ROUSSET DE MISSY

Numéro

715

Prénom

Jean

Naissance

1686

Décès

1762

Jean Rousset de Missy est né à Laon le 26 août 1686, de Jean Rousset et de Rachel Cottin. Il se marie à La Haye le 17 août 1710 ; les bans sont publiés entre «Jean Roset, jeune homme de Laon en France», et Maria Pion. Le mariage a lieu le 31 août 1710 dans l'église haut-allemande à La Haye. Ils ont trois enfants qui sont baptisés dans l'église wallonne de La Haye : Jean, baptisé le 10 juin 1711 ; Marie Magdelaine, baptisée le 19 juin 1712 ; Abraham, baptisé le 8 juillet 1714. Le 30 juin 1716, R. devient citoyen de La Haye (A.M. La Haye, O.A., 1056, f° 12).

2. Formation

II est né d'une famille protestante. Après la mort de sa mère, son père veut quitter la France mais est arrêté. R., lui, est enlevé par lettre de cachet et élevé au collège du Plessis à Paris, d'où il s'enfuit à l'âge de dix-huit ans. R. est reçu membre de l'église wallonne de La Haye le 4 juillet 1710, par confession (B.W.). Le même registre mentionne un autre Jean Rousset, reçu membre de l'église de La Haye, le 18 octobre 1730, par témoignage de la chapelle de Paris. Il apprend l'anglais après 1729 (B, p. 157). En 1732, il est nommé membre de la Société royale de Berlin et en 1739 associé à l'académie de Pétersbourg (Haag). En 1745 il est exclu de l'Académie de Berlin, parce qu'il ne lui a fourni aucune «pièce d'érudition» ; mais il continue de se prévaloir de son titre dans les gazettes qu'il anime. Sur l'ordre de Frédéric II, l'Académie envoie à la presse berlinoise une anonyme Lettre de M.**, membre de l'Académie royale des Sciences de Berlin à M.**, professeur des Belles-Lettres dans l'Université de ... en Hollande, où l'on fait mine de croire que R. n'a jamais été membre de l'Académie (Berlin-Brandenburgische Akademie der Wissenschaften, Archiv, LUI. 71, acte du 14 janv. 1745 ; renseignement transmis par F. Moureau).

3. Carrière

En 1704, R. arrive en Hollande et entre dans les gardes des Etats Généraux. Il quitte le service en 1709, après la bataille de Malplaquet (Haag, t. IX, p. 56). Il s'établit alors à La Haye où il ouvre un pensionnat qu'il dirige avec succès pendant quatorze ou quinze ans selon Barbier (B.N., n.a.fr. 5184, f° 53-55, notice ms. de R.). En 1723 selon Barbier, il renonce à la carrière pédagogique pour s'occuper de la direction de journaux littéraires. II assiste en 1724 au congrès de Cambrai (B, p. 160). En novembre 1747, il obtient la patente de conseiller historiographe (A.M. La Haye, Fagel 2124, lettre de R. à H. Fagel, 22 nov. 1747, Amsterdam). D'après une lettre du 26 juin 1748, il semble être au service de Bentinck, déjà cité dans la lettre ci-dessus (B.L., Egerton ms. 1745, f° 486). La même année, il est nommé conseiller de la Chancellerie impériale de toutes les Russies avec le grade de colonel (B.U. Leyde, BPL 242). Il tombe en disgrâce auprès du stathouder en mai 1749 (BSV, p. 9-10) et s'enfuit à Bruxelles où il vit de sa plume et de services rendus au gouvernement des Pays-Bas autrichiens. Le 19 février 1750, il écrit à Fagel au sujet de la restitution de ses papiers (A.M. La Haye, Fagel, 2189). Entre la fin de 1752 et sa mort, il habite Maersen, village près d'Utrecht (lettres au Dr Bernard d'Amsterdam, B.U. Leyde, BPC 242 ; lettres à Cobenzl, A.R.B.). A Maersen, R. conduit l'imprimerie du libraire réfugié Joly (Ars., ms. 11706, f° 245, dossier Duquerlon 1752, déclaration de Denoncourt).

4. Situation de fortune

Son école est un établissement florissant (B, p. 159). Il s'associe La Barre de Beaumarchais en qualité de maître à 100 florins de gages. Plus tard, il emploie La Barre de Beaumarchais à traduire Suétone, à annoter les Métaphysiques d'Ovide dans la traduction de Du Ryer (B) et à rédiger le Mercure historique et politique (Haag). C'est peut-être La Barre de Beaumarchais qui est désigné par «le copiste de Rousset, qu'il nomme capucin» (March. 47 ; Heinzelman à Marchand, La Haye, 23 mars 1749). Le libraire de Paris qui lui demande sa collaboration au Journal économique, lui propose, en 1753, 200 florins pour douze mémoires par an (B.U. Leyde, BPL 242, lettre à Bernard, 18 déc. 1753). Le Magazin des événements, et ses suites, sont vendus pour un florin le tome de vingt numéros (Avocat pour et contre, t. II, Avert.).

5. Opinions

R. ne garde aucune tendresse pour son pays natal (BSV, P- 54-55). Dans ses lettres au comte de Cobenzl, ministre plénipotentiaire aux Pays-Bas autrichiens, il l'avertit constamment contre les intrigues de la Cour de France. A plusieurs reprises, il assure Cobenzl de son dévouement pour l'auguste Maison. Ses renseignements lui viennent de l'espion d'Etat, M. Cailland de Rotterdam, et de plusieurs correspondants anonymes. Il avoue de façon cynique son «caméléonisme». Cependant, il n'a pas varié dans sa défense de l'Eglise, sa haine de l'athéisme, de Voltaire, des encyclopédistes (BSV, p. 142, 198, 224, 227). Il semble en même temps qu'il ait été franc-maçon : en 1752, il se dit «Maître de la loge d'Amsterdam» (BSV, p. 180). Il semble avoir un grand nombre d'ennemis (B, p. 156), dont le plus violent est La Barre de Beaumarchais. Leur amitié réciproque s'est convertie en une haine implacable (B, p. 167), qui s'extériorise dans une polémique incessante. R., ami du libraire Wetstein (B, p. 222), mène une campagne contre le libraire Jean Van Duren, dans les articles de la Bibliothèque raisonnée, de la Gazette des savants, et de La Quintessence. La Barre de Beaumarchais, en s'associant inconditionnellement à Van Duren, réplique dans les Lettres sérieuses et badines (L.S.B.) et, à partir de 1733, dans le Journal littéraire (L.S.B., 1.1, p. XXXVII, avis du libraire). R. a entretenu une polémique avec Janiçon, dont il critique l' Etat présent de la république des Provinces Unies et des pays qui en dépendent. Janiçon réplique avec vivacité dans le t. 1 des L.S.B. (Haag, t. VI, p. 31 ; B, p. 167). Depuis la tentative de R. et de La Varenne en vue de supplanter Bruys chez Scheurleer et Van Lom (B.L., add. mss 4281, lettre de Bruys à Desmaizeaux, 13 mars 1731, f° 336-338), Bruys se compte aussi parmi les ennemis de R. La Varenne est son ami fidèle. Tous les deux ont été pendant dix ans correspondants et partisans de Jean Baptiste Rousseau (Voltaire à Thiériot, 13 nov. 1738). Il existe une hostilité ouverte entre Voltaire et R. Voltaire ne cesse de déprécier les ouvrages historiques de R. (Voltaire, Œuvres complètes, éd. Moland, t. XVI, p. 379-380). R. attaque régulièrement Voltaire dans ses périodiques, en particulier dans le Magazin des événements (voir 1741, 1.1, p. 15-16) et dans L’Epilogueur moderne (voir Fontius ; Gembicki, p. 244 et suiv.). Un ennemi anonyme publie le Courrier critique ou l'Anti-Rousset, Genève, 1743 (Marchand, Dictionnaire historique, La Haye, 1758-1759,1.1, p. 55 ; Mercure historique et politique, mai 1743, t. CXIV, p. 483 ; D.P.1 258) ; le même auteur, sans doute bordelais, publie de 1743 à 1747 le Courier véridique, également destiné à réfuter le Mercure historique (D.P.1 322).

6. Activités journalistiques

Mercure historique et politique, La Haye, 1686-1782 (D.P.1 940). D'après l'avertissement de janvier 1732, ce périodique est rédigé par R. depuis 1726 ; mais R. semble bien y avoir travaillé dès 1724 avec la collaboration de La Barre de Beaumarchais (Haag ; B) ; il aurait donc régné sur le journal pendant 26 ans, d'août 1724 à décembre 1750.

Bibliothèque raisonnée des ouvrages des savants de l'Europe, Amsterdam, Wetstein, 1728-1753 (D.P.1 169). R. fournit la plupart des articles historiques (B) ; une polémique entre R. et Bruzen de La Martinière en 1731 semble avoir mis fin à cette collaboration (voir D.P.1 169, p. 198).

Le Censeur ou caractère des moeurs de La Haye, La Haye, 1714. R. a publié un Censeur, qui a des chances d'être celui de 1714 (B ; L.S.B.;D.P.1 202).

La Quintessence des nouvelles historiques, critiques, politiques, morales et galantes, La Haye, Meynders, Amsterdam, Oosterwijck, 1696-1730. Edité par Mme Dunoyer de 1714 à 1717, le journal a été continué par R. durant l'année 1719 (B ; L'Epilogueur, t. VII, préface ; D.P.1 1153).

Le Courrier, périodique commencé par Potin et Van Effen, continué par R. (L.S.B., premiers numéros ; G.H., p. 187 ; D.P.1 251). C'est probablement le même que Le Courrier politique et galant (D.P.1 316), fait successivement par Potin et R. d'après les Mémoires de la Calotte (p. 149) et le Courrier politique, que R. affirme avoir publié (préface de L'Epilogueur, t. VII) ; R. semble l'avoir dirigé en 1723-1724 (D.P.1 316).

Le Glaneur historique, moral, littéraire, galant et calotin, par J.B. de La Varenne, La Haye, I73I-I733 (D.P.1 588). R. dit avoir eu bonne part à ce périodique (L'Epilogueur, t. VII, préface).

Il semble avoir participé, de 1739 à 1746, à l'Etat politique de l'Europe, revue hebdomadaire dans laquelle sont utilisés ses recueils de documents (D.P.1 410).

Magazin des événements de toutes sortes, passés, présents et futurs, par M. R.D.M. Amsterdam, J. Ryckhoff, le fils, 1741­1742, 4 vol. in-8° (D.P.1 859), continué sous le titre L'Epilogueur politique, galant et critique, «composé par une société d'amis», Amsterdam, J. Ryckhoff, le fils, 1743 1745 (D.P.1 383), 4 vol. in-8°. Continué sous le titre Démosthène moderne ou réflexions sur les affaires présentes de l'Europe, Utrecht, Lobedanius, 1745-1746, 2 vol. in-8° (D.P.1 341). Continué sous le titre Avocat pour et contre, Amsterdam, J. Ryckhoff, le fils, 1746-1747, 5 vol. in-8° (D.P.1 136). Continué sous le titre Le Vrai patriote hollandais, Amsterdam, Ryckhoff junior, 1748-1749, 5 vol. in-8° (D.P.1 1267). R. est bien l'auteur de L'Epilogueur (A.A.E., C.P., Prusse, 134, f° 35, rapport à Amelot, Berlin, 22 févr. 1744 ; Ars., ms. 11706, f° 245, dossier Duquerlon ; B.U. Leyde, March. 52).

