JASTRAM

Auteurs

Numéro

411

Prénom

John

Naissance

?

Décès

?

John Jastram (parfois écrit Jestram) est né en France. En 1785, il était marié et avait deux fils (Barthold, p. 70).

3. Carrière

En 1780, J. se trouve à Newport où le corps expéditionnaire de Rochambeau, débarqué en juillet, prend ses quartiers d'hiver en raison du mauvais temps qui retarde les opérations et empêche notamment la jonction avec les troupes du général Washington. Il habite alors «chez le sieur Eléazar Trevett, dans la Grand'rue, au dessus de la Place d'Armes». A la même adresse se trouvaient établis «les Bureaux» de la Gazette française à laquelle il collabore certainement (G.F., n° 3, p. 4, n° 7, p. 4 ; Barthold, p. 69). Jastram donne aussi des leçons particulières d'anglais aux officiers français et, devant l'afflux des demandes, il ouvre une «école» où sont données «depuis dix heures du matin jusqu'à douze, et depuis deux jusqu'à quatre l'après-midi, des leçons générales de la langue anglaise» (G.F., n° 3, p. 4).

Par la suite, J. réside à Walpole, puis à Cambridge, où il est, pendant l'année universitaire 1786-1787, «tutor of the French Language» à Harvard. En 1790, il est traducteur et professeur de langue française à Providence (C.R., vol. IV, p. 252 ; Barthold, p. 70).

5. Opinions

J. s'est rangé du côté des insurgés américains dans leur lutte pour se libérer de la domination anglaise.

6. Activités journalistiques

Collaborateur de la Gazette française, Jastram, en raison de sa connaissance des deux langues, devait être plus particulièrement chargé de la traduction et de l'édition des articles et «différentes nouvelles» reprises des «Papiers Américains» qui, pour la plupart, composent le journal. Publiée spécialement pour le corps expéditionnaire français, la Gazette française ne s'engageait en effet «envers [son] Public qu'à répéter en Français ce que les Américains auront dit dans leur langue [...] MM. les Officiers et autres Particuliers qui ne sont pas familiers avec la langue du pays, et qui s'intéressent aux événements politiques de cette Nation naissante [...pourront ainsi] s'en instruire, sans avoir recours au travail de la translation» (G.F., n° 1, p. 1 ; D.P.1 563).

8. Bibliographie

8. (G.F.) Gazette française.- (C.R.) Corporation Records, Harvard University Archives - Barthold A.J., «Gazette françoise , Newport, R.I., 1780-1781», Bibliographical Society of America Papers, XXVIII, 1, 1934, p. 64-79.- Godechot J., «La Gazette françoise : The First French Newspaper Published in the United States», Two Hundred Years of French-American Relations, Newport, 1978, p. 78-92.

IMBERT DE BOUDEAUX

Auteurs

Numéro

407

Prénom

Guillaume

Naissance

1744

Décès

1803

Guillaume Imbert, dit Imbert de Boudeau ou de Boudeaux naît à Limoges le 11 février 1744. Il est le troisième des neuf enfants de Jean Baptiste Imbert, «bourgeois et marchand» demeurant rue Ferrerie, et de Catherine Guineau (Fray, 1908, t. II, p. 267). Il ajoutera à son nom patronymique celui d'une terre que sa famille possédait aux environs de Limoges, Boudeau, orthographié le plus souvent Boudeaux.Il meurt à Paris le 19 mai 1803. On le surnommait «Lunettes» (ibid, t. II, p. 273, 282, 290 ; Chauvin, p. 62 ; Fray, 1900, p. 33).

2. Formation

Destiné par sa famille à l'état ecclésiastique, Guillaume I. fait profession à Saint-Allyre de Clermont le 20 février 1760, à l'âge de seize ans. Il devient membre de l'Ordre des Bénédictins de la Congrégation de Saint-Maur (Wilhem). Il fera par la suite réclamation contre ses voeux, affirmant être entré dans les ordres contre son gré, sous la pression de ses parents (Fray, 1908, t. II, p. 270). Sous la Révolution, il est membre de la municipalité de Limoges (10 déc. 1792-mai 1795) et substitut de l'agent national (18 janv. 1794 mai 1795) (Fray, 1903, p. 159). I. était franc-maçon, membre, en 1775, de la loge Les Frères amis de l'Orient de Paris (Le Bihan, p. 255).

3. Carrière

Les démêlés d'I. avec ses supérieurs, auxquels il intenta plusieurs procès pour obtenir sa sécularisation, furent longs et difficiles. La procédure en réclamation n'est pas encore achevée à la fin de 1772 (Fray, 1908, t. II, p. 270) ni même en 1775, si l'on en croit les initiales D.G.I. (Dom Guillaume Imbert) de la page de titre de sa traduction de la Dissertation sur l'origine de l'imprimerie de l'anglais Middleton, publiée cette année-là. En juillet 1770, un arrêt du Parlement l'avait cependant autorisé à sortir de l'ordre des Bénédictins et à résider au couvent des Carmes Billettes à Paris (ibid.). C'est là qu'il est arrêté en novembre 1772, compromis dans une affaire de libelles contre le parlement. Son ami Levasseur, avocat au parlement, avait déjà été arrêté le 7 octobre pour «mauvais propos contre le gouvernement et distribution de brochures sur les affaires présentes». I., entré à la Bastille le 16 novembre 1772, en sort le 11 février 1774 (Funck-Brentano, p. 389-390). En janvier 1781, il est de nouveau compromis dans une affaire de libelles, cette fois-ci de «libelles diffamatoires contre des personnalités françaises publiés à l'étranger». Pascal Boyer, rédacteur au Mercure de France, est arrêté puis relâché quelques jours plus tard, soupçonné semble-t-il à tort. I. est arrêté à son tour et écroué à la Bastille le 20 janvier. On lui reproche notamment de rédiger et de débiter des nouvelles à la main et de «répandre des nouvelles injurieuses à la famille royale» (ibid, p. 406-407 ; B.D., VlII, p. 19). Il sort de la Bastille le 2 mars, à la suite, probablement, d'un accord passé avec le Lieutenant de Police Lenoir. Il lui promet de ne plus rédiger de nouvelles à la main et accepte de lui servir d'espion dans la lutte menée par le gouvernement contre les auteurs et imprimeurs de pamphlets (ibid, VIII, p. 127-132 ; Mulot, p. 68). Son frère Jean-Baptiste, réfugié à Bruxelles, acceptera également, en juin 1781, «d'aider à la recherche de livres prohibés, de leurs auteurs et imprimeurs», avec «promesse de gratification et même d'apointment» (B.D., VIII, p. 122, 119). Ils font partie de cette brigade d'espions et d'«agents provocateurs» mise sur pieds par Lenoir et l'inspecteur Receveur, et à la tête de laquelle se trouve Jacquet de La Douay. Ils sont chargés de découvrir l'origine des écrits contre le gouvernement et la famille royale et de prévenir leur publication, soit en dénonçant leurs auteurs, soit en rachetant les manuscrits ou les exemplaires déjà imprimés. Jacquet de La Douay, sous le couvert de sa charge d'inspecteur de la librairie étrangère, jouait en fait double-jeu. Il gardait et revendait à son profit une partie des exemplaires entrés en sa possession, ou bien écrivait lui-même ou chargeait un de ses complices d'écrire des pamphlets, qu'il faisait ensuite racheter par le gouvernement. Les deux frères I. jouent également double jeu et participent à ce trafic de faux pamphlets organisé par Jacquet (B.D., III, p. 36-41 ; Vlll, p. 115-132). A la suite d'une mésentente à propos d'un achat de livres, ils sont dénoncés par un complice, André, colporteur de livres établi à Versailles. Jacquet est arrêté et emprisonné à la Bastille le 30 octobre 1781, en compagnie du libraire Costard et de Louis de Marcenay, maître d'hôtel de Monsieur, qui se chargeait d'imprimer les faux-pamphlets (M.S., 26 janv. 1782 ; Funck-Brentano, p. 408-409 ; Mulot, p. 68-70). Imbert de Boudeau se réfugie à Bruxelles ou, à la requête des autorités françaises, il est arrêté et emprisonné en novembre, en compagnie de son frère. Malgré leurs efforts (B.D., VIII, p. 113-115), ils ne peuvent empêcher leur extradition et leur transfert à Paris, où ils sont écroués le 7 janvier 1782. Ils sortiront de la Bastille le 3 mars suivant (Ars., ms. Bastille 12452). Après sa libération, Imbert de Boudeau se serait réfugié à Neuwied, en Prusse rhénane, ou était imprimée la Correspondance littéraire secrète, feuille périodique à laquelle il collaborait (Fray, 1908, t. II, p. 274). Il fait paraître en 1783, à Paris, La Chronique scandaleuse, dans laquelle il reprend des matériaux déjà utilisés dans la Correspondance littéraire secrète (Hjortberg, p. 86 et suiv.). Grimm, qui signale l'attribution du livre à I., le définit comme «un pot-pourri de vieilles et de nouvelles anecdotes recueillies sans choix, écrites à la hâte, et souvent très défigurées» mais qui, par rapport aux autres recueils de ce genre, semble «contenir plus de vérités que de mensonges» (C.L., t. XIII, p. 353). L'auteur de la Chronique, dans l'Avertissement au lecteur, proteste de son désir de donner une idée juste des moeurs de son temps et de servir ainsi à «l'histoire des moeurs de la génération présente». Mais le rédacteur des Mémoires secrets lui reprochera de se limiter à un seul poste d'observation, le Café du Caveau, au Palais-Royal (M.S., 14 juil. 1783).

Guillaume Imbert rentre en France au début de la Révolution. On le retrouve à Limoges au mois d'avril 1790, où il fait imprimer, en prévision de la constitution des nouvelles administrations locales, un appel Aux Citoyens actifs du département de la Haute-Vienne (Fray, 1892, p. 32). De retour à Paris en mai 1790, il se joint à une délégation de la garde nationale de Limoges qui est reçue par La Fayette le 9 juin (Fray, 1902, p. 28-29). Il ne reviendra se fixer à Limoges qu'en octobre 1792. Il se fait alors admettre au Club des Jacobins de la ville (ibid, t. II, p. 275) et est élu officier municipal le 10 décembre 1792 (Fray, 1903, p. 159). En tant que membre de la municipalité et du Club des Jacobins, il sera chargé de plusieurs fonctions : commissaire auprès de la poste aux lettres ; commissaire auprès de la maison de la Règle, où étaient détenus les prêtres réfractaires (11 avr. 1793) ; commissaire civil chargé d'assurer l'échange réciproque des suspects détenus dans les prisons de Limoges et de Tulle en novembre 1793 (ibid., p. 159 ; Fray, 1908, t. II, p. 265-267) ; directeur et censeur des spectacles ; ordonnateur des fêtes publiques (ibid., t. II, p. 275-276). Il sera plusieurs fois envoyé en mission à Paris, auprès du gouvernement (ibid, t ; II, p. 267-268 ; Fray, 1903, p. 324). Il s'y trouve au mois d'août 1793, comme délégué des assemblées primaires, et se justifie, devant le Club des Jacobins, d'une accusation de «faux-patriotisme» portée contre lui par Brutus Préat. De nouveau mis en accusation à son retour à Limoges, il est destitué de son poste d'officier municipal puis rétabli dans ses fonctions quelques jours plus tard (ibid, p. 155-159, 196-198). Nommé substitut provisoire de l'agent national (Fray, 1908, t. II, p. 275), il est officiellement confirmé dans cette fonction le 18 janvier 1794 par le représentant en mission Brival (Fray, 1903, p. 159, 238). Après la chute de Robespierre, il est accusé par le représentant en mission Chauvin d'avoir été «l'émissaire» du club des Jacobins de Paris à Limoges, et le «principal auteur de toutes les friponneries et de toutes les cruautés qui ont été faites aux détenus» de la ville. Chauvin lui reproche notamment son attitude lors de l'échange de prisonniers entre Tulle et Limoges et comme commissaire auprès de la maison de la Règle (Chauvin, p. 59-63). Sur l'ordre du représentant du peuple Cherrier, envoyé en mission dans la Haute-Vienne à la suite du rapport de Chauvin, I. est arrêté en mai 1795 (22 floréal, an II) et emprisonné à Limoges (Fray, t. II, p. 289). Après sa libération, le 8 septembre 1795, il se retire de la vie publique. Il continue cependant de s'occuper du «Théâtre populaire» qui avait été créé par le club des Jacobins en novembre 1793, pour représenter des «pièces républicaines» destinées à «l'instruction du peuple» (Fray, 1900, p. 26). I. en est à la fois le metteur en scène, le régisseur et le censeur. Cette troupe d'amateurs sera remplacée en avril 1799 par une troupe professionnelle (ibid., p. 32-36). Il semble qu'à la fin de sa vie I. soit revenu s'installer à Paris. Il y meurt le 19 mai 1803 (Fray, 1908, t. II, p. 282). Il avait fait paraître en 1801 une traduction du Mémoire politique et militaire du Général Lloyd, et il travaillait au moment de sa mort à une réplique aux Observations sur le Mémoire du Général Lloyd (Paris, 1803), dans lequel le général Grobert réfutait les théories de Lloyd.

4. Situation de fortune

Nous ne possédons aucun renseignement précis sur la situation de fortune et les ressources d'I.. Lors de son interrogatoire en janvier 1782, il admet comme source de revenus la traduction d'oeuvres anglaises et le commerce de livres (B.D., VIII, p. 127). C'est sans doute le besoin d'argent qui le pousse à s'associer avec Jacquet de La Douay. Notons qu'en janvier 1782, on le soupçonne d'être l'auteur de plusieurs vols «d'effets, deniers comptans et bijoux» dont l'un commis chez l'inspecteur de police Receveur (B.D., VIII, p. 132 ; Funck-Brentano, p. 68-69). Cette incertitude quant à ses moyens d'existence lui sera reprochée en août 1793, lors de sa mise en accusation devant le club des Jacobins (Fray, 1903, p. 159).

5. Opinions

Autorisé par ses supérieurs à résider à Paris en juillet 1770, I. se lie d'amitié avec l'académicien de Mairan, chez qui il rencontre d'Alembert, Lalande, Madame Geoffrin (Fray, 1908, t. II, p. 271). Introduit dans les milieux philosophiques, il en partage les idées. On retrouve dans la préface à sa traduction de la Dissertation sur [...] l'origine de l'lmprimerie de l'anglais Middleton, certaines idées chères aux philosophes notamment cette foi dans le progrès et dans le livre, outil de connaissance et de lutte contre l'ignorance, le préjugé et la superstition : «les livres se multipliant avec plus de facilité [...] montreraient aux hommes à secouer le joug des préjugés ; et l'esprit humain une fois rendu à ses droits, combien peu sont puissantes l'ignorance et la superstition». Parmi les livres saisis chez lui lors de son arrestation le 16 novembre 1772, se trouvent des oeuvres de Voltaire, Rousseau, Turgot, ainsi que de nombreuses publications qualifiées par le procès-verbal de levée des scellés, de «contraires à la religion et d'une lecture dangereuse qui conduit à l'incrédulité, préjudiciable aux maximes de la société» (Stein, p. 224-226). Cette liste montre également qu'I. s'intéresse dès cette époque à la politique, à ce que le procès-verbal appelle «les affaires du temps». Pendant la Révolution, I. se montrera un Jacobin convaincu. Placé sur la liste des «terroristes» après la chute de Robespierre, il se défendra en soutenant qu'il n'a vu «que la Loi, rien que la Loi» et que la «terreur», qui n'est que «l'exécution littérale de la loi» est nécessaire et «salutaire [...] dans les temps d'anarchie» (Guillaume Imbert à ses concitoyens, p. 18).

I. semble avoir joui d'une réelle influence aussi bien à Paris qu'à Limoges, mais n'a jamais cherché à jouer un rôle de premier plan. Son effacement, le silence qu'il affectait, en imposaient à ses contemporains qu'il intriguait. Dans un rapport sur le civisme des membres de la municipalité de Limoges, rapport établi par le Comité Révolutionnaire du club des Jacobins de cette ville, I. est qualifié d'«homme indéfinissable», ce à quoi il répondit que si «il parle peu, il agit continuellement dans le sens de la Révolution» (Fray, 1903, p. 198). Sa personnalité complexe, ses prises de position et ses actions déconcertaient, et déconcertent encore souvent. Ce critique amer de la religion qui, selon l'abbé Mulot, diffusait le pamphlet de Geoffroy Vallée, Le Fléau de la foi (Mulot, p. 69), sera aussi, par exemple, celui qui cachera chez lui la relique de Saint-Martial de l'église Saint-Michel des Lions de Limoges, relique qu'il restituera aux autorités religieuses en 1803 (Fray, 1908, t. II, p. 279) ; et ce jacobin intransigeant qui plaçait la loi au-dessus de «toutes espèces de convenances» (ibid., t. II, p. 276), aurait, en tant que commissaire aux postes, favorisé la correspondance de certains émigrés (Fray, 1903, p. 158-159, et 186 ; Fray, 1900, p. 34).

6. Activités journalistiques

C'est peut-être son ami Mairan, un des «Paroissiens» les plus assidus du «bureau des nouvelles» de Madame Doublet, qui est à l'origine de la vocation de journaliste d'I.. Il fut avant tout un «nouvelliste à la main», un de ces auteurs «d'écrits et imprimés concernant les affaires du temps» auxquels on lui reprochera de collaborer lors de sa première arrestation en 1772 (Fray, t. II, p. 271). Son nom reste attaché à la Correspondance littéraire secrète ; bien que niée hâtivement par certains critiques (Feiler, p. 30), la collaboration d'I. à cette feuille périodique ne semble pas faire de doute. Elle n'était pas en tous cas mise en doute par ses contemporains, puisqu'elle est un des motifs de son arrestation en janvier 1781, aussi bien qu'en novembre de la même année. Arrêté le 20 janvier, il est accusé de rédiger et débiter des nouvelles à la main et de «coopérer» à la Correspondance. Avec lui sont emprisonnés Jean-Philippe Barth, «nouvelliste à la main» et le journaliste Antoine Le Tellier, soupçonné d'être également un collaborateur de la Correspondance (Funck-Brentano, p. 407 ; B.D., VIII, p. 19 ; VII, p. 129-132). Lors d'un interrogatoire subi en janvier 1782, I. sera de nouveau accusé de composer «des bulletins pour insérer dans les nouvelles à la main, ou feuilles périodiques, notamment la Correspondance secrète» (B.D., VIII, p. 127). Certains de ces «bulletins» se trouvaient parmi les papiers saisis à Bruxelles, lors de son arrestation. Il est probable que son frère, Imbert de Villebon, qui résidait à Bruxelles, a lui aussi joué un rôle sinon dans la rédaction du moins dans l'acheminement des nouvelles (ibid, t. VIII, p. 131-132 ; Mulot, p. 68). Il était en correspondance avec Mettra à qui il propose en 1781 plusieurs exemplaires du pamphlet La Vie de Marie-Antoinette (B.D., t. Vlll, p. 124).

L'anonymat et la nature de la plupart des articles de la Correspondance littéraire secrète, publiée du 7 janvier 1775 au 22 décembre 1793, ne permettent pas de déterminer avec précision les contributions d'I., comme d'ailleurs celles des autres collaborateurs de ce périodique. On peut cependant au moins lui attribuer les articles qui se retrouvent aussi bien dans la Chronique scandaleuse que dans la Correspondance secrète. C'est ce que voulait d'ailleurs souligner l'auteur de la notice consacrée à ce dernier périodique dans le D.P.1 (n° 235) ; mais à la suite d'une erreur (p. 261, col. 1, ligne 23), le contraire est suggéré et la collaboration d'I. semble mise en doute. En fait, pour Monica Hjortberg aussi, I. a bien été un des collaborateurs de la Correspondance secrète, et l'auteur, très probablement, de ces articles communs aux deux publications.

