qui rédige ses Mémoires beaucoup plus tard, ne garde qu’un souvenir confus de cet « économiste outré », victime de son radicalisme et de sa « frénésie pour l’indépendance » (éd. Perroud, p. 329).

Les « notes de police »  dont parle Hatin  dans l’Histoire politique et littéraire de la presse en France (p. 451-452) à propos de Saint-Flocel paraissent se réduire au texte de Manuel.

Dans la notice de Madeleine Fabre, en fin de l’alinéa 6, corriger Saint-Hyacinthe en Saint-Flocel. (J.S.)

PIAUD

Numéro

636

Naissance

XVIIIe s.

Son nom figure sur la première page du seul numéro connu du Journal-singe, daté de juin 1776. A la page suivante, sous le titre du Prospectus, il se présente ainsi : «La France saura que je suis de Montbrison. Après avoir fait mes études à la campagne chez mon oncle le Curé, je me suis engagé au service du Roi : au bout de quinze ans de gamelle je suis venu tomber sur ma famille. On m'a voulu mettre dans le commerce, je n'ai pu y mordre. Enfin n'étant bon à rien, je me jette dans les journaux, c'est ma dernière ressource.

6. Activités journalistiques

6. Journal singe, 1776 (Londres ?). Voir B.H.C., p. 74 et H.P.L.P., t. III, p. 264.

MOYSANT

Numéro

598

Prénom

François

Naissance

1735

Décès

1813

François Moysant naquit le 5 mars 1735, au village d'Audrieu près de Caen. Les biographes ne donnent pas de renseignements sur ses ascendants, mais un Jacques Moisant de Brieux, né à Caen en 1614, est considéré comme un des meilleurs poètes latins de son époque et il est le fondateur de l'Académie de Caen (en 1652). La famille était protestante et fortunée. On trouve en 1677 un François Moisant, fils du pasteur Robert, qui dut passer en Hollande avec sa famille.

2. Formation

Il fit «de brillantes études chez les Jésuites qui voulurent l'admettre dans leur société, mais il préféra la congrégation des Eudistes». Il enseigna quelque temps la rhétorique et la grammaire au collège de Lisieux, puis vint à Paris où il étudia la médecine pendant six ans, pour être reçu docteur en médecine à Caen en 1764. Mais il n'exerça pas longtemps, reprit une chaire de rhétorique puis devint bibliothécaire, charge qu'il occupa jusqu'à sa mort, avec un intervalle suite à la Révolution où il vécut en Angleterre. La notice d'Hébert donne la liste de ses fonctions et titres : docteur en médecine, professeur émérite de rhétorique au collège du Mont, bibliothécaire de l'Université de Caen, censeur royal, conser­vateur de la bibliothèque de la Ville, membre de l'Académiedes sciences, arts et belles-lettres, de la Société d'agriculture, de la Société de médecine de la même ville, ancien secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences, arts et belles-lettres de Caen, associé honoraire de la Society of Antiquaries de Londres. Pour l'Académie de Caen nous pouvons préciser qu'il a été membre à partir de 1764, secrétaire-adjoint en 1773, et seul secrétaire de 1774 à 1792.

3. Carrière

Il va à Paris pour étudier la médecine, pendant six ans, mais c'est à Caen qu'il est reçu docteur. Il s'y établit médecin mais « une imprudence de régime mit aux portes du tombeau un de ses malades [...] et cette circonstance suffit pour l'éloigner d'un état qui était sa seule ressource, mais où sa sensibilité avait trop cruellement à souffrir et il redemanda et obtint à Caen une chaire de rhétorique qu'il ne quitta que pour occuper la place de bibliothécaire» (id.). Jusqu'à la Révolution il mène à Caen une calme vie de notable lettré : il règne sur la bibliothèque de l'Université et est secrétaire de l'Académie des belles-lettres. C'est à ce moment que parais­sent les Affiches et Annonces de la Basse-Normandie, 1786­1796, où il semble avoir eu part comme rédacteur. La période suivante est très mouvementée : il est chargé des bibliothèques saisies dans les établissements religieux, et, pour de confuses raisons, «il passe en Angleterre» où «de grandes contrariétés» l'attendent : il est déclaré émigré et ne peut revenir en France avant 1802 ; pour subsister, il publie plusieurs ouvrages d'extraits d'écrivains français, à Londres, et peut revenir enfin à Caen en août 1802. En 1801 son adresse à Londres était : 3 Little Vine Street, Piccadilly. Rétabli dans ses fonctions de bibliothécaire et de membre de l'Académie, à Caen, il y meurt en 1813.

4. Situation de fortune

M. semble avoir toujours vécu d'emplois rétribués : comme régent de collège, puis comme étudiant en médecine, il est dit avoir fourni des articles à des dictionnaires (Vocabulaire français, Paris, 1767, 30 vol. ; Dictionnaire de chirurgie). Après la saisie des établissements religieux, il voudrait publier les chartes conservées dans leurs archives, mais ne trouve pas de financement en France, ni en Angleterre, où il se rend, semble-t-il, dans ce but d'édition, et se trouve retenu. « Il fallut qu'il s'occupât de pourvoir à sa subsistance. Il aurait pu recevoir les secours que le gouvernement britannique distribuait aux émigrés, ou se rendre aux nombreuses invitations des Anglais qu'il avait eu pour élèves, mais il ne voulait rien devoir qu'à son travail. Il publia un ouvrage : Bibliothèque des écrivains français, Londres, 1800, 4 vol.» (B.Un.).

5. Opinions

Les événements de sa vie ont montré des ruptures, des conflits, des crises de conscience, déjà bien avant la Révolution. Mais les biographes ne s'attardent pas sur leurs motivations. Sa passion dominante semble avoir été celle de la science et des livres et peut-être le conflit dont Pouthas (p. 13) rapporte l'écho : «Moysant se vit reprocher en 1769 ses opinions sur l'organisation du collège du Mont et fut calomnié dans la ville». Le débat portait-il sur le programme des connaissances que M. souhaitait proposer aux élèves ? En tout cas son Dictionnaire historique portatif, publié dès 1769 et constamment réédité (sept éditions jusqu'en 1789) puis l'Abrégé de la Bibliothèque portative des écrivains français, qu'il publie à Londres en 1800, sont destinés aux élèves et aux maîtres. S'y manifestent des goûts très classiques, une grande admiration pour Louis XIV et son siècle : Molière, La Fontaine, Pascal, Corneille et Racine sont souvent cités, ainsi que Fénelon et Bossuet. C'est surtout Voltaire qui tient une place centrale. On n'y trouve aucun commentaire, simplement un index des auteurs avec une petite notice biographique sur chacun.

6. Activités journalistiques

Aucune biographie ni bibliographie n'indique M. comme rédacteur des Affiches de la Basse-Normandie. On trouve seulement deux témoignages à cet égard : l'un dans un article de J. Gall, et l'autre dans le Mémorial de Philippe Lamare. Dans les prospectus de 1786 et 1787 des Affiches, le rédacteur indiqué est M. Picquot, avocat, place Saint-Sauveur à Caen. Mais P. Lamare écrit (p. 150, note qui doit dater de 1787 ou 1788) : «La feuille hebdomadaire de Caen, nommée Affiches, annonces et avis divers de la Basse-Normandie, fut annoncée au public en 1785 comme devant commencer à paraître le 1er janvier 1786. Elle a paru en effet à l'époque indiquée et s'imprime toutes les semaines à Caen chez Buisson. Celui qui en a le privilège est un marchand de modes nommé Le Peltier. M. Picquot, avocat en a été le premier rédacteur jusqu'au mois d'août 1787. Le second est M. Moysant, bibliothécaire de l'Université. » Nous n'avons pas trouvé de renseignements sur ce Picquot dans des ouvrages de biographie. Seulement une petite note dans le Mémorial de Lamare, dont son éditeur dit qu'elle fut ajoutée postérieurement : « Depuis la Révolution il paraît à Caen un Journal de Basse-Normandie dont je ne peux rendre compte. Quant à M. Picquot, premier rédacteur des Affiches, après avoir passé quelque temps à ne rien faire, il a entrepris une nouvelle gazette qui paraît depuis le 5 janvier sous le nom de Courrier des 5 jours, dans lequel il entasse les calomnies, les médisan­ces, les injures surtout contre le clergé et les moines avec une impudence qui est le style actuel de presque tous les écrivains périodiques». Un document récemment découvert par G. Feyel éclaire de façon définitive le rôle de M. dans les Affiches de la Basse Normandie ; il s'agit d'une lettre de M. au directeur de la Librairie en date du 10 mars 1789 : «Je me chargeai au mois de septembre 1787 de rédiger le Journal de la Basse-Normandie qui s'imprime à Caen. Je ne me proposais que d'être utile au public puisque la seule chose que j'exigeai du privilégié fut qu'il n'y aurait aucun honoraire attaché à mon ouvrage» (A.N., VI, 550, pièce 271, citée par Feyel, t. V, p. 1394). En mars 1789, M. reste le seul rédacteur du journal et se justifie du compte rendu d'un ouvrage politique de Soulavie (Feyel).

7. Publications diverses

7. Dictionnaire de chirurgie, par Le Vacher, Moysant et La Marcellerie, Paris, 1767. – Nouveau dictionnaire historique portatif ou Histoire abrégée de tous les hommes qui se sont fait un nom, Amsterdam [Avignon] 1766 et 1769, réédité en 1771, puis à Paris en 1772, à Caen en 1779, 1783, 1786, 1789, avec des suppléments en 1773 et 1784, par Chaudon, Grosley et M. – Bibliothèque portative des écrivains français ou choix des meilleurs morceaux extraits de leurs ouvrages, Londres, 1800, rééd. en 1803 à Londres, où a paru en 1801 un Abrégé du même ouvrage. – Etudes de littérature, d'histoire et de philosophie extraites de nos meilleurs ouvrages, par l'abbé de Levizac et M. Moysant, Paris, 1812, rééd. en 1814 sous le titre : Cours de littérature. – A côté de tous ces ouvrages de vulgarisation et d'intention pédagogique ou de compilation, tous écrits en collaboration, on trouve encore au nom de M. un discours en latin publié à Caen en 1770 sur le mariage de Louis XVI et de Marie-Antoinette : In felices nuptias, 26 p.