R. dirige, de 1750 à 1755, L'Epilogueur moderne, hebdomadaire politique et littéraire (D.P.1 382). La correspondance Rousset-Marchand fournit des informations intéressantes sur cette revue et confirme qu'elle a duré au moins jusqu'en juillet 1755 (BSV, p. 258 et n. 2, 263, 264).

Journal économique (?) ; voir sa lettre au Dr Bernard (B.U. Leyde, BPL 242, du 18 déc. 1753) : «un libraire de Paris qui imprime un Journal économique m'a écrit pour m'engager à lui fournir des mémoires de ce que produit nos Pays-Bas et les pays du nord voisins». La collaboration de R. au Journal économique (1751-1772) n'a pas été confirmée jusqu'ici.

Clef de l'Ecole de l'homme (?) (Ars., ms. 11706, dossier Duquerlon, f° 245) : «Denoncourt croit que ce Roussette est l'auteur de la Clef de l'Ecole de l'Homme».

Son dernier périodique a été identifié par J.D. Candaux ; il s'agit du Nouvelliste du Parnasse, de Cythère et de la Cour, publié en 1756 (D.P.1 1062).

7. Publications diverses

Voir la bibliographie de ses œuvres dans Quérard, Haag, Michaud, Cior 18, n° 1595-1596. A partir d'une liste fournie par R. lui-même à P. Marchand (BSV, p. 257-258), Berkvens-Stevelinck et Vercruysse ont donné une bibliographie plus précise et complète de ses œuvres (BSV, p. 269-275). Ses archives furent vendues à Berlin en 1764 : voir le Catalogue d'une nombreuse collection de livres, Amsterdam et Berlin, J. Néaulme, 1764, dans lequel on trouve (t. V, n° 407) des manuscrits cotés de A à RR, provenant de R., «grand politique et intrigant», dont «Correspondance secrète sur l'état des affaires de l'Europe», nouvelles à la main de 1734, 127 p. in-4° ; «Anecdotes très curieuses sur les Iroquois [...], sur le voyage de Jacques Massé et sur le voyage de M. le baron de La Hontan », 10 p. On trouvera dans BSV les 105 lettres de R. conservées dans le fonds Marchand de Leyde, et adressées à P. Marchand de 1734à 1756.

8. Bibliographie

Haag ; N.B.G. – A.M. La Haye, registres. – (A.R.B.) Archives du Royaume, Bruxelles, secrétaire d'Etat et de Guerre, n° 120, vol. 1058, f° 1-66. – (B.W.) Bibliothèque wallonne, Amsterdam, registres. – B.L., Egerton ms. 1745, f° 486. – B.U. Leyde, BPL 242 et March. 52. – Ars., ms. 11706, f° 245, dossier Duquerlon. – A.A.E., C.P., Prusse, 134, f° 35. – B.N., dossier d'A. Barbier, n.a.fr. 5184, f° 53-55. – Bruys F. de, Mémoires historiques, critiques et littéraires, éd. [P.L.] Joly, Paris, Hérissant, 1751, 2 vol. in-12. – Kleerkooper M.M. et Van Stockum W.P., De Boekhandel te Amsterdam voornamelijk in de 17e eeuw, La Haye, 1914-1916, p. 694-989. – Fontius M., Voltaire in Berlin, Berlin, 1966. – Gembicki D., «Le journalisme <à sensation> : L'Epilogueur moderne (1750-1754) de Rousset de Missy», dans Le Journalisme d'Ancien Régime, éd. P. Rétat, P.U. de Lyon, 1982, p. 241-255. – (BSV) Berkvens-Stevelinck C. et Vercruysse J., Le Métier de journaliste au dix-huitième siècle : correspondance entre Prosper Marchand, Jean Rousset de Missy et Lambert Ignace Douxfils, S.V.E.C. 312, 1993.

9. Additif

Activités journalistiques : Dans un article publié en 1999 dans Gazette et information politique sous l’Ancien Régime (textes réunis par H. Duranton et P. Rétat, Publications de l’Université de Saint-Étenne), Christiane Berkvens-Stevelinck fait le bilan de l’oeuvre de journaliste de R. et de ses sources. Jusqu’en 1745, il transmet à des feuilles bi-hebdomadaires des nouvelles politiques qu’il puise dans les nouvelles à la main ou dans les gazettes, et notamment dans le Mercure historique et politique. Il n’est pas rare que l’on trouve dans sa correspondance avec Douxfils une ébauche des analyses politiques qu’il publie par la suite. Cette correspondance prouve en outre qu’il sert à la fois le stathouder de Hollande et la cour de Bruxelles, et que ses activités de journaliste sont à la limite de l’espionnage. (J.S.)

Des lettres signées de la main de Marie Rousset à propos d’une pension pour des « bulletins » attestent que celle-ci aurait repris l’activité d’informateur de son père, au moins en 1767, 1775, 1781-1782 (voir, Archives du Royaume, Bruxelles, Secrétairerie d’État et de Guerre, 2747, f° 114 ; 2751, f° 89 ; 2757, f° 26-27 et 65). (Marion Brétéché)

Bibliographie : Berkvens-Stevelinck, Christiane, « L’information politique dans les journaux de Rousset de Missy », Gazette et information politique sous l’Ancien Régime, textes réunis par H. Duranton et P. Rétat, Publications de l’Université de Saint-Étenne, 1999, p. 97-106. 

À ma connaissance, la correspondance de R. avec Cobenzl pour les années 1753-1758 est conservée sous la cote : Archives du Royaume, Bruxelles, Secrétairerie d’État et de Guerre, 1210, f° 1-63 ; les folios 63-68 correspondent à deux lettres datées d’août 1762 de Marie Rousset, sa fille, au comte de Cobenzl.

On peut ajouter que R. a entretenu une relation épistolaire avec les ministres plénipotentiaires des Pays-Bas, prédécesseurs de Cobenzl, dès 1746 (voir, Archives du Royaume, Bruxelles, Secrétairerie d’État et de Guerre, 1048, f° 109-141 ; 2738, f° 274-280 ; 2741, f° 5-6).(J.S.)

Lorsqu’il est question dans la notice du Dictionnaire de « l'espion d'Etat, M. Cailland de Rotterdam », il s’agit en réalité d’Etienne Caillaud. (Marion Brétéché)

ROCHETTE DE LA MORLIÈRE

Numéro

696

Prénom

Jacques

Naissance

1719

Décès

1785

Jacques Rochette, fils de Joseph Rochette de La Morlière, conseiller du roi et maître à la Chambre des comptes du Dauphiné, et d'Anne Bûcher, est né à Grenoble le 22 avril 1719 et a été baptisé le 23. Son parrain était Jean de Bûcher, seigneur de Saint-Guillaume, et sa marraine, Jeanne Marianne Hugon, « épouse du dit seigneur » (reg. par. Saint-Hugues, B.V. Grenoble, GG 103 ; voir Uzanne, p. XV). Tant par son père que par sa mère, issue d'une famille de légistes connus à Grenoble depuis le XVIe siècle, il appartenait à la noblesse de robe.

2. Formation

Destiné au barreau, il fut placé chez Me Brochier, procureur à la cour de Grenoble, causa quelques scandales dans la ville et fut envoyé à Paris où il entra dans les mousquetaires du roi (Rochas). Il en fut chassé, selon Collé, « pour des causes déshonorantes» (t. I, p. 473). De son passé de mousquetaire, il gardait encore vers 1760 le chapeau et une «longue épée sur sa cuisse» (Diderot, Le Neveu de Rameau, éd. J. Fabre, Genève, 1950, p. 45 ; n. 163, p. 189-190).

3. Carrière

Il se fait connaître en 1746 par la publication d'Angola. En 1747, les Campagnes de l'abbé T (rééd. en 1748 sous le titre des Lauriers ecclésiastiques) font scandale et lui valent un exil à Rouen. Il y séduit une fille de grande bourgeoisie que son père se hâte de marier ; R. menace de faire éclater l'affaire ; son chantage lui aurait rapporté, selon les M.S., 30 000 £ (8 nov. 1763, p. 269 ; Estrée, p. 393 et suiv.). De retour à Paris, il publie, après la représentation de Denys le Tyran de Marmontel (févr. 1748), les Très humbles remontrances à la cohue, «véritable libelle contre le public et où il menaçait de coups de bâton Marmontel» (Ars., ms. 11648, affaire Duperron, f° 51). Il aggrave son cas en enlevant Marie Louise Duperron, née Fleury, femme d'un marchand de vin de Paris, accusée en outre d'avoir dérobé 2000 £ à son mari. R. est exilé à Grenoble par ordre du 11 mars 1748 ; il revient à Paris, est arrêté et conduit au Petit-Châtelet le 19 septembre pour «désobéissance à son exil» (ibid., f° 49) ; il y reste jusqu'au 5 octobre, adresse quatre lettres de justifications au commissaire La Janière (f° 109-112, 115-116) pour obtenir un second exil à Rouen. L'intervention de son père (f° 74) lui vaut l'indulgence de la justice ; il est rappelé d'exil en janvier 1749 (f° 51) ; Marie Louise Duperron est enfermée au couvent ; Jérôme Lacombe, valet de R. accusé d'avoir distribué les Lauriers ecclésiastiques et les Très humbles remontrances,est interné à For l'Evêque (f° 62).

En mars 1758, il est compromis dans une nouvelle affaire d'enlèvement : le «rapt» de Françoise Madeleine Cailly, épouse de Nicolas Alexandre Hogu de Fargot, de Vendôme (Mémoire pour Sieur Nicolas Alexandre Hogu de Fargot [...] accusateur en crime de rapt et incidemment deffendeur à une demande en nullité de mariage sous prétexte d'impuissance, Vve Delormel, 1758, B.V. Grenoble, Vh 271, 71 p.) : «Arrive à Vendôme vers le Carnaval de 1758 le chevalier de La Morlière, homme de naissance dans la Robbe, homme de beaucoup d'esprit, auteur d'Angola, des Lauriers ecclésiastiques, de l'Amant déguisé, de trois ou quatre enlèvements et de beaucoup d'aventures du même genre » (p. 15). R. emmène F. Cailly à Paris «dans une chambre garnie, au second étage, chez le Sieur Taxil, apothicaire rue Montmartre» ; il affirme son dessein «de l'épouser lui-même et de réparer ainsi une fortune que ses dérangements ont depuis longtemps épuisée » (p. 67). Sur procédure de Fargot (29 mars), F. Cailly est enfermée au couvent ; elle accuse son mari d'impuissance (29 mai), semble-t-il sans succès.