7. Publications diverses

Etat présent de l'Espagne et de la Nation espagnole, ou Lettres écrites à Madrid pendant les années 1760 et 1761, par le Dr Edouard Clarke, Membre de l'Université de Cambridge, Paris, 1770, 2 vol. (trad. de l'anglais). – Dissertation sur l'origine de l'imprimerie en Angleterre, traduite de l'anglais du Docteur Middleton, par D.G. Imbert, Londres et Paris, 1775. – La Chronique scandaleuse, ou Mémoires pour servir à l'Histoire des moeurs de la génération présente, «Ridebis et licet rideas», Paris, Dans un coin où l'on voit tout, 1783. – Aux citoyens actifs du département de la Haute-Vienne, «par M. Guill. I.B., Citoyen actif et Ecuyer», Limoges, 1790, 20 p. – La Philosophie de la guerre, Extrait des Mémoires politiques et militaires du général Lloyd, traduit par un officier français, Paris, 1790 ; selon Q., (art. «Lloyd»), I. ne serait que l'éditeur de cette traduction due à M. de Romance, marquis de Mesmon. – Guillaume Imbert à ses concitoyens, s.l.n.d., 18 p., (probablement Limoges, 1795). – Mémoire politique et militaire sur l'invasion et la défense de la Grande-Bretagne, par le général Lloyd, «traduit de l'anglais sur la cinquième édition par Gme Imbert (de la Haute-Vienne)», Limoges, an IX (1801). – On attribue à I. : Anecdotes du XVIIIe siècle, Londres, 1783-1785, 2 vol. (Q., notice «Imbert»).

8. Bibliographie

C.L. – M.S. – Archives de la Bastille Ars., ms. 12400, 12452. – (B.D.) La Bastille dévoilée ou Recueil de pièces authentiques pour servir à son histoire, Paris, 1789-1790, 9 livraisons (le numéro de la livraison est indiqué en chiffre romain). – Barbier A., Examen critique et complément aux dictionnaires historiques les plus répandus, Paris, 1820, (notice «Imbert»).– Chauvin-Hersant F., Rapport de la mission de Chauvin, représentant du peuple, Paris, an III. – Feiler S., Metra's Correspondance secrète, politique et littéraire, its content and nature, thèse, Northwestern U., Evanston, 1957. – Fray-Fournier A., Bibliographie de l'histoire de la Révolution dans le département de la Haute-Vienne, Limoges, 1892. – Id., Le Théâtre à Limoges, avant, pendant, et après la Révolution, Limoges, 1900. – Id., Les Fêtes nationales et les cérémonies civiques dans la Haute-Vienne pendant la Révolution, Limoges, 1902. – Id., Le Club des Jacobins de Limoges (1790-1795), Limoges, 1903.– Id., Le Département de la Haute-Vienne [...] pendant la Révolution, Limoges, 1908, 2 vol. – Funck-Brentano F., Les Lettres de cachet à Paris. Etude suivie d'une liste des prisonniers de la Bastille (1659-1789), Paris, 1903. – Hjortberg M., Correspondance littéraire secrète. 1775-1793. Une présentation, Göteborg et Paris, 1987. – Johansson J.V., Sur la Correspondance littéraire secrète et son éditeur, Göteborg et Paris, 1960.– Le Bihan A., Francs-Maçons parisiens du Grand Orient de France, Paris, 1965. – Mulot F.V., «Journal intime de l'abbé Mulot (1777-1782)», Mémoires de la Société de l'Histoire de Paris, XXIX, 1902, p. 37-124. – Stein H., «Une saisie de livres chez l'ex-bénédictin Guillaume Imbert en 1772», Le Bibliographe moderne, XII, janv. 1924 juin 1925, p. 222-227. – Tuetey A., Répertoire général des sources manuscrites de l'histoire de Paris pendant la Révolution, Paris, 1890-1914. – Wilhem H., Nouveau Supplément à l'Histoire littéraire de la Congrégation de Saint-Maur de Dom Tassin, Paris, 1908, 2 vol., (notice «Imbert»).

GUERARD DE NANCREDE

Auteurs

Numéro

372

Prénom

Paul de

Né le 16 mars 1761 à Héricy près de Fontainebleau, Paul Joseph Guérard dit Guérard de Nancrède, est le fils de Jean Joseph Guérard et de Louise Françoise Gautier (F). Naturalisé citoyen américain le 19 février 1799 (S), p. 60-61. Il signe P.J.G. de Nancrède, Joseph de Nancrède, puis Joseph Nancrède, nom sous lequel il est connu. Joseph Nancrède meurt aux Batignolles, 12 rue de l'Ecluse, le 15 décembre 1841, à l'âge de 81 ans. Il lègue par testament ses papiers et sa bibliothèque à Louis Joseph Papineau (Q). De son mariage avec Hannah Dixey, en 1788, il a eu neuf enfants.

2. Formation

A la suite de la mort de son père et de sa mère, en 1768, Joseph Guérard aurait été élevé par son grand père maternel, Louis Gauthier (S), p. 49. Il s'engage le 19 août 1779, à l'âge de dix huit ans, dans le régiment de Soissonnais (B), p. 278. Affecté à la compagnie du capitaine Jean Baptiste Marin, il fait partie du corps expéditionnaire français qui, sous le commandement du comte de Rochambeau, quitte Brest le 2 mai 1780 pour porter secours aux insurgés américains. L'armée de Rochambeau passe l'hiver à Newport, où elle a débarqué début juillet, puis rejoint au printemps les forces du général Washington pour s'engager à leur côté dans la marche sur Yorktown. Après la reddition de Cornwallis, le 19 octobre 1781, le Soissonnais prend ses quartiers d'hiver à Hampton où il demeurera jusqu'en mars 1783, époque à laquelle il s'embarque pour regagner la France (B, p. 269-270).

3. Carrière

Revenu en France, Joseph Guérard ne renouvelle pas son engagement et décide de retourner en Amérique. Un passeport, établi au nom de Paul-Joseph Guérard de Nancrède, lui est délivré le 13 octobre 1785 à Fontainebleau, et il s'embarque au Havre, le 21 octobre, à destination de Philadelphie (S, p. 50). On le retrouve en 1787 à Boston. Au mois d'octobre de cette année là, il est nommé instructeur de français à l'université Harvard de Cambridge, poste qu'il conservera jusqu'en 1801 (A, C.R., t. III, p. 299). Il donne également des leçons en ville et effectue des traductions pour plusieurs officiels et hommes d'affaires de Boston (D, p. 77 ; S, p. 61). Pendant ses années d'enseignement à Harvard, Nancrède s'efforcera de promouvoir l'étude de la langue et de la littérature françaises, plaidant cette cause dans le Courier de Boston qu'il fait paraître d'avril à octobre 1789, et publiant, en 1792, L'Abeille française, une anthologie de textes français «à l'usage de l'université de Cambridge». Ce manuel, l'un des premiers publiés aux Etats-Unis pour l'enseignement du français au niveau universitaire, jouera un rôle dans la diffusion du «rousseauisme» en Amérique (L). Lié avec Brissot, qu'il rencontre lors du séjour de celui ci à Boston en juillet 1788, Nancrède accueille favorablement les débuts de la Révolution. Il en rend compte longuement dans le Courier de Boston, se donnant pour tâche d'«éclaircir les versions diverses et fausses qui ont été publiées sur ce grand événement» afin de mieux le faire connaître et comprendre en Amérique (n° 24, p. 191). Le Courier de Boston voudrait voir se resserrer les liens entre la France et les Etats Unis, et fait notamment campagne pour l'établissement d'une association commerciale privilégiée entre les deux pays, reprenant les arguments développés par Brissot et Clavière dans De la France et des Etats Unis. Nancrède avait entrepris de traduire ce livre en anglais en 1788, et en avait publié des extraits dans plusieurs journaux de Boston (Massachusetts Centinel, 2 April, 2 August 1788 ; Independent Chronicle, 17 July 1788). En 1793, alors que la France et l'Angleterre sont en guerre, Nancrède soutient les efforts du ministre plénipotentiaire de France, Edmond Charles Genet, qui fait pression sur l'opinion américaine pour amener une intervention en faveur de la France (S, p. 66 67). Malgré la déclaration officielle de neutralité du gouvernement américain, Genet n'hésitera pas à distribuer des lettres de marque et à se servir des ports américains comme bases navales pour les corsaires français opérant dans la mer des Antilles. A la demande de Washington, Genet est révoqué à la fin de 1793. Nancrède ne désarme cependant pas. Son «zèle patriotique», mais aussi, semble-t il, des ressentiments personnels et la rancoeur de n'avoir pu obtenir un poste d'adjudicateur des prises qu'il convoitait, le poussent à publier un violent pamphlet, Les Citoyens francais, dans lequel il met en cause les autorités consulaires françaises de Boston qu'il accuse, par «ineptie», corruption et sympathies royalistes, de faire secrètement le jeu de l'Angleterre. Le consul Dannery, auquel Nancrède s'en prend personnellement, le dénonçant comme «un ancien mignon du tyran» et un de ces «fainéants salariés» qui ne pensent qu'à «profiter du gâteau» (Les Citoyens, p. 9), refuse cependant, comme lui proposent les autorités américaines, de le faire arrêter (P). Nancrède renouvelle ses attaques dans une lettre qu'il envoie au Comité de salut public le 20 janvier 1795 (P, p. 320). Rappelé en France et mis en disponibilité, Dannery sera remplacé par Théodore Mozard qui arrive à Boston à l'automne 1795. Nancrède, que Genet avait déjà recommandé, sans succès, à ce poste, sera officiellement nommé traducteur et interprète auprès du Consulat de France de Boston en juillet 1796, en raison de «l'étude [... qu'il a faite] de la langue anglaise pendant son long séjour en ce continent», comme en reconnaissance de son «zèle pour la République et [de son] attachement à la cause de la Liberté» (O).

Dès la fin de 1794, Nancrède songeait à se lancer dans le commerce des livres. Il est alors le correspondant pour Boston de Moreau de St Méry, réfugié à Philadelphie et établi libraire et imprimeur dans cette ville (O, St Méry, N., 23 janv., 4 et 11 mars 1795). En 1795, Nancrède s'associe avec Thomas Hall, libraire et imprimeur à Boston, puis, l'année suivante, ouvre sa propre librairie et maison d'édition au 49 Malborough Street, adresse à laquelle il réside également (I, t. X, p. 438). Au fil des années, Nancrède accumulera un fonds de livres important, et, comme libraire et éditeur, contribuera à la diffusion de la littérature et de la pensée françaises aux Etats Unis. On relève dans ses catalogues de nombreux ouvrages français, et il publiera, notamment, Télémaque et Paul et Virginie, en éditions française et bilingue, et une traduction des Etudes de la Nature de Bernardin de Saint Pierre qu'il dédie à Georges Washington (I, t. XI, p. 45, 191, 284). Son contrat avec l'université Harvard n'ayant pas été renouvelé, Nancrède se consacre entièrement à son commerce de livres à partir de 1801. A la fin de cette année là, il se rend en Angleterre et en France dans le but d'accroître son fonds et de recueillir informations et documents pour la publication d'un «nouveau système universel de géographie», entreprise dans laquelle il est associé avec Barnard Macanulty et James Tytler, l'un des rédacteurs de l'Encyclopedie Britannica (M, p. 101-103 ; G, t. II, p. 410 ; Q, p. 85-87). Parmi les livres rapportés, plus de cinquante exemplaires d'une édition anglaise du New American Navigator qui seront à l'origine d'un procès intenté par un libraire de Salem, Blunt, qui possédait l'exclusivité des droits de cette édition pour l'Amérique (M, p. 181). Le bref séjour qu'il a fait à Paris au début de 1802, après dix sept ans d'absence, l'échec de plusieurs projets d'édition, un mariage qui semble n'avoir jamais été heureux, peuvent expliquer la décision que prend alors Nancrède de rentrer en France. Au printemps 1803, il vend sa librairie et une partie de son fonds et s'installe au 24 State Street ; le reste de son fonds, près de sept mille livres, est vendu aux enchères en février 1804 (C ; G, t. III, p. 73, 77 ; Q, p. 87 88). Au printemps, il s'embarque pour la France avec ses enfants, mais sans sa femme dont il vivra séparé à partir de cette date.

Nancrède restera huit ans en France, résidant à son arrivée chez le banquier Récamier, rue du Montblanc (S, p. 89). Il continue à s'intéresser aux problèmes d'édition comme aux relations commerciales et politiques entre la France et les Etats Unis. En 1810, il est en correspondance avec le général Jomini, aide de camp du maréchal Ney, qui songe à rééditer son Traité des grandes opérations de la guerre et aimerait également le voir traduit en anglais (0, Jomini à N., 18 juin 1810). A la fin de 1811, il est lié avec l'ambassadeur américain à Paris, Joël Barlow, dont il serait, selon un journal de Salem, un des conseillers privés (Gazette, 9 juin 1812). En juillet 1812, Nancrède rentre en Amérique et s'installe à Philadelphie. En 1861, il habite dans South 10th Street, chez son fils Joseph devenu médecin. Retiré, «gentleman» selon l'annuaire de la Ville de Philadelphie, Nancrède n'en poursuit pas moins les intérêts qui ont toujours été les siens : l'édition et le commerce des livres, les relations franco-américaines, la «politique générale des nations» et ses rapports avec l'économie (De la politique, p. 111). En 1819, l'écrivain et journaliste Victor Jouy lui envoie plusieurs exemplaires de sa tragédie Bélisaire qu'il aimerait voir distribuer sur le marché américain, et l'année suivante, Nancrède fournit au consul de France à Philadelphie, le comte de Lesseps, plusieurs livres et brochures que celui-ci recherchait (S, Jouy à N., 10 avril 1819 ; de Lesseps à N., 24 janv. 1820). Nancrède se lie avec les membres de la colonie française de Philadelphie, parmi lesquels Joseph Bonaparte réfugié à Pointe Breeze, et sert même d'intermédiaire et de conseiller à un groupe d'hommes d'affaires qui désirent racheter les titres et faire valoir les droits d'importantes concessions de terrains accordées au cours du XVIIIe siècle à des émigrés français dans l'Illinois et l'Ohio (0, Hunt à N., 25 fév. ; Baldwin à N., 6 juillet ; Barlow à N., 20 juillet 1816). Les travaux de la «Philadelphia Society for the Promotion of National Industry», dont il est l'un des dix membres, le conduiront à publier, en 1825, De la politique de l'Angleterre, ouvrage dans lequel il cherche à montrer que les principes qui dictent la politique extérieure de l'Angleterre se réduisent en fait aux «intérêts (bien compris) de son propre commerce» (p. 51).

En 1825, Nancrède rentre définitivement en France. Dans les années qui suivent son retour, il fréquente d'anciens bonapartistes comme Louis de Girardin et le comte Roederer, et soutient les efforts du baron de Méneval, ancien secrétaire particulier de Napoléon, qui fait campagne dans la presse pour défendre les actions et le rôle politique de Joseph Bonaparte et favoriser son retour d'exil (0, J.B. à N., 29 fév. 1826, 17 juin 1831 ; N. à J.B., 25 mars 1831 ; R, p. 73 75, 101 105). En 1829, Nancrède cherche, sans succès, à se faire nommer Consul des Etats Unis à Paris (S, p. 103 105). Au début de 1831, il passe quelques mois en Angleterre à l'occasion du mariage de sa fille naturelle Pauline (0, N. à J. Bonaparte, 25 mars ; J.B. à N., 17 juin 1831). Les dernières années de sa vie le verront se dévouer à une nouvelle cause, celle des «patriotes» canadiens. Après l'échec de la rebellion de 1837, Louis-Joseph Papineau s'était réfugié aux Etats Unis et avait séjourné quelque temps à Philadelphie, chez le Dr Nancrède auquel le liait, depuis leurs années de collège à Montréal, une longue amitié. Par l'intermédiaire de son fils, Nancrède correspond avec Papineau et essaie de l'aider dans ses efforts pour sensibiliser l'opinion au sort des canadiens français. Il s'entremet également auprès d'hommes politiques français et anglais, rencontrant notamment, au cours d'un voyage à Londres en juillet 1838, le député aux Communes, Joseph Hume. Il encourage Papineau à venir se réfugier en France pour y continuer la lutte, et l'accueille à son arrivée à Paris en mars 1839 (P. à N., 14 mai 1838 ; N. à P., 19, 29 juin, 9 juillet, août 1838, Corresp. de L.J. Papineau, arch. publ. du Canada). Dans les années qui suivent, Papineau s'efforcera, sans succès, de susciter une intervention française en faveur de la cause canadienne.

4. Situation de fortune

La situation financière de Joseph Nancrède, du moins dans les premières années de son retour aux Etats Unis, semble avoir été précaire. La publication du Courier de Boston se revèle bientôt un désastre financier et il l'arrête en octobre 1789, faute d'argent ; mais il aura tenu à la prolonger jusqu'au sixième mois afin de satisfaire aux engagements pris vis à vis de ses abonnés. Dans son dernier numéro, il remercie «ceux de ses souscripteurs qui, pénétrés de la perte qu'il a faite par l'impression de cette feuille, ont bien voulu lui payer leur abonnement en entier», et, faisant allusion à ceux qui lui ont offert de l'argent pour rembourser ses dettes, offre qu'il a refusée, «il supplie ces personnes de lui fournir les occasions de maintenir sa famille, sous des auspices plus honorables pour elles, et moins mortifiantes pour lui». Aux pertes subies dans cette aventure, s'ajoutent celles qui résultent de deux vols dont il est victime au cours de la même année. Un réfugié français de Saint Domingue qu'il hébergeait, Lambert, s'enfuit notamment en mai, avec près de 800 dollars en argent et effets (Courier, p. 207) ; somme importante pour l'époque, si l'on considère que huit ans plus tard, en 1797, le salaire d'un instructeur à Harvard n'est que de 400 dollars auxquels s'ajoute, il est vrai, une prime de 100 dollars, «in consideration of the high prices of the necessaries of life» (A, O.R., IV, p. 246). En lui assurant un revenu régulier, son poste d'enseignant à Harvard va lui permettre de surmonter ses difficultés financières puis de se lancer dans le commerce de livres. Il donne également des leçons en ville et obtient en décembre 1791, du Conseil municipal de Boston, l'autorisation de se servir, quatre fois par semaine, «de la salle de classe de M. Bingham» pour y enseigner la langue française (D, p. 77). En 1792, la publication de L'Abeille française est rendue possible grâce aux nombreux souscripteurs qu'il réussit à intéresser à l'entreprise et au soutien financier que lui accorde l'Université (A, C.P., III, p. 61). Sa situation financière semble rétablie en 1796, époque à laquelle il s'installe au 49 Malborough Street. Il est alors non seulement propriétaire de cette maison en briques à deux étages dans laquelle il ouvre sa librairie, mais également de deux autres maisons, l'une de briques, au coin de Middle et de Cross Street, l'autre de bois, dans Cross Street (D, p. 77). Le non-renouvellement de son contrat à Harvard a sans doute joué un rôle dans sa décision de rentrer en France pour la seconde fois, en 1804. Dans son journal, à l'occasion de la vente de liquidation de la librairie, William Bentley souligne cependant l'importance et la richesse du fonds de livres réuni par Nancrède : «This week Nancrede has a very valuable sale of Books in Boston. It is not often that valuable or general collections are sold [... given that] the importers commonly receive upon a limited Catalogue and have seldom an opportunity to enlarge it in America. [...]. The books sold for their highest value this week, so that the demand must necessarily be great (G, III. p. 73, 77)».

5. Opinions

Si Nancrède est acquis aux idées philosophiques, c'est à Jean Jacques Rousseau, à la «philosophie du sentiment» et à la littérature sensible et moralisatrice qui en découle, que vont ses préférences. Les textes qu'il choisit d'inclure dans l'Abeille française sont à ce sujet révélateurs. Bien qu'il en fasse l'éloge dans son introduction, peu d'oeuvres du XVlIe siècle : une lettre de Fléchier à Bossuet, quelques pages de Fénelon, mais La Fontaine, Corneille, Racine, Molière ou La Bruyère manquent. En revanche, une large place est accordée aux écrivains du XVIIIe siècle, Montesquieu, Voltaire, Helvétius, Buffon, et surtout Jean Jacques Rousseau, le plus souvent cité avec quinze extraits. On trouve également l'Abenaki de Saint Lambert, Le Bonheur champêtre et le Chant de mort de l'Inca de Marmontel, de nombreux textes et anecdotes qui célèbrent les joies de la Nature et l'état de nature, les charmes de la vie sauvage, la nature primitive de l'homme, et cet humanisme sentimental qui trouva son aboutissement dans la «bienfaisance humanitaire» de Bernardin de Saint Pierre, un des auteurs que Joseph Nancrède s'attachera à diffuser aux Etats Unis. Pour Nancrède, la véritable oeuvre d'art est celle qui donne «une leçon continuelle de sentiments généreux et de grandeur d'âme [...]. Le grand point est d'indiquer aux hommes les routes trop ignorées ou trop négligées du vrai bonheur et de la vertu» (L'Abeille, p. 101-104). C'est peut-être ce rêve nostalgique du XVIIIe siècle et les sympathies philosophiques pour la cause américaine qui l'ont poussé à revenir s'installer aux Etats Unis après avoir combattu pour leur indépendance. Comme Brissot de Warville, auquel il est lié et dont il partage les idées, il voit dans l'expérience américaine un modèle moral et politique, la première tentative de réalisation des spéculations philosophiques sur la nature et la raison, la vertu et la liberté. Aussi accueille t il l'annonce de la convocation des Etats Généraux et les débuts de la Révolution avec la joie et l'espérance de «ceux qui cherchent le bonheur des Etats dans une Constitution solide» ; mais il reste persuadé que ce but pourra être atteint par des moyens pacifiques : «parce que d'une part, on a des preuves frappantes de l'amour du Roi pour son peuple, et que de l'autre, la multitude de gens éclairés qui existent en France fera préférer les moyens pacifiques» (Courier, p. 139). Ses aspirations et ses rêves viendront se heurter à la réalité révolutionnaire. Il traduira et publiera par la suite le discours de Brissot «sur la question de savoir si le Roi peut être jugé», qui répondait par l'affirmative, et un «projet de Constitution pour la République française».