8. Bibliographie

8. B.Un. – Hébert, Notice historique sur M. Moysant, lue à la séance de l'Académie des sciences et belles-lettres de Caen le 29 juillet 1814. – Pouthas C, La Faculté des arts de l'Université de Caen au XVIIIe siècle, Caen, 1910. – Formigny de Lalonde, Documents pour servir à l'histoire de l'Académie des belles-lettres de Caen, Paris, 1854. – Lamare, Mémorial de Philippe Lamare, 1774-1788, publié par Gabriel Vanel, Caen, 1905. – Gall J., «Les Affiches de Basse-Normandie», Bulletin de la Société des antiquaires de Normandie, t. LVI, 1961-1962,p. 807-810. – Feyel G., L'Annonce et la Nouvelle : la presse d'information et son évolution sous l'Ancien Régime (1630-1788), thèse, U. de Paris IV, 1994 ; Oxford, Voltaire Foundation, 1999.

LE TEXIER

Numéro

510

Prénom

Antoine

Naissance

1736

Décès

?

Antoine Le Texier, né à Lyon en 1736, d'un père «financier». D'un mariage contracté vraisemblablement en Angleterre, il a une fille, Elisabeth, en 1784 et un fils, Guillaume en 1787. Il quitte l'Angleterre -où il s'est réfugié en 1775- vers 1805, pour l'Allemagne, revient à Paris en 1814 et y meurt «dans un âge avancé» (G).

2. Formation

Il fit ses études chez les Jésuites. Le texte autobiographique en vers qu'on a de lui: Mes soixante ans (Londres, 1797), évoque du collège le souvenir du «fouet» et d'une «vive jeunesse soumise à la pédantesque phalange», qui combat sa vocation de poète et de bon vivant. Il aime les calembours innocents, les jeux de mots, écrit des comédies, des chansons, des petits-vers. A douze ans il montre une de ses poésies à son père qui se fâche, le fouette et lui dit « Quoi coquin ! veux-tu toi, fils de financier, devenir poète ? » « Pour me soustraire à cet arrêt fatal, je promis d'être un jour fermier-général. »

3. Carrière

Il semble qu'après une période de mondanités et d'aventures galantes, il ait suivi, en effet, la carrière paternelle et soit devenu receveur général des fermes de Lyon (CL.). Mais c'est comme « acteur de société » qu'on entend parler de lui dans les cercles cultivés, à partir de 1770, et on lui attribue la passion, même le génie du théâtre. D'abord il rencontre Rousseau à Lyon, grâce à son Pygmalion. En présence de l'auteur, la pièce est donnée sur un théâtre de société, construit à l'hôtel de ville de Lyon, par M. de La Verpillière, prévôt des marchands, en juin 1770 et jouée par L., dans le rôle du sculpteur. En 1774, il est à Paris, et Mme Du Deffand écrit à Voltaire le 2 avril 1774: «Avez-vous entendu parler de M. Tessier qui assis dans un fauteuil avec un livre à la main, joue des comédies où il y a 7, 8, 10, 12 personnages si parfaitement bien qu'on ne saurait croire, même en le regardant, que ce soit le même homme qui parle. Pour moi l'illusion est parfaite et je crois entendre autant d'acteurs différents». Même enthousiasme dans une lettre qu'elle écrit à Horace Walpole le 27 mars 1774. L'art de L., dit-elle, est tel qu'il rendrait bonne même une mauvaise pièce. Et la CL. exprime la même crainte, et la même admiration: «M. Le Tessier, receveur général des fermes de Lyon, homme d'esprit, ayant la passion du théâtre et étant comédien de la tête aux pieds, a imaginé de former sa voix naturellement flexible, à lire tous les rôles d'une pièce, en leur donnant à chacun le ton de leur âge et de leur caractère [...]. Deux séances ont suffi pour établir sa réputation, et, bientôt il n'a plus été question que de lui. Il a été retenu, dès huit jours après son arrivée, pour tout le temps de son séjour. Nos princes ont voulu l'entendre [...] c'est un délire complet». Voltaire le reçoit à Ferney, en novembre 1774.

L. n'eut pas le temps d'exploiter son succès, dont l'enivrement put le pousser à quelques imprudences. Une note de Beuchot dans son édition de la Correspondance de Voltaire (Didot, 1829-1834) dit de lui qu'il «fut obligé de quitter l'administration des fermes pour des négligences dans l'emploi des fonds dont il était chargé». C'est pourquoi nous le trouvons à Londres, dès 1775. Les charges contre lui devaient être importantes, puisqu'il ne revint d'exil, en France, que 40 ans plus tard. A Londres il cherche à subsister grâce à ses talents. Le changement de langue et de public ne l'aidèrent pas à réussir une entreprise théâtrale, et il revint aux lectures, où il semble avoir connu un bon succès. Il prend une maison à Lisle street, Leicester Fields. Et en 1777 il lance le Journal étranger de littérature, des spectacles et de politique qui n'eut qu'un seul numéro, malgré son titre ambitieux. En 1785 il publie à Londres chez T. Hooknam un Recueil des pièces de théâtre lues par M. Texier en sa maison Lisle Street, Leicester Fields, en 4 tomes. En 1786 paraissent les t. V et VI et en 1787 les t. VII et VIII. En 1799, il lit toujours, puisqu'à la même adresse et sous le même titre paraît un nouveau Recueil, en 4 tomes, en tout un répertoire et une soixantaine de pièces. Nous n'avons que peu de détails sur la fin de sa vie, que nous lisons dans une notice sur M. Le Texier par A. Rondel et T. Lascaris, en préface à la pièce : Le Ton de Paris de A.L. Gontaut-Biron, l'une de celles que L. avait interprétées et mises en son répertoire à la suite de la visite à Londres du duc en 1787. «La guerre contre Napoléon rendait en Angleterre le public peu favorable à ce qui était français. Vers 1805 L. quitta l'Angleterre. Il parcourut l'Allemagne en faisant des lectures. En 1814, lorsque les bouleversements politiques ainsi que la prescription eurent rendu possible son retour en France, il revint à Paris où il mourut dans un âge avancé. ».

4. Situation de fortune

A Londres il semble avoir joui d'une bonne aisance. En 1797 il a «une bonne maison» en ville, une chaumière à la campagne, un attelage de deux chevaux, deux serviteurs («à mon service depuis douze et quinze ans»). Nous n'avons pas de renseignement sur la situation et les biens qu'il avait perdus en France, ni sur ceux qu'il recouvra à son retour, 40 ans après.

5. Opinions

Pas d'autre témoignage sur ses opinions et ses goûts, que le seul numéro connu du Journal étranger (voir D.P.1 733). Il dut avoir de bonnes protections dans le milieu cultivé de gens parlant français à Londres. Il dit qu'il va souvent au théâtre et dispose de sa loge à l'opéra (Mes soixante ans, p. 19).

6. Activités journalistiques

Le Journal étranger (D.P.1 733) ne semble pas avoir eu de succès. On ne le trouve mentionné nulle part.

7. Publications diverses

Cior 18. – Q. (qui lui attribue, par erreur sans doute d'après Rondel et Lascaris, des Odes d'Horace trad. en français par M. Le Texier, ingénieur des Ponts et Chaussées, Paris Verdière, 1818, car il n'était pas ingénieur). – Mes soixante ans, épître en vers, Londres, 1797, 36 p. – Idées sur l'opéra; trad. anglaise, London, 1790. – L'Art de bien lire, suivi d'un recueil de morceaux choisis, Londres, 1800. – Petit cours de littérature à l'usage de la jeunesse, contenant une dissertation sur l'art de bien lire, Paris, Delalain, an IX.

8. Bibliographie

Voltaire, Correspondence, éd. Besterman, D18882, 19175. – CL., févr. 1774. – (G) Gontaut-Biron, A.L. de, Le Ton de Paris, éd. A. Rondel et T. Lascaris, Paris 1911.

JURIEU

Numéro

425

Prénom

Pierre

Naissance

1637

Décès

1713

Né à Mer le 24 décembre 1637, cinquième et dernier enfant de Daniel Jurieu, fils de Siméon pasteur, et lui-même pasteur à Mer, et d'Esther Du Moulin. Elle mourut le 27 novembre 1639 à Chateaudun où son frère Cyrus Du Moulin était pasteur. Esther, née en 1603 et Cyrus en 1608, étaient fille et fils de Pierre Du Moulin, le fameux théologien réformé, né en 1568 et mort à Sedan en 1658.

2. Formation

J. entre en 1648 au collège de Châtillon-sur-Loing, et en 1654 il devient étudiant en philosophie à Saumur, à l'Académie protestante. Il est reçu maître ès arts en 1656 ; puis il part faire sa théologie à Sedan. Son grand-père, Pierre Du Moulin, enseignait dans cette Académie de théologie réformée depuis 1621, et il y vivait toujours. Il meurt à 90 ans en 1656, pendant le séjour de J. Nous n'avons aucun texte concernant la relation personnelle entre le jeune étudiant et son célèbre grand-père. Y eut-il possibilité d'un dialogue avec le vieillard? Les contemporains ont retrouvé entre eux de grandes similitudes de caractère et la même indomptable ardeur polémique. En tout cas, J. ne pouvait ignorer l'oeuvre écrite de son grand-père qui avait formé à Sedan même plusieurs générations d'étudiants en théologie.