Le 29 mars 1761, il est l'objet d'un ordre de perquisition ; il est de nouveau exilé à Grenoble. Le 13 août 1762, selon les M.S., R. «plus connu par ses escroqueries, son impudence et sa scélératesse que par ses ouvrages, vient enfin d'être mis à Saint-Lazare » (t. I, p. 115). Il en sort le 11 décembre « avec un front d'airain » (ibid., p. 154). La réputation de R. est alors solidement établie. C'est en novembre 1762 que les M.S. rapportent trois cas d'escroqueries dont il s'est rendu coupable ; dans la 3e anecdote, il s'agit encore d'enlèvement accompagné de vol : R. garde l'argent et dénonce la femme à son mari (t. I, p. 296).

Il s'est surtout fait une réputation de pamphlétaire et de chef de cabale au Théâtre-Français et au Théâtre-Italien, où il sévit pendant plus de 20 ans. Il établit son quartier au café Procope et négocie ses services avec les écrivains, les acteurs, les danseurs (voir Henriot, Les Livres du second rayon, p. 207 et suiv.). De 1746 à 1755 il publie de nombreux pamphlets. Ses propres pièces eurent peu de succès et tombèrent après quelques représentations ; son crédit en fut diminué, surtout lorsqu'il se fut attaqué, sans succès, à Fréron (Le Contrepoison des feuilles, 1754).

Dans les vingt dernières années de sa vie, il vit d'expédients, tantôt maître de déclamation et entremetteur, tantôt joueur et tricheur, tantôt revendeur et escroc : il vend des tableaux et détourne les fonds qui lui sont confiés (Rochas) ; il vole un manuscrit de l'Histoire de la guerre de 1741 de Voltaire (R. Pomeau, Voltaire en son temps, 2e éd., Oxford, Paris, 1995, t. I, p. 811). Il flatte cyniquement la comtesse Du Barry dans Le Fatalisme (1769) et obtient de la comtesse une invitation à souper qui fit scandale (M.S., 29 juin 1769). C'est de Louveciennes qu'il écrit, le 17 mai 1784, après s'être entremis pour faire obtenir à M. de Bourdie une croix de Saint-Louis (B.V. Grenoble, ms. 1999, lettre à M. de Payan).

4. Situation de fortune

Ses parents lui faisaient une pension de 800 £ par an ; pour subvenir à ses nombreuses dépenses, il empruntait à ses amis «en leur disant qu'il le leur rendrait quand son père serait mort» (Ars., ms. 11648, f° 66). Ses escroqueries ne se comptent pas ; en 1764, il montait des cristaux de Grenoble «et en faisait des boucles d'oreilles, des croix avec d'autres garnitures de femmes » fort semblables à des « diamants faux » (Avignon, ms. Calvet 2352, t. I, f° 15, lettre d'Artigny, 20 juil. 1764).

5. Opinions

Méprisé de Voltaire, de Rousseau, de Marmontel, de Bachaumont, de Diderot, il fut en relations avec Mouhy, avec Palissot dont, par ailleurs, il sifflait les pièces (M.S., t. I, p. 91, 7 juin 1762).

6. Activités journalistiques

Quoique non périodiques, les pamphlets de R. sont de véritables comptes rendus critiques dans lesquels il commente l'actualité théâtrale, analysant les pièces du point de vue de l'action, des personnages, de la langue, des acteurs, du costume et du décor. En voici la liste :

Réponse au soi-disant Spectateur littéraire au sujet de son avis désintéressé sur Angola, s.l., 1746, 36 p. – Très humbles remontrances à la cohue au sujet de la tragédie de Denys le Tyran, s.l.n.d. [1748], 11 p. – Réflexions sur la tragédie d'Oreste où se trouve placé naturellement l'essai d'un parallèle de cette pièce avec l'Electre de M. de C.[Crébillon], s.l.n.d. [1750], 47 p. «Réponse de M.M. *** à M. Racine fils après la première représentation des Héraclides», dans Lettre de M. Racine à M.M., s.l.n.d. [1752], 8 p. – Observations sur la tragédie du Duc de Foix de M. de Voltaire, s.l., 1752, 4 p. – Le Contre­poison des feuilles ou Lettres à M. de ***, retiré à **** sur le Sr. Fréron, s.l.n.d. [1754], 23 p. (D.P.i 227) – Les Anti-feuilles ou Lettres à Madame de *** sur quelques jugements portés dans L'Année littéraire de Fréron, Paris, 1754. – Lettre d'un sage à un homme très respectable et dont il a besoin, sur la musique française et italienne, Paris, 1754, 18 p. – Lettre de Madame de *** sur l'Orphelin de la Chine, La Haye et Paris, 1755, 24 – Le Misanthrope et les conseils du Ch. de La M. à un jeune littérateur qu'il avait adopté pour fils, ou Etrennes aux journalistes, Amsterdam et Paris, Langlois fils, 1786, 31p.

7. Publications diverses

Voir Cior 18, n° 36469-36495. Y ajouter deux comédies : La Créole, représentée le 12 août 1754 {L'Année littéraire, t. V, p. 65 et suiv.). – L'Amant déguisé, représenté le 26 juin 1758, mentionné par Collé et par le factum 1999 de la B.V. de Grenoble.

8. Bibliographie

CL. ; M.S. – Collé C, Journal et mémoires, éd. H. Bonhomme, Paris, 1868. – Rochas A., Biographie du Dauphiné, Paris, Charavay, 1856. – Uzanne 0., notice biobibliographique en tête des Contes du Chevalier de La Morlière, Angola, Paris, Quantin, 1879. – Monselet C, Les Aveux d'un pamphlétaire, Paris, Lecou, 1854 (rééd. dans Les Oubliés et les dédaignés, Alençon, Poulet-Malassis et de Broise, 1857). – Estrée P. d', «Le Chevalier de La Morlière, documents inédits», Revue hebdomadaire, sept. 1901, p. 393-407. – Henriot E., «Le Chevalier de La Morlière», Mercure de France, t. CLXXIX, 1925, p. 90-102. – Id., Les Livres du second rayon : irréguliers et libertins, Paris, Grasset, 1925. – Trousson R., «Le chevalier (Jacques Rochette) de La Morlière : un aventurier des lettres au XVIIIe siècle», Bulletin de l'Académie royale de langue et de littérature française, Bruxelles, 1990, n° 3-4, p. 218-299.

RAYNAL

Numéro

666

Prénom

Guillaume Thomas

Naissance

1713

Décès

1796

«L'an mil sept cens treize et le quinzième jour du mois d'avril, j'ay baptisé Guillaume Thomas Raynal, fils du Sr Raynal, bourgeois, et de Mlle Catherine de Girels, mariés du lieu de la Panouze, né le douzième du dit mois ; son parrain a été le Sr Pierre Thomas de Girels, avocat au Parlement, fils de M. de Girels, procureur du roy en la justice royale de Saint-Geniez, et sa marraine Marie Raynal» (reg. par. Lapanouse-de-Séverac, Aveyron). Né le 12 avril 1713, R. appartenait par son père à une famille de marchands ; Guillaume Raynal était marchand de biens (A.D. Aveyron, reg. not.

2. Formation

Il fit ses humanités au collège des Jésuites de Rodez (Delattre, t. IV, art. «Rodez»). Le 26 septembre 1729, il entre au noviciat de Toulouse, où il a pour maître le R.P. Cayron ; il achève son noviciat en 1731 et fait ensuite deux années de philosophie à Tournon (professeur, Jean Ducros). Pendant sept ans (1733-1740), il enseigne dans divers établissements ; de 1737 à 1738, il est professeur d'humanités à Béziers, en 1738-1739, professeur de rhétorique à Rodez, puis, de 1739 à 1740, à Saint-Flour. Après avoir fait sa théologie à Clermont-Ferrand (1740-1741) puis au Grand collège de Toulouse, il est ordonné prêtre en 1743. Il quitte la Compagnie en 1744 et se rend à Pézenas, sans doute pour enseigner au collège de la ville (dirigé par les Oratoriens). Vers 1746, il se rend à Paris.

3. Carrière

Ses débuts à Paris sont mal connus. Il fut d'abord desservant de la paroisse Saint-Sulpice, en 1747 selon ses biographes (B.Un. ; F, p. 5), mais dans une lettre à Feydeau de Marville du 17 mai 1746, Voltaire écrit : «L'auteur du nouveau libelle distribué à la porte des Thuileries, intitulé Discours de réception, etc. est composé par un gascon nommé l'abbé Rénal, homme qui fait des nouvelles à la main, qui prêche, qui produit des filles, et envoyé des libellés à plusieurs personnes de la Cour. Cet homme demeure dans un collège, on n'a pas pu savoir encore sa demeure» (Correspondence, éd. Besterman, D3391). Le libellé était en fait d'Antoine Travenol (ibid., p. 984) mais l'enquête très précise de Voltaire montre que dès mai 1746, R. vivait, comme il s'en est vanté, de messes à quinze sous, de sermons à un écu, et de divers expédients (cf. F, p. 6). A la même époque, il est précepteur des enfants de Lamie de Lagarde et secrétaire de l'abbé d'Aoul, conseiller au Parlement de Paris (F, p. 6-7) ; il publie des «nouvelles littéraires» et s'efforce de seconder les vues du ministère des Affaires étrangères ; il publie dans cette intention l'Histoire du Stathoudérat (1747), l'Histoire du parlement d'Angleterre (1748) et une «brochure politique sur les démêlés de la France et de l'Angleterre » qui lui vaudra d'être présenté au ministre Puysieux (La Harpe, cité par F, p. 29). Cette activité débordante et ces relations lui permettent d'obtenir le brevet du Mercure en juillet 1750, et plus tard une pension «en considération de son travail à la rédaction d'ouvrages relatifs à l'administration du département des Affaires étrangères» (brevet délivré le 13 sept. 1761, adressé à R. le 3 août 1779, A.A.E., dossier 59, R.). Ces travaux ainsi que sa collaboration à l'Encyclopédie (1748-1749) lui valent d'entrer en 1750 à l'Académie de Berlin, et peu après à la Royal Society de Londres. II se tourne alors vers l'histoire des révolutions et des guerres, publie les Anecdotes historiques (Ï753). puis l'Ecole militaire (1762) qui répond directement aux préoccupations de Choiseul, secrétaire d'Etat à la Guerre en 1761 ; selon Simon Camboulas, R. aurait été agent secret du ministre (F, p. 92). La carrière de R. change brusquement de face avec la publication de l'Histoire des deux Indes. Imprimé à l'étranger en 1770, l'ouvrage est introduit en France au début de 1772(M.S., 20 mars, cité par F, p. 265-266), fait scandale durant l'été, est supprimé par arrêt du Conseil le 19 décembre ; une seconde édition paraît en 1774 ; l'Histoire est mise à l'index le 29 août 1774- et R - prépare une 3e édition. Ayant reçu le conseil de s'expatrier, il fait un voyage triomphal à Lyon (29 août 1780, F, p. 273), Lausanne, Neuchâtel, Genève, puis à Londres (Mettra, cité par F, p. 280-281). A son retour, il est décrété de prise de corps (25 mai 1781) et son livre est brûlé par la main du bourreau (29 mai). R. est accueilli à Spa par le prince Henri de Prusse chez qui il réside pendant quatre mois (F, p. 307), puis se rend à Bruxelles et à la cour de Saxe-Gotha ; il termine son périple européen à Berlin ; il est reçu à Potsdam par Frédéric II vers le 18 mai 1782 (F, p. 311). Il travaille alors à un «projet d'histoire de la révocation de l'Edit de Nantes» pour lequel il adresse un questionnaire à tous les pasteurs et réfugiés (lettre de Frédéric à d'Alembert, 30 oct. 1782). A la fin de l'année, il passe en Suisse où il réside à Lausanne (F, p. 318) ; il obtient enfin son rappel, peut-être par l'entremise de Suffren (M.S., 5 oct. 1784, cité par F, p. 319). Il est à Saint-Geniès en août 1784, puis s'installe à Toulon chez son ami Malouet (nov. 1784 - juin 1786 ; F, p. 324). En juin 1786, il s'établit à Marseille, rue Puget. Dès août 1790, l'Assemblée annule le décret de 1781 et R. peut revenir à Paris en septembre (F, p. 381). Une «Adresse» de R. est lue à l'Assemblée le 31 mai 1791 ; elle suscite l'indignation des révolutionnaires et le fera soupçonner de trahison (F, p. 381-382 ; H.J. Lùsebrink, « La chute d'un écrivain-philosophe : l'abbé Raynal devant les événements révolutionnaires (1789-1796) », dans L'Ecrivain devant la Révolution1780-1800, P.U. de Grenoble, 1990, p. 89-105). R. se retire à Chaillot en juillet 1791, puis à Athis-Mons et à Montlhéry. Il proteste en janvier 1794 contre la confiscation de son argenterie et de ses papiers. En décembre 1795, il a la consolation d'être élu membre de l'Institut. Il s'installe en février 1796 chez son ami Corsange «rue des batailles, n° 1, à Chaillot» (F, p. 396) ; c'est là qu'il mourra quelques jours plus tard.