6. Activités journalistiques

Joseph Nancrède est le rédacteur du Courier de Boston qui paraît chaque jeudi du 23 avril au 15 octobre 1789 sur huit pages à deux colonnes, à Boston, de l'Imprimerie de Samuel Hall, Libraire, dans le Cornhill, n° 53 (v. D.P.I 264).

Il est probable que Nancrède a été à l'origine, en 1794, du projet de publication d'un autre journal français à Boston,le Courier des deux mondes, dont seul le Prospectus vit le jour (E, p. 220). En 1797, il pensa de nouveau à publier un journal, cette fois-ci en association avec John Dennie, éditeur du Farmer's Weekly Museum, mais ce projet fut également abandonné (G, II, p. 235.

7. Publications diverses

a) Anthologies : L'Abeille française, ou Nouveau recueil de morceaux brillans des auteurs françois les plus célèbres. Ouvrage utile à ceux qui étudient la langue françoise et amusant pour ceux qui la connoissent. A l'usage de l'université de Cambridge, Boston, Belknap et Young, 1792. – The forum orator, or the American public speaker. Consisting of examples and models of eloquence, Boston, 1804.

b) Traductions : Brissot de Warville J.P., A Discourse upon the question whether the King shall be tried? Delivered before the Society of the friends of the Constitution at Paris, at a meeting July 10, 1791, Boston, 1791.– Projet de constitution pour la République Française. A plan of constitution for the French Republic, Boston, 1795 (éd. bilingue).– Les Citoyens François habitans des Etats-Unis de l'Amérique septentrionale à leur patrie, à ses représentans, s.l.n.d. [Boston, 1794]. – De la politique de l'Angleterre, de ses rapports avec les autres puissances, et des causes qui l'empêchent d'adhérer aux principes de la Sainte-Alliance, avec quelques réflexions sur les effets que cette politique a dû produire et doit continuer de produire sur les nations commerçantes du monde entier, Paris, 1825.

8. Bibliographie

(A) Manuscrits, Harvard University Archives : College Papers (C.P.) ; Corporation Records (C.R.) ; Overseers Records (O.R.) ; Faculty Records (F.R.). – (B) Les Combattants français de la guerre d'Amérique, 1778-1783, Ministère des Affaires étrangères/ U.S. Senate, Washington, 1905.– (C) Fixed-price catalogue of a large collection of books, which has,for several years past, been accumulating every production of merit ..., Boston, 1804. – (D) Baldensperger F., «Le premier "instructeur" de français à Harvard College : Joseph Nancrède», Hardvard Advocate, XCVI, 6, 1913, p. 76-79.– (E) Barthold A.J., «French Journalists in the United States», Franco-American Review, I, 1936, p. 215-230.– (F) 1er Art.Nancrède, Dictionary of American biography, New York, 1927-1936, 10 vol., t. VII, p. 380-381.– (G) Bentley W., The Diary of William Bentley, Gloucester, 1962, 3 vol.– (H) Brissot J.P., Correspondance et papiers, éd. M. Perroud, Paris, 1912.– (I) Evans Ch., American bibliography, New-York, 1914-1959, 14 vol.– (J) Moreau de St Méry M., Moreau de St Mery's american journey, 1793-1798, New-York, 1947.– (K) Mumford Jones H., America and french culture, 1750-1848, Chapel Hill, 1927.– (L) Schinz A., «Un "rousseauiste" en Amérique», Modern Language Notes, XXXV (1920), p. 10-18. – (M) Tapley H.S., Salem Imprints, 1768-1825, Salem, 1927.– (N) Winship G.P., «Two of three Boston papers», Bibliographical society of America papers, XIV, 2 (1920), p. 57-76.–(O) Dossier Joseph Nancrède, Archives publiques du Canada, Ottawa (MG 24 K 56).– (P) Correspondance consulaire et commerciale, Boston, 3, 1793-1795, p. 176-344, Archives du ministère des affaires étrangères, Paris.– (Q) Déclarations de mutation par décès, Archives de Paris (DQ 14-1995, n° 282).– (R) Bonaparte J., Lettres d'exil inédites, Paris, 1912.– (S) Stern M B., Books and book people in 19th century america, New York, 1978.

GROSLEY

Auteurs

Numéro

368

Prénom

Pierre Jean

Naissance

1718

Décès

1785

Pierre Jean Grosley est né à Troyes le 18 novembre 1718, de Jean Grosley, avocat et bailli de Saint Maure, et de Louise Barolet, fille de Pierre Barolet, marchand et conseiller en l'échevinage de Troyes (Vie, p. 3). Il est l'aîné de trois enfants survivants. Sa soeur, Marie Elizabeth, née en 1719, se marie en 1739 avec un riche marchand troyen, M. Gallien. Son frère, François Grosley dit Grosley de Lamurotte, né en 1724, avocat au Parlement, chevalier de l'Ordre du Saint Sépulcre de Jérusalem, se marie en 1753 avec Jeanne Lefebvre dont il aura trois enfants.

2. Formation

Un «vieux maître d'école», Huez, lui apprend les rudiments et les «premiers principes du latin», puis il entre en cinquième, à sept ans, au Collège de l'Oratoire de Troyes où il fait des études brillantes, recevant notamment tous les premiers prix en rhétorique (Vie, p. 15, 53). «Ingeniosus, sed dolos meditans», note un de ses maîtres (Morel, p. 6). Grosley poursuit ensuite ses études à la Faculté de Droit de Paris, et obtient sa licence le 3 juin 1740 (Babeau, 1887, p. 14). Avocat, il sera également titulaire de plusieurs charges de justices seigneuriales : «Grand-Maire» de l'abbaye de Saint-Loup, dont la juridiction s'étendait sur une partie de la ville de Troyes et plusieurs villages des environs ; bailli des baronneries de Chappes et de Vaucharsis (Babeau, 1882, p. 4)).

Pierre Grosley était membre de l'Académie de Châlons-sur-Marne (1756), de la Société royale des Belles-Lettres de Nancy (1757), de la Société royale de Londres (1766). Il fut élu en 1762 membre libre de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.

3. Carrière

A la fin de ses études secondaires, Grosley pense un moment à entrer dans les ordres, puis se décide à devenir avocat comme son père (Vie, p. 54). De 1737 à 1740, il étudie le droit à Paris, tout en étant employé comme clerc chez différents procureurs. Il réside alors successivement rue de la Comtesse d'Artois, rue du Cimetière Saint-André, et à la pension Fromentin, rue de l'Arbre-Sec, près de Saint-Germain l'Auxerrois. Pendant son séjour à Paris, Grosley fréquente différents cafés littéraires, notamment le café Gradot, et se lie avec le père Tournemine chez lequel il rencontre Voltaire, Piron, Lefranc et le sculpteur Bouchardon (Vie, p. 58-71 ; Babeau, 1887, passim). Il commence aussi à écrire, publiant plusieurs articles dans le Journal de Verdun et le Mercure de France. Le père Tournemine le presse de s'installer définitivement à Paris, ainsi qu'un compatriote, Aubert, qui lui offre de reprendre son cabinet et sa clientèle, mais, reçu avocat, Grosley décide de rentrer «ouvrir boutique» à Troyes (Vie, p. 80 ; Dubois, p. 183). Là, son cabinet, ses fonctions judiciaires, vont moins l'occuper que l'étude et les lettres.

Il se fait connaître en 1744 par les Mémoires de l'Académie de Troyes, une «facétie» qui s'amuse des débats et dissertations des académies de province. Le succès de librairie de cette oeuvre de jeunesse dont il n'est qu'en partie responsable, va contribuer à créer, parfois au détriment d'autres aspects de son caractère et de son oeuvre, l'image d'un Grosley original et facétieux, l'un des derniers représentants de «l'esprit de malice du bon vieux temps» pour reprendre le titre de l'article que Sainte-Beuve lui a consacré.

En 1745, son désir de voyager pousse Grosley à solliciter le poste de trésorier de la partie des équipages dans l'armée du maréchal de Maillebois, poste qu'il obtient grâce à la protection d'un ami (Vie, p. 99-105). Grosley passe six semaines à Lyon pour se familiariser avec son nouvel emploi et notamment «apprendre l'arithmétique dont [il connaît] à peine la première règle», puis rejoint l'armée à Nice et parcourt, à sa suite, tout le nord de l'Italie. La campagne, très dure, se termine par une retraite désastreuse, et Grosley est de retour à Troyes dès la fin de 1746.

En 1749, Grosley participe au concours organisé par l'Académie de Dijon sur la question de savoir «si le rétablissement des sciences et des arts a contribué à épurer les moeurs». Comme Jean Jacques Rousseau, mais d'une facon moins radicale, il répond par la négative à la question posée. Sa dissertation, qui obtient l'accessit, est publiée dans le Mercure de France de juin 1752. Cette année-là, Grosley publie ses Recherches pour servir à l'histoire du droit français qui attirent l'attention des milieux juridiques et notamment de Joly de Fleury, qui en fait paraître un extrait dans le Journal des Savants (Vie, p. 121 ; Dubois, p. 186). Quatre ans plus tard, il fait paraître la Vie de Pierre Pithou, juriste et écrivain champenois du XVIe siècle, l'un des auteurs de la Satire Ménippée. Grosley continue également à collaborer à plusieurs journaux et contribue au Nouveau dictionnaire historique de Chaudon et à la réédition entreprise par l'abbé Goujet du Dictionnaire de Moreri. Grosley sera aussi l'auteur de l'article «Roise» de l'Encyclopédie.

Grosley aimait peu plaider, sinon pour des causes qui lui tenaient à coeur, celles des «petits» et des nécessiteux (B.N., n.a.fr., 805), celles aussi des jansénistes, pour lesquels il a des sympathies, et qu'il défend à plusieurs reprises contre l'archevêché de Troyes lors de l'affaire des «billets de confessions» (Mémoires historiques, t. II, p. 667-669). Il passe également plusieurs mois à Paris en 1756, défendant, à ses frais, la ville de Troyes contre la Compagnie des Fermiers généraux dans un procès devant le Conseil en Cassation d'Arrêt (Vie, p. 336). Un héritage important dont il est bénéficiaire cette année-là, va lui permettre de «relâcher les liens qui [l'attachent] au palais» (Vie, p. 143) et de se consacrer à la littérature, entreprenant notamment la publication des Ephémérides troyennes qui paraîtront chaque année de 1757 à 1768. En 1757, l'attentat de Damiens pousse Grosley à «déclarer une guerre ouverte» à ses «bons amis Jésuites» qu'il accuse d'être à l'origine d'un «plan de subversion» dont l'attentat ne serait qu'un des épisodes (Lettre d'un solitaire, p. 11 ; Lettre d'un patriote, p. 2, 27). Il les attaque dans plusieurs pamphlets, notamment la Lettre d'un patriote qui est saisie et brûlée. L'imprimeur Gobelet et sa femme sont arrêtés et emprisonnés à la Bastille, mais Grosley réussira à échapper aux poursuites (Mémoires historiques, t. II, p. 665-667). Ses Mémoires pour servir à l'histoire des Jésuites seront également livrés au feu.

En mai 1757, Grosley s'était rendu en Lorraine où il avait été reçu dans l'Académie de Nancy sur la recommandation du roi Stanislas. De mai à décembre 1758, il voyage en Italie, visitant Milan, Venise, Rome, Naples, Florence (Vie, p. 152-170). A l'aller, il s'arrête aux Délices où Voltaire le retient huit jours (Lettres, p. 182), au retour au château des Ormes chez le comte d'Argenson (C, p. 29). Le président Hénault le presse de nouveau en 1759 de venir s'installer à Paris et de prendre place dans l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, mais il refuse : «Je suis addictus glebae et j'ai pris définitivement mes arrangements en conséquence» (Formey, t. II, p. 299-301). Il sera reçu membre libre de l'Académie des Inscriptions en 1762.

Le goût des voyages qu'il avait hérité de son père (Vie, p. 43), le pousse à entreprendre un nouveau voyage au printemps 1765, visitant la Bretagne puis se rendant à Londres où il séjourne six semaines (Vie, p. 219). Son récit de voyage, Londres, dans lequel il faisait l'éloge du libéralisme anglais, sera à l'origine de plusieurs polémiques lors de sa publication en 1770 (Simon, p. 31 ; C.L., t. VIII, p. 501-502). Grosley effectuera un autre voyage dans le nord de la France et en Hollande au cours de l'été 1772. A son retour d'Angleterre, en 1765, il avait pensé un moment à se marier avec la veuve d'un ami, puis y avait renoncé en raison de sa «passion irrésistible pour l'étude, la retraite et la liberté» (Vie, p. 269).

Au retour de ses voyages ou des séjours qu'il faisait presque chaque année à Paris, Grosley reprenait ses habitudes, la journée passée à l'étude, les «musarderies» quotidiennes dans les rues de Troyes, les longues randonnées à pied dans la campagne troyenne, appelé dans l'un ou l'autre village par ses fonctions de juge. Tout en donnant de nombreux articles à différents journaux, notamment au Journal encyclopédique auquel il collabore depuis 1764, Grosley consacre la fin de sa vie aux Illustres Troyens et aux Mémoires historiques et critiques pour l'histoire de Troyes, deux ouvrages dans lesquels il se proposait de rassembler les résultats de ses recherches sur le passé de Troyes et de sa région. Seul le premier volume des Mémoires historiques et critiques paraîtra en 1774.

Pierre Jean Grosley meurt à Troyes, dans la maison de la rue du Bourg-Neuf où il était né, le 4 novembre 1785. A sa demande, il est enterré comme «les morts les plus pauvres de l'Hôtel-Dieu». Dans son testament, de nombreux legs charitables, une rente «à la personne qui se chargera de [ses] deux chats, [ses] commensaux», et une donation pour contribuer «au monument à ériger au célèbre Antoine Arnauld» (Mémoires historiques, t. II, p. 679-682).

4. Situation de fortune

Aux gains que lui rapportent sa profession d'avocat, s'ajoutent un «petit revenu» qui provient de la succession de son père mort en 1732, et l'intérêt de 3000 £ qu'il place chez les frères Dufour en 1746, à son retour de la campagne d'Italie (Vie, p. 120, 126). En 1754, il sollicite et obtient, grâce sans doute à la protection du président Hénault (Lettres, p. 49), plusieurs charges de justices seigneuriales. Le bailliage de la baronnerie de Vaucharsis lui rapporte «30 livres de gages» en plus des «droits, profits et émoluments» dont le montant devait être assez réduit puisque Grosley, montrant une modération peu ordinaire pour l'époque, se limitait même «dans le temps où [il était] le moins pécunieux», à juger «les procès de rapport à 24 sols d'épices» (Vie, p. 126 ; Babeau, 1882, p. 8, 14).

Légataire universel de son oncle maternel, Nicolas Barolet, il hérite en 1756 de près de 80 000 £, somme importante pour l'époque. Il fait aussitôt don de la moitié à sa soeur en la dispensant, devant notaire, de toute reconnaissance. Il ne met qu'une condition à sa donation : que lui soit livré chaque année à la Saint-Martin, «deux muids de vin des Hauts-Clos» (Vie, p. 126-135). Le reste, placé, lui procure une rente annuelle de 2400 £, rente qu'il trouve encore «trop forte pour la figure qu'[il veut] faire» (Vie, p. 396). Aussi décide-t-il de la ramener à 1800 £ et d'offrir à la ville de Troyes les bustes de sept troyens célèbres, bustes qu'il commande, pour la somme de 2000 £ chacun, au sculpteur du roi, Vasse. Cinq seront exécutés, la banqueroute des frères Dufour chez lesquels il avait placé une partie de son argent, lui faisant perdre, quelques années plus tard, 8000 £ «dont le revenu formait précisément l'excédent ou le superflu [...] destiné à cette entreprise» (Vie, p. 140-142).

Grosley avait très tôt pris le parti «d'étouffer dans son sein jusqu'au moindre principe de la soif des richesses, jusqu'à la moindre des tentations de l'ambition» (Vie, p. 395). Méprisant le luxe, s'efforçant de se borner au nécessaire et de vivre une vie des plus simples, il a travaillé toute sa vie «à resserrer [ses] besoins, [ses] goûts et [ses] désirs» pour se contenter de peu et même «retrancher encore de ce peu, par la crainte de ne pas s'en contenter toujours» (Vie, p. 140, 395). Il ne faisait exception à cette règle que pour ses voyages, sa collection de tableaux, estampes et médailles, et sa bibliothèque, considérable pour l'époque, puisqu'elle contenait plus de 4000 volumes (Babeau, 1883, p. 23). Il lèguera la plus grande partie de sa fortune, qui s'élevait, à sa mort, à près de 50 000 £, au petit-fils d'un de ses anciens camarades d'études (Vie, p. 206-207 ; Mémoires historiques, t. II, p. 681-682). Le testament sera contesté par ses deux nièces (Babeau, 1901, p. 173).

5. Opinions

Dans sa dissertation présentée au concours de l'Académie de Dijon, Grosley concluait que le rétablissement des sciences et des arts avait été plus nuisible qu'utile aux moeurs, mais il s'agissait moins pour lui de condamner les sciences et les arts en tant que tels que d'appeler à retrouver ou préserver, «dans les siècles éclairés», la «pureté des anciennes moeurs», car il faut bien faire ce constat «humiliant pour l'humanité», que «les siècles les plus polis» n'ont pas été les plus vertueux, «la corruption des moeurs avoisin[ant le plus souvent] les lumières de l'esprit». Les siècles de Périclès, d'Auguste ou de Louuis XIV auraient été des «siècles encore plus heureux, si dans les hommes les panchans du coeur [avaient été] déterminés par les lumières de l'esprit» (M.F., juin 1752, p. 69, 86-87, 96). Contrairement à ce que certains ont voulu laisser croire (Dacier, p. 368 ; Georges, p. 16-17 ; B.Un., N.B.G.), Grosley prenait sa thèse au sérieux et n'a jamais renié les idées défendues dans cette dissertation. Il s'est en fait toujours efforcé d'accorder sa conduite à ses principes.