En 1658, il part en Hollande et en Angleterre, où il retrouve ses oncles maternels, Pierre et Louis Du Moulin. Le premier est théologien et pasteur anglican ; le second, Louis, avait été professeur d'histoire à Oxford à l'époque de Cromwell et avait embrassé et soutenu les thèses presbytériennes et l'érastianisme. J. après avoir subi son influence devait ensuite polémiquer contre lui, si bien que son oncle invente pour lui le surnom fameux de «Jurieu l'injurieux». L'influence anglicane de l'oncle Pierre semble avoir été prédominante pendant le séjour anglais, s'il est vrai que J. revint en France ayant reçu l'ordination anglicane, comme l'affirment certains biographes. On peut en tout cas remarquer devant une telle formation qu'il fut donné à très peu d'hommes de sa génération de se trouver environné dès sa jeunesse, dans sa propre famille, d'une telle pléiade de personnalités éminentes. A 23 ans, quand il commence sa carrière active, il a bien avant la Révocation, une formation internationale, dans les universités de France, de Hollande et d'Angleterre.

3. Carrière

Rentré en 1661 à Mer, J. débute modestement comme pasteur auxiliaire. Mais l'église réformée ne se suffit pas de son ordination anglicane et le réordonne. Son père meurt en 1663 et Pierre lui succède à Mer. Pendant dix ans sa vie est vouée aux occupations paroissiales et familiales. En 1667, il épouse sa cousine Hélène, dont toute la famille quitte Chateaudun pour venir habiter avec lui. Cyrus meurt peu après. En 1673 il est pasteur à Vitré pour quelques mois. En 1674, il est appelé à Sedan pour y enseigner l'hébreu et la théologie et il exerce aussi une charge pastorale. C'est une période heureuse, de grand rayonnement, ainsi qu'en témoigne Pierre Bayle lui-même, cadet de J. et son collègue à l'Académie, qui fréquente beaucoup les Jurieu et apprécie l'atmosphère amicale et cultivée de la maison.

La persécution contre la R.P.R. s'intensifiant, Jurieu se lance dans la polémique. Son petit livre : Politique du clergé de France, sorti en Hollande en 1680, lui vaut le soupçon des autorités et il juge prudent d'accepter l'offre d'une chaire et d'une paroisse à Rotterdam (déjà faite et refusée en 1666). Il s'y installe en 1682 et y reste jusqu'à sa mort, soit plus de 30 ans. Cette période est la plus connue de son existence. Il écrit beaucoup, il polémique avec le monde catholique : avec Bossuet, avec Nicole, avec Arnauld, avec Maimbourg. Mais quand arrivent la Révocation, les persécutions, le flot des réfugiés, sa théologie descend dans l'arène et se fait politique. Il lance un périodique bi-mensuel, les Lettres pastorales, pour diffuser les nouvelles et agir sur les esprits. Il s'engage aussi dans une action plus secrète de diplomatie et de renseignement. Car il se doute que le rétablissement des réformés en France doit passer par les chancelleries, par l'action du Stathouder devenu roi d'Angleterre, en qui il voit le champion de la cause protestante, par une coalition, peut-être une intervention armée des puissances protestantes en France. Utilisant le travail de Ravaisson, Les Archives de la Bastille (t. X), qui avait mis au jour une correspondance secrète de J. avec un ministre du roi d'Angleterre, J. Dedieu a cherché à Londres dans les archives anglaises du Foreign Office et a trouvé de nombreuses lettres de J. ou à J., ainsi que des nouvelles à la main confirmant son activité secrète comme informateur de la chancellerie anglaise, et il a cru pouvoir lui attribuer l'organisation et l'animation d'une véritable «agence d'espionnage», dès 1686 et jusqu'à la paix de Ryswick (1698), qui anéantit tous ses espoirs. Ce domaine est encore loin d'être exploré complètement ni éclairci. Les thèses de J. Dedieu, qui d'une part déteste Jurieu et d'autre part, a, semble-t-il, une conception anachronique de ce qu'il appelle une «agence d'espionnage», devraient être reprises et confrontées à ses sources (conservées au Public Record Office à Londres) ; l'abondance des archives justifierait cette nouvelle recherche. En tout cas J. s'engage, et souvent avec violence contre la politique de Louis XIV et contre la monarchie absolue. Ce qui est une position avancée, même au Refuge. Politique et théologie mêlées, il polémique contre Bayle, en particulier et tous ceux qui prônent la non-résistance et le droit divin de la monarchie. Dans la première décennie du XVIIIe siècle, il prend part à toutes les querelles théologiques, contre Basnage, contre Leclerc et les arminiens, contre Aubert de Versé. La prédication, les lettres, les écrits de ce «battant» ne sont pas dépourvus de la fureur sacrée ni de l'«odium theologicum», et il a beaucoup d'ennemis. Mais il s'est toujours montré d'une très grande générosité envers les réfugiés et toutes les oeuvres de secours.

Resté constamment en charge comme pasteur d'une paroisse, malgré d'assez fréquentes et longues périodes dépressives, il renonce cependant en 1708 au ministère qu'il a exercé pendant 47 ans. En 1710, lui et sa femme sont suspendus de communion, pour leur sympathie envers le prophétisme cévenol. Il meurt en 1713, dans l'isolement, mais sans avoir cessé de travailler ni d'écrire (Labrousse, p. 231).

4. Situation de fortune

En 1640, Daniel Jurieu, père de J., après la mort de sa femme, au moment où il se remarie et charge son beau-frère Cyrus Du Moulin d'être le curateur de ses enfants, est un homme riche (voir l'inventaire de ses biens, dans Poujol, p. 178 et suiv.). Il possède plusieurs maisons, des terres, des meubles, une bibliothèque. Les longues études et les voyages à l'étranger de J. prouvent que sa famille avait des moyens importants. En 1663, quand Daniel meurt, J. hérite de sa maison. Lorsqu'il quitte la paroisse de Mer en 1674, il vend ses biens : maisons et terres pour plus de 3000 £. A Sedan, il trouve une maison familiale. Là, comme à Rotterdam, il touche double traitement : de pasteur et de professeur. Bayle, qui a toujours été pauvre, parle de sa maison et de son accueil comme de ceux d'un homme opulent.

J. Dedieu signale que d'après les lettres du Public Record Office d'importantes sommes fournies par le gouvernement anglais passaient par ses mains, mais il reconnaît n'avoir pas trouvé la preuve que les «services» de J. étaient eux-mêmes rémunérés (p. 196).

A sa mort, n'ayant pas d'enfants, sa femme hérite. Labrousse dit (p. 147, n.) : «Elle devait mourir en Angleterre où elle s'était établie après la mort de son mari [...]. Notons que son mari et elle avaient distribué des sommes si considérables au cours de leur vie que Mme Jurieu était presque dans la misère quand elle mourut» (en 1720).

5. Opinions

J. a été dans l'ensemble, fort malmené par les biographes : par Michaud en tout cas, et même par Haag, qui condamne surtout son caractère : sa violence, son agressivité, ses outrances. Il faut dire qu'il a vécu sur un fond historique de tourmente. C'était un homme d'idées, qui fut forcé de s'engager, car il n'y avait pas de confort intellectuel pour les réformés en ces années. Dans sa jeunesse, il fut tenté par l'orthodoxie, l'autorité et la pompe de l'église anglicane. Mais ensuite, il mena modestement une vie de pasteur réformé de campagne, se faisant seulement remarquer par ce que, reste d'anglicanisme, il déclarait le baptême des enfants nécessaire à leur salut. A Sedan, il trouve un auditoire à sa mesure. Il est à l'aise dans une Université qui reconnaît son autorité, à la suite de celle de son grand-père. Son enseignement est traditionnel, mais déjà il polémique contre les catholiques, et il ne supporte pas qu'on «veuille arracher aux réformés leur coeur francais» (Politique du Clergé de France, Entretien II, p. 107). Passé à l'abri, à temps, en Hollande, il se sentit toujours en communion avec les souffrants. Il les défend, il les secourt. Il n'accepte pas qu'on se soumette ni qu'on leur prêche cette démission. Il s'engage politiquement et secrètement, car c'est fort risqué pour un pasteur. Il radicalise ses idées, il les met en accord avec son action, ou l'inverse.

Contre Bossuet, il défend l'égalité des droits de l'homme, la souveraineté du peuple préexistante au contrat de la monarchie, le droit de résistance à la persécution, le refus de la guerre offensive, de l'esclavage, du recours au droit divin. La liberté morale est pour les chrétiens la source de la liberté religieuse, laquelle selon la Réforme est l'origine de la liberté politique. Celle-ci ne peut subsister et prospérer dans un peuple que par un sentiment croissant de la liberté morale. La liberté morale de l'homme implique la possibilité d'une intervention directe de Dieu au milieu des lois naturelles. Le miracle est donc un postulat de la liberté morale (thèses de l'Apologie des Réformateurs de J., résumées par C. Van Oordt). Ces idées, en son temps, n'étaient pas recevables, et ne furent pas reçues. Même par les siens, par Bayle, son ancien ami : les deux hommes se combattirent cruellement. Mais Locke, Rousseau, Rabaut et Michelet s'y sont reconnus. Et c'est peut-être la grandeur d'un homme qui fut incompris et malheureux, d'avoir été non pas un grand théologien, un historien reconnu, un philosophe d'autorité, un maître à penser, ce à quoi sa force de conviction, son tempérament impérieux et ses grands dons d'expression le destinaient, mais, parce que venu trop tôt, un prophète.

Il reste à comprendre pourquoi un esprit supérieur, aux talents incontestés, favorisé depuis son enfance, ayant occupé des postes importants, respecté et conscient de sa valeur et de sa mission, s'est laissé glisser dans une ornière aussi dangereuse pour lui et pour tout son entourage? Il est difficile de mesurer le mal qu'il fit à la cause qu'il prétendait servir : par son intolérance, ralentir l'évolution lente et naturelle du Refuge wallon par rapport à l'intransigeance dépassée du Synode de Dort, entraîner les autorités de la province à prendre parfois des mesures qu'elles auraient préféré éviter, fausser le jeu normal des institutions calviniennes dans mainte paroisse qui n'était pas la sienne? Faire du Refuge un lieu de disputes, d'intrigues, de dénonciations hargneuses? Faire perdre à la Hollande sa supériorité séculaire dans la tolérance civile? Faire fuir vers des lieux moins haineux, fussent-ils la France monarchique, des esprits aussi distingués que Hémérens, Aubert de Versé, Papin, Daniel de Larroque, Charles Le Cène? Si Bayle le philosophe n'a jamais failli ni à sa dignité ni aux serments de l'amitié, J. le théologien, égaré par la passion du pouvoir, a renié ses principes et sa propre morale le condamna. Il vécut assez longtemps pour se rendre compte qu'il n'éliminerait jamais tous ses rivaux en Hollande, et que, entre lui et Bayle, le XVIIIe siècle avait déjà choisi.