4. Situation de fortune

Si R. paraît vivre d'expédients lors de son arrivée à Paris en 1746, il a trouvé rapidement le moyen d'acquérir, par le journalisme, par le cumul des fonctions et par la spéculation, une fortune considérable. Entre novembre 1748 et septembre 1749, il reçoit 1200 £ pour sa collaboration à L’Encyclopédie {Revue de synthèse, 1938, p. 48-53). Titulaire du Mercure, sa pension devait monter à 12 ou 15 000 £ ; à la fin de 1754, il se retire avec une pension de 2000 £ (brevet du 12 oct. ; F, p. 66). Il obtient en 1751 le bénéfice de la commanderie de Cassenodes qui lui rapporte 500 £ par an (F, p. 68-69). On ne sait ce qu'il a retiré de ses missions aux Affaires étrangères, mais la pension de 1000 £ qui lui est accordée par brevet du 13 septembre 1761 lui est encore versée en 1779, malgré l'interdiction de L’Histoire des deux Indes. Ses premiers ouvrages lui ont rapporté des sommes considérables ; il vend à compte d'auteur 6000 exemplaires à un écu de L’Histoire du Stathoudérat, « ce qui lui fit une somme de dix huit mille francs» (La Harpe, cité par F, p. 48). En 1760, il était assez riche pour secourir ses frère et sœurs et se comporter en mécène (F, p. 70-71). Après 1791, ses ennemis ont émis des doutes sur l'origine de sa fortune ; on l'a accusé de proxénétisme, de participation à la traite des noirs (F, p. 95) ; il est plus probable qu'il sut économiser et placer ses capitaux dans des compagnies de commerce (F, p. 96). La suppression de sa pension du Mercure en 1781 ne l'empêche pas de vivre grand train. Il propose en 1784 de fonder un prix annuel de 1200 £ à l'Académie, crée deux prix de 600 et 1200 £ à l'Académie de Lyon (F, p. 343-344), un prix de 1240 £ à l'Académie de Berlin et offre une statue de Guillaume Tell à Lucerne (F, p. 286). La Révolution lui rend la propriété de ses biens avec une indemnité de 24 000 £ (F, p. 356) puis une pension de 2887 £ (brevet du 10 oct. 1792 ; F, p. 357). Sa fortune peut se mesurer aux prêts importants qu'il a consentis : 60 000 £ à un directeur des fermes vers 1765­1770 (F, p. 355), 20 000 £ en 1782 (F, p. 354), 50 000 £ à des parents et amis sous la Révolution (F, p. 357) ; Feugère conclut : «il semble bien que, vers 1792, Raynal avait au moins douze mille livres de rentes» (p. 358).

5. Opinions

R. fut pendant 30 ans au centre de la vie intellectuelle parisienne. Son habileté et sa rudesse, sa franchise et souvent sa générosité lui valurent des amis fidèles ; il a été lié surtout aux «philosophes» ; à Fontenelle, à Diderot, à Voltaire, à Rousseau, à Helvétius et à d'Holbach, à Suard et à Marmontel, à Grimm, à Prévost. Il a fréquenté les hôtels de Mme Geoffrin, chez qui il était comme le « grand maître des cérémonies» (Garât, cité par F, p. 75), les salons de Mme de Lespinasse et de Mme Necker. Il a lui-même tenu salon vers 1775-1780 (M.S., t. XVII, p. 198-199). Il fait alors figure de maître et protège ses confrères moins fortunés ; il emploie à la préparation de L’Histoire des deux Indes Thomas, Saint-Lambert, Suard, Guibert, Naigeon, Pechméja, Deleyre, Diderot, à qui il aurait versé, selon Mallet Du Pan, 10 000 £ (F, p. 188). Il se montre en même temps habile à ménager les autorités : de 1750à 1774, il semble qu'il soit resté en relations avec le ministère des Affaires étrangères, et L’Histoire des deux Indes apparaît à bien des égards comme l'illustration de la politique officielle (Duchet, p. 129-131) même si Diderot en a accentué les vues les plus «expérimentales» ou révolutionnaires. La condamnation et le succès immense de l'ouvrage ont fait de R. une figure mythique de « républicain » et de libérateur. De par ses origines et ses goûts, il était proche de la grande bourgeoisie d'affaires et de l'aristocratie ; il a très vite montré son opposition à ce qui était pour lui l'anarchie révolutionnaire ; son «adresse» de mai 1791 à l'Assemblée fit l'effet d'un reniement. Fidèle à lui-même, il préparait en 1796 une nouvelle édition de L’Histoire des deux Indes (B.N., f.fr. 6429, questionnaire préparé par R. et liste de correspondants). Sa correspondance a fait l'objet d'un premier inventaire par Feugère (Bibliographie critique de l'abbé Raynal, p. 58-65) ; voir également la correspondance de Voltaire et celle de Diderot.

6. Activités journalistiques

R. est choisi dès 1747 par la duchesse Louise Dorothée de Saxe-Gotha comme correspondant littéraire à Paris. Il lui envoie sa première lettre le 29 juillet 1747 (notice de Tourneux en tête de la CL. ; F, p. 10 ; Lizé, p. 157). Il rédige régulièrement sa «feuille manuscrite» jusqu'au 27 décembre 1751. Les lettres qui suivent, pour 1751-1753, ont été récemment retrouvées et édités par E. Lizé et E. Wahl (Inédits de correspondances littéraires). R. la reprend le 1er avril 1754 et poursuit jusqu'au 18 février 1755. A cette date, Grimm rédigeait déjà depuis près de deux ans son propre bulletin ; les «nouvelles littéraires» de R., jointes au manuscrit de Gotha de la correspondance de Grimm, ont été éditées par M. Tourneux en 1877-1882 sous le titre de Correspondance littéraire, philosophique et critique par Grimm, Diderot, Raynal, Meister, etc. ; la correspondance de R. occupe le t. I et une partie du t. IL Cette correspondance n'a été connue au XVIIIe siècle que sous sa forme manuscrite. Tonloo écrit à P. Marchand le 3 janvier 1749 : «M. l'abbé Raynal compose aussi une feuille manuscrite qui contient les nouvelles littéraires, anecdotes savantes, etc. de Paris qu'il envoie dans les pays étrangers. Ne pourriez-vous pas, mon cher ami, lui en trouver du débit, par exemple auprès de M. de Blier ou bien M. le comte de Bentinck, ou ailleurs ? Il vend sa feuille deux cents livres» (March. 2, n° 6). La feuille est aussi distribuée en province : ainsi à M. de Montcamp à Aies (lettre de Cabanis à Seigneux, 4 oct. 1750, B.P.U., fonds Seigneux 6, n° 62).

Mercure de France : R. aurait obtenu le privilège du Mercure grâce à l'appui de M. de Puysieux (F, p. 66). Il le dirige du1er juillet 1750 au 1er janvier 1755 («Mémoire historique sur le Mercure de France», mai 1760, p. 130). Il succédait à Fuzelier et La Bruère qui avaient confié la rédaction du journal à Rémond de Sainte-Albine ; R. s'occupera personnellement du choix des textes publiés mais, semble-t-il, sans participer à la rédaction : à partir du 1er juillet 1750, les manuscrits sont à adresser «pour M. l'abbé Raynal». R. a-t-il vraiment obtenu un privilège en forme ? Au moment de quitter la direction du journal, à la fin de 1754, il écrit : «Les infirmités de feu M. Fuzelier et l'absence de feu M. de La Bruère ont fait que j'ai été chargé seul, durant quatre ans et demi, du Mercure. Cet ouvrage périodique passe par brevet à M. de Boissy, dont l'esprit et le goût sont généralement connus» (déc. 1754, p. 215). Il semble donc que le privilège soit resté entre les mains de La Bruère (voir « Le Clerc de La Bruère»).

Avant d'obtenir son privilège, R. avait pensé créer son propre journal : « il aurait envie de faire imprimer en Hollande un journal littéraire et il s'associerait trois ou quatre des meilleures plumes de Paris» (Tonloo à Marchand, lettre citée). Ce projet n'a pas eu de suite.

8. Bibliographie

Voir Cior 18, n° 52316-52377, et surtout Feugère, Bibliographie critique de l'abbé Raynal. B.Un. – B.U. Leyde, fonds Marchand, March. 2. – Le Breton T., «Notice sur la vie et les ouvrages de G.T. Raynal», Mémoires de l'Académie des sciences morales et politiques, t. I, 1798. – Jay A., Précis historique sur la vie et les ouvrages de l'abbé Raynal, Paris, 1821. – (F) Feugère A., Un précurseur de la Révolution, l'abbéRaynal (1713-1796), documents inédits, Angoulême. Impr. ouvrière, 1922. – Id., Bibliographie critique de l'abbé Raynal, Angoulême, Impr. ouvrière, 1922. – Delattre P., Les Etablissements des Jésuites en France, Enghien, 1940-1957. – Duchet M.. Anthropologie et histoire au siècle des Lumières, Maspero, 1972. – Lüsebrink, H.J., «Stratégie d'intervention, identité sociale et présentation de soi d'un <défenseur de l'humanité) : la carrière de l'abbé Raynal», dans Rhétorique du discours, objet d'histoire (XVIIIe-XXe siècles), éd. J. Guilhaumou, P.U. Lille, 1981, p. 28-64. – Lizé E., «Nouvelles littéraires inédites de l'abbé Raynal (22 janvier 1763) », dans Du Baroque aux Lumières, Limoges, Rougerie, 1986. – Goggi G., «Le voyage de Raynal en Angleterre et en Hollande », dans Recherches sur Diderot, n° 3, 1987, p. 86-117. – Lectures de Raynal : l'«Histoire des deux Indes» en Europe et en Amérique au XVIIIe siècle, Actes du colloque de Wolfenbùttel, éd. H.J. Lùsebrink et M. Tietz, S.V.E.C. 286, 1991. – Inédits de correspondances littéraires, G.T. Raynal (1751-1753) ; N. Chompré (1774-1780), éd. E. Lizé et E. Wahl, Genève, Slatkine, 1988. – Lùsebrink H.J. et Strugnell A., L'Histoire des deux Indes : réécriture et polygraphie, S.V.E.C. 333. I995.