Lorsqu'en 1740, à vingt-deux ans, Grosley décide de revenir s'installer à Troyes, il a déjà choisi un «système de vie» qu'il suivra «imperturbablement et sans regrets», s'efforçant toujours de limiter son domaine pour mieux s'approprier ce qu'il possède (Vie, p. 18). Aux «illusions flatteuses», à la «représentation» et aux «entremangeries» de la capitale, aux jeux de l'intérêt et de l'ambition qui poussent à vivre «sans avoir vécu un instant pour soi-même», il préfère le «bonheur de province», la vie en retrait, la «médiocrité» qui donne la paix et les loisirs pour mieux se consacrer à l'étude, aux autres et à soi-même (Vie, p. 18, 60, 86 ; Dubois, p. 183). La lecture de Montaigne et des auteurs anciens qui, comme Horace, ont celébré l'aurea mediocritas, est venue fortifier une conviction acquise auprès de son père qu'il a peu connu mais qu'il a toujours admiré : «le bonheur que j'ai trouvé dans l'indépendance, dans la médiocrité, dans les goûts qu[e mon père] m'a transmis, est une continuité de celui qu'il a trouvé dans la modération de ses désirs, dans la paix de l'âme, et dans l'amour de l'étude» (Oeuvres inédites, t. I, p. 421). A Troyes, dans la maison familiale à laquelle il refusera toujours de changer quoi que ce soit, Grosley veut poursuivre la vie simple de ses ancêtres, «vivre de peu, désirer peu, ne rien devoir», cherchant, dans la mesure des besoins et la modération des désirs, l'équilibre, «la paix de l'âme» qui assure «la vraie liberté et la véritable indépendance» (Vie, p. 18, 395). «Paix et peu, c'est ma devise» (B.N., n.a.fr., 804, 97). A l'écart du monde, Grosley s'est cependant voulu un homme engagé dans son temps. Son oeuvre est presque entièrement consacrée à sa «patrie», sa ville, sa province, dont il veut mieux faire connaître le passé, les faits et les hommes qui l'ont illustrée. Mais, chez lui, l'attachement au passé va de pair avec l'amour du progrès : il faut lire «l'Histoire avec des yeux philosophiques», y tirer des enseignements pour mieux s'engager dans le présent (E.T., 1759). Influencé par les théories de Quesnay et de d'Argenson, Grosley défend les droits provinciaux contre les empiètements de l'autorité parisienne, encourage la décentralisation administrative et la renaissance des franchises locales, favorise l'essor des régions. Il encourage également la décentralisation culturelle, recensant les richesses artistiques de sa province et s'attachant à les faire connaître et aimer, rappelant les traditions, recueillant les contes et légendes, établissant un «vocabulaire troyen» : «Pourquoi donc Vaugelas restreint-il le bon usage de la langue française à la manière de parler des meilleurs écrivains et des personnes polies de la Ville et de la Cour?» (E.T., 1761, p. 75-124 ; Sainte-Beuve, p. 165, note 1). Grosley s'efforce de ranimer le «zèle patriotique» pour mieux lutter contre l'hégémonie culturelle et politique de la capitale. Il y voit aussi le plus sûr garant de la préservation de «la pureté des anciennes moeurs» (Dubois, p. 192-193).

Ce «provincialisme» de Grosley n'est ni étroit ni exclusif. Il s'accompagne d'une curiosité toujours en mouvement qui le pousse notamment à voyager, pour découvrir les productions artistiques du passé, se familiariser avec d'autres moeurs et d'autres gouvernements, et surtout «voir des hommes», étudier l'homme en général et les hommes dans un endroit particulier (Vie, p. 170, 219). Grosley s'est également engagé dans la lutte philosophique, soutenant l'effort des encyclopédistes, défendant le libéralisme économique et politique, combattant pour la tolérance religieuse. Il était en correspondance avec de nombreux savants et hommes de lettres, Joly de Fleury, le president Hénault, Desmarets, Chaudon, Coqueley de Chaussepierre, Dom Taillandier, Formey, d'Alembert notamment, et Voltaire, un temps, de 1758 à 1761. Pour beaucoup, Grosley est resté l'auteur des Mémoires de l'Académie de Troyes, mais il fut aussi, dans sa vie comme dans son oeuvre, ce «guerroyant philosophe» dont parle Voltaire dans une lettre à Formey (Best., D 8784).

6. Activités journalistiques

Pierre Jean Grosley a collaboré à de nombreux journaux. On a relevé près de cent articles publiés dans le Journal de Verdun, le Mercure de France, le Journal Encyclopédique, le Journal de Paris, les Mémoires de Trévoux, les Affiches de Reims, ou le Journal de Troyes. Corrard de Breban en a publié une liste partielle dans l'Annuaire de l'Aube de 1850 et 1852. On trouvera une liste plus complète, établie par Grosley lui-même, dans l'Ineditorum incomposita farrago, manuscrit conservé à la Bibliothèque Nationale (n.a.fr., 805-806).

Le «coup d'essai» de Grosley, alors qu'il est encore en logique chez les Oratoriens de Troyes, est une énigme «sur l'espérance» publiée en 1736 dans le Journal de Verdun. Deux autres énigmes parues dans le même journal en mars 1739 et avril 1744, seront tout ce qu'il aura «jamais tiré de sa veine poétique» (n.a.fr., 805, 162). Parmi ses contributions, quelques contes et «facéties» («Conte de Barolet Chauveau», J.Enc., avril 1777), plusieurs articles de critique littéraire sur des auteurs anciens («Sur un vers de l'Enéide», J.de Tr., juil. 1760, le seul article publié dans ce journal) et modernes («Sur Molière», J.Enc., 1/15 mai 1776) ; mais surtout des contributions de nature érudite sur des sujets d'histoire («Anecdotes sur Henri IV», J.Enc., avril 1777 et suiv.), de peinture («Sur le jugement dernier de Michel-Ange», J.Enc., août 1765), d'architecture («Lettre», M.de Fr., oct. 1757), de droit («Précis de la procédure criminelle contre le chevalier de Jars», J.Enc., fév. 1764), ou de langue («Sur les homonymes», J.Enc., avril 1776). De nombreux articles traitent de l'histoire de Troyes et de sa région : ses portraits des «Illustres troyens», par exemple, sont publiés presque régulièrement de décembre 1779 à octobre 1782 dans le Journal encyclopédique. On trouve également plusieurs articles de nature polémique, controverses religieuses («Sur le pays de Jansénie», J.Enc., sept. 1770) ou littéraires («Sur un prétendu plagiat de Voltaire», J.Enc., mars 1770), réponse à ses détracteurs à propos de sa vie («A Vassé, sur les bustes», J.Enc., nov. 1772) ou de ses oeuvres («Réponse sur Garrick», J.Enc., oct. 1770).

Grosley entreprend en 1757 la publication des Ephémérides troyennes dans le but «d'intéresser [ses] concitoyens à leur patrie», de leur faire «prendre connaissance des faits les plus intéressants de [leur] histoire» et de leur «ouvrir les yeux sur des entreprises utiles» (Vie, p. 143, 171-172). Elles paraîtront chaque année jusqu'en 1768. Les Ephémérides troyennes se présentent sous la forme d'un almanach mais contiennent également, outre des «pièces relatives à l'histoire civile, ecclésiastique et naturelle de Troyes» et aux «curiosités et singularités» artistiques de cette ville, des articles d'actualité rassemblés sous la rubrique «Etablissements et entreprises utiles». Dans cette rubrique, de plus en plus importante à mesure que les années passent, Grosley propose toute une série de mesures destinées à promouvoir le développement économique de la région et à améliorer la vie quotidienne de ses habitants. En 1757, par exemple, on trouve des articles sur les réformes à apporter aux hôpitaux, l'usage des bains publics, le développement de la navigation fluviale, les différentes utilisations possibles de la corne du bétail ou l'introduction de nouvelles cultures.

La publication des Ephémérides troyennes a soulevé beaucoup de remous à Troyes. Elles seront même saisies et détruites en 1762, sous prétexte que Grosley s'était moqué des «moeurs et de la religion» en publiant le portrait satirique d'un chanoine (Vie, p. 177-180, 204-208). C'est que Grosley dérange et heurte susceptibilités et intérêts locaux. Qu'il s'oppose au nouveau plan d'aménagement urbain par goût du «gothique» et de «l'ancienne tortuosité» des ruelles troyennes, ou qu'il remette en cause le privilège des «Communautés de fabricants» en encourageant l'artisanat local pour fournir de l'emploi aux paysans l'hiver, on le dénonce aussi bien comme un esprit rétrograde que comme un dangereux novateur. Les «tracasseries» continuelles, «les petits intérêts, les petites vues et les petites passions» qui sont de province comme de partout (E.T., 1758, Avis), auront raison de son entreprise : il abandonne avec la livraison de 1768.

7. Publications diverses

Oeuvres : Mémoires de l'Académie des Sciences, Inscriptions, Belles-Lettres, Beaux-Arts, etc., nouvellement établie à Troyes en Champagne, Liège, 1744 (avec David et A. Lefebvre) ; rééd. augm., 1756, 1768.– Mémoire pour Etiennette Boyau, s.l.n.d.– Mémoires pour servir de supplément aux "Antiquités ecclésiastiques du diocèse de Troyes" par N. Camusat, s.l., 1750 ; rééd. augm. en 1757, sous le titre, Mémories pour servir à l'histoire des RR.PP. Jésuites.–«Discours qui a balancé les suffrages de l'Académie de Dijon pour le prix de 1750», dans le Mercure de France, juin 1752, p. 68-100.– Recherches pour servir à l'histoire du droit francais, Paris, 1752.– Eloge historique et critique de M. Breyer, s.l., 1753.– Dissertation historique et critique [...] sur la conjuration de Venise, Paris, 1756.– Vie de Pierre Pithou , Paris, 1756.– De l'influence des lois sur les moeurs, Nancy, 1757.– Déclaration de guerre contre les auteurs du parricide tenté sur la personne du roi, s.l.n.d. (Troyes, 1757).– Réflexion contre l'attentat commis le 5 janvier contre la vie du roi, s.l.n.d. (Troyes, 1757).– Lettre d'un solitaire sur le mandement de M. l'archevêque de Paris, s.l.n.d. (Troyes, 1757).– Lettre d'un patriote, s.l.n.d. (Troyes, 1757).– Lettre a Mgr, au sujet des observations sur l'Almanach de Troyes, s.l. (Troyes), 1757.– Les Iniquités découvertes, ou Recueil des pièces curieuses et rares qui ont paru lors du procès de Damiens, Londres, 1760.– Projet aussi utile aux sciences et aux lettres qu'avantageux à l'Etat, par Sadoc Zorobabel, juif nouvellement converti, et compagnie, Bordeaux, 1762.– Nouveaux Mémoires ou observations sur l'Italie et sur les Italiens, Londres, 1764, 3 vol.– Londres, Lausanne, 1770, 3 vol.– Mémoires historiques et critiques pour l'histoire de Troyes, Troyes, 1774 ; rééd. augm., Paris, 1812, 2 vol.– Mémoires sur les campagnes d'ltalie de 1745 et 1746, Amsterdam, 1777.– Vie de M. Grosley, écrite en partie par lui-même, continuée et publiée par M. l'abbé Maydieu, Londres et Paris, 1787.– Voyage de P.J. Grosley en Hollande, éd. L.M. Patris-Dubreuil, Paris, 1813.– La Canonisation de Saint-Yves, conte, éd. S. Bérard, Paris, 1826.– Oeuvres inédites, éd. L.M. Patris-Dubreuil, Paris, 1812, 3 vol.– Lettres inédites de Grosley, éd. M. Truelle, Troyes, 1878.– Lettres inédites de Grosley écrites de l'armée d'Italie en 1745 et I746, éd. A. Babeau, Troyes, 1897.– De nombreux manuscrits, ainsi que des lettres et pièces diverses, sont rassemblés dans les Mélanges Grosley, B.N., n.a.fr., 802 à 806.

8. Bibliographie

C.L., B.Un., N.B.G., Cior 18.– (M.F.) Mercure de France.– (E.T.) Ephémérides troyennes.– Voltaire, Correspondance and related documents.– Corrard de Bréban, «Farrago de Grosley», Annuaire [...] pour le département de l'Aube, n° 27, 1852, p. 3-8.– Babeau A., Le Frère de Grosley et ses enfants, Arcis-sur-Aube, 1879.– Id., Grosley magistrat, Troyes, 1882.– Id., Les Correspondants de Grosley, Troyes, 1883.– Id., «L'Académie de Troyes et les auteurs des Mémoires publiés sous son nom», Mémoires de la Société académique [...] de l'Aube, L (1886), p. 121-148.– Id., Grosley étudiant, Troyes, 1887.– Id., «Le neveu de Grosley», Mémoires de la Société de l'Aube, XXXVIII (1901), p. 171-180.– Dacier B.J., «Eloge de M. Grosley», Histoire de l'Académie royale des Inscriptions et Belles-Lettres, t. XLVII, Paris, 1809, p. 365-376.– Dubois J., «Un savant champenois : Grosley», Mémoires de la Société de l'Aube, XXXVIII (1901), p. 181-603207.– Formey J.H.S., Souvenirs d'un citoyen, Berlin, 1789.– Georges E., Les Illustres Champenois : Grosley, Troyes, 1849.– Herluisson G.P., Eloge de P.J. Grosley, s.l.n.d.– Morel-Payen L., La Vie pittoresque et laborieuse de l'historien troyen Grosley, Troyes, 1931.– Sainte-Beuve, «De l'esprit de malice au bon vieux temps», Revue de Paris, X (1842), p. 145-169.– Simon Ch., Notice sur la vie et les ouvrages de M. Grosley, s.l., 1787.

GROSLEY

Auteurs

Numéro

367

Prénom

Louis François

Naissance

1760

Décès

?

Né à Troyes vers 1760, Louis François Grosley est le cadet des trois enfants de François Grosley dit Grosley de La Murotte, avocat au Parlement, chevalier de l'Ordre du Saint Sépulcre de Jérusalem, et de Jeanne Lefebvre. Ses deux soeurs épouseront des avocats troyens : l'aînée, Marie Elisabeth, se marie avec Jean Edme Houzelot ; Louise, avec l'avocat et lieutenant particulier des Eaux et Forêts, Moreau (Babeau, 1879, p. 5-6 ; 1901, p. 173, n. 1).

2. Formation

Louis François Grosley fait ses études au Collège de l'Oratoire de Troyes, études sans doute bonnes puisqu'il obtient, en 1788, alors qu'il est en réthorique, le premier prix d'amplification française. Il étudie également la musique avec un professeur de Troyes, Nérat (Babeau, 1879, p. 6).

3. Carrière

Après la mort de sa mère, Louis François est mis en pension chez une demoiselle Simon, puis chez le Sr. Olivier, maître de pension. En 1776, il est pensionnaire au collège (Babeau, 1879, p. 6). A sa sortie du collège, il pense un moment à entrer dans l'artillerie puis se décide à entreprendre des études de droit, mais sa vie dissipée, «sa mauvaise conduite décidée et les scènes les plus étranges tant [à Troyes] qu'à Paris», poussent son tuteur, sur recommandation de ses professeurs et en accord avec le conseil de famille, à solliciter une lettre de cachet pour le faire enfermer dans une maison de correction, chez les Frères de Saint-Yon à Rouen. Il y est en mai 1781, époque à laquelle Pierre Jean Grosley demande à d'Alembert d'intercéder auprès de Beaumarchais pour que celui-ci trouve place pour ce «neveu mauvais sujet» dans le corps expéditionnaire destiné à soutenir les insurgés américains (Lettres, p. 182-185). On ne sait si cet expédient a réussi, mais on retrouve Louis François Grosley à Paris et à Troyes à la fin de 1783. Il joue la comédie dans les salons et publie quelques articles dans le Journal de Troyes. Son oncle, qui meurt au début de novembre 1785, ne lui a cependant pas pardonné, puisqu'il le déshérite ainsi que ses soeurs au profit du petit-fils d'un de ses amis (Babeau, 1901, p. 173). Louis François ne semble cependant pas lui en avoir tenu rigueur, refusant de s'associer à la procédure entamée par ses soeurs en vue de faire annuler le testament. Dans la notice nécrologique qu'il fait insérer dans le Journal de Troyes, il oublie les dissensions passées pour ne se souvenir que des talents et des bienfaits de son oncle : «Je n'entreprends pas son éloge, c'est quand je lui ressemblerai que j'essaierai de le peindre. Le souvenir des soins qu'il a pris de mon éducation a laissé dans mon coeur un respect inaltérable [...]. Cette gratitude, et le respect que tous les talents m'inspirent, voilà les motifs qui m'invitent à rendre cette notice publique» (J.T., 16 nov. 1785).

Tout en faisant de fréquents séjours à Troyes, Louis François Grosley s'installe à Paris pour y poursuivre une carrière d'auteur dramatique. En 1787, le directeur de l'Ambigu comique, Audinot, accepte une parodie de l'opéra de Beaumarchais, Tarare, que Grosley a écrite en collaboration avec Marchand, mais au dernier moment la représentation de la pièce aurait été «interdite par ordre supérieur» (Babeau, 1901, p. 174). L'année suivante, Grosley fait représenter à Troyes une comédie en deux actes, la Double vengeance, puis en 1789, un opéra-comique, la Promenade du matin.

Au delà de son engagement de journaliste, on ne sait pas exactement quelle est la nature du rôle joué par Grosley pendant la Révolution. Un pamphlet de 1797, Les Candidats à la nouvelle législature, l'accuse d'avoir été le secrétaire de Ronsin et d'être allé à Lyon exercer ses «qualités révolutionnaires» (n° IV, p. 103). Grosley se trouvait effectivement à Lyon au début de 1794, alors que la ville est réoccupée par les troupes révolutionnaires. Il a pu être un des nombreux jacobins envoyés de Paris en novembre, à la suite de Collot d'Herbois, pour épurer la ville et réorganiser la municipalité ; mais il semble douteux qu'il ait été le secrétaire de Ronsin, puisque Grosley écrit à Hébert, de Lyon, le 15 mars 1794, pour lui demander d'intervenir en sa faveur auprès du «général rouge» (A.N., W 78, (I) 20 ; Jacob, p. 38). La veille, Hébert et Ronsin avaient été arrêtés à Paris et ils seront exécutés le 24 mars.

Grosley était lié avec Hébert qu'il avait peut-être connu alors que celui-ci, contrôleur au Théâtre des Variétés, s'essayait sans succès à une carrière d'auteur dramatique. Grosley rédige avec Hébert les premiers numéros du Père Duchesne, en 1790 et 1791, puis collabore à plusieurs journaux dont la Quotidienne et le Postillon des Armées (B, p. 174). En mai 1797, il fonde L'Aurore, journal du nouveau tiers qui sera quelques mois plus tard parmi les 31 journaux interdits à la suite du coup d'état du 18 fructidor an V (4 sept. 1797). Le nouveau «Directoire exécutif» ordonne également que les rédacteurs et imprimeurs des journaux interdits soient conduits et enfermés «dans la maison d'arrêt de la Force», mais ce n'est en fait que deux ans plus tard que ces dispositions seront exécutées. Par l'arrêté du 16 fructidor an VII (3 sept. 1799) est décrétée l'arrestation et la déportation à l'île d'Oléron des «propriétaires, entrepreneurs, directeurs, auteurs, rédacteurs des journaux» interdits le 18 fructidor. Grosley, Lasalle et Grimaldi sont nommément désignés pour L'Aurore, mais, dans le cas de Grosley, l'arrêté est rapporté dès le 13 vendémiaire (5 oct. 1799 : Mitton, p. 200-206 ; Aulard, t. IV, p. 315-317, t. V, p. 711-713).

Sous l'empire, Grosley est nommé conseiller de préfecture à Luxembourg, chef-lieu du département de Forets (Babeau, 1901, p. 179). Il y fait jouer, en 1802, un opéra-vaudeville en deux actes Marion Delorme. C'est également à Luxembourg qu'est publié en 1809, L'Entrée des Français à Madrid, un drame en un acte et en vers dédié au «maréchal de Dantzick», sans doute le maréchal Lefebvre, duc de Dantzig. En 1798, Grosley avait déjà fait «le premier pas dans la carrière difficile du théâtre tragique», publiant à Paris une tragédie en cinq actes, Le Vatican ou la mort du général Duphot (Avertissement, p. iii).

4. Situation de fortune

La fortune de son père semble avoir été médiocre puisqu'en 1778, lorsque son oncle rend les comptes de tutelle, Louis-François ne reçoit pour sa part que 498 £ (Lettres, p. 184, n. 3). En 1797, Grosley était cependant, très probablement, sinon le propriétaire, du moins le directeur de l'imprimerie de L'Aurore, rue Saint-Honoré. L'année suivante, en effet, c'est sa femme, qui assure la publication, sans nom d'auteur, de La mort du général Duphot- l'«Avertissement de l'éditeur» est signé «Femme Grosley, rue Honoré, N° 1431». Elle doit être alors en charge de l'imprimerie, pendant que son mari se cache pour échapper aux dispositions de l'arrêté du 18 fructidor.

On ne sait rien de la situation financière et des moyens de subsistance de Grosley par la suite.

Pour se donner une idée du salaire d'un conseiller de préfecture sous l'Empire, on peut noter qu'en 1809, un sous-préfet gagne entre 3000 et 4000 francs (Tulard, p. 321).