6. Activités journalistiques

En 1686, J., hanté par la situation de ses frères persécutés en France, commence un ouvrage périodique : Les Lettres pastorales «adressées aux fidèles de France qui gémissent sous la captivité de Babylone». Malgré les efforts de la police pour les intercepter, elles connaissent un énorme succès et franchissent la frontière, du 1er septembre 1686 à décembre 1689, de 15 jours en 15 jours (D.P.1 831). Ce sont des feuilles de 8 pages in-4° sur deux colonnes, suivant la présentation des gazettes. Elles polémiquent d'abord contre Bossuet, dont la Lettre pastorale aux Nouveaux Catholiques d'avril 1686 niait toute violence faite aux consciences. Elles donnent de nombreuses nouvelles de France, et surtout démontrent le droit à la résistance et la souveraineté du peuple. Les lettres XVI, XVII et XVIII de la troisième année, en particulier, exposent une véritable théorie de la monarchie constitutionnelle, d'après sa lecture de la prise du pouvoir en Angleterre en 1688 par Guillaume d'Orange. Ces textes furent souvent réédités. J. en donna encore trois numéros en 1694, après une longue interruption due sans doute à une maladie grave.

Entre temps un autre ouvrage périodique : les Soupirs de la France esclave qui aspire après la liberté commencent à paraître en août 1689. Jusqu'en septembre 1689, il s'en distribue une quinzaine de livraisons. Le contenu est entièrement politique. Il s'agit, dit l'auteur «de ramener les esprits de nos compatriotes à l'amour de la liberté et de les faire revenir de cet aveuglement pour la conduite de la cour qui les retient dans l'esclavage». Le principe du droit de la monarchie, fondé sur la souveraineté du peuple, est exposé historiquement. Le rédacteur donne des exemples des violations des contrats passés avec les réformés, en même temps qu'il décrit les exactions du «pouvoir despotique», de la «puissance arbitraire», de la «tyrannie» de la monarchie en France sous Louis XIV. Le rédacteur est censé être un catholique français, fiction souvent utilisée par J. ou Bayle. J. n'a pas signé ce texte, et ne l'a pas revendiqué, mais déjà ses contemporains le lui ont attribué. Ils ont été suivis depuis par Barbier, Haag, Dodge, Kaeppler, Haase. Nodier n'y reconnaissait ni la culture ni le style de J.. Les spécialistes du Refuge, E. Labrousse, F.R. Knetsch, Riemann et Howells ont contesté sa paternité, avec une argumentation qui semble bien fondée, mais sans qu'aucun d'eux, sauf Riemann qui propose Levassor, ne suggère d'autre auteur. De toute façon, le livre eut une longue audience, puisqu'il reparut en 1788, par les soins de Rabaut-Saint-Etienne, sous le titre : Les Voeux d'un Patriote.

7. Publications diverses

La bibliographie de J. est énorme : théologie, apologétique, controverse, exégèse, histoire, périodiques. Elle est aussi très variée dans sa forme : traités, dialogues, lettres, journaux, mémoires, sermons. On trouvera l'essentiel dans Cior 17 ou Haag ; et l'inventaire complet dans la «Bibliographie chronologique» de E. Kaeppler.

8. Bibliographie

B.Un., Haag. – Chauffepié, Nouveau dictionnaire historique et critique, Amsterdam, La Haye, 1750-1756. – Van Oordt C., Pierre Jurieu, historien apologiste de la Réformation, Paris, 1879. – Felice P. de, Mer : son église réformée, Paris, 1885. – Poujol D., Histoire et influence des églises wallonnes, Paris, 1902. – Bost Ch., Les Prédicants protestants des Cévennes et du Languedoc 1684-1700, Paris, 1912. – Puaux F. Les Défenseurs de la souveraineté du peuple sous le règne de Louis XIV, Paris, 1917. – Dedieu J., Le Rôle politique des protestants français (1685-1715), Paris, 1920. – Robert B., «La Réforme à Alençon, deux notes inédites», B.S.H.P.F., t. LXXXIV, 1934. – Kaeppler E., «Bibliographie chronologique des oeuvres de P. Jurieu», B.S.H.P.F., t. LXXXV, 1935, p. 390-440. – Id., «La controverse Jurieu-La Conseillère», B.S.H.P.F., t. LXXXVI, 1937. – Dodge G.H., The Political Theory of the Huguenots of the dispersion, Columbia U.P., 1946. – Labrousse E., Pierre Bayle, Nijhoff, 1963. – Knetsch F.R., Pierre Jurieu, theolog en politikus der Refuge, Kampen, 1967. – Howells R.J., Pierre Jurieu, antinomian radical, U. of Durham, 1983. – Sur l'attribution des Soupirs de la France esclave, voir : Nodier C., Mélanges tirés d'une petite bibliothèque, Paris, 1829 ; Riemann G., Der Verfasser der Soupirs de la France, Berlin, 1938.

JOUIN DE SAUSEUIL

Numéro

423

Prénom

Jean

Naissance

1731

Décès

?

Le chevalier Jean Nicolas Jouin de Sauseuil est né à Paris en 1731. Les biographes n'ont relevé aucun renseignement sur son ascendance, sa carrière, ni même la date de sa mort.

2. Formation

Il semble avoir eu d'abord une carrière militaire : on le dit capitaine des Gardes du Prince de Liège, puis capitaine d'infanterie au service de la France. Il passe en Angleterre en 1762 et il enseigne le français à l'université d'Oxford, où il se présente comme diplômé de l'université de Paris : L.L.D., suivant le signe anglais, c'est-à-dire docteur en droit. Il y reste comme «lecturer» au moins jusqu'en 1773. Il rentre ensuite en France où il fréquente des gens de lettres, lance Le Censeur universel anglais, tout en poursuivant une activité de traducteur, peut-être d'enseignant : il publie en 1783, à Paris, une Grammaire anglaise, traduite de Lowth. Il est membre de la Société anglaise pour l'encouragement des Arts.

3. Carrière

On ignore tout de ses études et de sa première carrière militaire. Mais celle-ci correspond avec la guerre de Sept Ans, et c'est juste après, en 1763, qu'on le trouve à Oxford, ainsi qu'en atteste la lettre dédicatoire au chancelier de l'université d'Oxford, le comte de Litchfield, datée du 1er février 1772, qui figure en tête de son ouvrage didactique : Brachygraphy... Il écrit : «votre protection m'a sauvé des dangers pressants auxquels ma relation avec une certaine personne également illustre et infortunée, m'avait exposé par le ressentiment d'ennemis puissants d'une autre nation [...]. Je me souviens encore de tous les autres bienfaits que j'ai eu l'honneur de recevoir de vous pendant mes huit ans de résidence à Oxford» (lettre rédigée en anglais). Huit ans en 1772, qui se sont peut-être prolongés jusqu'en 1776, année où il publie à Londres un ouvrage en anglais : Free thoughts on quacks and their medicines, écrit à l'occasion de la mort d'Olivier Goldsmith dont on accusait les empiriques, que l'auteur s'attache à justifier. Il s'y cache sous le nom de Spilsbury.

4. Situation de fortune

Sa situation familiale n'est pas connue. Dans l'armée, il est dit capitaine, donc titulaire d'une solde. Mais l'adversité qui l'oblige à quitter son grade et son pays pour se réfugier en Angleterre reste mystérieuse. Il trouve heureusement un emploi à Oxford, grâce à des protections, grâce aussi, sans doute, à sa culture universitaire et à son savoir-faire pédagogique. Mais l'on ne sait ni quand ni comment son séjour se termine, ni les circonstances de son retour en France.

5. Opinions

En fait sa principale activité, puisqu'elle correspond à une quinzaine d'années de sa vie, aura été celle d'un linguiste, enseignant sa propre langue à l'étranger, et sa grande oeuvre est celle qu'il publie à Londres, en anglais, en 1772, et annonce en ces termes, dans la Préface : «This Brachygraphy (= méthode facile pour conjuguer les verbes français) intended to follow 3 other publications : Analysis of the french orthography – Rational Grammar of the french language – Practical grammar, with a new set of Exercises adapted to them. The 2 last are in the press and the whole is designed to form a complete course of lectures on the french language, nearly such as I read publicly in every term during six successive years (from 1764-1770) in the University of Oxford». C'est ce même ouvrage, traduit en français sous le titre : Anatomie de la langue française, que publiera Sauseuil en 1783, à Paris, ouvrage pour lequel il déclare qu'il a fait imprimer 50 000 prospectus [sic : in Lettre de l'Auteur de l'Anatomie de la langue française à M. le Baron de ***, Paris et Londres, 1785]. Le succès de ce livre en France ne semble pas avoir été évident, ce qui n'a rien d'étonnant puisque sa méthodologie était pensée pour des Anglais apprenant le français.