PRÉVOST

Auteurs

Numéro

659

Prénom

Antoine François

Naissance

1697

Décès

1763

Antoine François Prévost est né à Hesdin le 1er avril 1697 (reg. par., mairie d'Hesdin), de Liévin Prévost (1666-1739), avocat au parlement, conseiller du roi et son procureur au bailliage d'Hesdin, et de Marie Duclay (1669-1711). Son parrain était Antoine Prévost, doyen d'Hesdin (1662-1741).

2. Formation

Sa première formation lui vient des Jésuites à qui il semble avoir été promis dès l'école primaire (S1, p. 40) ; il fait ses humanités au collège d'Hesdin, puis après un bref séjour à l'armée, entre au noviciat de La Flèche le 11 mars 1717 (Deloffre, p. XIX) ; il le quitte à la fin de 1718 pour « reprendre le métier des armes» (P.C., t. IV, p. 38) ; d'après Gastelier, il aurait cédé aux offres d'un recruteur et déserté peu de temps après (J.E. Gastelier, Lettres sur les affaires du temps, éd. H. Duranton, Paris, Genève, Champion-Slatkine, 1993, p. 105). Il se rend en Hollande (Dupuis, p. VIII ; Gastelier, p. 105), puis revient en France où «la malheureuse fin d'un engagement trop tendre» (P.C., t. IV, p. 38) et sans doute des difficultés avec la justice l'obligent à entrer chez les Bénédictins de Jumièges. Sa seconde formation est bénédictine : il prononce ses vœux le 9 novembre 1721 (Deloffre, p. XXV), le regrette dès 1722 (P.C., t. IV, p. 38), travaille successivement dans les abbayes de Rouen, du Bec, de Fécamp, de Sées, des Blancs-Manteaux et de Saint-Germain-des-Prés où il est employé à la Gallia Christiana. Un différend avec le supérieur, Dom Thibault, le décide à prendre la fuite le 18 octobre 1728 (voir lettre à Dom Thibault, Deloffre, p. 267-269).

3. Carrière

Dès 1723, il est en relation avec les libraires hollandais pour imprimer un petit écrit satirique sur la Régence, Les Aventures de Pomponius (A.A.E., CD., Hollande, ms. 350351) ; vers 1724, il fait passer un manuscrit de Dom Le Cerf de La Viéville à Gosse et Néaulme (Si, p. 59). En 1728, il fréquente l'ambassade de Hollande à Paris, et c'est grâce au chapelain de l'ambassade, le pasteur Dumont, qu'il passe en Angleterre en qualité de «prosélyte» (CE. Engel, p. 38-39). Il arrive en Angleterre en novembre 1728, se convertit à l'anglicanisme, probablement dès le début de 1729 (S. Larkin, «The abbé Prévost, a convert to the Church of England», S. V.E.C. 249, p. 205 et suiv.). Il devient précepteur de Francis Eyles, fils d'un sous-gouverneur de la South Sea Company ; il visite avec lui le sud de l'Angleterre. Ayant séduit et tenté d'épouser la fille de J. Eyles, il est obligé de quitter Londres à la fin de 1730 (Deloffre, p. L et suiv.) ; il se rend à Amsterdam où il entreprend la version française de Cleveland et achève les Mémoires d'un homme de qualité dont le t. VII, Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut, est publié en avril 1731. A La Haye où il s'installe en mars, il mène la traduction de l'Histoire de M. de Thou. Ruiné par une aventurière de La Haye, Lenki Eckhardt, il fait faillite au début de 1733 (Guilhou). Il regagne l'Angleterre où, malgré la mise en chantier du P.C., il ne parvient pas à rétablir ses affaires ; il produit un faux chèque qui le mène en prison en décembre !733 (M. Robertson, éd. du t. V des Mémoires et aventures, Paris, Champion, 1927, p. 13 et suiv.). Il rentre en France au début de 1734, se réconcilie avec l'Eglise et obtient de passer, en juin 1734, dans l'Ordre large de Cluny (S3) ; son refus d'écrire l'histoire de la Constitution Unigenitus lui crée des difficultés avec les Bénédictins et les Jésuites (Si, p. 318 et suiv.) ; il doit faire pénitence à La-Croix-Saint-Leufroy d'août à décembre 1735. En janvier 1736, il trouve appui auprès du prince de Conti qui le prend comme aumônier. Mêlé à une affaire de gazette clandestine, il doit s'exiler une dernière fois à Bruxelles puis à Francfort en 1741 (Si, p. 479481) ; rentré à Hesdin, puis à Paris en septembre 1742 (S1, p. 481), il se consacre à ses activités de romancier, d'éditeur et de traducteur ; il se retire à Passy en 1746, puis dans le quartier du Temple, rue Meslé ; il passe les dernières années de sa vie à Saint-Firmin, près de Chantilly (Si, p. 560-562).

4. Situation de fortune

P., qui a toujours mené grand train, a tiré d'importants revenus de ses activités littéraires, son seul moyen d'existence si l'on excepte le petit bénéfice du prieuré de Gennes, obtenu en 1754 grâce à Benoît XIV (Harrisse, p. 382-384 ; S1, p. 562). Dès 1724, il entreprend la traduction de l'Histoire de M. de Thou (S1, p. 59) et négocie des manuscrits ; à partir de 1731, il exploite le succès des Mémoires et aventures et défend âprement ses droits de romancier ; lors de l'édition dest. I-IV de Cleveland, il oppose à Etienne Néaulme, d'Utrecht, François Didot qui lui propose «vingt-cinq livres de France pour chaque feuille [d'imprimerie]» (P. à E. Néaulme, 19 oct. 1732, Extraits de plusieurs lettres de l'Auteur des Mémoires d'un homme de qualité, Utrecht, 1732, éd. M.R. de Labriolle, French studies, t. IX, 1955) ; en 1736, il vend le manuscrit des trois derniers tomes à Prault pour plus de 1000 £, c'est à-dire à un tarif comparable (Lettres du commissaire Dubuisson au marquis de Caumont, Rouxel, Paris, s.d., p. 209). Ambroise-Firmin Didot écrit : «La feuille d'impression lui était payée un louis, somme considérable alors» (art. «Typographie», l'Encyclopédie moderne, t. XXVI) ; Gastelier, qui paraît bien renseigné, parle de 25 £ par feuille pour le P.C., soit 1300 £ par an (Lettres sur les affaires du temps, p. 106). Les exigences de P. révoltent La Varenne (Le Glaneur historique, t. III, 19 janv. 1733) ou La Barre de Beaumarchais (Lettres sérieuses et badines, t. VIII, 1740, p. 253-254). En fait, P. joint à son métier d'auteur, ceux de correcteur, de conseiller d'édition et de courtier en manuscrits. Il arrange volontiers des manuscrits pour Didot (S1, p. 402) et pour Paupie (Si, P- 357)- Son rôle de maître d'oeuvre à la tête du P.C., du Journal étranger ou de l'Histoire des voyages se révélera irremplaçable : Didot lui fit abandonner le Journal étranger pour reprendre l'Histoire des voyages en 175 5 « en lui donnant dix mille francs» (Galerie française, Paris, Hérissant, 1771, p. 9). Dans la mesure où il souhaitait s'assurer des revenus réguliers, P. a surtout travaillé à des publications périodiques ou échelonnées (romans à suites, cycles de traductions, Histoire des voyages) et perçu une partie de ses droits au moment de la signature du contrat, d'où des procès avec ses éditeurs, E. Néaulme en 1732, ou Didot en 1741 (B.N., f.fr. 21814, f° 360). Ses dettes ont toujours été considérables : 900 florins, auxquels il faut ajouter 1700 florins d'avances de Gosse et Néaulme, en janvier 1733 (Deloffre, p. LXVI), 50 louis demandés à Voltaire le 15 janvier 1740 (D2143), 5000 £ en novembre 1740 (D2367 ; Harrisse, p. 307). De 1733 à 1742, il a souvent été menacé de prison pour dettes (S1, p. 402-403) ; s'il refuse l'offre de Frédéric II de l'employer comme libraire, c'est faute de pouvoir payer son voyage (Harrisse, p. 306-307). Quoique sa situation se soit stabilisée à partir de 1746, grâce à l'édition de l'Histoire des voyages et aux traductions de Richardson, il connaît, jusqu'à ses derniers jours, des difficultés d'argent (S1, p. 561-562).

5. Opinions

P. répugne au dogmatisme et n'est d'aucun parti. Pour des raisons d'opportunité, il s'est d'abord montré hostile à la Constitution Unigenitus et a été suspect de jansénisme ; mais en 1734, il s'appuie sur les constitutionnaires, en particulier sur le cardinal de Bissy. Très influencé par les jésuites, il lui arrive pourtant de se moquer, dans Cleveland, de la morale relâchée, quitte à se racheter dans le Doyen de Killerine en 1735. Après 1735, il se montre favorable aux Lumières ; il est lié à Voltaire, à Thiériot, à Mme Doublet, à La Chalotais ; il défend la franc-maçonnerie (S1, p. 354-355) ; en 1740, il est tenté par les offres de Frédéric II Après son exil de 1741, il prend ses distances ; vers 1750, à Passy, il fréquente Jean Jacques Rousseau et ses amis, Mussard, Procope, N.A. Boulanger, Lenieps (S1, p. 351-354). Quand il quitte le Journal étranger en 1755 pour le confier à Fréron, il se brouille avec Grimm et les encyclopédistes. Souvent très proche de Voltaire, il a été amené, du fait de son état ecclésiastique et d'une situation économique précaire, à des compromis ambigus (cf. J. Sgard, «Prévost et Voltaire», R.H.L.F., oct.déc. 1964, p. 545-564).