5. Opinions

Grosley partage un temps les convictions politiques d'Hébert. Ainsi en mai 1793, dans son propre Père Duchêne, il prend le parti du «peuple» contre les «foutus girondins» qui s'attaquent alors aux pouvoirs de la Commune. En octobre de la même année, les Soirées de la campagne, journal auquel il collabore, applaudiront aux exécutions de Marie-Antoinette et des députés girondins qui marquent la fin de l'aristocratie et «affermi[ssent] de manière inébranlable le régime de l'égalité» (Babeau, 1901, p. 175). Après Thermidor, Grosley semble, sinon rejoindre les rangs de la contre-révolution, du moins s'en rapprocher. Dans l'Aurore de juin 1797, il dénonce «la fureur des partis [...], l'insolence des Jacobins et l'impolitique des honnêtes gens [qui] vont encore une fois replonger la France dans un déluge de maux». Il prévoit le coup d'état militaire du 18 fructidor qui annulera les élections favorables aux royalistes, et le dénonce d'avance comme «un nouveau 31 mai» et le retour au «temps de Robespierre» (id., p. 177). Défenseur sous le Directoire de ce «nouveau tiers» qui aspire à l'ordre et à la stabilité, Grosley se ralliera au Consulat. Seul son anticléricalisme, qui se donnait libre cours dans les premiers numéros du Père Duchesne, ne semble pas avoir changé : en 1798, dans sa tragédie La Mort du général Duphot, il rejette tous les torts sur le Vatican qui «nourrit la haine de la France» et sur le pape, ce «prêtre dont le trône écrase la nature» (id., p. 178).

6. Activités journalistiques

A partir de septembre 1783, Grosley publie des petits poèmes et des articles de critique littéraire et musicale dans le Journal de la ville de Troyes (v. par ex., «Sur la musique du Te Deum», 7 janv. 1784 ; «Ariette», 10 mars 1784 ; «Lettre», 7 fév. 1787). Pendant la Révolution, il s'engage dans le journalisme politique, rédigeant avec Hébert, en 1790 et 1791, le Père Duchesne (Jacob, p. 57 ; Braesch, p. 96-99). Celui-ci avertit ses lecteurs, dans le premier numéro de l'année 1791, qu'on essaie de l'imiter et les prévient «qu'[il] n'avoue que les feuilles imprimées chez Tremblay et signées d'un G. et d'un H.», Grosley et Hébert. Il est difficile de déterminer la nature exacte de la contribution de Grosley, mais elle semble avoir été importante. En mai 1793, il entreprend à son tour de publier son propre Père Duchêne, et à la fin de son premier numéro, qui ne semble pas avoir eu de suite, il insère un avis destiné à Hébert qui avait prévenu ses «amis les Sans-Culottes de se défier d'un foutu marchand de contrebande qui a pris [son] nom, [son] portrait et [ses] fourneaux» (P.D., n° 231, p. 8) : «Père Duchêne de la cour des Miracles, le prétendu marchand de contrebande use de sa propriété [...]. Les trois quarts de tes cent premiers numéros ont été composés avec lui». (Je suis le véritable père Duchêne, p. 8).

Après l'échec de son Père Duchêne, Grosley, si l'on en croit le pamphlet de 1797 précédemment cité, aurait collaboré au Journal de la Montagne qui paraît à partir du 1er juin 1793 (Les Candidats, n° IV, p. 103-104). Il collabore aux Soirées de la campagne qui n'auront que onze numéros du 2 octobre au 13 novembre 1793. Ce journal s'adressait aux «habitants de la campagne», voulant les «rallier autour de la Constitution, leur inspirer le goût des vertus républicaines, leur présenter de nouvelles découvertes en agriculture» et aussi traiter de «questions de santé et d'hygiène» (Babeau, 1901, p. 175-176). Grosley a également collaboré à La Quotidienne (22 sept. 1792-18 oct. 1793) et au Postillon des Armées, journal quotidien publié par Cretot du 1er mai 1793 au 4 septembre 1797. Il fonde en mai 1797, L'Aurore ou le Journal du nouveau tiers dédié aux Amis de la Vérité, qui aura 106 numéros du 21 mai au 4 septembre 1797. Il le rédigeait avec Lasalle et Grimaldy.

7. Publications diverses

Oeuvres : Le Vatican ou la Mort du général Duphot, Paris, An VI (1798).– L'Entrée des Français à Madrid, Luxembourg, 1809.– Le premier numéro du Père Duchêne de Grosley porte le titre suivant : Je suis le véritable père Duchêne, foutre! Vous resterez MM les bougres, ou la Grande colère du père Duchene contre les jean-foutres d'aristocrates qui veulent transplanter la Convention nationale à Versailles et faire perdre à Paris le fruit de ses travaux et les avantages de la Révolution, Imprimerie des Bons-Enfants, s.l.n.d. (Paris, mai 1793 ; B.N., 8° Lc2 2568).– Grosley a fait représenter plusieurs pièces qui ne semblent pas avoir été imprimées : La Double Vengeance (Troyes, 1788) ; La Promenade du matin (Troyes, 1789) ; Marion Delorme (Luxembourg, 1802). Quérard lui attribue La Mort de Louis XVI, sans préciser le genre ni la date de publication de cette oeuvre.

8. Bibliographie

A.N., W 78, liasse 1, pièce 20 – (J.T.Journal de Troyes.– (P.D.Le Père Duchesne.– Les Candidats à la nouvelle législature ou les Grands Hommes de l'An Cinq, Paris, An V (4 numéros paginés de 1 à 170) [B.N., 8 Lc2 2662].– Grosley P.J., Vie de M. Grosley, Londres et Paris, 1787.– Id., Lettres inédites, éd. M. Truelle, Troyes, 1878.– Aulard A., Paris pendant la réaction thermidorienne et sous le Directoire, Paris, 1900, 5 vol.– Babeau A., Le Frère de Grosley et ses enfants, Arcis-sur-Aube, 1879.– Id., «Le neveu de Grosley»,Mémoire de la Société académique (...) de l'Aube, XXXVIII, 65, 1901, p. 171-180.– Braesch F., "Le Père Duchesne" d'Hébert, Paris, 1938.– Mitton F., La Presse française sous la Révolution, le Consulat, l'Empire, Paris, 1945.– Jacob L., Hébert le Père Duchesne, chef des sans-culottes, Paris, 1960.– Tulard J., Napoléon, Paris, 1977.

9. Additif

État-civil: né le 21 décembre 1760, marié, sans enfant (AN Luxembourg B-0606, ce formulaire du « 1er Frimaire an 12 » [23 novembre 1803], rempli par Grosley, nous a été signalé par Paul Rousseau et aimablement transmis par Philippe NILLES, Conservateur, sections moderne et iconographique).

Carrière: « Quelle était votre profession avant 1789 ? Avocat. / Depuis 1789 ? Secrétaire dans les missions du représentant du peuple Roger Ducos : aujourd’hui professeur à l’École Centrale du département des forêts et Chef de bureau à la préfecture » (AN Luxembourg B-0606.). Membre du Conseil de préfecture et du Collège Électoral du 2e arrondissement du département des Forêts (Paul Rousseau).

Situation de fortune: en 1803: « douze à quinze mille francs de biens fonds et mes traitemens » (AN Luxembourg B-0606).

Opinions: membre de la Loge « Les Enfans de la Concorde fortifiée » de Luxembourg, affiliation le 9 juin 1803, la même année Maître, et Orateur adjoint, Vénérable Maître en 1808 (BnF, Département des manuscrits, FM2 (578)) (Paul Rousseau)

GAILLARD

Auteurs

Numéro

323

Prénom

Alexandre

Naissance

?

Décès

1784

Issu d'une famille de réfugiés protestants français, Alexandre Bartholomé Gaillard est originaire de Rolle (Hollande).

2. Formation

Entre 1776 et 1780, il poursuit ses études à l'Université de Leyde.

3. Carrière

En mai 1780, G. ouvre à Haarlem une pension française pour jeunes gens. Il est aidé dans l'enseignement de «la lecture, l'écriture et l'arithmétique [...], des principes de géographie, de l'utilisation des globes, de l'histoire et de la chronologie», par Daniel Boinod, originaire d'Aubonne, près de Lausanne, avec lequel il s'était lié d'amitié à l'Université de Leyde (Barthold, p. 76-82).

Trois ans plus tard, Boinod et G. immigrent aux Etats-Unis, s'embarquant à Rotterdam pour Philadelphie qu'ils atteignent le 9 octobre 1783. Au début de novembre, ils ouvrent dans Second Street une librairie qui semble avoir été très vite populaire, notamment auprès de la relativement importante colonie française et acadienne de Philadelphie. L'année suivante, ils s'installeront plus près du centre ville, «dans Arch Street, au coin de Fourth Street». A la même adresse, s'établira également l'imprimeur Charles Cist avec lequel ils collaboreront (Evans, t. VI, p. 442). Boinod et G. envisagent de se lancer dans l'édition, et publient, dès 1784, une édition américaine des Aventures de Télémaque (id., t. VI, p. 285, n° 18466). Ils annoncent également, en octobre 1784, l'ouverture prochaine d'un «magasin de livres de louage » et d'un « cabinet de lecture » où pourront être consultés, outre les livres offerts en location, «toutes les gazettes qui paraissent à Philadelphie » ainsi que le Journal de Paris et le Journal encyclopédique, et, par la suite, L’Esprit des journaux, «le plus estimé dans son genre», la Gazette de France, la Gazette de Leyde, le Courrier de l'Europe et les Annales de Linguet (C.A, n° XIII, Suppl., 19 oct. 1784).

Dès la fin d'avril 1784, Boinod et G. annoncent leur intention de publier prochainement un journal « divested of politics and uninfluenced by parties» (F.J., 28 avril 1784). En fait ce sont trois journaux qu'ils essaient successivement de publier dans les mois qui suivent : The American Herald and General Advertiser, dont cinq numéros seulement paraîtront entre le 21 juin et le 20 juillet (Brigham, t. II, p. 889) ; The United States Journal or Continental Advertiser, annoncé en juillet (F.J., July 14, 1784), mais qui semble n'avoir jamais paru ; et le Courier de l'Amérique. Annoncé dès la mi-juin dans plusieurs journaux de Philadelphie, celui-ci paraît finalement à partir du mardi 27 juillet 1784. La liberté de son ton va assurer son succès, mais aussi entraîner sa disparition. Plusieurs articles jugés «insolents» et de nature à mettre en danger les relations franco-américaines, provoquent en effet 'la colère aussi bien du président de l'Etat de Pennsylvanie que du consul de France à Philadelphie (Pennsylvania Packet, 10, 12 août ; Pennsylvania Gazette, 11 août ; F.J., 18 août ; C.A., 13, 24 août 1784 ; Fay, p. 99). L'un et l'autre vont s'employer à trouver un moyen de réduire le C.A. au silence, sans pour autant que cela apparaisse comme une atteinte au principe de la liberté de presse qui est inscrit dans la constitution de l'Etat de Pennsylvanie. II s'agit, selon l'expression de Barbé-Marbois, de «faire tomber [le journal] par des moyens indirects» (C.P., vol. 28, f° 173-178 ; Fay, p. 99-100 ; D.P.1 266). Le directeur général des Postes, Ebenezer Hazard, trouvera finalement un biais : en imposant au C.A. un tarif postal exorbitant, il oblige ses rédacteurs à en cesser la publication avec le numéro XIV du 26 octobre 1784.

G. meurt soudainement quelques semaines plus tard (F.J., 24 nov. 1784). Boinod, qui reste en charge de la librairie et de la maison d'édition, essaiera sans succès, au début de l'année suivante, de faire reparaître le C.A. (Barthold, p. 94-95 ; Fay, p. 101).

4. Situation de fortune

En 1780, G. est précepteur des enfants d'un conseiller de la ville de Haarlem. Il s'établit maître de pension la même année, grâce à l'aide financière de son père et à l'héritage d'un oncle résidant en Allemagne dont il est en partie le bénéficiaire. La vente de la pension, en 1783, lui permet de payer son passage en Amérique et de s'embarquer avec huit caisses de livres (Barthold, p. 77-78).

Le fonds de livres de Boinod et G. semble avoir été, pour l'époque, assez important, puisqu'en octobre 1784 ils annoncent que les abonnés de leur cabinet de lecture auront à leur disposition plus de 500 ouvrages (C.A., n° XIII, Suppl.). Dans leur catalogue, on relève les noms de nombreux auteurs français, Voltaire, Montesquieu, Buffon, Condillac, Mme de Genlis, Linguet, les dictionnaires de Bayle et Moreri, l'Encyclopédie en 39 volumes et les 105 volumes des Descriptions des Arts et Métiers (Jones, p. 173-174 ; C.A, n° II, 8 oct.).

5. Opinions

«Jeune et né Républicain», acquis aux idées philosophiques, G. immigre aux Etats-Unis par idéal, pour y vivre «au milieu d'un peuple libre» ; «The inducement [...] was not so much the desire of gain as that of living among a Free-People» (C.A., n° I, 27 juil. ; Pennsylvania Journal, 17 janv., 1784). Le C.A. voulait s'attaquer à tous les «despotismes», persuadé «qu'en faisant connaître le mal, peut-être parviendra-t-on à en trouver le remède » (n° V, 2 7 août). Ses éditeurs seront à plusieurs reprises accusés d'être à la solde de l'Angleterre, mais Barbé-Marbois reconnaîtra lui-même qu'ils n'étaient «aux gages d'aucune puissance» (Fay, p. 100).

6. Activités journalistiques

Vingt-sept numéros du C.A. ont été publiés du 27 juillet au 26 octobre 1784. Bi-hebdomadaire, il paraissait le mardi et le vendredi, 4 p., à deux colonnes, in-40, avec de fréquents suppléments de 2 et parfois 4 p. (D.P. 1 266). Boinod et G. auraient été aidés dans la rédaction du C.A. par «un genevois» réfugié en Amérique à la suite des troubles de 1782 (Fay, p. 100).

8. Bibliographie

A.A.E., C.P., Etats-Unis, vol. 27-29. – (C.A) Courier de l'Amérique. – (F.J.) Freeman's Journal. – Pennsylvania Packet. – Pennsylvania Gazette. – Pennsylvania Journal. – Catalogue des livres qui se trouvent chez Boinod et Gaillard, Philadelphie, 1784. – Fay B., Bibliographie critique des ouvrages français relatifs aux Etats-Unis 1770-1800, Paris, 1924, Appendice I (Prospectus du Courier de l'Amérique ; extraits de la correspondance échangée entre Barbé-Marbois et Vergennes au sujet du journal). – Evans C, American Bibliography, New York, 1941-1959. – Brigham C.S., History and bibliography of American newspapers, 1690-1820, Worcester, 1947.Barthold A.J., History of the French newspaper press in America, 1780-1790, thèse, Yale, 1931. –Jones H.M., «The importation of French books in Philadelphia, 1750-1800», Modern philology, t. XXXII, n° 2, 1934, p. 157-177.

FLINS DES OLIVIERS

Auteurs

Numéro

306

Prénom

Claude Carbon

Naissance

1757

Décès

1806

Claude Marie Louis Emmanuel Carbon naît en 1757 à Reims où son père est Maître des Eaux et Forêts (C, t. I, p. 179). Il meurt à Vervins dans le milieu du mois de juillet 1806 (B.H.C., p. 56). Au nom de Carbon, il a ajouté celui de Flins (écrit parfois Flin ou Fleins) des Oliviers, nom sous lequel il est généralement connu. Journaliste, il utilise parfois le pseudonyme de Louis-Emmanuel.

2. Formation

A en croire Chateaubriand, son éducation fut «fort négligée» (C, t. I, p. 179). Ses parents le destinent à la magistrature et lui achètent à la fin de ses études une charge de Conseiller auprès de la Cour des monnaies de Paris, charge qu'il gardera jusqu'à son abolition pendant la Révolution.

3. Carrière

Flins, qui se trouve encore à Reims en 1775, se fait connaître en composant une Ode sur le sacre de Louis XVI. Venu se fixer à Paris, où l'appelle sa charge de Conseiller à la Cour des monnaies, il devient membre de la loge des Neuf-Soeurs dont le Vénérable est Benjamin Franklin. Le 16 août 1779, à l'occasion de la fête académique de la loge, est lu un «Eloge de Voltaire, en vers, par un jeune frère qui donne des espérances», Flins (M.S., 25 août 1779). Le Mercure de France rend compte longuement de ce poème qui «malgré le grand nombre de fautes qui le défigurent, donnera l'idée d'un esprit qui a le besoin de penser, et d'un homme qui a reçu de la Nature des organes sensibles aux belles formes de la poésie» (2 oct. 1779, p. 216-225 ; v. aussi l’Année Littéraire, 1779, t. VII, p. 119-120). Flins fait paraître, en 1780, son premier recueil de poésie, Les Amours. L'année suivante, il concourt pour le prix de poésie de l'Académie française sur le sujet : «la servitude abolie dans les Domaines du Roi» (M.S., 27 août 1781). Le prix n'est pas décerné, mais son poème, qui avait pour devise «Je voudrais tout penser et j'oserais tout dire», est remarqué et lu en séance publique. Concourant de nouveau en 1782, il reçoit une mention honorable pour un «poème lyrique [...] intitulé La Naissance du Dauphin» qui, remarque Meister, contient «plusieurs morceaux pleins de verve et d'harmonie» (C.L., t. XIII, p. 18, p. 197). Introduit dans les milieux littéraires, Flins fréquente Parny, Lebrun, La Harpe, Chamfort, Ginguené et Fontanes avec lequel il se lie d'amitié. Chez Delisle, il fait la connaissance de Chateaubriand qu'il reverra souvent, notamment chez sa soeur la comtesse de Farcy pour laquelle Flins se prend d'une «belle passion» (C., t. I, p. 179 ; t. II, p. 77). Chateaubriand, pour qui il fut une première liaison littéraire, nous en a laissé un portrait : «homme de moeurs douces, d'un esprit distingué, d'un talent agréable», Flins «se piquait d'être de bonne compagnie» ; au physique, «on ne pouvait voir quelque chose de plus laid : court et bouffi, de gros yeux saillants, des cheveux hérissés, des dents sales, et malgré cela l'air pas trop ignoble» (C., t. I, p. 179).

Les débuts de la Révolution voient Flins s'engager dans le journalisme et le théâtre. Il rédige les Voyages de l'opinion qui, malgré leur succès, n'auront que six numéros, puis, de janvier à avril 1790, le Modérateur, en compagnie de Fontanes. Amateur de théâtre, auquel on le voit régulièrement (ibid., t. I, p. 179), il fait jouer le 1er janvier 1790, au théâtre de la Nation, sa première pièce, Le Réveil d'Epiménide à Paris. Le succès qu'elle obtient est dû en partie aux allusions à la réalité politique de l'époque, aux «traits ingénieux relatifs aux circonstances», qu'elle contient (Moniteur, p. 15). L'auteur y peint les changements que la Révolution apporte à la vie quotidienne d'un certain nombre de personnes : le juge, l'abbé, le censeur royal, le gazetier, le maître à danser, la marchande de chansons, etc. Flins écrira et fera représenter trois autres pièces, dont Le Mari directeur, comédie en vers adaptée d'un conte de La Fontaine, représentée pour la première fois le 25 février 1791 au théâtre de la Nation, et La Jeune Hôtesse, adaptation libre de La Locandiera de Goldoni, jouée le 24 décembre 1791 au théâtre du Vaudeville en 1793. Il se retire en 1797 dans un presbytère qu'il avait acheté près de Reims, à Sermiers. Il sortira de sa retraite pour devenir Commissaire Impérial auprès du tribunal de Vervins, charge qu'il obtient de Napoléon par l'entremise de Fontanes. Il meurt en juillet 1806. A sa mort, Flins des Oliviers était commissaire impérial auprès du tribunal de Vervins, dans l'Aisne (Letillois, p. 34 ; B.H.C.).

4. Situation de fortune

Chateaubriand nous a laissé un témoignage sur la situation de fortune et le mode de vie de Flins dans les années qui précèdent la Révolution : «Flins occupait un appartement rue Mazarine [...]. Deux Savoyards, travestis en laquais par la vertu d'une casaque de livrée, le servaient ; le soir, ils le suivaient, et introduisaient les visites chez lui le matin. [...] Flins, qui n'avait qu'une petite pension de sa famille, vivait de crédit. Vers les vacances du Parlement, il mettait en gage les livrées de ses Savoyards, ses deux montres, ses bagues et son linge, payait avec le prêt ce qu'il devait, partait pour Reims, y passait trois mois, revenait à Paris, retirait, au moyen de l'argent que lui donnait son père, ce qu'il avait déposé au Mont-de-Piété, et recommençait le cercle de sa vie, toujours gai et bien reçu». Chateaubriand ajoute que ce genre de vie était celui de presque tous les gens de lettres de Paris à cette époque (t. I, p. 179-180).