6. Activités journalistiques

En 1785, J. se tourne vers une activité nouvelle : un périodique, le Censeur universel anglais (DP 1 204) consacré à diffuser des extraits de gazettes anglaises et américaines, accompagnés de réflexions, d'anecdotes, de plaisanteries, et où il donne encore de longs feuilletons anonymes, sans doute traduits par lui aussi. Seule une comparaison attentive avec la presse anglaise pourrait faire apparaître l'originalité du commentaire et du choix des textes, donc la part personnelle du rédacteur du Censeur universel anglais. Le journal porte en sous-titre qu'il est rédigé par J. et par une Société de gens de lettres. Il est dédié à Madame. Les noms desdits gens de lettres n'apparaîtront pas dans le texte, mais le cercle de Monsieur, époux de Madame (Marie-Josèphe de Savoie) se réunit au château de Brunoy, où il reçoit des lettrés, des académiciens, des savants, des artistes qui doivent être sinon des fournisseurs d'articles, du moins des abonnés. Ils semblent avoir été nombreux puisque le nouveau rédacteur, Griffet de La Baume, prenant la suite de J. en janvier 1786, fait état du succès du journal : «Tous les journaux ont pillé le Censeur, les extraits ont été réimprimés, ainsi que les poésies, anecdotes, plaisanteries ignorées en France», ce qui est «une preuve d'estime des confrères». D'ailleurs la formule courte, trouvée par J., avec un numéro par jour, était réussie et son talent de journaliste semble d'autant plus évident qu'après lui le journal devient beaucoup plus lourd, moins varié, moins attrayant. Une étude du milieu anglophile qui lisait le Censeur serait à faire, qui mettrait en parallèle avec lui un autre périodique contemporain consacré aussi à transmettre la presse anglaise : le Courrier de l'Europe. Quand J. cesse son activité, un avis paraît dans le journal pour dire que «depuis le premier janvier 1786, M. de Sauseuil n'a plus aucune part au privilège, à la rédaction et à la composition du Censeur anglais.

7. Publications diverses

La plupart de ses ouvrages sont écrits en anglais et publiés à Londres : Analysis of the french orthography and principles of french pronunciation, Londres, 1772.– Brachygraphy of french verbs, Londres, 1772.– Free thought on quacks..., Londres, 1776. A partir de 1783, on trouve en français à Paris : – Grammaire anglaise, trad. de Lowth, 1783.– Emily Corbett, trad. de Pratt, 1783.– Anatomie de la langue française, 1783.– Lettre de l'auteur de l'Anatomie à M. le Baron de B***, 1785.– A partir de 1788 on retrouve des ouvrages traduits du français en anglais et publiés à Londres : Valuables secrets concerning arts and trades, et The Manoeuvrer, trad. de Bourdé, 1788. Cela pourrait signifier que J. dont on perd toute trace en France après 1785, serait retourné en Angleterre pour y finir sa vie. Les archives manquent encore et on est réduit à des conjectures.

8. Bibliographie

B.Un. – Lettres et préfaces à l'édition de Londres de 1772 de la Brachygraphy.

9. Additif

Jean Nicolas Jouin de Sauseuil est né, selon Desessarts (Les Siècles littéraires de la France) , le 13 mai 1731, le 18 mai selon la France littéraire de Ersch. D’après la France littéraire (supplément de 1778), il est fils de Nicolas Jouin, pamphlétaire janséniste, auteur des Nouveaux Dialogues des morts et du Philotanus moderne. Son nom a été  transcrit de différentes manières (Sanseuil, Sauseuil, Sauseuille). Il a usé souvent de pseudonymes et sa qualité de chevalier est douteuse. On ne connaît pas la date de sa mort. Rétif, qui l’a connu et qui le mentionne dans Mes Inscriptions et parle en 1789 dans les Nuits de Paris de « l’infortuné chevalier de Sauseuil » (nuit CLXVI), pourrait faire allusion à sa mort récente.

Formation: Auteur d’un prospectus pour le Cabinet héraldique, il est donné comme généalogiste par la France littéraire, mais l’ouvrage n’a pas paru.  Il aurait été militaire, mais on ne sait rien de ses premières années, sinon ce qu’en dit la France littéraire de Ersch, qui le fait « Chevalier de l’Ordre de St. Philippe, ancien Capitaine des Gardes du Prince de Liège, et ci-[devant] Capit. d’Infant. Au service de France, Capitaine et Major adj.  de la Légion de Tonère, et M.[embre] de la Soc. Angl. Pour l’encouragement des Arts ».

Carrière: Une procédure d’enquête lancée contre lui  le 31 octobre 1759 (A.N. Y 10.225, affaire n°12, résumée par Catherine Samet dans Naissance de l’escroquerie moderne, L’Harmattan, 2005, p. 98-101) jette toutefois un doute sur cette trop belle carrière. Le 9 octobre 1759, un individu « de cinq pieds environ, portant des cheveux roux, avec une figure longue et blême, un chapeau à plumet blanc, une épée d’acier damasquiné, des boucles de souliers à diamants, un habit couleur marron » est venu louer en urgence une chaise « en forme de sabot garnie en velours d’Utrecht jaune », afin de remplacer son cabriolet accidenté, le paiement étant remis à plus tard. Il affirme se nommer le chevalier de Faucilly, mais sa logeuse, tenancière d’une maison close, affirmera qu’il porte plusieurs noms et qu’il est connu pour se livrer à l’usure et à des manoeuvres frauduleuses. Il a d’ailleurs loué de la même façon plusieurs voitures, avec l’intention apparemment de les revendre. Jouin de Sauseuil, demeurant dans l’île Saint-Louis, « généalogiste de son état », est  arrêté, ainsi que sa logeuse ; la sentence du  Châtelet l’inculpe d’escroquerie le 20 janvier 1761 ; l’arrêt de la Cour le condamne « au carcan et au bannissement pour différentes escroqueries ». Il y est nommé Jacques Nicolas Jouin de Sauseuille (collection Anisson, 22094, n°57), mais la similitude des noms, la qualité de généalogiste, l’apparence militaire et les dates permettent de penser qu’il s’agit bien de notre journaliste, qui disparaît peu de temps après, et qu’on retrouve en Angleterre en 1762.

En Angleterre, il s’établit à Oxford, se marie le 6 février 1767 à St. Peter’s church : « Messire Jean Nicolas Chevalier de Sauseuil marié le 1st juin 1768 à Anne Stratford Native d’Oxford ». De ce mariage sont issues, Henriette Anne, née le 1er février 1767, Aune [Anne ?] Amélie Mathilde, née le 7 mai 1768 et Élisabeth, « the Daughter of Jean Chevalier and Anna de Sauseuil », née et inhumée le 11 mai 1769 (Ancient and present state of the city of Oxford, ed. John Persall, 1773, p. 172 et 173).

Situation de fortune: Il revient en France très probablement en 1782 ou 1783, année où il fait paraître son Anatomie de la langue française, traduite de son Analysis of the french orthographie (1772), qu’il avait envoyée à Voltaire ; celui-ci l’a remercié  dans une lettre du 24 septembre 1773. Dans le prospectus de son édition de 1783, répandu selon lui à 50.000 exemplaires, J. tente de se faire connaître en attaquant Rivarol ; il affirme, avec une insolence qui semble lui être coutumière, que le Discours sur l’universalité de la langue française aurait d’abord besoin d’être traduit en français... Les Mémoires secrets, qui rapportent l’anecdote, s’attendent à une réplique et à une « guerre littéraire » (31 octobre 1784). Il n’en sera rien ; Rivarol réplique dans deux lettres hautaines adressées au Journal de Paris, le 15 octobre 1784 et le 20 juillet 1785, et Sauseuil retombe aussitôt dans l’obscurité (Voir le résumé de cet épisode dans Rivarol, sa vie, ses idées, son talent d’après des documents nouveaux, ouvrage collectif, Slatkine, 2009, p. 148-149). Un lecteur du Journal général de France, dans une lettre du 8 juin 1785, constate que cette « agression » est restée sans lendemain, et souligne l’injustice de ces critiques. (J.S.)

GRIFFET DE LA BAUME

Numéro

361

Prénom

Antoine

Naissance

1756

Décès

1805

Antoine Gilbert Griffet de La Baume (ou La Beaume) est né à Moulins le 21 novembre 1756 ; il est mort à Paris le 18 mars 1805. Fils de Philibert seigneur de La Baume et des Clapettes, trésorier général de France à Moulins, et de sa seconde épouse Marguerite Petitjean de La Font, petit-fils de Gabriel, aussi trésorier général de France, cousin lointain des jésuites Henri et Claude Griffet. Marié en 1788 à Marie de Guise dont il a eu un fils, Jean Baptiste, qu'on dit, en 1805, sous-lieutenant d'infanterie.

2. Formation

«Il fit de bonnes études», dit laconiquement la B.Un. La notice de la Décade mentionne des «études avec succès» et ajoute qu'il «savait à fond les langues anciennes, et surtout les langues modernes : l'anglais et l'allemand lui étaient aussi familiers que le français», sans qu'on sache où il les avait appris, ni s'il fit des séjours à l'étranger. Il est dit «venu à Paris» en 1776, selon la B.Un. ; en 1770 selon la Décade. A cette date il n'aurait eu que quatorze ans et aurait dû donc fréquenter un établissement scolaire.

3. Carrière

Sur ses débuts à Paris, nous n'avons aucun renseignement, sinon qu'il écrivit jeune des comédies en vers qui ne furent pas jouées. Il semble avoir vécu à Paris toute sa vie et avoir eu une activité principale de traducteur d'ouvrages anglais ou allemands et de collaboration à divers journaux. Dans la Révolution il met beaucoup d'espoir, mais sans se compromettre. Puis à une date non précisée, qui doit se situer vers 1795, il obtint, sur la recommandation de quelques amis, un emploi dans les bureaux du ministère de l'Intérieur, division de l'Instruction civique. « Se trouvant là pour ainsi dire au milieu de ses pairs, car la plupart de ses collègues étaient des gens de lettres, il coula huit années de sa vie au sein de la paix et du bonheur». Mais pendant cette période, il ne cesse pas de publier des traductions. Ensuite il perd sa place par «un changement de ministère». Il se remet de plus belle à traduire pour survivre, mais, en fait, «depuis la perte de sa place il ne fit que languir [...] et mourut après une maladie assez longue et douloureuse» (Décade).

