T. s'est acquis une fort mauvaise réputation par son trafic de libelles. Deux de ces libelles sont rédigés en forme de journaux, sans être véritablement périodiques :
Le Gazetier cuirassé, ou Anecdotes scandaleuses de la Cour de France, contenant des nouvelles politiques, apocryphes, secrètes, extraordinaires, imprimé à cent lieues de la Bastille, à l'Enseigne de la Liberté, [Londres], 1771,in-8°, VIII+175 p., numéros I-XII (D.P.1 484 ; exemp. dans les bibliothèques de Halle et de Leipzig) ; rééd., Londres, 1772,VIII+174 p. Le Gazetier cuirassé coûte à Londres une guinée (M.S.). La même année, T. publie deux «suites» sous l'adresse de Londres qui seront, dès 1771, présentées à la suite du Gazetier : Mélanges confus sur des matières fort claires, par l'auteur du « Gazetier cuirassé», «Imprimé sous le soleil», et Le Philosophe cynique, pour servir de suite aux «Anecdotes scandaleuses de la Cour de France», «Imprimé dans une Isle qui fait trembler la terre ferme».
La Gazette noire par un homme qui n'est pas blanc, ou Œuvres posthumes du Gazetier cuirassé, imprimé à cent lieues de la Bastille, [Londres], 1784, 292 p., in-8° (D.P.1 576 ; exemp. à la B.U. de Halle). Voir les M.S., t. XXVI, 11-17 oct. 1784 ; t. XXV, 3-23 avril 1785 ; t. XXIX, 30 mai 1785. [Renseignements transmis par R. Granderoute.]
On aurait cependant tort de ne voir en T. qu'un représentant de la racaille française qui fréquentait Londres au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Il s'est familiarisé avec la presse anglaise et il a même envoyé des articles aux journaux anglais. La création en 1776 d'un journal londonien rédigé en français -le Courier de l'Europe- a éveillé son intérêt et ses aspirations. Et c'est dans le Courier qu'il a donné sa mesure comme journaliste. Il a été le rédacteur en chef de ce journal entre 1784 et 1791. Avant 1784, sa contribution officielle au journal se limite à une lettre signée, publiée le 17 février 1778 (t. III, p. 112 ; P, t. I, p. 459-460). Grâce aux premiers numéros du Courier de l'Europe, on peut suivre sa querelle avec «Mademoiselle d'Eon». Le journal insère même, dans son numéro du 27 août 1776, un article de sa façon. Dans une lettre datée du 28 avril 1788 et adressée au comte de Montmorin, ministre des Affaires étrangères, T. précise ainsi sa coopération d'avant 1784 au Courier : «Pendant la guerre je m'étais assuré et j'avais à ma solde un des coopérateurs du Courier de l'Europe, qui insérait dans cette feuille au moins une fois par semaine les articles que je lui dictais. Ces articles que j'envoyais d'abord aux gazettes anglaises, traduits ensuite par moi, et rapportés dans la forme dont j'étais convenu avec M. Baudouin [des Affaires étrangères] dans le Courier de l'Europe le tenaient toujours au courant des événemens journaliers qui pouvaient être mandés de cette manière» (P, t. II, p. 1010). A Londres, T. était pendant la guerre franco-anglaise espion et agent secret, rémunéré entre autres par le gouvernement français.
Il n'arrive certainement pas souvent qu'on puisse lire un journal du XVIIIe siècle avec les marginalia du rédacteur. Or il convient de considérer une partie de la correspondance de T. avec Beaumarchais et avec des représentants du gouvernement français comme autant de notes marginales. Elles nous donnent la clé d'un certain nombre des articles que publie sa gazette. Elles nous révèlent aussi comment travaillait un homme habile et sans scrupules, en quête d'informations à glisser dans son journal, au profit de ses commettants. Le 16 avril 1784, T. écrit ainsi à Beaumarchais (P, t. II, p. 812) : «Vous pouvez actuellement me dire votre opinion sur le Courier avec connaissance de cause. Comment le trouvez vous en général ? Qu'y trouvez vous de répréhensible ? Je ne fais pas tout mais cependant je repasse tout ce qui entre dans sa confusion, et choisis les articles qui le composent». Beaumarchais, l'éminence grise du journal, trouve que T. a sa part à la baisse du journal. T. lui répond le 4 août 1785 (P, t. II, p. 910-912) : «Vous me dites que le Courier a été trouvé négligé : - mettez vous à ma place : rédacteur, traducteur, correcteur, prête ! à peine ai je le tems de prendre mes repas quatre jours de la semaine».