6. Activités journalistiques

(P.C.) Le Pour et contre, ouvrage périodique d'un goût nouveau. Dans lequel on s'explique librement sur tout ce qui peut intéresser la curiosité du public, en matière de sciences, d'arts, de livres, d'auteurs, etc., sans prendre aucun parti et sans offenser personne. Par l'auteur des Mémoires d'un homme de qualité, Paris, Didot, 1733-1740, 20 vol. in-12 (D.P.1 1138). P. est l'auteur ou le traducteur de la quasi-totalité des articles, sauf lors de deux interruptions : l'une, de novembre 1733à mars 1734, concerne le t. II à partir de la p. 83 (n° 19) et le t. III jusqu'à la p. 168 (n° 32) ; P. a lui-même précisé l'étendue de l'interruption (P.C., t. V, p. 24 ; cf. S2, p. 23) ; l'autre interruption, de juin 1739 à juin 1740, concerne les t. XVI, 1 et XVI, 11 (P.C., t. XX, p. 335). Didot a confié la rédaction des nombres 19-32 à divers journalistes (Desfontaines, Granet, Saint-Hyacinthe) qui ont largement utilisé les Lettres sérieuses et badines. Lefebvre de Saint-Marc a rédigé les t. XVII-XVIII. Au retour de P. en France, en 1734, une édition anglaise du P.C. a paru sous le titre : Le Critique français, «ouvrage périodique d'un goût nouveau» (cf. Bibliothèque raisonnée, t. XII, p. 232) ; aucun exemplaire de ce journal, qui semble n'avoir eu qu'un numéro, n'a été retrouvé. Gastelier affirme avoir possédé les manuscrits retranchés du P.C. par le censeur, et qui auraient dû passer dans l'édition anglaise (op. cit., p. 104).

Le Journal étranger, ouvrage périodique, Paris, Durand, 1754-1762 (D.P.1 732) : P. succède à Grimm et à Toussaint à la tête du journal en janvier 1755 ; en avril paraît une liste des souscripteurs du journal, riche de 980 noms, et au total de 1521 souscriptions qui attestent du succès du journal (voir }. Sgard, «Les souscripteurs du Journal étranger», dans La Diffusion et la lecture des journaux de langue française sous l'Ancien Régime, Amsterdam, Maarssen, APA-Holland U.P., 1988, p. 89 et suiv.). Il prend congé de ses lecteurs en août et présente son successeur Fréron, qui fait de lui un éloge enthousiaste dans l'avertissement de septembre 1755. Le rôle de P. à la tête du journal est moins de le rédiger que de le diriger : il fait venir les livres, établit des correspondants, choisit les spécialistes (Fréron, Journal étranger, sept. 1755, p. 18) ; lui-même se définit comme un «administrateur» et un « financier du Parnasse » (août 175 5, p. 1-2). Avec Fréron et Goudeau, il semble d'ailleurs avoir de gros intérêts dans la publication (B.N., f.fr. 159, f° 124).

P. a collaboré en novembre-décembre 1740, à une gazette à la main (cf. F. Weil, «L'abbé Prévost et le <gazetin> de 1740», Studifrancesi, 1962, n° 18, p. 474-486 ; E. Showalter, «L'abbé Prévost et le <Gazetin> de 1740 : nouveaux documents», ibid., 1970, n° 14, p. 257-260). Il a correspondu avec le Journal littéraire de La Haye, avec le Mercure ; P. Bernard le donne comme auteur possible de la Revue des feuilles de M. Fréron en 1756 et comme collaborateur du Journal encyclopédique (Prévost, Œuvres choisies, Paris, Leblanc, 1810, «Essai sur les ouvrages de l'abbé Prévost», t. I, p. 87-88), à la suite de confusions avec Le Prévost d'Exmes dans le premier cas, et Prévost de La Caussade dans le second.

7. Publications diverses

Voir S1, p. 607-615.

8. Bibliographie

Dupuis A.N., «Abrégé de la vie de M. l'abbé Prevot» en tête des Pensées de M. l'abbé Prevot, Amsterdam, 1764. – Harrisse H., L'Abbé Prévost, histoire de sa vie et de ses œuvres d'après des documents nouveaux, Paris, Calmann-Lévy, 1896. – Guilhou E., L'Abbé Prévost en Hollande, avec des documents nouveaux, La Haye, J.B. Wolters, 1993. – Engel CE., Le Véritable Abbé Prévost, Monaco, éd. du Rocher, 1958. – Deloffre F., introd. à l'éd. de Manon Lescaut, Paris, Garnier (1965) 1990. – (S1) Sgard J., Prévost romancier, Paris, Corti, 1968. – (S2) Id., Le «Pour et Contre» de Prévost d'Exilés, introduction, tables et index, Paris, Nizet, 1969. – (S3) «L'Apostasie et la réhabilitation de Prévost», dans L'Abbé Prévost, Actes du colloque d'Aix-en-Provence, Ophrys, 1965.– (S4) Id., Vingt Etudes sur Prévost d'Exilés, Grenoble, ELLUG, 1995. – Monty J.R., Les Romans de l'Abbé Prévost, S.V.E.C. 78, 1970. – Tremewan P., Prévost : an analytic bibliography of criticism to 1981, Londres, Grant & Cutler's, 1984 ; suppléments dans les Cahiers Prévost d'Exilés, n° 5 et 9. – Leborgne E., Bibliographie des écrivains français : Prévost d'Exilés, Paris, Memini, 1996.

En ce qui concerne le P.C., nous renvoyons à : Tremewan, p. 99-103 et à Leborgne, p. 176-183. – LabrioIIe M.R. de, Le Pour et contre et son temps, S.V.E.C 34-35, 1965. – Goruppi T., «La Bibliothèque belgique contro Le Philosophe anglais » : storia di una polemica sulla religione dell'abbé Prévost, Milano, Societa Ed. Dante Alighieri, 1976. – Weil F., «La bibliographie matérielle, pour quoi faire ? L'exemple du Pour et contre», dans Etudes et recherches sur le XVIIIe siècle, Aixen-Provence, U. de Provence, 1980, p. 209-220. – Charles S., Récit et réflexion : poétique de l'hétérogène dans Le Pour et contre de Prévost, S.V.E.C. 298, 1992. – Larkin S., éd. dest. I-V du Pour et contre, S.V.E.C. 309-310, 1993.

9. Additif

État civil : Une récente biographie de Prévost (Vie de Prévost. 1697-1763, par J. Sgard, Presses de l’Université Laval, 2006) permet de compléter divers épisodes de son existence : son milieu familial, son séjour à Jumièges (témoignage de Dom Boudier), ses liens avec la famille Eyles en Angleterre, les péripéties de son retour en France et ses rapports avec le prince de Conti , sa réputation douteuse dans les années 1740 (témoignage de Mme de Graffigny), sa vieillesse à Chantilly (dernières poésies), sa carrière de professionnel des lettres (rapports avec Didot). L’édition critique des Contes singuliers tirés du Pour et Contre, par J.S. (Classiques Garnier, 2010) apporte quelques précisions sur les difficultés du retour en France de Prévost en 1734.

Bibliographie : Sgard J., Vie de Prévost. 1697-1763, Presses de l’Université Laval, 2006 (J.S.).

POURROY DE QUINSONAS

Numéro

657

Prénom

François de

Naissance

1719

Décès

1759?

François Zacharie Pourroy de l'Auberivière de Quinsonas est né à Grenoble le 5 novembre 1719 (Rochas, t. II, p. 293). Il était fils de Claude Joseph de Quinsonas et de Marie Anne de Saint Germain Mérieu. Il eut pour frères : Marc Joseph Pourroy de Quinsonas, président au Parlement de Grenoble puis de Besançon (1700-175 7) ; Pierre Emmanuel, chevalier de Malte (1702-1766) ; François Louis, évêque de Québec (1711-1740) ; sa sœur, Françoise, fut mariée à J.P. de Bailly, premier président au Parlement de Grenoble. François Zacharie mourut en 1759 (La Harpe, p. 185, n. 1).

2. Formation

On trouve dans le livre de la marquise de Quinsonas, Le Château de Mérieu, des renseignements originaux sur la carrière maltaise de P. (chap. VIII). Ces renseignements sont tirés des archives du château de Mérieu, et notamment de la correspondance du bailli de Tencin, cousin-germain du cardinal, et de Pierre Emmanuel Pourroy de L'Auberivière, commandeur de Jalès, frère aîné de P. Né en 1719, P. reçut dès le 16 février 1722 un bref de minorité dans l'Ordre de Malte. Il s'y rendit en 1739. Une lettre de Tencin à Jalès, du 29 août 1739, donne un portrait peu flatteur du jeune chevalier : «j'en suis on ne peut plus mécontent. II a été si mal élevé, vous l'avez ensuite si fort gâté, et on lui a laissé entre les mains des livres où il a puisé de si mauvais principes à tous égards, que j'en désespérerais s'il n'était pas bien jeune encore. Il a un système en fait de Religion et de mœurs qu'il met en usage à la vue de tout le monde, et qui ne lui mérite pas le suffrage du Public. Il est en outre cela, extrêmement particulier, et comme il s'éloigne des autres, les autres s'éloignent aussi de lui» (p. 86). Dès juillet 1740, P. ne veut plus entendre de «continuer le service» et veut vivre à Paris (p. 90) ; faute d'argent, il reste cependant à Malte « pour jouir d'une liberté libertine» (lettre de Tencin, 31 oct. 1740), et s'y répand en «extravagances continuelles» (16 sept. 1741, p. 91). En 1743, il est toujours à Malte, en qualité d'«Enseigne des vaisseaux d'Espagne» (11 oct. 1743, p. 94). On perd sa trace dans les années qui suivent, mais en 1750, il est en résidence forcée à Besançon, où «il a surpassé de beaucoup la réputation qu'on lui avait faite dans ce pays-ci» (lettre de Tencin, 20 oct. 1750).

3. Carrière

Le 8 juin 1750, il fait scandale à Gottolengo, près de Venise, en essayant de forcer la porte de Lady Montagu, qui écrit : «C'est un fou et un imposteur ; il est venu ici vêtu d'abbé [sic] sans se nommer [...]. Il a tiré un pistolet contre mes gens [...]. J'ai entendu dire que cet extravagant s'est donné pour mon parent» (lettre à Contarini, 10 juin 1750, The Complète letters of Lady Mary Wortley Montagu, éd. R. Halsband, Oxford, 1965-1967, t. II, p. 456). Walpole évoque cette histoire obscure («an obscure history») le 31 août 1751 (Letters [...] to Sir. H. Mann, dans The Yale Edition of Horace Walpole's Correspondence, éd. W. S. Lewis, London, i960, t. XX, p. 272). P. n'est pas cité dans ces lettres, mais Halsband a retrouvé son nom dans les archives vénitiennes. Voltaire, parlant du chevalier en 1751 ou 1752, précise : «C'est celui qui sondait la nature de Lady Montagu» (D4648). En octobre 1750, P. est de retour à Paris et demeure à côté du café de la Régence (Ars., ms. 10302). En 1752, il essaie de faire intervenir Frédéric de Prusse pour « le recommander au Grand Maître » (Politische Korrespondenz Friedrichs des Grossen, t. IX, lettre à Keith, ambassadeur à Paris, 11 juil. 1752 ; A.A.E., Mémoires et documents, Prusse, vol. 170). Il a passé à Rome les dernières années de sa vie. C'est là qu'il meurt, le 23 février 1759, dans la paroisse de Saint-Laurent in Lucina. Ses meubles sont vendus pour 731 £ et ses livres pour 523 £ 4 sols ; son portrait est renvoyé à la famille par son ami le commandeur de Pingon, qui informe le commandeur de Jalès des ultimes désordres du chevalier : il aurait laissé 40 000 £ de dettes (25 févr. 1760, p. 108).