4. Situation de fortune

Son père était trésorier général de France à Moulins, charge déjà tenue par son père, mais sa famille fut ruinée, nous ne savons comment ; et G. entra lui-même dans l'administration, mais n'y resta pas. Chargé par le ministre François de Neufchâteau de traduire des rapports sur les hospices civils de l'étranger, «il remplit cette tâche», dit encore la notice de la Décade, «avec un zèle et un plaisir inexprimables». Ensuite il perdit sa place qui lui donnait juste ce qu'il fallait pour vivre, et «perdit ainsi toute sa fortune». Puis les libraires qui publiaient ses traductions firent banqueroute. Tableau peut-être dramatisé par l'auteur de la notice. Mais G. semble être mort dans la pauvreté.

5. Opinions

Dans son rôle de rédacteur du Censeur, c'est-à-dire de 1786 à 1788, G. se veut accompagné par une «société de gens de lettres», dont les noms n'apparaissent pas. Il s'annonce aussi, par sa dédicace à Madame, dans la familiarité du cercle de Monsieur, le futur Louis XVIII, qui reçoit des lettrés et des savants au château de Brunoy, cercle très anglophile et libéral. En 1788 G. publie une traduction de l'anglais d'un texte anonyme (dont D.O.A. ne connaît que le traducteur) : Réflexions sur l'abolition de la traite et de l'esclavage des nègres ; et en 1790, la traduction du Sens commun de Thomas Payne, ce qui indique un choix d'esprit. « La Révolution arriva et G. s'imaginant comme toutes les âmes honnêtes que cette révolution pouvait nous rendre plus heureux, en adopta les principes, sans en aimer les conséquences. Il continua à traduire les ouvrages, mais il choisit ceux qui pouvaient le mieux prouver son amour pour les hommes, son esprit philosophique et son patriotisme» (Décade).

6. Activités journalistiques

On connaît sa participation à plusieurs périodiques : Journal encyclopédique. Le Censeur universel anglais. Mercurede France. Le Bulletin de Littérature. Magasin encyclopédique. Décade philosophique (articles sous la lettre L).

Dans le Censeur (1785-1788), où il semble avoir été le rédacteur principal, ses articles sont signés d'un Z. Pour les autres journaux parus avant la Révolution : le Journal encyclopédique et le Mercure de Panckoucke, il ne semble avoir été qu'un collaborateur occasionnel, sans doute en tant que traducteur et spécialiste de l'Angleterre. Les autres journaux sont postérieurs, et ne lui firent pas non plus une place importante.

7. Publications diverses

Voir Cior 18, n° 32422-32450. A part des pièces de théâtre, œuvres de jeunesse et jamais jouées ni imprimées, et Quelques vers, Paris, 1786 et 1801, l'œuvre littéraire de G. se borne à des traductions :

1) de l'anglais : Les Epanchements de l'amitié et de l'amour, de Langhorne, Paris, 1780. – Nouveaux voyages en France, éd. Sterne, 1783. – Suite et fin de la vie et des réflexions de Tristram Shandy, 1785. – Sermons de Sterne, 1786. – Evelina, de Mrs d'Arblay, Paris, 1784. – Réflexions sur l'abolition de la traite, 1788. – Sermons, de Sterne, 1786. – Lettres de Sterne, 1788. – Poèmes d'Ossian, 1788. – Le Fou de qualité, de Brooke, 1789. – Contes orientaux et autres, «traduits de l'allemand et de l'anglais», 1797. – Le Sens commun, de Thomas Payne, 1790. – La Victime de l'imagination, de Tomlins, 1795. – Vie de Daniel de Foë, 1799. – Les Enfants de l'Abbaye, de M.R. Roche, Paris, 1801. – Voyage de Horne-man dans l'Afrique septentrionale, 1803. – Recherches asiatiques, 1805. – Anna Bella, de Mackenzie, 1810.

2) de l'allemand : Daniel, de Moser, 1787. – Les Souffrances maternelles, roman imité de l'allemand, 1795. – Marianne et Charlotte, de Junger, 1795. – Léopoldine, de F. Schultz, 1796. – Peregrinus Protée, de Wieland, 1795. – Tableau du Déluge, de Bodmer, 1797. – Histoire des Suisses, de J. de Muller. – Louise, de Voss, 1800. – Les Abdérites, de Wieland, 1802. – Aperçu statistique des Etats de l'Allemagne, de Hoek, 1802.

Une pièce licencieuse : La Messe de Gnide plusieurs fois rééditée (1794, 1797, 1881 et 1884).

8. Bibliographie

F.L. ; B.Un. Décade philosophique, t. XLV, p. 192. Magasin encyclopédique, avril 1805, p. 414. – Martin, Mylne et Frautschi, Bibliographie du genre romanesque français, 1751-1800, Londres, Mansell, 1977.

GRANET

Numéro

358

Prénom

François

Naissance

1692

Décès

1741

François Granet est né à Brignoles en 1692, fils d'Honoré Granet commerçant et de Madeleine Crozet (Achard). Il vint jeune à Paris et y demeura jusqu'à sa mort, à l'âge de 49 ans, le 2 avril 1741, jour de Pâques, à 8 h. du matin. Il fut inhumé le 3, à Saint-André des Arcs, sa paroisse (Achard, Moreri). «Il était d'une complexion faible et délicate», écrit l'abbé Desfontaines, « et depuis quelques années, ses maladies fréquentes alarmaient ses amis. Celle dont il est mort n'a duré que 5 jours» (Observations, t. XXIV, p. 167).

2. Formation

Nous avons très peu de renseignements sur ses études. Achard dit : «il fit ses études dans sa patrie». Sa formation de bon humaniste, il la doit probablement au collège des Oratoriens de Toulon. Son amitié avec le P. Desmolets, son intérêt pour l'œuvre du P. Le Bron (1661-1729), oratorien originaire lui aussi de Brignoles, dont il édite un Discours sur les pièces de théâtre, en 1731, induisent des affinités et une formation oratorienne. «Il fit des études théologiques et fut ordonné diacre, sans aller jusqu'à la prêtrise» (D.L.F.). Moreri précise : diacre d'Aix. Mais il ne dut pas y rester longtemps, s'il vint jeune à Paris. Desfontaines dit qu'il ignore à quelle date. On le peint comme un homme modeste et discret. «Il fut exempt d'ambition et son âme élevée ne s'abaissa jamais à solliciter des bienfaits et des titres» (Observations).

3. Carrière

Il vint jeune à Paris «où son goût de la littérature lui fit des amis et des protecteurs parmi les gens de lettres». Ces renseignements de Moreri sont fort vagues et n'ont pas été vérifiés. Il faisait des traductions du latin et de l'anglais, achetait et vendait des livres, collaborait à des journaux (Observations, t. XXIV, p. 167), écrivait des préfaces, préparait des manuscrits pour l'impression. En 1725 il habite rue Saint-Honoré, chez un banquier (lettre à Mazaugues du 10 mars 1725, B.V. Nîmes, ms. 151), et en 1730, rue Dauphine (lettre à Carte, 9 mars 1730, Bodleian, ms. Carte 226). «Il a toujours demeuré à Paris» (Achard).

4. Situation de fortune

D'après Le Blanc, écrivant à Bouhier (lettre du 4 févr. 1734, citée par Weil, p. 197-199) : «cet abbé [Granet] n'est autre qu'un homme qui connaît bien les livres et la littérature courante et qui vit du trafic des livres et peut-être de ce qu'il reçoit des libraires pour qui il fait des préfaces ou des traductions». Les lettres qu'il écrit à Carte et à Caumont suggèrent une activité d'intermédiaire auprès des libraires. Achard, qui semble avoir rédigé sa notice d'après d'autres sources que Moreri, et, sans doute, des sources locales, peut-être des lettres de G. à des correspondants, famille ou amis de son pays d'origine, dit : «Capable de produire par lui- même des ouvrages qui eussent pu lui faire honneur, il trouvait dans ces feuilles périodiques et dans de nouvelles éditions d'ouvrages qui étaient entre les mains de tout le monde, des ressources toujours prêtes pour suppléer à la médiocrité de sa fortune. On ne peut l'en blâmer, dans une situation plus commode il se serait sans doute rendu plus utile et ses amis ont été sur cela plus d'une fois dépositaires de ses peines. Quelques mois avant sa mort, il leur témoigna que son travail était en quelque sorte forcé, et qu'il ne se consolait de ces critiques hebdomadaires qui font souvent beaucoup d'ennemis sans acquérir beaucoup de gloire, que dans l'espérance qu'on le mettrait dans un état ou il pourrait suivre avec plus de liberté son goût pour les recherches et pour l'érudition». Qui est cet on? Michaud n'est pas plus explicite : «Ses travaux contribuèrent moins qu'il ne le pensait à sa réputation. Il regretta de n'avoir pas mieux employé ses talents [...]. Une démarche pour obtenir un bénéfice qui le rende indépendant pour s'occuper d'ouvrages plus importants fut faite et il attendait l'effet des promesses de ses amis quand il fut atteint de la maladie dont il mourut». Quelle protection ? Quel bénéfice ? On retrouve la discrétion qui marqua toute cette existence. L'article de Desfontaines qui annonce sa mort et fait son éloge dans les Observations annonce aussi la vente de sa bibliothèque, le lundi 15 mai 1741 à 3 h. après-midi : «Comme il était connaisseur en livres, il a su selon ses médiocres facultés, en ramasser un petit nombre dont plusieurs sont curieux et rares ou d'une édition choisie [...]. Il avait surtout recueilli avec soin beaucoup de pièces fugitives».

5. Opinions

A côté de celle d'un Prévost ou d'un Desfontaines, la vie de G. apparaît uniforme et grise. Ce besogneux ne s'illustre dans aucune querelle, ni procès ni compromission. Les livres ont été son univers, plus que les hommes, bien que Desfontaines lui reconnaisse «des amis illustres», et le fait d'avoir été un homme «poli et sociable, assez répandu dans le monde».