T. n'a pas oublié ses vieux artifices de libelliste. Aussi met-il son journal au service de ses propres rancunes et animosités. Il tombe ainsi sur le dos de ses collègues Linguet et Brissot. Il est venimeux dans ses attaques contre l'ex-ministre Calonne et Cagliostro, réfugiés en Angleterre. Il épouse, sans y être encouragé, les querelles de Beaumarchais dans les affaires Mirabeau et Kornman-Bergasse. Selon Brissot, il se vante même de pouvoir détruire en une heure une réputation de 50 ans (Réplique de Brissot, p. 28).
Dans une lettre au comte de Montmorin en date du 2 juin 1787 (P, t. II, p. 977), T. écrit : «Je regarde donc, Monseigneur, le Courier, et vous passerez aisément cette expression à l'auteur, comme un feu sacré que mon patriotisme a voulu empêcher de s'éteindre, et que je me plais à entretenir». Même s'il rend service au gouvernement français, T. est soumis à la censure de l'abbé Aubert, qui l'exaspère : « L'abbé Aubert !... bon dieu l'abbé Aubert ! S'il continue à être censeur le Courier est flambé » (lettre à Beaumarchais, 23 mars 1786, ms. de la famille de Beaumarchais ; P, 1.1, p. 154). A partir de février 1788, le Courier de l'Europe s'imprime uniquement à Londres (D.P.1 268, p. 291), mais l'édition destinée à l'Angleterre porte désormais le nom de Courier de Londres (D.P.1 278) ; l'avis initial souligne toutefois que «la rédaction de cette Feuille n'a pas changé de main» (P, 1.1, p. 156).
Passons maintenant à une activité journalistique bien autrement importante. Ce n'est pas pour rien que T. a passé 18 ans en Angleterre. Il a acquis une connaissance impressionnante des affaires du temps et il met son expérience politique au service de ses lecteurs. Il se rend au Parlement, où, dit-il, «j'ai souvent des facilités de me glisser quoique les séances soient commencées. S'il s'y passe quelque chose d'important, je le saurai quand je n'entrerais pas, en allant à la buvette des membres» (lettre au comte de Montmorin, 16 déc. 1788, A.A.E., CP. Angleterre, t. 567, f° 292). Décrire en détail les institutions politiques anglaises, c'est, aux yeux de T., une de ses tâches les plus importantes, mais surtout dans la mesure où elles peuvent servir de modèles à la France en quête de réformes. Ses leçons en matière politique et constitutionnelle, il les donne dans deux séries d'articles intitulés Lettres d'un voyageur et Observations d'un citoyen. Il se prononce ainsi sur le commerce, la douane, les patentes, les manufactures, les machines, les lois anglaises, la traite des nègres, l'état politique de l'Europe, la cour plénière, les Etats généraux, la constitution française, le gouvernement monarchique, les prérogatives du roi, les assemblées provinciales, la responsabilité des ministres, les lois constitutionnelles, les droits de l'homme, etc. Sujets, en somme, de grande actualité. Mais il y a ici une différence notable par rapport à ce qu'il avait jusque là confié à son journal : T. se prononce maintenant sur les importants problèmes à l'origine de la fermentation générale des esprits qui règne en France depuis 1787. Avant de publier ses articles politiques, il prend soin de les montrer à l'ambassadeur de France à Londres pour avoir son approbation.
En Angleterre, T. a joué, comme pédagogue en matière politique, le grand rôle de sa vie. En 1791, à Paris, il pourra étudier sur place cette Révolution qui l'avait exalté malgré son royalisme et confier ses réflexions à un nouveau journal de sa façon, L'Argus patriote (9 juin 1791 - 31 mai 1792).