6. Activités journalistiques

Auteur du Spectateur littéraire, Gissey, I746(D.P.1 1223) : la permission ayant été refusée, P. publie un Mémoire « pour

M. le chevalier de Quinsonas, pour obtenir la permission tacite d'imprimer des feuilles littéraires dont il donne un essai» (B.N., f.fr. 22133, f° Ï71)- Cependant, «le sieur Gissey en assemble les feuilles au vu et su de tout le monde dans sa boutique rue Saint-Jacques» puis les vend «publiquement» (ibid., f° 72). P. fut sans doute aidé par Favier, avec qui il était en relations (n.a.fr. 10782). Dès le 1er juin 1746, Voltaire écrit à Vauvenargues : « le chevalier de Quinsonas a abandonné son Spectateur» (D3408).

7. Publications diverses

7. Au Roy de Prusse, ode, s.l.n.d. – La Capilotade, poème «ou tout ce qu'on voudra [...] par Momus», à Fontenoy, 1745. – Pièces nouvelles sur les premiers succès de la campagne, Paris, Jorry, 1745. – Lettre sur l'apothéose de Voltaire en Prusse, Berlin, L. Verus, 1758, in-12 (Ars., ms. 10302) : ms. présenté en 1750, édité en 1758.

8. Bibliographie

8. D.L.F. ; Cior 18. – Rochas A., Bibliographie du Dauphiné, Paris, Charavay, 1856. – La Harpe J. de, Jean-Pierre de Crousaz et le conflit des idées au siècle des Lumières, Genève, Droz, Lille, Giard, 1955, chap. IV (d'après les archives du château de Mérieu). Les archives du château de Mérieu, qui avaient été consultées par J. de La Harpe, ne sont pas accessibles actuellement ; le château du Touvet, demeure ancestrale des Quinsonas et propriété du dernier marquis de Quinsonas, ne contient pas d'archives familiales ; nos citations sont toutes empruntées à l'ouvrage suivant : Mme de Quinsonas, Le Château de Mérieu et les familles de ceux qui l'ont habité, Grenoble, Impr. Saint-Bruno, 1911.

PATOUILLET

Auteurs

Numéro

624

Prénom

Louis

Naissance

1699

Décès

1779

«Louis, fils de Nicolas Patouillet, praticien en cette ville, et de damoiselle Dupérier [?], les père et mère, a été baptisé le 31 mars 1699 ; il a eu pour parrain et marraine M. Louis Charpin, fils de M. Charpin, maire héréditaire de Saint-Jean de Cosne et damoiselle Margueritte Rousseau, fille de M. Rousseau, consr. au baillage de Beaune [...] est tenu sur les fonts baptismaux par Catherine Balbâtre, qui déclare ne pouvoir signer» (A.D. Côte d'Or, reg. par. Saint-Michel de Dijon).

2. Formation

P. entre dans la Compagnie de Jésus le 28 août 1715 (Sommervogel). Après avoir fait profession, il enseigne la philosophie à Laon (N.B.G.), prêche en plusieurs villes et notamment à Nancy en présence de Stanislas (Sommervogel). Il publie en 1725 des Poésies diverses sur le mariage du Roi (à Strasbourg, chez la Vve Storck).

3. Carrière

Il est ensuite appelé à la maison professe de la rue Saint-Antoine où il est employé dans la polémique contre les jansénistes. Il se fait connaître en 1731 par l'Apologie de Cartouche ou le scélérat sans reproche par la grâce du P. Quesnel. Il travaille à l'histoire du pélagianisme, puis, avec le P. Colonia au Dictionnaire des livres jansénistes ou qui favorisent le jansénisme, réédition de la Bibliothèque des livres jansénistes du P. Colonia, censurée à Rome le 20 sept. 1749 ; le Dictionnaire, publié à Anvers, chez Verdussen en 1752, en 4 vol. (t. II-IV sont de P. selon Feller-Weiss, art. «Colonia»), est condamné à Rome le 11 mars 1754 (Sommervogel). En 1756 et dans les années qui suivent, P. est mêlé aux polémiques qui opposent les Jésuites et l'archevêque de Paris au Parlement, notamment à propos de la signature du formulaire. Il rédige l'Instruction pastorale de Mgr de Beaumont, du 19 septembre 1756 (Sommervogel). Selon Barbier, il préparait un second mandement contre la déclaration du roi du 10 décembre, relative à la Constitution Unigenitus, lorsqu'il est exilé à Amiens par lettre de cachet (Chronique de la Régence, janv. 1757, éd. Charpentier, 1857, t. VI, p. 441) ; ses papiers lui sont volés pendant sa fuite et sont livrés au procureur général (ibid.). Il se réfugie d'abord à Amiens, chez Mgr de La Motte, fidèle partisan de l'archevêque de Paris, puis à Uzès, chez Mgr Bauyn (Sommervogel) et à Auch, chez Mgr de Montillet. Cependant que les Réflexions d'un docteur en théologie de l'Université sur la déclaration du Roi du 10 décembre 1756 sont brûlées par arrêt du Châtelet (9 nov. 1758), il rédige pour Mgr de Montillet l'Instruction pastorale du 23 janvier 1764, qui suscite la colère du Parlement de Bordeaux, et celle de Voltaire. Il se retire à Avignon où il meurt en 1779 (Sommervogel).

5. Opinions

Outre ses polémiques avec les jansénistes, P. s'est illustré par ses attaques contre le Parlement et les philosophes. L'Instruction pastorale de J.F. de Montillet attaquait en particulier Voltaire, qualifié d'auteur «mercenaire», d'«athée» et de «vagabond». Pendant dix ans, Voltaire ne cessera pas de s'acharner contre P. Dans une Lettre pastorale à M. l'archevêque d'Auch (1766, Œuvres, éd. Moland, t. XXVI, p. 469-470), il demande à J.F. de Montillet de désavouer P. et lui rappelle qu'il a sauvé de la ruine son neveu, établi à Ornex, près de Ferney. Il évoque de nouveau cet épisode dans les Honnêtetés littéraires (1767, Œuvres, t. XXVI, p. 155-156), dans la Réponse de M. de Voltaire à la «lettre anonyme» du 1er février 1769 (Œuvres, t. XXVII, p. 408), dans les Questions sur l'Encyclopédie (art. «Privilèges» et «Quisquis»), et dans l'Epilogue de La Guerre civile de Genève (Œuvres, t. IX, p. 553). Cette querelle est rapportée par C. Barthélémy dans Erreurs et mensonges historiques, 14e série, Paris, Blériot, 1881, p. 61-72.

6. Activités journalistiques

P. est le principal rédacteur du Supplément des Nouvelles ecclésiastiques, lancé par les Jésuites le 25 janvier 1734 afin de « suppléer la vérité » qui manque aux Nouvelles ecclésiastiques (avertissement, voir D.P.1 1244). Le journal paraît de 1734 à 1748 et comporte seize tomes annuels, groupés en 4 vol. in-4°. L'anonymat gardé pour tous les articles ne permet pas de distinguer la contribution personnelle de P., mais le ton général du journal est assurément le sien ; on comparera en particulier avec le ton des attaques contre Fontaine de La Roche dans l'Instruction pastorale de J.F. de Montillet. P. a publié en outre dans les Mémoires de Trévoux une critique de L'Art de vérifier les datesde M.F. d'Antine, Durand et Clémencet (1750, p. 2656-2664 ; 1751, p. 2833-2835).

Lettres édifiantes et curieuses (D.P.1 814), t. XXVII (1749), XXVIII (1758), XXXI (1774). XXXIII (1776), XXXIV (1776) ; on trouve un éloge de P. par le R.P. Querbœuf dans l'éd. de 1781 des Lettres édifiantes et curieuses, t. VI.

7. Publications diverses

Parmi les œuvres de P., dont on trouvera la liste dans Sommervogel, t. VI, col. 351-357, on citera : Apologie de Cartouche, «A Cracovie, chez Jean le Sincère», 1731 ; rééd. en 1732, 1733, 1751. trad. allemande et italienne. – La Vie de Pelage, s.l., 1751 ; repris dans l'Histoire du pélagianisme, Avignon, 1763, 2 vol. – Dictionnaire des livres jansénistes ou qui favorisent le jansénisme, Anvers, Verdussen, 1752, t. II-IV.

8. Bibliographie

Feller-Weiss ; B.Un. ; N.B.G. ; Sommervogel ; H.P.L.P. – Voltaire, Œuvres, éd. Moland, t. XXVI et XXVIII.

PACIUS DE LA MOTTE

Auteurs

Numéro

610

Prénom

Charles

Naissance

?

Décès

1751

Ses lettres, réunies à Londres (B.L., add. mss. 4286-4287), à Paris (B.H.P., ms. 295) et à Lausanne (B.V., fonds Crousaz), mentionnent souvent son adresse : «Groot Leydse Dwarsstraat», près de Spiegelstraat à Amsterdam, ce qui permet de l'identifier parmi ses nombreux homonymes : le 26 juillet 1751 est inhumé dans l'église wallonne Charles Pacius de La Motte, résidant à cette adresse (A.M. d'Amsterdam, renseignement communiqué par I.H. van Eeghen).

2. Formation

Certainement très cultivé dans le domaine de l'histoire, de la politique et de la théologie protestante. Avant de se rendre aux Pays-Bas, il aurait fait un séjour à Genève, en compagnie d'Antoine Teissier (L2 p. 148).

3. Carrière

Sa correspondance se situe entre 1703 et 1745 ; ses lettres sont adressées d'Amsterdam. Il interrompt partiellement ses activités de 1734 à 1736 pour cause de maladie et de fatigue des yeux (B.H.P., ms. 295, lettre de P. Coste du 28 novembre 1734 ; lettre de Desmaizeaux du 24 septembre 1736 ; lettre de Barbeyrac à Turettin d'oct. 1735, L1, p. 81) ; le contrat passé avec Prévost L'Eschevelé en 1735 le dit «valétudinaire» ; il subit une attaque de paralysie en 1743 (lettre de La Chapelle, 11 févr. 1743, ms. 295). A partir de 1689, il semble avoir passé toute son existence à Amsterdam.

4. Situation de fortune

«Mr. de La Motte est un de mes anciens amis, habitué à Amsterdam depuis le Refuge. Il aime les Lettres, et se fait un plaisir de rendre service aux gens de lettres, et même de se charger de la correction des Ouvrages qu'ils font imprimer. Aussi s'adresse-t-on à lui de toutes parts...» (lettre de Desmaizeaux à Bouhier, s.d., B.N., ms.fr. 24410, f° 422-423). P., correcteur protestant d'Amsterdam qui exerça entre 1689 et 1745 environ, fut certainement le plus célèbre des correcteurs et «courtiers littéraires» de Hollande (L1, p. 83 et suiv.). Chargé des intérêts des auteurs de langue française auprès des imprimeurs hollandais, il est à la fois correcteur, agent d'édition, rédacteur ou directeur de publication. Il travaille pour le compte de Wettstein et Smith, mais aussi de Changuion, Humbert, Paupie, Châtelain, Mortier, etc. C'est lui qui négocie entre Desmaizeaux, Marchand et le libraire Fritsch le contrat d'édition des Lettres de Bayle (BS1, p. 83 et suiv.).