Sa participation à la Bibliothèque française le situe parmi les gallicans, mais elle ne s'est manifestée qu'à partir de 1728, lorsque déjà retombait la querelle de l'Unigenitus. Il semble s'être intéressé plus à la littérature qu'aux discussions théologiques. F. Weil remarque (p. 198) qu'il semble s'être particulièrement attaché aux problèmes du roman. Il serait intéressant de retrouver le roman qui lui est attribué par Moreri et Achard : Les Amours de Sapho(i 741), que D.O.A n'a pas retenu et que la B.N. ignore. Quant aux contemporains, Anfossi admet que G. a des talents et des connaissances, mais pas «le sel piquant» de Desfontaines. Par contre Marais estime que G. vaut Desfontaines : «Comme ils ont tous deux de l'esprit et de la malice, on n'est pas fâché de les voir battre, mais ce sont toujours des personnalités [...]. L'abbé D. a là un collègue en malice assez bien choisi» (Marais à Bouhier, 22 août 1736, Correspondance littéraire du président Bouhier, t. XIV, p. 184).

Parmi les correspondants et amis de G., nous trouvons les Anglais Thomas Carte et Francis Atterbury (évêque de Rochester) qu'il appelle «mon bon ami Rochester», dans les «marginalia» de son édition personnelle du Nouvelliste du Parnasse. Nous trouvons aussi Markland, un Anglais de Paris, qui l'aida à traduire la Chronologie des anciens royaumes de Newton en 1728. G. lisait et traduisait l'anglais et il partageait l'anglomanie des intellectuels de son époque.

C'est surtout comme critique que son œuvre mérite d'être retenue. Comme elle est éparse dans les périodiques auxquels il a collaboré, donc anonyme - mais identifiable partout -, elle n'a jamais retenu l'attention d'un historien de la critique. Mais le fait qu'il ait participé entre 1728 et 1741 à tous les grands journaux littéraires de l'époque, que sa collaboration ait été jugée indispensable si longtemps, par Desfontaines en particulier, prouve l'estime dans laquelle la République des Lettres tenait son jugement littéraire. Les principes de cette critique, qu'on trouve exprimés, et surtout pratiqués, déjà dans le Spectateur inconnu, puis dans le Nouvelliste du Parnasse et dans les Observations, sont : de ne jamais parler d'un ouvrage qu'on n'a pas lu, de lire avec réflexion et de ne pas décider de louer plus que de blâmer. Son goût le porte évidemment vers «la vraisemblance, la bienséance, l'urbanité, l'usage du monde», mots qui reviennent avec prédilection sous sa plume, dit F. Weil.

6. Activités journalistiques

Sa participation à la Bibliothèque française, journal qui dure de 1723 à 1746, est attestée par tous les biographes, mais seulement à partir du t. XI, 2e partie (1728) jusqu'au t. XIX (1734), d'après Moreri (voir aussi Weil, t. I, p. 20 et D.P.1 162). Sa première activité journalistique pourrait donc être le Spectateur inconnu (1723-1724), dont la paternité lui est reconnue par Moreri (D.P.1 1221). M. Gilot émet un doute à ce sujet (Les Journaux de Marivaux, Paris, Champion, 1975, p. 1071), car dans son Recueil de pièces d'histoire, G. parle lui-même sans bienveillance des « Spectateurs anglais, français, inconnus et suisses dont nous avons été accablés » (t. I, p. 387-388). Mais le ton de ce désaveu ne nous paraît pas convaincant, car G. pouvait malicieusement brouiller la piste. Pour le Recueil de pièces, G. collabore avec le P. Desmolets (D.P.1 1171). Il dit dans l'avertissement : «Le 4e tome qu'on publie ainsi que les deux premiers est de l'écrivain qui a eu l'idée de cette collection et qui a traduit ou composé la plupart des pièces qu'on y trouve». On peut attribuer à G. la totalité des pièces (histoire, critique, traductions) sur lesquelles n'est donnée aucune indication particulière ; un tiers des pièces sont traduites de l'anglais. Ce journal eut 4 tomes, en 1731, 1732, 1738 et 1741, et dans les intervalles, G. participe à d'autres journaux plus réguliers, surtout ceux où il est associé avec Desfontaines, en une longue et fructueuse collaboration à laquelle Desfontaines rend hommage en 1741 (Observations).

D'abord le Nouvelliste du Parnasse (1730-1732) dont l'édition annotée par G. nous laisse entrevoir que cette collaboration n'était pas toujours facile, et révèle que les textes signés P et Z sont de lui, les autres de Desfontaines (B.N.. Rés. Z 2981-2983 ; voir D.P. 1 1061). Sans doute aussi Le Pour et contre confié à Desfontaines par Didot. Gilot écrit (Les Journaux de Marivaux, p. 1071) : «L'abbé Desfontaines a travaillé au Pour et contre. Le manuscrit des feuilles XX à XXVI rédigées par Desfontaines, puis peut-être par G., fut remis au Garde des Sceaux dès le 5 février 1734 » (voir également J. Sgard, Le Pour et contre de Prévost d'Exiles : introduction, tables et index, Paris, Nizet, 1969, p. 24, n. 74 et D.P.1 1138). Enfin les Observations sur les écrits modernes, de 1735 à 1741, nouveau journal littéraire où G. fournit un travail important de critique. Mais qui ne suffisait pas à ses besoins matériels ou intellectuels, car en même temps, il édite un journal (1736-1740) : Réflexions sur les ouvrages de littérature, qu'il a repris au t. II, à la suite de La Cloutière et Boistel, mais dont il restera peut-être le seul rédacteur, jusqu'au t. XI et avant-dernier (D.P.1 1186). Moreri dit que, souvent, il y répète ce qu'il a déjà dit dans les Observations ; mais les rapports entre la critique de Desfontaines et celle de G. restent à définir.

7. Publications diverses

Voir la liste des œuvres de G. dans Cior 18, n° 31892-31902. A quoi il faut ajouter quelques préfaces et éditions du P. Le Brun, et des œuvres de Jean de Launoy (Opéra omnia, 1731). Quand il mourut, il préparait une édition des œuvres du théologien J.B. Thiers, qui ne parut pas.

8. Bibliographie

Moreri ; B. Un. Mémoires de Trévoux, mai 1747, p. 1146-1149, Eloge de G. en latin. – Observations sur les écrits modernes, t. XXIV, p. 163-167, nécrologe de G. par Desfontaines. – Oxford, Bodleian library, ms. Carte 226, 263, 264, 265 (1730). – Achard CF., Histoire des hommes illustres de la Provence, 1786. – Weil F., La Fiction narrative de langue française de 1728 à 1750 et la librairie, thèse dact., 1982. Correspondance littéraire du président Bouhier, éd. H. Duran-ton, U. de Saint-Etienne, 1974-1988.

DU GARD

Numéro

266

Prénom

Guillaume

Naissance

1606

Décès

1662

Guillaume Du Gard, connu en Angleterre sous le nom de William Dugard, est né le 9 janvier 1606 à Bromsgrove Lickey (Worcestershire), fils du révérend Henry Dugard (1589-1637). Il semble que ce soit son grand-père, Guillaume Du Gard, pasteur huguenot de Normandie qui soit venu en Angleterre, par les îles de la Manche, avant la Saint-Barthélemy. De toute façon on trouve plusieurs porteurs du nom à Londres et à Jersey, à partir de 15 70.

2. Formation

Elève de l'Ecole royale près la cathédrale de Worcester, puis admis à seize ans comme boursier («sizar») à Sidney Sussex Collège, à Cambridge, où son oncle Richard Dugard enseignait avec grande réputation. Bachelier ès arts en 162 7, maître ès arts en 1630.

3. Carrière

D'abord assistant à Oundle School (Northamptonshire), il devient professeur titulaire à Stamford School (Lincolnshire) puis directeur de Colchester School, de 1637 à 1643, où il augmente le nombre des élèves et agrandit les bâtiments. En mai 1644 il devient directeur de Merchant Taylor's School à Londres et réussit si bien que quatre ans plus tard, les autorités lui confient le rôle d'inspecteur de leurs écoles provinciales. On a de lui un registre in-folio concernant ses élèves qui révèle quelques-unes de ses idées politiques. Il installe des presses dans l'école et il imprime en 1649 la Defensio regia pro Carolo Primo, de Saumaise. Cette publication royaliste amène le Conseil d'Etat à jeter D. en prison, à Newgate, ordonnant la destruction de ses presses, sa destitution de directeur d'école et l'expulsion de sa femme et de sa famille de leur maison (1650). L'amitié de John Milton lui vaut le pardon du Conseil et la restitution de ses biens, y compris les presses sur lesquelles il imprime en 1652 la traduction française de L'Iconoclaste, de Milton, réponse à Saumaise. Peut-être était-il lui-même l'auteur de cette traduction ; il indique à la première page : « Par Guillaume Du Gard, imprimeur du Conseil d'Etat». Cette faveur du Conseil d'Etat se manifeste par les trois injonctions aux Merchant Taylors qui le font replacer à la tête de leur école. Elle lui permet aussi de ne pas être inquiété quand sort de ses presses en 1652 le Catéchisme de Rakow, en latin, écrit d'inspiration socinienne, jugé si hétérodoxe que la Chambre des communes le fait brûler. Enfin c'est en juin 1650 qu'il commence à publier un hebdomadaire en français : Nouvelles ordinaires de Londres, manifestement inspiré par le souci de servir le Conseil d'Etat et le besoin de propagande de Cromwell à l'intérieur et à l'extérieur. Son activité est importante : il est à la fois journaliste, écrivain, pédagogue et directeur d'une grande école qu'il développe si bien que la Compagnie des tailleurs qui le patronne lui reproche de prendre trop d'élèves et ne voit pas d'un bon œil ses activités d'imprimerie. Il prépare lui-même des manuels scolaires en anglais, latin, grec, dont certains eurent de nombreuses réimpressions après sa mort. A la Restauration, la Compagnie des tailleurs le révoque (juin 1661), mais il s'empresse de rouvrir une école privée à Coleman Street, qui a bientôt deux cents élèves.

Il meurt donc en pleine réussite et prospérité à la fin de 1662, à cinquante-six ans. Il habitait Newington Butts, banlieue campagnarde au nord de Londres.