5. Opinions

Le Réveil d'Epiménide, sa première pièce, révèle l'état d'esprit de Flins quelques mois après le début de la Révolution. Journaliste, il se réjouit de l'abolition de la censure et de la liberté de pensée et d'expression nouvellement acquise, mais il s'inquiète de la montée d'un nouveau «despotisme» tout aussi «effroyable», celui de l'Opinion (R.E., p. 34), et des abus nés de la trop grande liberté laissée aux journalistes. Dans la pièce, Gorgi le gazetier, rédacteur d'une feuille de Bruxelles, préfère deviner les faits plutôt que les découvrir, convaincu que la réalité ne vaut jamais ce qui est imaginé ni ce que le public attend. Il cherche à surpasser les autres journaux par «de plus sanglantes nouvelles» car, ce que veut le lecteur, c'est «être ému» : «encore quelques complots et ma fortune est faite» (R.E., p. 23). Partisan de l'ordre, Flins s'effraie de l'anarchie naissante et accuse les «tribuns factieux» de l'entretenir à dessein : «si chacun est content, je ne serai plus important / et bientôt dans Paris je n'aurai plus d'affaires» remarque Damon le «démocrate», en qui certains ont voulu reconnaître Mirabeau (R.E., p. 48). Flins accueille favorablement les premières réformes apportées par la Révolution, mais il s'alarme bientôt des abus et des excès qui les accompagnent. Refusant de se laisser emporter par les «événements et l'esprit public», il va prêcher la modération : «si au jour du combat le courage est dans l'audace, au jour de la victoire il est dans la modération» (R.E., p. III).

Dans sa réponse au Petit Almanach de nos grands hommes de Rivarol, Flins a exposé ses goûts en matière littéraire. Ceux-ci restent classiques, même s'il conseille au «jeune artiste» de s'écarter souvent des «goûts chers aux français» et de suivre les chemins nouveaux ouverts par Gessner, Parny ou Florian. Le «bon sens», base du «talent vrai», la clarté, «l'heureux choix des tableaux, l'ordre, le mouvement», «l'art savant» du style, art des «peuples polis» sont selon Flins les composantes nécessaires de l'oeuvre littéraire qui, lorsqu'elle allie plaisir et raison, atteint au chef d'oeuvre, car «rien ne plaît autant que la raison qui plaît» (Dialogue, p. 4, 21 et passim).

En politique comme en littérature, Flins «homme d'esprit et parfois de talent» (C., t. I, p. 179), s'est voulu l'homme de la raison. Mais, dépassé bientôt par une époque qu'il ne comprenait plus, il a abandonné la vie publique pour se retirer à l'écart, évoquant sans doute avec nostalgie le temps où régnait «cette douce gaieté, et cette aimable urbanité qui faisaient tant chérir la France» (R.E., p. 42), un temps dont il était, au jugement de son ami Fontanes, la parfaite incarnation (Modérateur, 2 janv. 1790).

6. Activités journalistiques

Flins, sous le pseudonyme de Louis-Emmanuel, est le rédacteur des Voyages de l'opinion dans les quatre parties du monde, dont le premier numéro, non-daté, paraît au début du mois d'août 1789, 8 pages, in-8°. L'abonnement est de 3 £ par mois pour «quatre feuilles en huit livraisons». Dans ce journal qu'il rédige seul, Flins se propose de voyager en compagnie de la nouvelle «reine du monde», l'Opinion. A sa suite il va examiner tour à tour : «ceux qui prétendent à devenir les représentants de la nation» (n° 1) ; le premier mouvement d'émigration et le milieu des aristocrates exilés à Bruxelles (n° 2-4) ; la situation à Paris et dans le sud-ouest et l'attitude de Mirabeau (n° 5) ; ceux qui veulent «mettre la populace à la place du peuple, afin de commander à cette même populace» (n° 6). Le journal a du succès (B.H.C., p. 154), mais cinq mois séparent le n° 5 du n° 6, qui paraît fin décembre 1789. Le libraire La Grange excuse ce délai par une absence prolongée de l'auteur et annonce, en décembre, que les Voyages de l'opinion paraîtront dorénavant 3 fois par mois, le 10, le 20 et le 30, mais ce n° 6 n'aura pas de suite. Flins abandonne les Voyages de l'opinion, appelé à la rédaction du Modérateur par Fontanes qui en devient directeur au 1er janvier 1790. Le Modérateur est un nouvel avatar du Journal de la Ville, quotidien qui avait commencé à paraître à la fin de juillet 1789. Fontanes et Flins dirigent la rédaction de ce journal qui paraît chaque jour sur 4 pages in-4°, sur 2 colonnes. L'abonnement est de 36 £ par an. A la suite du compte rendu journalier des séances de l'Assemblée nationale, se trouvent les nouvelles concernant «l'hôtel de ville, les tribunaux, les districts et les principales municipalités du royaume» et une rubrique de «variétés» et d'anecdotes. L'Assemblée ne siégeant pas le dimanche, le compte rendu des séances est remplacé le lundi par «un précis des affaires de l'Europe». Une grande place est faite à la littérature. Les rédacteurs annoncent, dans le prospectus de leur journal, qu'ils ne craindront pas d'y insérer «quelques articles de cette littérature légère et piquante dans laquelle les Français n'ont point eu de maîtres, [...] ; l'arme de la plaisanterie et du ridicule a servi plus d'une fois la cause de la raison». En fin de journal, à la suite des recensions de livres récemment parus et de l'analyse des pièces nouvelles, sont annoncés les spectacles, le «cours des effets publics, les résultats du tirage de la loterie royale, les deuils récents, etc.» (Prospectus du Modérateur). Continuant la pratique du Journal de la Ville, le Modérateur ouvre ses colonnes aux plaintes des prisonniers qui «n'ont souvent aucune voie pour excuser leurs erreurs ou faire connaître leur innocence, s'ils en peuvent faire parvenir les preuves» (Prospectus du Journal de la Ville, oct. 1789). Dans ces derniers numéros, il accueillera «les lettres de personnes désirant se marier» (3 avril 1790).

Fontanes et Flins se montrent favorables à la Révolution, repoussant par exemple, le 30 mars, l'idée «insensée» d'une contre-révolution et d'un retour à l'ancien régime, et affirmant que la plupart des réformes faites sont nécessaires : «la raison seule a fait la Révolution». Mais ils ne peuvent l'admettre «ennemie de l'ordre et des lois» et s'inquiètent de la «fureur aveugle de la populace» et de sa puissance grandissante (15 janv. 1790). On leur reprochera de préférer une «consolante sécurité» à la réalité des faits, de «couvrir de fleurs» le précipice qui s'ouvre sous les pieds des Français (11 janv., 15 janv. 1790), ou de croire que l'on peut faire un journal «comme l'on fait un madrigal» (B.H.C., p. 156) .

A partir du 18 avril 1790, le Modérateur est absorbé par le Spectateur national de De Charnois : «en conséquence M. de Fontanes et M. de Flins déclarent qu'ils n'ont plus aucune part à ce journal» (Modérateur, 17 avril).

7. Publications diverses

Cior. 18, n° 28710-28717. – Flins a publié des poèmes, notamment des fragments d'un poème inédit en cinq chants «Agar et Ismaël», dans la Décade philosophique (n° 63, 30 nivôse an IV, p. 172-175), l'Almanach des Muses (an V, p. 77-84 ; an VIII, p. 20), le Mercure de France (1er frimaire an IX, p. 321-327), les Veillées des Muses (10 nivôse an IX, p. 32-39). – Il est aussi l'éditeur des Oeuvres du chevalier Bertin, Londres, 1785, 2 vol. Flins aurait également fait paraître en 1784 le «Plan d'un cours de littérature, présenté à Monseigneur le Dauphin» (Letillois). La Papesse Jeanne, représentée en 1793, ne semble pas avoir été imprimée.

8. Bibliographie

8. B.H.C. ; M.S., C.L. – (Le Moniteur universel, réimpr. de 1847, Paris. – L'Année littéraire. – Le Modérateur. – La Revue ou Décade philosophique, littéraire et politique, t LI, 1806, 4e trim., p. 56-59 (article nécrologique).– (C.) Chateaubriand A. de, Mémoires d'Outre-tombe, éd. du Centenaire, Paris, 1947. – (L) Letillois, Biographie générale des Champenois célèbres morts ou vivants, Paris, 1836.

DURRANS

Auteurs

Numéro

285

Prénom

Jacques

Naissance

1748

Décès

1798

Né à Tours en 1748, Jacques Joseph Armand Durrans est mort à Port-Louis, île de France, le 13 septembre 1798. Il était marié (Early printing, p. 69 ; Bibliography, p. 547, 591).

3. Carrière

Avocat, D. vient s'établir à l'île de France en 1782. Il y exerce la charge de procureur auprès du Conseil supérieur de la colonie, avant d'ouvrir, au cours de l'année 1788, une étude de notaire à Port-Louis. Sous la Révolution, il est élu membre suppléant du quartier de Port-Louis à l'Assemblée générale de l'île qui se réunit à partir du 27 avril 1790. Appelé à siéger au début de l'été, D. assume la fonction de secrétaire de l'Assemblée du 24 août au 21 septembre 1790, puis est nommé, le 23 novembre, « Collecteur des dons patriotiques» (ibid. ; d'Unienville, p. 172-173).

6. Activités journalistiques

Au début de 1786, D. fonde, avec Jean François Brun, la «Société des rédacteurs du Journal des Isles de France et de Bourbon» (D.P.1 702), qui se donne pour but, notamment par la publication d'un journal, de stimuler la vie culturelle et d'aider au «progrès des connaissances» dans la colonie. Bi-mensuel, le Journal des Isles de France et de Bourbon est publié à partir du mois de juillet 1786 et a continué à paraître au moins jusqu'au début de 1788. Etablie sur le modèle du Cercle des Philadelphes de Saint-Domingue, la «Société des rédacteurs » se voulait aussi une « société de pensée » et tenait des réunions mensuelles à Port-Louis (Magon, t. I, p. 219-222).

8. Bibliographie

Toussaint A. et Adolphe H., Bibliography of Mauritius (1502-1934)' Port-Louis, 1956. – Magon de Saint-Elier F., Tableaux historiques, politiques et pittoresques de l'île de France, Port-Louis, 1839. – Toussaint A., Early printing in the Masca-rene Islands : 1767-1810, London, 1951. – D'Unienville R., Histoire politique de l'île de France (1789-1791), Port-Louis, 1975.

DUNOYER

Auteurs

Numéro

274

Prénom

Anne Marguerite Petit

Naissance

1663

Décès

1719

Née le 12 juin 1663 à Nîmes, Anne Marguerite Petit est la fille de Jacques Petit et de Catherine Cotton. Son père appartient à la bourgeoisie protestante de la ville ; sans avoir de «grandes richesses [...] [il] vivoit commodément de son revenu» (Mém., t. I, p. 22-23). Sa mère, originaire de Montpellier, vient d'une famille qui aurait compté parmi ses membres le P. Cotton qui fut confesseur de Henri IV et précepteur du Dauphin (ibid.).

2. Formation

Sa mère étant morte peu de temps après sa naissance, D. est recueillie et élevée par une tante maternelle, Mme Saporta, qui lui donne une éducation soignée, marquée d'un calvinisme fervent. «Ma Tante qui n'avoit jamais eu d'enfans», remarque D. dans ses Mémoires, voulait «faire de moi un petit chef d'oeuvre» : «[J]e passois pour un petit Prodige», capable de réciter des «Vers» et des «Sermons», ou de «parler de Théologie et de Controverses», et «je dois avouer, à ma honte, qu'il n'a tenu qu'à moi d'être quelque chose de bon» (t. I, p. 26-27, 42_44).

3. Carrière

D. passe son enfance à Nîmes, puis dans la principauté d'Orange où les époux Saporta se réfugient en 1672 à la suite de revers de fortune (Mém., 1.1, p. 25, 34-35). Après la mort de M. Saporta, en 1678, sa femme et sa nièce reviennent habiter à Nîmes, qu'elles quitteront en décembre 1685, fuyant les persécutions des dragons venus occuper la ville à la suite de la révocation de l'Edit de Nantes (Mém., t. I, p. 201). Elles réussissent à gagner Lyon où elles se séparent : Mme Saporta va se cacher à Paris, chez son frère ; D., déguisée en jeune garçon, passe la frontière, et par Genève, Berne, Francfort, se rend à La Haye où elle arrive en mai 1686 (ibid., 1.1, p. 214 et suiv., 306). Elle y reste six mois, hébergée par un oncle paternel, M. Petit (ibid., 1.1, p. 335). En octobre, désireuse de rejoindre sa tante Saporta, D. s'embarque pour l'Angleterre d'où elle réussit à gagner la France, arrivant à Paris le 22 décembre 1686 après un séjour de près de six semaines à Londres (ibid., t. I, p. 386). Son oncle Cotton, chez qui elle loge, à l'Hôtel de Mantoue, rue Montmartre, la pousse alors à se convertir au catholicisme, et D. essaie de nouveau de quitter la France au cours de l'été 1687 (ibid., t. II, p. 50 et suiv.). Rattrapée à Dieppe alors qu'elle est sur le point de s'embarquer pour l'Angleterre, elle est ramenée à Paris et mise en pension à l'Institut des Nouvelles Catholiques puis au couvent de l'Union Chrétienne, rue Saint-Denis (ibid., t. II, p. 60 et suiv., 125). Elle n'en sort que pour épouser, le 18 mai 1688, en l'église Saint-Laurent, Guillaume Dunoyer, renonçant de ce fait à la foi protestante (ibid., t. II, p. 113). Les deux époux partent à l'automne pour Nîmes afin de rentrer en possession de biens confisqués à D. lors de sa fuite, biens que le roi a accepté de lui restituer à la suite d'une intervention du maréchal de Noailles (ibid., t. II, p. 131-132). Ils résident à Nîmes, puis un temps à Villeneuve-les-Avignon, où M. Dunoyer a obtenu une commission royale. Revenu ensuite à Nîmes, Guillaume Dunoyer est élu premier consul de la ville en décembre 1691. En mai 1693, il sera nommé syndic du diocèse par Mgr Fléchier, puis, en janvier de l'année suivante, il est choisi comme député par « l'Assemblée des Etats [du Languedoc] pour aller porter au roi le cahier de la Province» (ibid., t. II, p. 146-151). Au début de 1694, Guillaume Dunoyer acquiert la charge de grand maître des eaux et forêts du Haut et Bas Languedoc, charge qui l'oblige à résidence à Toulouse, où les deux époux s'installent pendant l'été (ibid., t. II, p. 160). Au bout de quatre ans la charge est revendue avec bénéfice, et les Dunoyer viennent habiter à Paris, rue des Deux-Ecus. Les relations des deux époux se dégradent alors rapidement. A l'origine de querelles de plus en plus fréquentes, la question de l'éducation religieuse à donner aux enfants, mais aussi les mauvaises affaires et les pertes au jeu du mari, et des dépenses et des infidélités que l'un et l'autre se reprocheront dans leurs Mémoires respectifs (ibid., t. II, p. 221, 239-240 ; Mém. de M. D., p. 61 et suiv. ; A, p. 70-79 ; Fabre, p. 10-11).

A la fin du mois d'avril 1701, prétextant la nécessité d'un voyage à Aix pour prendre les eaux, D. quitte Paris en compagnie de ses deux filles, Anne, 12 ans, et Olympe, 9 ans. Elle a en fait décidé de se séparer de son mari et de se réfugier en Hollande, qu'elle gagne en passant par la Savoie, la Suisse et l'Allemagne (Mém., t. II, p. 267 et suiv.). Après avoir un temps songé à immigrer en Angleterre, où elle se rend en 1702, D. revient s'installer en Hollande, à Delft d'abord, où elle se trouve au printemps 1703, puis à La Haye (ibid., t. II, p. 422 ; III, p. 163, 259, 318). Aux difficultés matérielles auxquelles elle doit faire face, à l'hostilité aussi qu'elle rencontre dans certains milieux réfugiés, s'ajoute pour D. le souci d'assurer l'éducation et l'établissement de ses deux filles, une source de nombreux conflits et de nouveaux revers. Anne se marie en 1703, à 15 ans, avec un lieutenant de cavalerie de 44 ans, Jacob Constantin, qui est surtout intéressé par la dot promise, au point même que, celle-ci ne se matérialisant pas, il engage une procédure judiciaire contre D. qui se retrouve détenue trois semaines à La Castelnie (ibid., t. III, p. 195, 247, 404-409). Ce mariage, bientôt brisé, sera à l'origine de nombreuses querelles entre la mère et la fille, et Anne, finalement, au début de 1708, s'enfuit et se réfugie à Paris auprès de son père. Elle retournera par la suite au catholicisme (ibid., t. IV, p. 191, 274, 280). Olympe, la cadette, ne sera guère plus heureuse. A l'automne 1707, D. avait fait la connaissance de Cavalier, le chef camisard exilé, qui venait d'arriver à La Haye. Ce dernier s'éprend d'Olympe, alors âgée de 15 ans, et une promesse de mariage est signée au mois de janvier de l'année suivante (ibid., t. IV, p. 210, 247, 255). La date du mariage est cependant plusieurs fois repoussée, et les rapports s'enveniment bientôt entre D. et son futur gendre qui, sans argent, vit à ses dépens. Celui-ci aurait même, si l'on en croit D., essayé à plusieurs reprises de la faire assassiner pour mieux s'approprier ses biens (ibid., t. IV, p. 340 ; t. V, p. 165, 346, 394). Poursuivi en Hollande comme en Angleterre par ses créanciers, Cavalier est finalement emprisonné pour dettes à La Haye. Il est libéré grâce à l'intervention d'une riche Hollandaise qui l'épouse à sa sortie de prison, en août 1709 (ibid., t. IV, p. 344 et suiv.). Laissée pour compte, Olympe fait la connaissance, quelques mois plus tard, d'un certain «baron de Winterfeld» qu'elle épouse à son tour en octobre 1709, à Delft. C'est à Bruxelles, où elle a suivi les deux époux, que D. découvre la véritable identité de son gendre : il s'agit d'un chevalier d'industrie bruxellois sans fortune ni naissance, Jean Charles de Bavons, intéressé, comme Cavalier, à la dot de la fille et à l'argent de la mère. Après leur avoir soutiré tout ce qu'il peut, il abandonne Olympe, enceinte. Revenue à La Haye en mars 1710, celle-ci accouchera quelques mois plus tard d'une fille (ibid., t. V, p. 125, 277, 315, 393, 421). Par la suite, les amours d'Olympe avec le jeune Voltaire, arrivé à La Haye en juillet 1713, puis avec Guyot de Merville, seront la cause de nouveaux soucis pour D. Dans une vie qui semble n'avoir été qu'une «longue et continuelle adversité» (Q.N., 1er juin 1719), D. avait cependant trouvé un moyen de faire face, et de retourner la situation à son avantage, l'écriture. C'est le «Refuge», elle l'a reconnu, qui la pousse d'abord à «[s']érig[er] en Auteur» (L.H.G., t. V, p. 414), entreprenant dès la fin de 1703, à 40 ans, la rédaction de ses Mémoires, «par vérité, non par vanité, [...] [pour] donner une juste idée [d'elle-même] », et notamment combattre « l'Hidre à plusieurs têtes» de la «calomnie réfugiée» (Mém., t. I, p. 21-22 ; t. III, p. 281, 318 ; t. IV, p. 4, 13). Les controverses, les attaques personnelles continueront malgré tout, renouvelées à la suite de la publication par M. Dunoyer de ses propres Mémoires, et attisées par tous ceux qui ne sont pas épargnés dans les Lettres historiques et galantes et La Quintessence ; certains chercheront même à se venger en faisant représenter en 1713, à Utrecht, par les Comédiens italiens, Le Mariage précipité, une «misérable comédie» (Notice, t. II, p. 693) dans laquelle Olympe apparaît sous les traits d'Etepnip, Cavalier sous ceux de Mitronet, et D. dans le rôle, interprété par Arlequin, de la rédactrice de La Pasquinade, Mme Kurkila, anagramme d'«Alikru[i]k» (bigorneau en hollandais), une référence à sa petite taille qui lui avait valu, parmi d'autres, ce surnom (Entretiens, p. 372-373, 407 ; Fabre, p. 6, 13). Mais, le succès des Lettres historiques et galantes, que D. commence à publier en 1707, celui de ses Mémoires, celui de La Quintessence dont elle reprend la rédaction en 1711, lui apportent aussi aisance, statut et renommée.