4. Situation de fortune

Si son grand-père pasteur réfugié, eut une existence modeste, à la seconde génération son père et ses oncles, tous membres du clergé anglican étaient confortablement installés dans de bonnes prébendes. Lui-même, seul laïc de la famille, comme directeur de plusieurs écoles, toutes florissantes, et imprimeur - ses presses saisies en 1649 valaient l'importante somme de 1000 £ -, était un homme riche. En témoigne encore le fait qu'en 1660, il se porte garant pour un ami et donne une caution de 5000 £ sterling, soit 65 000 £ tournois environ à l'époque. Bien qu'il ait traversé une période difficile, pris des positions politiques exposées, subi la persécution et la prison, il laissait à sa mort des biens importants (testament conservé : cf. Plomer, p. 67).

5. Opinions

D., élevé dans un milieu fort anglican et traditionaliste, doit sans doute aux circonstances historiques, mais aussi à sa personnalité courageuse et indépendante, une carrière mouvementée. Son refus d'entrer dans la prêtrise anglicane, malgré l'exemple de toute sa famille ecclésiastique, montre déjà qu'il s'en distancie ; sa carrière d'enseignant, réussie, mais non sans heurts successifs, suggère aussi une indépendance d'esprit croissante. Le fait qu'à l'encontre des siens il s'est mis à écrire son nom à la française, en deux mots, avec le prénom de Guillaume au lieu de William, indique un retour bien réfléchi à ses racines huguenotes après son arrivée à Londres, en 1644, en pleine guerre civile. Or la majorité des huguenots y appuyait avec enthousiasme la cause du Parlement, comme presque tous les marchands de la cité. L'absence de D. dans les registres des églises huguenotes où figurent d'autres Dugard, n'est pas étonnante : le directeur d'une école importante ne pouvait afficher une appartenance non anglicane, étant tenu d'y résider et d'y présider des services orthodoxes journaliers, mais rien ne l'empêchait de voir des intellectuels huguenots moins fondamentalistes que certains de leurs pasteurs. Ni même d'aller discrètement dans quelques-uns des conventionnels plus radicaux qui essaimaient alors à Londres, ce que suggèrent certaines de ses publications après 1650. Il semble bien avoir trouvé le milieu capable de l'émanciper des traditions anglaises et de le porter en avant, religieusement et politiquement parlant, vers un nouveau credo ; notons d'ailleurs qu'il a toujours travaillé dans la moitié est de l'Angleterre, plus dissidente et non-conformiste que l'ouest où vivait sa famille en majorité. C'est bien un « latitudinaire » avant la lettre, qui n'a pourtant pas rompu avec les siens.

Royaliste jusqu'en 1643, il inscrit dans son registre d'élèves des vers grecs en l'honneur de Charles Ier, compensés par deux autres morceaux sur l'enterrement de la mère de Cromwell, lors de sa nomination à Merchant Taylor's School. Il y installe très vite une presse privée, se fait enregistrer comme imprimeur-éditeur par le Stationers' Company (sept. 1648) et édite d'abord un manuel scolaire : Rhetoricae Elementa. L'apparition en 1649 de son édition de Eikon basilike, défense personnelle supposée du roi décapité, avec le texte du grand érudit Saumaise à l'appui, ne manifeste pas forcément une prise de position royaliste mais le besoin de transmettre au public toutes les pièces politiques importantes. L'épisode des sanctions brèves : saisie, prison, destitution de son école puis réhabilitation rapide, invite à des recherches supplémentaires. On sait peu de chose sur son amitié pour John Milton, «secrétaire latin» du Conseil et sur les bons offices de celui-ci, mais on peut penser que comme D. figurait déjà parmi 1'«intelligentsia» classicisante de Londres, leur fréquentation était antérieure. Son revirement apparent après son élargissement et la gratification du titre d'« imprimeur du Conseil d'Etat», soulève la question de sa sincérité et de son désintéressement. Dut-il payer cette faveur en s'engageant à traduire et imprimer en français la riposte fameuse de Milton à Saumaise, comme à lancer ensuite ses Nouvelles ordinaires au service de Cromwell ? Hypothèse peu conforme au caractère de celui qui ose jeter sur le marché en 1652 le Catéchisme de Rakow, en anglais, credo des sociniens polonais (qu'on regardait comme des monstres d'impiété) que d'autres n'osaient pas imprimer. Et pour cause, car la Chambre des communes en ordonna promptement la destruction, sans que le Conseil inquiétât l'imprimeur, Cromwell ayant toujours été favorable aux Indépendants. Il semble donc préférable de croire chez D. à une évolution sincère, sans doute accélérée par son emprisonnement : il fait confiance au Commonwealth et maintint pendant dix ans un journal pro-gouvernemental, pour l'arrêter brusquement à la Restauration.

Une autre preuve de sa sincérité se trouve dans la caution fort élevée de 5000 £ sterling qu'il fournit en 1660 pour l'écrivain libéral Sir James Harrington, auteur de l'utopie critique Oceana, lorsque la Restauration voulait lui intenter un procès. Risquer de perdre une grosse partie de sa fortune et s'associer avec un homme mal vu des autorités n'est pas le geste d'un homme sans convictions. Ajoutons qu'il refusa d'obéir aux directives réitérées des gouverneurs de son école qui n'aimaient pas ses activités d'imprimeur, avec, sans doute l'appui gouvernemental, car son nom figure chaque année jusqu'à sa mort sur les listes de livres nouveaux. La plupart des siens sont des classiques pour les écoles, mais on trouve d'autres choix surprenants, en plus du traité socinien : l'utopie Arcadia, et d'autres ouvrages critiques de Sir Philip Sidney, et trois volumes in-40 des Propos de table de Martin Luther, - risque commercial certain ! - où il semble chercher plus l'influence que le bénéfice. L'historien d'imprimeurs britanniques, Plomer, ne sait quelle part il y eut «de ses mains», mais lui accorde d'avoir égalé les meilleurs de l'époque pour la qualité et la variété des caractères employés dans ses impressions. Soulignons enfin chez lui comme moteur central de sa vie le besoin constant d'agir sur les esprits par le double moyen de l'école et du livre à visée pédagogique où s'inscrit bien une activité de journaliste.

6. Activités journalistiques

De juin 1650 à juin 1660, D. est l'imprimeur et sans doute le rédacteur, en tout cas le responsable des Nouvelles ordinaires de Londres (D.P.1 1053), feuille de nouvelles paraissant le jeudi. Comme il a le titre de « Printer of the Council of State», il semble bien que son journal ait été officiellement soutenu et contrôlé. Les historiens (Ascoli, C. Bastide, J.B. Williams et J. Frank) qui s'en sont occupés, soulignent l'aspect politique de ce journal destiné à la propagande pour le Commonwealth.

Ce que nous savons de la vie même de D. à cette époque nous invite à penser qu'il fut lui-même personnellement engagé dans cette publication qu'il commença, aussitôt libéré de prison. Mais fût-ce par ordre d'en-haut, ou par zèle et conviction personnelle, aucun document ne le révèle directement. Et pas davantage la lecture attentive du journal qui pendant dix ans donne toutes les semaines sur quatre pages in-40 des nouvelles d'Angleterre, d'abord, mais aussi d'autres pays. Le ton est en général fort mesuré et fort neutre. Nous ne savons rien sur la diffusion et la réception des Nouvelles. Mais nous savons pour l'avoir comparé avec la presse anglaise de l'époque qu'il s'agit d'un journal rédigé et non traduit.

La fin de la participation de D. intervient en 1660. Les Nouvelles s'interrompent au n° 525 et reparaissent trois semaines plus tard chez un autre imprimeur, expliquant : «Nous avons été obligés d'interrompre le cours ordinaire de nos relations par le caprice et la mauvaise humeur de l'imprimeur». Ce qui désigne D., dont les 524 numéros précédents indiquaient le nom comme imprimeur. L'explication psychologique sommaire alléguée pourrait bien recouvrir une crise de conscience d'un homme qui a été dix ans l'apôtre de la République et qui accepte mal la Restauration, dont il pouvait aussi craindre des ennuis personnels analogues à ceux qu'il avait connus lors du premier renversement politique. La reprise de 1660 fut éphémère (3 numéros seulement chez le nouvel imprimeur) ; le journal fut repris une seconde fois par l'imprimeur royaliste Brown, revenu de Hollande, mais avec une publication très irrégulière (40 numéros seulement jusqu'en 1663).

Enfin il faut noter ce que dit J.B. Williams : «Nouvelles ordinaires had, next to the still existing Gazette, the longest life of any seventeenth century journal».

7. Publications diverses

A part les manuels scolaires : Rudiments of Graeca Lingua (1656), Vestibulum Linguae Latinœ (1656), Lexicon Graeci Testamenti (1660), etc., que signa cet humaniste de haut niveau universitaire, il est difficile de découvrir la part qui lui revient dans les livres qui sortirent de ses presses. On lui attribue généralement la version française de Eikonoklastes de Milton. A quoi s'ajoute peut-être la traduction ou la rédaction des nouvelles qu'il publie chaque semaine.

8. D.N.B. – Plomer H.R., Dictionary of booksellers and printers in London (1647-1667), Londres, 1907, p. 67-68. – Ascoli F., La Grande-Bretagne devant l'opinion française au XVIIe siècle, Paris, Gamber, 1927. – Bastide C, Anglais et Français au XVIIe siècle, Paris, Alcan, 1912. – Frank J., The Beginning of the English newspapers (1620-1660), Harvard U.P., 1961. – Stow J., Survey of London, London, J. Wolfe, 1598, t. I. – Williams J.B., History of English journalism to the foundation of the Gazette, London, 1908. – Wilson J., Merchant Taylor's School. – Wood A., Athenae Oxonienses, London, T. Bennet, 1691, t. II, p. 178. – Registers of the French church of Threadneedle Str., London, Huguenot Society, 1.1. – Registres de l'Eglise wallonne de Southampton, Huguenot Society, 1890, t. IV. – Darier J.M., La Politique extérieure de l'Angleterre de Cromwell à travers les «Nouvelles ordinaires de Londres», thèse dact, U. de Grenoble II, 1997, 3 vol.