4. Situation de fortune

Au moment de son mariage, M. Dunoyer est «très peu favorisé des biens de la fortune», mais sa femme lui apporte en dot près de 82 000 £ d'argent comptant, auxquels s'ajoutent les «biens en fond» qu'elle possède à Nîmes, et une pension de 900 £ que lui octroie le roi à l'occasion de son mariage (Mém., t. II, p. 131, 251). D. héritera par la suite 40 000 £ de sa tante Saporta, et 50 000 £ en «rentes sur l'Hôtel de Ville » de son oncle Cotton (ibid., t. II, p. 147 ; Mém. de M. D., p. 39). Ces héritages permettent, en 1694, l'achat, pour 90 000 £, de la charge de grand maître des eaux et forêts, qui rapporte 6000 £ d'« apointmens fixes sans compter le casuel» (Mém., t. II, p. 160). La charge est revendue 110 000 £ quatre ans plus tard. Cette fortune qui permet aux Dunoyer de faire «très belle figure» (ibid., t. II, p. 150), va fondre rapidement à partir de 1698, date de leur retour à Paris ; au point qu'en 1701, menacé d'être pris de corps à la requête de ses nombreux créanciers, M. Dunoyer est obligé de se réfugier dans l'Enclos du Temple. Ayant quitté Paris peu de temps avant, D. aurait elle-même laissé près de 26 000 £ de notes dues chez divers marchands. Elle soutiendra par la suite n'être partie qu'avec 70 louis, le minimum pour ne pas éveiller l'attention, mais il semble bien qu'elle ait emporté beaucoup plus, notamment de nombreux bijoux de valeur, et 2000 écus en billets payables au porteur (ibid., t. II, p. 277 ; Mém. de M. D., p. 89 ; A, p. 107). Dans les premières années de son exil, D. sollicite à plusieurs reprises secours et pensions auprès des autorités anglaises et hollandaises (Mém., t. II p. 388, 422 ; t. III, p. 26, 44, 134). Elle affirme, dans ses Mémoires, avoir été plusieurs fois au bord de la misère, ne mangeant en « chambre garnie » que le « pain de l'angoisse». Ainsi à Londres en 1702, ou à La Haye en 1704, où, nous dit-elle, elle survit en portant au «Lombard» ses derniers bijoux et en confectionnant à domicile des coiffes de perruque et des bourses en fil de soie (ibid., t. III, p. 75 ; t. IV, p. 26, 34). Pourtant, deux ans plus tard, au printemps 1706, elle place de l'argent dans le «commerce», et achète une maison à La Haye, sur le Moolenstraat (ibid., t. IV, p. 136). En 1708, elle acquiert une propriété de campagne à Geetbrugge, aujourd'hui Voorburg (ibid., t. IV, p. 282). Selon sa fille aînée Anne, sa fortune cette année-là se monte à «2 000 écus payables au porteur», auxquels s'ajoutent «pour plus de 15 000 livres de diamants», des effets sur la Banque d'Angleterre et la propriété de trois maisons (Mém. de M. D., p. 123). D. avait un sens certain des affaires et, pendant son mariage comme en exil, elle sut à plusieurs reprises se sortir de situations financières difficiles, prenant toujours soin, «en femme prudente, [de se] conserver une poire pour la soif» (A, p. 107). Elle a été cependant aussi, à plusieurs reprises, victime d'escrocs qui jouèrent notamment sur son désir de reconnaissance sociale et sur son souci d'établir ses filles, pour mieux la voler. Sa fortune attire ainsi Cavalier qui lui emprunte 4000 florins et s'approprie la propriété de Geetbrugge en réussissant à la faire mettre à son nom ; pour recouvrer son bien, D. devra lui intenter un procès, qu'elle gagnera (Mém., t. IV, p. 282, 290 ; t. V, p. 390, 430). C'est ensuite Bavons qui, en 1709, lui escroque une grande partie de ses économies, en plus d'empocher la dot d'Olympe, une dot sans doute assez importante puisque la maison de La Haye avait été vendue pour la compléter (ibid., t. V, p. 149, 338, 357). Ses écrits permettent à D. de rétablir et d'assurer sa fortune : «Me croiriez-vous assez bonne pour passer les jours et les nuits [à écrire], si je n'étais aux gages, et très bons, d'un libraire qui a un soin très exact de me payer les bagatelles que je prends la peine d'écrire et lui de débiter» (A, p. 107-108). Ses Mémoires, ses Lettres historiques et galantes, qui sont des succès importants de librairie, la rédaction de La Quintessence, lui procuraient un «revenu [...] assez suffisant pour [la] soutenir avec honneur» ainsi que ses filles. Quant aux pièces de circonstances, aux épîtres dédicatoires, judicieusement choisies et tournées, elles lui rapportaient, selon son propre aveu, des «présents assez considérables pour [la] dédommager des friponneries des escrocs qui [l'avaient] redressée tant de fois» (A, p. 107-108). Un an après sa mort, la Q.N. annonce la vente de ses «maisons», «une grande maison neuve bâtie à la moderne le long du Canal avec un jardin fort joli», à Voorburg, et «six autres maisons fort commodes [qui] rapportent un revenu considérable» (18, 25 mars 1720).

6. Activités journalistiques

A partir de 1707, D. fait paraître, avec une périodicité irrégulière, les Lettres historiques et galantes, dont 7 tomes seront publiés, «le public [...] en demandant [toujours] avec empressement la continuation» (Q.N., 10 oct. 1718). Un huitième tome, annoncé dans la Q.N. en octobre 1718, ne paraîtra pas en raison de la mort de D. Ces Lettres historiques et galantes échangées entre une « dame de Paris » et son amie résidant en province et à l'étranger, sont non seulement une publication périodique mais aussi en fait déjà un journal, un journal en forme de correspondance, une chronique du «monde tel qu'il est» (t. I, p. 407), les deux amies ne s'écrivant pas pour se communiquer des nouvelles d'elles-mêmes, sinon le peu nécessaire pour justifier la forme choisie et permettre au système narratif de fonctionner, mais pour s'échanger les nouvelles et les histoires qui viennent à leur connaissance, donner la «Carte» des endroits où elles se trouvent et « l'Evangile du Jour » des sociétés qu'elles fréquentent (ibid.,t. I, p. 15 ; Q.N., 7 nov. 1711).

En novembre 1710, est publié à La Haye, chez Etienne Foulque, un mensuel le Nouveau Mercure galant des Cours de l'Europe, qui n'aura que deux numéros et dont Jean-Daniel Candaux a pu localiser un exemplaire à la B.P.U. (D.P.1 988). Q.N. en attribue la rédaction à D. qui a d'ailleurs réutilisé, sans s'en cacher, la plupart des articles contenus dans les deux numéros de ce journal dans les L.H.G., la correspondante de province prenant le parti de «faufiler», d'« insérer [...] quelques fragmens de ce Mercure dans [ses] lettres», afin d'«envoyer ainsi morceau par morceau» ce journal à son amie de Paris qui a exprimé le souhait de le lire (Q.N., Ier juin 1719 ; L.H.G., t. III, p. 380). Chacun des deux numéros de ce Nouveau Mercure galant se présente sous la forme d'une lettre adressée à une «amie de province» par la «comtesse de L... M....», une des rares personnes encore sincères de la Cour de France (L.H.G., t. III, p. 380). A la suite de nouvelles «franches» de Paris, de Versailles et de « plusieurs Cours étrangères et même ennemies », se trouvent, pour se conformer aux « règles que l'on est obligé de suivre dans un Mercure», des «chansons, bouts-rimez, questions et énigmes», ainsi que des «histoires» et anecdotes, certaines tirées de la « chronique scandaleuse », d'autres « assaisonnées du sel satirique dont la liberté du pais [la Hollande] permet l'usage», et destinées plus particulièrement à réveiller «l'appétit du lecteur dégoûté par la froide flatterie» qui règne alors en France (ibid., t. III, p. 385-386, 393 ; t. IV, p. 83). « [D]onné sur celui de Du Frény de Paris », le Nouveau Mercure galant se veut en effet avant tout un «contre-Mercure» qui se donne pour but essentiel de suppléer à la «timidité» de celui publié à Paris en « donnant tous les mois les nouvelles qu[e son rédacteur] supprime» par peur qu'un «excès de sincérité» aille le faire loger à la Bastille (ibid., t. III, p. 380-381, 384 ; Q.N., 1er juin 1719). Dans ce Nouveau Mercure galant, comme dans les L.H.G. ou la Q.N. qu'elle va rédiger par la suite, D. prend le parti de la « sincérité », résolue à « lever les masques » et à montrer « la face cachée des choses » - après tout, «ce n'est pas sans raison que le ciel nous a donné deux oreilles, et il est très dangereux de n'écouter que d'un côté, puisque toutes les choses de la vie ont deux faces» (L.H.G., t. I, p. 42, 277 ; t. II, p. 285 ; t. III, p. 99, 221, 383).

A partir non pas de janvier (D.P.1 1153, p. 1043), mais plus probablement d'avril 1711, D. rédige la Quintessence des Nouvelles, bi-hebdomadaire publié à La Haye depuis 1688. Nicolas Gueudeville, qui a été appelé à la rédaction de la Q.N. à la fin décembre 1710, la rédige en effet au moins jusqu'au numéro 27 du 30 mars de l'année suivante. Dans ce numéro, sans doute le dernier de sa plume, le «vieux misanthrope normand» semble résigné à son renvoi imminent, lançant un dernier appel au «Seigneur Public» pour qu'il achète sa «bagatelle», et rapportant avec amertume les reproches que lui adresse sa «Librairesse», la veuve Uytwerf, exaspérée d'avoir à répondre aux plaintes incessantes des lecteurs : «vous faites trop de vers, vous ne mettez point assez de Nouvelles, vous n'aprenez jamais rien au Lecteur, on ne voit que trop que vous n'avez point de correspondance» (Q.N., Ier janv., 5 févr., 26, 30 mars 1711). Reprenant sans doute dès le numéro suivant la rédaction de la Q.N., et l'assurant sans interruption pendant plus de sept ans, jusqu'à sa mort au printemps 1719, D. va réussir à redonner à ce journal fondé par un autre exilé français, Jean Maximilien Lucas, «toute sa réputation» (Q.N., 4 oct. 1723), et à en faire l'un des journaux les plus importants, les plus influents et les plus lus du début du XVIIIe siècle. Quand D. la rédigeait, les «feuilles» de la Q.N. étaient recherchées avec «avidité», elles «allaient] de main en main, on se les enlevait avec empressement, on les lisait avec empressement, on les lisait d'un air satisfait» (9 oct. 1721). Ce succès, D. le doit à son sens de l'actualité comme à son art de la représenter, de la mettre en scène pour son lecteur, consciente qu'il ne suffit pas au journaliste de «donner» l'information, qu'il lui faut aussi créer les conditions qui vont permettre à cette information d'être transmise, reçue et acceptée comme telle. D'où cette relation particulière et privilégiée qu'elle prend soin d'établir avec son lecteur afin d'assurer la transmission et la réception de l'information, afin aussi d'engager ce lecteur à ses côtés, de le faire participer avec elle à la marche du monde et aux « affaires du temps ». Pour ce faire, elle se met en scène, rédige son journal sous les yeux de son lecteur, s'adresse directement à lui, l'introduit dans le journal, reconstitue pour lui et avec lui l'événement. Elle s'efforce aussi d'adapter l'information à son lecteur, de la rapporter à son niveau et de la rendre compréhensible et vivante, recourant à l'image qui frappe, à l'anecdote qui révèle et touche, au mot qui synthétise, et au besoin choque, pour que ce lecteur puisse véritablement se figurer la nature et la portée de la nouvelle qu'on lui transmet (ibid., 13 avril 1711, 28 mars 1712, 24 sept. 1717). La nouvelle est ainsi souvent, si l'on peut dire, «personnalisée», D. cherchant à faire voir dans ou derrière la nouvelle, «l'élément humain» (Van Dijk, p. 102-103), comme à montrer les répercussions et les conséquences de tel ou tel événement dans la vie quotidienne de chacun. Le souci du lecteur se manifeste également dans l'attention portée à l'organisation et à l'économie interne de chaque livraison, D. s'attachant à «balancer» et à «diversifier» l'information, comme à la répartir avec soin dans son journal, afin à la fois de mieux répondre aux différentes attentes et demandes des lecteurs et de ménager leur intérêt et leur plaisir. Ainsi, après avoir rendu compte de catastrophes naturelles, de guerres ou de persécutions religieuses, nouvelles qui ne peuvent que donner des « tristes idées » à celui qui lit, elle prend par exemple soin de placer, en fermeture du journal, une anecdote ou une « petite chanson », « quelque chose de réjouissant» pour ne pas laisser le lecteur sur une note trop sombre (Q.N., 20 avril 1713, 31 janv. 1715). A ce sens du journalisme comme art de la communication et de la représentation, s'ajoute cette «manière agréable dont [D.] débitoit les nouvelles et les aventures», un «tour», de 1'«esprit», du «style», que lui reconnaissaient ses contemporains, même si certains lui reprochaient aussi sa propension à mêler réalité et fiction, à donner à l'actualité les habits du roman et au roman les apparences de la réalité, ou le fait qu'elle ne dédaigne pas, si cela peut servir aux fins qu'elle se propose, à recourir aux armes et aux attraits du scandale (La Nouvelle République des Lettres, juil. 1708 ; Le Misantrope, 24 août 1711, 1er août 1712 ; Le Censeur, 31 déc. 1714 ; D17, 6227, 6229). Avec D., c'est une nouvelle forme de journalisme qui se fait jour, un journalisme d'expression individuelle, de connivence, d'intervention, qui se développe en marge des pouvoirs et des pratiques institutionnalisées, et qui se veut au plus près de l'actualité, s'efforçant de répondre à l'évolution des curiosités et des goûts du public comme aux nouveaux besoins d'informations, d'une information qui soit à la fois plus diversifiée dans sa nature, plus directe dans sa présentation, et plus libre dans ses objectifs (Gilot et Sgard, p. 285-286). Avec D., c'est aussi une nouvelle génération de journalistes qui apparaît, non plus des «personnes d'étude» (Q.N., 4 oct. 1723), des écrivains momentanément journalistes, mais déjà des hommes et des femmes qui font du journalisme leur profession, et qui, sur le terrain, en écrivant, essaient de découvrir et de définir la nature de leur métier et d'en élaborer la pratique. L'une des premières femmes journalistes. D. a réussi à s'imposer, à devenir une journaliste reconnue, réputée, et redoutée, comme le montre le succès de ses écrits, comme le montre aussi, par exemple, lors de l'épisode Voltaire, l'attitude de l'ambassadeur de France, M. de Châteauneuf qui, sur plainte de D., renvoie aussitôt en France le jeune attaché d'ambassade qui avait été recommandé de Paris. La Q.N., et sa rédactrice, sont des pouvoirs à ménager, et avec lesquels il faut compter.

7. Publications diverses

Mémoires de Madame Du N*** écrits par elle-même, Cologne, Pierre Marteau, 1709-1710, 5 vol. – Œuvres meslées par Madame Du N***, qui peuvent servir de supplément à ses mémoires, Cologne, Chez les héritiers du défunt, 1711. – L'Histoire de l'abbé de Bucquoy, insérée dans les Lettres historiques et galantes, a sans doute déjà été publiée séparément du vivant de D. B.N., 8° Ln27 3211, en effet conserve une 2e éd. De l'Evénement des plus rares, ou l'Histoire du Sr abbé Cte de Buquoy, singulièrement son évasion du Fort-l'Evêque et de la Bastille, l'allemand à côté, revue et augmentée, s.l., 1719. – Le successeur de D. à la rédaction de la Q.N., la désigne comme la traductrice du t.1 de «l'Atlantis de Manley» (Q.N., 11 juin 1719). Il s'agit du livre de Mary de La Rivière Manley, Secret memoirs and manners of several persons of quality, of both sexes, from the New Atalantis, an island in the Mediterranean, publié pour la première fois à Londres en 1709. Une traduction paraît en 1713, à La Haye, sous le titre, L'Atlantis de Mme Manley, contenant les intrigues politiques et amoureuses d'Angleterre, et les secrets des révolutions depuis 1683 jusqu'à présent (2 vol.). Cette trad. est attribuée également à Jean Rousset de Missy et Henry Scheurleer. – Cior 18, attribue à D. les Sentimens d'une âme pénitente sur le pseaume « Miserere mei Deus » et le retour d'une âme à Dieu sur le pseaume « Benedic anima mea », accompagné de réflexions chrétiennes, Paris, 1698, qui sont attribués également à Dom Pisant.

8. Bibliographie

D.P.1 823, 988, 1153, CH. ; Cior 18.(Q.N.) La Quintessence des Nouvelles. La Nouvelle République des Lettres. Le Misantrope. Le Censeur ou Caractères des mœurs de La Haye par M. de G***.– Bruzen de La Martinière A., Entretiens des Ombres aux Champs Elysées, Amsterdam, 1722, 4e entretien, «Mre François Rabelais et Mme Du Noier», p. 341-462. – Voltaire, Correspondence, éd. Besterman. – Le Mariage précipité, Utrecht, 1713 (Ars., ms. 8° BL 14457). – (Mém.) Mémoires de Madame Du N***, éd. de réf. : Cologne, 1710-1711, 5 vol. – (L.H.G.) Lettres historiques et galantes, éd. de réf. : Cologne, 1733, 5 vol. – (Mém. de M.D.) Mémoires de M. Du N***, éd. de réf. : Londres, 1757, (t. VII de la rééd. En 9 vol. des L.H.G., chez Nourse et Vaillant). – Argenson marquis d', Notices sur les Œuvres de théâtre, éd. H. Lagrave, S.V.E.C. 42-43, 1966. – Nicolas M., Histoire littéraire de Nîmes et des localitées voisines, Nîmes, 1854, t. H, P- 46-55. – Lhuillier T., «Olympe Dunoyer, dame haute-justicière de Dampmart», Bulletin de la Société archéologique de Seine et Marne, t. X, 1894, P- 205-215. – (A) Arnelle [Mme de Clauzade], avant-propos à l'éd. des Mémoires et lettres galantes de Madame Dunoyer, Paris, 1910. – Fabre M., Voltaire et Pimpette de Nîmes, Nîmes, 1936. – Valkhoff P. et Fransen J., «Voltaire en Hollande», Revue de Hollande, 1915, p. 734-755 ; 1916, p. 1071-1110. – Gilot M. et Sgard J., «Le Journalisme masqué. Personnages et formes personnelles», Le Journalisme d'Ancien Régime, Lyon, 1982, p. 285-313. – Van Dijk S., Traces de femmes : présence féminine dans le journalisme français du XVIIIe siècle, Amsterdam, 1988. – Duby G. et Perrot M., Histoire des femmes en Occident, t. III, XVIe-XVIIIe siècles, Paris, 1989.

9. Additif

Bibliographie: La onzième lettre, attribuée à Casimir Freschot, de l’Histoire amoureuse et galante du congrès et de la ville d'Utrecht, en plusieurs lettres, écrites par le domestique d'un des plénipotentiaires à un de ses amis, Liège, J. Le Doux, sd. (1714 ou 1715), est consacrée à Dunoyer et au sixième tome des Lettres historiques et galantes. On trouve une clef de l’ouvrage sous le titre : Véritable clef par laquelle on peut avoir l’intelligence parfaite de l’Histoire amoureuse et badine du congrès et de la ville d'Utrecht, Cologne, P. Marteau, 1715. – Goldwyn, Henriette, « Journalisme polémique à la fin du XVIIsiècle : le cas de Mme Dunoyer », in Colette Nativel (dir.), Femmes savantes, savoirs des femmes. Du crépuscule de la Renaissance à l’aube des Lumières, Actes du colloque de Chantilly, 22-24 septembre 1995, Genève, Droz, 1999, p. 247-256 et « Mme du Noyer : Dissident memorialist of the Huguenot diaspora », in Colette H. Winn et Donna Kuizenga (dir.), Women writers in pre-revolutionary France. Strategies of Emancipation, New York- Londres, Garland Publishing, 1997, p. 117-126. – Nabarra, Alain, « Correspondances réelles, correspondances fictives : les Lettres historiques et galantes de Mme Dunoyer ou la « rocambole » d’un « petit badinage établi d’abord pour le plaisir », in Marie-France Silver et Marie-Laure Girou-Swiderski (dir.), Femmes en toutes lettres. Les Épistolières du XVIIIe siècle, Oxford, Voltaire Foundation, 2000, p. 7-22. - Brétéché, Marion, « Faire profession de témoignage : les pratiques d’écriture d’Anne-Marguerite Dunoyer (1707-1719) », Les femmes témoins de l’histoire, Études Épistémè, n° 19, 2011, p. 66-85. (Marion BRÉTÉCHÉ)

DULAURENS

Auteurs

Numéro

269

Prénom

Henri

Naissance

1719

Décès

1793

Henri Joseph Laurens dit Dulaurens ou Du Laurens, né à Douai le 27 mai 1719, est le fils de Jean Joseph Laurens, chirurgien-major au régiment de la Roche-Guy on et de Marie-Josèphe Menon (A.M. Douai, G.G. 279, f° 64). Il est mort dans le couvent-prison de Marienborn le 17 août 1793 (S, p. 193).

Il a utilisé différents pseudonymes : d'Henriville, Laurent d'Henriville, abbé de Saint-Albin, Modeste Tranquille Xan-Xung, Brise Crosses.

2. Formation

Après avoir fait ses études au collège d'Anchin, dirigé par les Jésuites, D. est admis au noviciat chez les Trinitaires de Douai (Tailliar, t. III, p. 169-170). Il reçoit les ordres mineurs et majeurs et fait profession le 12 novembre 1737. Il sera ordonné prêtre en 1744 et assurera pendant deux mois la fonction de prieur de la maison de l'Ordre des Trinitaires à Douai, lors d'une vacance de ce poste (S, p. 124-125). D. avait probablement été initié à la franc-maçonnerie (voir les nombreuses allusions dans La Chandelle d'Arras). Son frère André, membre de la loge de L’Aimable Concorde de Rochefort, a été député du Grand Orient de France de 1777 à 1782 (Le Bihan, p. 179).

3. Carrière

C'est pour l'ordre de la Fontange, société littéraire de Douai, que D. écrit ses premières œuvres, le Discours sur la beauté et La Vraie origine du Géant de Douai, qui sont publiées ensemble au début de 1743, par le libraire Leclercq. Par jugement du 16 juillet 1743, le livre est interdit comme « libelle diffamatoire contre la réputation de plusieurs personnes », et le libraire et l'auteur sont respectivement condamnés à 25 et 50 £ d'amende. L'évêque d'Arras impose également à D. une retraite de plusieurs semaines (Tailliar, t. III, p. 193 et suiv.). Quelques années plus tard, accusé par ses supérieurs d'être l'auteur d'un manuscrit attaquant la religion (en réalité, Les Sentiments de Jean Meslier), il est, par lettre de cachet, exilé au couvent de l'Ordre des Trinitaires de Beau-voir-sur-Mer, dans le diocèse de Poitiers (S, p. 125). Au bout de six ans, grâce, semble-t-il, à l'intervention du maréchal de Belle-Isle, la lettre de cachet sera levée (L'Arrétin, préface). Revenu à Douai, il est, en avril 1752, au centre d'un nouveau scandale : il s'enfuit en compagnie d'une religieuse du couvent de Saint-Julien de Douai qui, avant de s'évader, s'empare d'une cassette contenant environ 20 000 £ (Tailliar, t. III, p. 259). Commence alors une période de vagabondage, pendant laquelle, si l'on prête foi à certaines allusions contenues dans son œuvre, D. et sa compagne se seraient joints pour un temps à une troupe de comédiens ambulants, afin d'échapper aux recherches et de gagner leur vie (voir notamment 1'« Histoire du révérend père Duplessis» dans Les Abus). C'est aussi à cette époque que, selon certains biographes, D. et Rétif de La Bretonne se seraient liés d'amitié (Lacroix, p. 10 ; S, p. 24). En 1761 on retrouve D. qui s'est sans doute alors séparé de sa compagne, à Paris, où il habite Petite Rue Taranne (Delort, t. III, p. 34). A la suite de nombreuses démarches, il obtient l'autorisation du pape lui permettant d'être transféré de l'Ordre des Trinitaires dans celui des Bénédictins, mais malgré celle-ci l'entrée au couvent des Bénédictins de Poitiers lui est refusée (Lacroix, p. 14 et 129). C'est à cette époque que D., comme il l'avouera lors de son procès, décide de quitter les ordres (S, p. 177). Craignant d'être inquiété à la suite de la publication des Jésuitiques, recueil de satires écrites en collaboration avec Groubentall, D. quitte Paris le 20 août 1761. Groubentall est arrêté le lendemain et incarcéré à la Bastille (Delort, t. III, p. 15). Par Mons, Bruxelles, D. gagne Amsterdam, où il séjournera environ deux années. Il y fait imprimer, à la fin de 1761, chez M.M. Rey, Le Balai, dédié à Voltaire, et pour lequel Groubentall, que l'on soupçonne, cette fois-ci à tort, d'être l'auteur, sera arrêté (M.S., 24 mai, 12 juin 1762). Deux ans plus tard, en 1763, est publié L'Arrétin, un « amphigouri où il se trouve des choses excellentes», que l'on attribue à Voltaire (ibid., 9 oct. 1763). Cette année-là, D. quitte Amsterdam pour La Haye, où il demeurera six mois, puis pour Clèves, avant de s'établir à Liège, où il arrive à la fin de l'année 1763 (S, p. 130 ; Goncourt, p. 177-182). Il y restera deux années, habitant chez le libraire de Beaubers. Sur le point d'être arrêté pour la publication d'imirce et de La Chandelle d'Arras, il s'enfuit de Liège à la fin de 1765 et se réfugie à Francfort (S, p. 142-143). Là, il prépare pour le libraire Esslinger l'édition du Dictionnaire d'esprit, compilation d'extraits d'œuvres des philosophes. Esslinger ayant eu l'imprudence d'annoncer dans son catalogue Imirce et La Chandelle d'Arras, la librairie est fouillée par la police qui confisque les exemplaires de ces deux livres. Esslinger entendu par la police est relâché, mais D. est arrêté le 31 décembre 1765 (S, p. 85-87). Quelques jours avant, les M. S. annonçaient la publication à Londres d'un nouveau livre, attribué alors au marquis d'Argens, le Compère Matthieu, «roman satirique [...] dans lequel l'auteur a enchâssé et réduit en action beaucoup de principes de la nouvelle philosophie» (26 déc. 1765). Diderot rangera ce roman en forme de «rhapsodie» dans la même famille que Pantagruel et son propre Jacques le Fataliste (Fellow, p. 68). Emprisonné à Francfort, l'abbé D. refuse de répondre aux interrogatoires, demandant, comme membre du clergé, à être traduit devant une cour ecclésiastique. Il aurait manifesté, lors de cet internement à Francfort, les premiers signes de folie (S, p. 102 et 262, n. 94). En novembre 1766, il est transféré à Mayence pour être jugé devant la Chambre ecclésiastique de cette ville. Un rapport du 3 décembre 1766, 8 jours après son transfert, révèle l'état lamentable dans lequel il se trouve, aussi bien psychologiquement que physiquement : ses vêtements sont notamment décrits comme insuffisants, déchirés et remplis de vermines (S, p. 123). Après une instruction et un procès de plusieurs mois, la Chambre ecclésiastique de Mayence le condamne, le 31 août 1767.a l'emprisonnement à vie. Il avait publiquement abjuré ses erreurs le 19 juin. Il est incarcéré à la prison de Mayence où il restera 21 ans, puis, à la suite, semble-t-il, de l'intervention de l'empereur Joseph II, il est transféré, le 21 juillet 1788, au couvent-prison de Marienborn. Il y meurt fou le 17 août 1793 (S, p. 116, 193).

4. Situation de fortune

La situation de fortune de D. a toujours été précaire. On trouve dans son œuvre de constantes allusions à sa pauvreté matérielle et à la nécessité d'écrire «pour avoir du pain» : «J'étais sans chausses, sans habits, sans chemises et sans pain [...] quand je composai cet ouvrage», écrit-il par exemple, au début de l'épître dédicatoire d'imirce (p. 1). Ses écrits ne suffisant pas à le faire vivre, il dut exercer différents métiers : «Me trouvant sans pain dans Constantinople, je composai de méchants vers ; ne gagnant pas de pain avec le langage des dieux, je me tournai du côté des mortels» (L'Arrétin, rééd., Paris, 1884, p. 23). A Amsterdam, il travaille pour différents libraires comme rédacteur «à tant la feuille», correcteur d'épreuves et même coursier (Le Balai, 1761, p. XII). Une lettre à Groubentall de Linière, datée du 24 avril 1762 (Goncourt, p. 177-182), laisse entendre qu'il participe à l'organisation de la contrebande de livres d'Amsterdam vers la France. Il travaillera aussi comme correcteur d'épreuves à Clèves et à Liège. D. avouera, lors de son procès, qu'au moment où il dut s'enfuir de Liège, en novembre 1765, il manquait de tout et n'avait plus rien à manger (S, p. 141).

5. Opinions

Entré dans la vie religieuse, pour laquelle il n'avait aucune vocation, D. s'est très tôt rebellé contre sa discipline. Cela lui valut de fréquentes pénitences infligées par ses supérieurs, dont une détention de plusieurs mois dans une sorte de cage de bois suspendue au-dessus du sol (Duthillœul, p. 208-212). Dès le Discours de la beauté, écrit à vingt-quatre ans, il attaque la vie monastique : «Séjour des morts, quand serai-je affranchi de votre esclavage» (Tailliar, t. III, p. 194). Critique virulent de l'Eglise et de la religion catholiques, il a toujours affirmé sa croyance en l'Etre suprême et en l'enseignement de Jésus : «Je respecte, j'adore la Morale de Jésus [...] ; [je] m'y conforme autant qu'il est au pouvoir de mon cœur de le faire» (L’Antipapisme, p. XXXVIII). Il rejette cependant la doctrine de la divinité du Christ : « Un homme a paru sur la terre, il fut le plus juste, le plus saint et le meilleur de tous les hommes : lui seul a rempli l'être et l'état parfait de l'homme [...] ; son culte est l'unique digne de l'être suprême ; il est fondé sur l'humilité, culte convenable à des hommes dégradés» (Imirce, p. 59-60). Pour D. l'homme est dégradé de son « état naturel », prisonnier des préjugés, des institutions et des églises qui sont le fait de l'«état de société», «état de contrainte et d'esclavage». Il ne pourra être heureux qu'en retrouvant et en suivant «l'instinct de la nature» : «il faut ne consulter] dans toutes les actions de [la] vie, que la seule voix de la nature», tout en s'assurant, pour ne pas retomber dans une autre forme d'esclavage, d'«être son propre maître, et non l'esclave de soi-même» ou de ses idées. Quant à l'«état de société», dans la mesure où «il est la source de tous les maux», sa dissolution «ne peut être que [la source] de tous les biens» (Compère Matthieu, t. I, p. 184-186, 277 ; t. II, p. 252 ; t. III, p. 192). D. a été identifié avec le groupe des philosophes. Il en partage les convictions et les ennemis (les Jésuites, Fréron, Palissot, etc.) et il a défendu et aidé à populariser certaines de leurs idées. Il admire Montesquieu et surtout Voltaire, auquel il dédiera plusieurs de ses ouvrages, et qu'il loue tout le long de son œuvre. Il a aussi subi l'influence de Rousseau, qu'il n'aime pas, et qu'il attaque et parodie souvent, notamment dans Imirce. D. reproche aux philosophes d'être des hommes de cabinet éloignés des réalités de la vie, d'être trop souvent obscurs, s'exprimant «à la manière des inspirés ». Il leur reproche aussi d'être trop liés au «monde», de rester trop attachés à certaines habitudes, certains raffinements de la société mondaine (le personnage d'Ariste dans Imirce). Voltaire et les rédacteurs de la C.L. emploieront à peu près les mêmes mots pour reprocher à D. le défaut inverse : «si ce M. du Laurens avait été élevé dans le monde, et qu'il eût su prendre le ton de la bonne compagnie, et se former le goût, il n'aurait pas manqué de talent» (CL., t. V, p. 306 ; t. VI, p. 390 et D14959 : «ce moine défroqué qui a de l'esprit, mais qui n'a pas le ton de la bonne compagnie»). Les irrégularités et les longueurs qu'on lui a souvent reprochées, s'expliquent en partie par les conditions dans lesquelles il écrivait, en se cachant, à la hâte et «à tant la feuille [...] pour avoir du pain» (D14938). Aux règles littéraires, «les conseils du P. Rapin, la Poétique d'Aristote, le sublime allongé par Longin, inutilement encore allongé par Despréaux», D. préfère la Nature : «Les préceptes de l'Art sont ceux de la Nature » (Le Balai, p. XXI-XXII). L'effet esthétique est secondaire par rapport à l'idée à transmettre.

La destinée littéraire de D. est curieuse : ses écrits ont été souvent, à leur parution, attribués à d'autres, et on lui a attribué des œuvres de Jean Meslier, Voltaire ou d'Holbach. Avant la Révolution, plusieurs de ses livres sont parmi les « livres philosophiques » les plus recherchés (Darnton, p. 164-165, 169 et passim), et il reste connu et lu jusqu'à la fin du XIXe siècle (L'Arrétin aura par exemple 14 éditions de 1763 à 1920). Un succès de librairie qui s'explique sans doute en partie par le caractère délibérément scandaleux de l'œuvre. Conscient de 1'«enthousiasme» avec lequel les lecteurs cherchent «les polissonneries», D. s'en servait pour avancer certaines idées et mener à bien son entreprise systématique de destruction de toutes les barrières élevées pour circonscrire «la liberté naturelle» de l'homme. «Esprit rare et redoutable», il a aidé à répandre «les principes de la nouvelle philosophie», tout en restant un philosophe en marge, un «original» à la Diderot, passionné de liberté, individualiste et défenseur de l'individu (Goncourt, p. 203 ; M.S., 26 déc. 1765 ; Fellow, p. 68).

6. Activités journalistiques

Les activités journalistiques de D. sont de divers ordres. En janvier 1763, D. reprend la rédaction de L'Observateur des Spectacles ou Anecdotes théâtrales (D.P.1 1073), dont la publication avait été interrompue en juillet 1762, à la suite de la mort de son fondateur, François Chevrier (t. I et II par Chevrier, La Haye, janv.-mars et avril-juin 1762 ; t. III par D., Amsterdam, chez H. Constapel, janv.-mars 1763). Dans le premier numéro de la nouvelle formule cet hebdomadaire (il y aura 13 numéros, du mardi 4 janv. au mardi 29 mars 1763), D., après avoir vivement critiqué son prédécesseur, expose ses intentions : offrir un journal qui «mesure le talent des acteurs, qui analyse les chefs-d'œuvre de théâtre, qui apprend au Public [...] à décider en maître des pièces et des acteurs. C'est cette science de goûter et juger les beautés théâtrales que nous nous flattons d'apprendre à nos lecteurs». L'on trouve dans les 13 numéros du journal, à côté d'attaques contre les ennemis des philosophes, Palissot et Fréron (n° 3,18 janv.), d'« anecdotes galantes » et de portraits d'acteurs et de «Filles de Théâtre» comme la Deschamps (n° 2, 11 janv.), des comptes rendus de spectacles donnés dans différentes villes européennes comme, par exemple, les représentations du Père de famille à Dûsseldorf (n° 10, 8 mars). Ce qui apparaît comme le plus original, c'est l'effort de D. pour éduquer le lecteur, l'initier à l'art et à la technique du théâtre, s'interrogeant par exemple sur la nature de la danse ou sur le rôle des gestes dans le jeu du comédien.

D. a aussi collaboré à plusieurs périodiques, mais il est difficile de définir la nature exacte de cette collaboration, qui semble s'être située surtout au niveau de l'édition : correction d'épreuves ou mise en forme d'articles. Ainsi à Amsterdam où il prépare pour M.M. Rey, avec l'aide de son ami Robinet de Chateaugiron, un index pour le Journal des savants (S, p. 138). Ainsi à Liège, où, à la demande du libraire Philiport. il corrige des chansons à insérer dans le Journal de Musique de Rosignol (S, p. 143). D. a également collaboré pendant six mois au Mercurius Hollandae, lors de son séjour à La Haye (S, p. 131).

7. Publications diverses

La Vraie origine du Géant de Douay, en vers français, suivie d'un Discours sur la beauté, où l'on fait mention des belles de cette ville, par M..., s.l.n.d. [probablement Douai, 1743], in-8°. – Les Jésuitiques, enrichies de notes curieuses, pour servir à l'intelligence de cet ouvrage, Rome [Paris], 1761 ; nouv. éd. augmentée en 1762 : Les Jésuites. Nouvelle édition, suivie des Honneurs et de l'Oraison funèbre du R.P. Gabriel Malagrida, prononcée par le R.P. Thunder Ten Tronck, jésuite, Rome [Amsterdam], 1762. – Le Balai, poème héroï-comique en XVIII chants, Constantinople [Amsterdam], 1761. – L'Arrétin, ou la Débauche de l'esprit en fait de bon sens, Rome [Amsterdam], 1763 : plusieurs rééditions porteront le titre L'Arrétin moderne. – La Chandelle d'Arras, poème héroï-comique en XVIII chants, Berne, 1765 ; réédité sous le titre Estrenes aux gens d'Eglise, ou la Chandelle d'Arras, Arras, 1766. – Imirce, ou la Fille de la Nature, Berlin [La Haye], 1765. – La Vérité. Vertu et Vérité. Le cri de Jean-Jacques et le mien, Pékin, 1765 ; sera réédité à partir de 1767 sous le titre : Les Abus dans les cérémonies et dans les mœurs, Genève, 1767. – Le Compère Matthieu, ou les Bigarrures de l'esprit humain, Londres, 1766 (nos références renvoient à l'édition de Londres de 1777 en 3 vol.). – Je suis pucelle, histoire véritable, La Haye, 1767. – L'Antipapisme révélé, ou les Rêves de l'antipapiste, Genève, 1767. – On attribue à D. : La seconde partie de Candide, Paris, 1761 (Henriot) et Le Portefeuille d'un Philosophe, ou mélange de pièces philosophiques, politiques, critiques, satyriques et galantes, Cologne, 1770.

8. Bibliographie

B.Un. ; G.H. ; B.H.C.; La Grande Encyclopédie ; Cior 18 ; M.S. ; CL. – Voltaire, Correspondence, éd. Besterman. – Darnton R., Edition et sédition, Paris, 1991. – Delort J., Histoire de la détention des philosophes et des gens de lettres à la Bastille et à Vincennes, Paris, 1829, t. III, p. 1-36. – Duthillœul H., Galerie douaisienne, ou Biographie des hommes remarquables de la ville de Douai, Douai, 1844. – Fellow O.E. et Green A.G., « Diderot and the abbé Dulaurens », Diderot studies, 1.1, 1949, p. 27-50. – Goncourt E. et J. de, Portraits intimes du XVIIIe siècle, Paris, 1924. – Groubentall de Linière, M.F. de, « Notice sur la vie et les ouvrages de l'auteur » en tête de D., La Chandelle d'Arras, Paris, 1807. – Henriot E., Les Livres du second rayon, irréguliers et libertins, Paris, 1926, p. 263-278. – Lacroix P., Bibliographie et iconographie de tous les ouvrages de Restif de la Bretonne, Paris, 1875. – (S) Schnelle K., Aufklärung und klerikale Reaktion : der Prozess gegen den Abbé Henri-Joseph Laurens, Berlin, 1963. – Tailliar E., Chroniques de Douai, Douai, 1875-1877. – Le Bihan A., Francs-maçons parisiens du Grand Orient de France, Paris, 1966.

9. Additif

Bibliographie : Pascau, Stephan, Henri- François Dulaurens (1719-1793), une réhabilitation, Champion, 2007. Voir p. 74-81.