Menacé de cécité, il s'associe à Prévost L'Eschevelé (ou L'Esclave, si l'on en croit une lettre de Rousset de Missy citée par Lagarrigue («Les coulisses de la presse...», p. 82) par contrat passé le 15 avril 1735 pour la durée d'un an en vue d'un partage des ouvrages à corriger (six lettres de J.B. Le Prévost à C. de La Motte, 11 mars 1735 - 6 mars 1738, Catalogue des manuscrits de la collection Prosper Marchand par C. Berkvens-Stevelinck, Brill, Leiden, 1988, p. 11) ; il rompt avec lui par un acte de liquidation le 29 mai 1736 ; le partage des oeuvres en chantier donne lieu à d'âpres querelles (voir le dossier «J.B. Le Prévost», march.2, publié dans Sgard, Prévost romancier, p. 626-640 - mais il ne s'agissait pas, comme je l'ai cru, de Prévost le romancier ; voir à ce sujet la mise au point de S. Larkin dans «Voltaire and Prévost »). Persécuté par P., qui «faissoit ce qu'il pouvoit pour detourner les libraires de luy donner du travail», Prévost l'Eschevelé obtient la protection du marquis d'Argens, et grâce à lui, de Voltaire (lettre du marquis à P. Marchand, 31 janv. 1737, dans Correspondance, éd. Larkin, p. 100). Voltaire lui confie effectivement la correction des Eléments de la philosophie de Newton (voir J. Vercruysse, Voltaire en Hollande, S.V.E.C. 46, 1966).

5. Opinions

Il est surtout lié avec les intellectuels protestants de Londres, de Genève et de Lausanne : Desmaizeaux, Beausobre, La Chapelle, Barbeyrac, Crousaz, Vernet. Il a entretenu une longue amitié avec P. Coste, dont il avait édité le Dictionnaire en 1716 ; (BS2, p. 82, contrat du 14 août 1716) et qui l'inscrit sur son testament, en compagnie de Barbeyrac (lettre de Coste à La Motte, 6 mars 1740, ms. 295). L'inventaire de sa correspondance, qui comprend 127 lettres, a été établi par B. Lagarrigue L2).

6. Activités journalistiques

Sans qu'on puisse affirmer que P. a rédigé des articles de presse, il a joué, en qualité de correcteur, un rôle important dans la gestion de plusieurs périodiques (Journal des savants, Bibliothèque germanique). Il eut certainement un rôle de premier plan dans le choix des articles repris dans l'édition hollandaise du Journal des savants en 1716 (L1 p. 92-93). Son rôle dans la gestion de la Bibliothèque germanique, dont il dirigea l'édition jusqu'au tome L, est attesté à partir de 1723 (ibid., p. 94). Il a également joué un rôle dans la Bibliothèque raisonnée (ibid., p. 95-97), mais n'a pas écrit d'articles : la correspondance de P. et Barbeyrac (ms. 295 à la B.H.P.F.) a permis de compléter l'attribution d'une vingtaine d'articles de ce journal à Barbeyrac, mais elle ne permet pas d'établir une participation de P. (voir L2). Il a eu une part active à la publication de la Nouvelle Bibliothèque «ou Histoire littéraire des principaux écrits qui se publient», La Haye, Paupie, 1738-1742 ; Gosse, 1742-1744, 16 vol. (D.P.1 1006). Il ne semble pas avoir écrit d'articles ; en avril 1739, il écrit à Desmaizeaux : «Je ne saurois vous dire qui sont les Auteurs de la N. Bibliothèque de La Haye ; ils sont plusieurs qui y travaillent, le Marquis d'Argens en est un» (cité par Larkin, Correspondance, p.86, n. d). Quatre ans plus tard, il écrit : «En général, quoique j'aie eu en gros l'inspection de ce journal pendant 1742, je n'ai pu le mettre sur le pied où je l'aurais souhaité parce que les affaires de Paupie allaient assez mal [...]. Les affaires du libraire étaient tout à fait dérangées vers la fin de décembre, force lui a été de vendre sa Bibliothèque à Gosse» (ms. 295, lettre de P. à La Chapelle, 11 fév. 1743). D'Argens, principal rédacteur du journal pour le compte de Paupie, lui avait donné un tour satirique et irréligieux ; P. recrute ses collaborateurs parmi les érudits protestants qu'il connaît (Chais, Barbeyrac).

8. Bibliographie

Sgard, J., Prévost romancier, Paris, Corti, 1968, annexe II, p. 626-640. – Larkin S., «Voltaire and Prévost, a reappraisal», S.V.E.C.E. 160, 1976, p. 7-135. – Id. (éd.) Correspondance entre Prosper Marchand et la marquis d’Argens, S.V.E.C. 222, 1984. – (BS1) Berkvens-Stevelinck C., Prosper Marchand et l’histoire du livre, Bruges, rikkerji Sint Catarina, 1978. – (BS2) Id., Catalogue des manuscrit de la collection Prosper Marchand, Leiden, Brill, 1988. – (L1) Lagarrigue B.P.L., «Les coulisses de la presse de langue française dans les Provinces-Unies pendant la première moitié du XVIIIe siècle d'après la correspondance inédite de Charles de La Motte (1667?-1751), correcteur à Amsterdam», Documentatieblad werkgroep achttiende euuw, t. XXII, 1990, p. 77-110. – (L2) Id., «La correspondance inédite de Charles Pacius de La Motte (1667?-1751) : source remarquable pour l'histoire du livre et du jourrnalisme de la première moitié du XVIIIe siècle», LIAS, t. XVII, 1990, p. 147-158. – Id., Un Temple de la culture européenne (1728-1753). L'Histoire externe de la Bibliothèque raisonnée des ouvrages des savants de l'Europe, thèse, U. de Nimègue, 1993.

NOGARET

Auteurs

Numéro

607

Prénom

Pierre

Naissance

1742

Décès

1823

Pierre Jean Nogaret (souvent dit Nougaret) est né à la Rochelle le 17 décembre 1742 et a été baptisé le 18, fils légitime de Pierre Nogaret et de Marie Louise Bourgeois (A.M. la Rochelle) et mort à Paris en juin 1823 (B.N.C.). D'après Rétif de La Bretonne, il a été marié à Angélique Minot, fille d'un lunetier, et a abandonné ses trois enfants, deux filles et un garçon (Nuits de Paris, 300e, 307e et 379e nuits ; R, t. II, p. 215, 1141, n. 3). Rétif le surnomme Gronavet, Progrès, Mamonet, etc.

3. Carrière

Il essaie de se faire connaître comme écrivain dès 1760 : il fait jouer à Toulouse en 1760 une comédie en un acte, L'Incertain ; il ajoute à une édition lyonnaise de la Dunciade en 1763 un quatrième chant (C.L., juin 1764, t. VI, p. 9), qu'il publiera en 1771, puis rédige une «épître obscène» qui lui aurait valu, selon Rétif, trois mois à Bicêtre (307e nuit) ; il compose en 1763 une héroïde en faveur de Calas (L'Ombre de Calas, le suicidé à sa famille), qui obtient l'approbation de Voltaire ; il fait des vers pour le portrait de Mlle Clairon (M.S., 19 août 1764) ; il publie en 1765 son premier roman, Lucette, ou les dangers du libertinage.

Il a connu jusqu'à la Révolution la carrière d'un écrivain vivant de sa plume, spécialisé dans les recueils d'anecdotes, la comédie et le roman, «à l'affût de toutes les modes, de toutes les commandes de libraires, prêt à écrire tout ce qui peut être aisément monnayable» (R, t. II, p. 1136). En 1766, il sollicite Rétif de La Bretonne, alors prote chez le libraire Quillau, à la fois pour se faire éditer et pour lui emprunter 12 £ (lettres de N. à Rétif, ibid., p. 1136-1137). Les deux écrivains se lancent dans des carrières rivales, traitant les mêmes thèmes et empruntant souvent l'un à l'autre (ibid., p. 1137-1139) ; la rivalité tourne à la haine inexpiable à partir de 1787, et Rétif ne cesse plus de couvrir N. d'injures, (ibid., p. 1139-1140 ; voir Les Nuits de Paris, 37e, 103e, 118e nuit, etc.) ; N. lui rend la pareille, en particulier dans ses Historiettes. Cependant N. se faufile dans le monde du théâtre, travaille pour Audinot, directeur de l'Ambigu-comique dans les années 1770 (R., t. II, p. 190-191), s'introduit auprès de Mme Du Barry et parvient à faire jouer à Choisy, par le théâtre d'enfants, Il n'y a plus d'enfants, petite comédie en prose donnée à l'Ambigu (M.S., 9 avril 1772 ; Rétif, 118e nuit). Après avoir prôné dans son Art du théâtre (1769) le genre moral et sensible, en particulier à l'Opéra-comique, il publie en 1777, en collaboration avec Jean Henri Marchand, Le Vidangeur sensible, amas de «catastrophes horriblement noires» (F. Gaiffe, Le Drame en France au XVIIIe siècle, A. Colin, 1907, p. 137-138 et 310). Aucune de ses pièces ne lui ayant valu le succès, il se lance à partir de 1775 dans les compilations d'anecdotes. En 1789, il prend parti pour la Révolution, devient chef de division au Comité de sûreté générale ; la Convention, en récompense de ses services, lui accordera en 1795 les secours prévus pour les gens de lettres (B.N.C., Feller-Weiss). Après la Révolution, il se consacre plus que jamais aux recueils d'anecdotes historiques.

6. Activités journalistiques

Auteur de nombreux almanachs et de recueils d'anecdotes (liste dans Cior 18), d'une revue annuelle, Les Spectacles des foires et des boulevards de Paris, qui connut au moins cinq volumes (Cior 18, n° 48417-48420), N. fut certainement un authentique journaliste, même si la plupart de ses recueils ne sont pas soumis à une publication périodique.

Il publie en 1775, avec la collaboration de Cerfvol et de J.H. Marchand, Le Radoteur, petite revue satirique consacrée essentiellement au théâtre (D.P.1 1155). Jean Henri Marchand, avocat et censeur, écrivain fécond (voir Cior 18, n° 42408-42451), était un collaborateur de N. (voir Rétif, «Mes censeurs» dans R, t. II, p. 1006).

En 1808, N. donne les Anecdotes secrètes du XVIIIe siècle, «rédigées avec soin d'après la Correspondance secrète, politique et littéraire» d'après Quérard et Barbier, mais sans goût et sans ordre selon Mettra, et à partir des Mémoires secrets (M. Hjortberg, Correspondance littéraire secrète. 1775-1793. Une présentation, Acta Universitatis Gothoburgensis, 1987, p.89).

7. Publications diverses

Il a écrit une douzaine de pièces de théâtre, environ vingt romans et recueils de nouvelles, des poèmes, des essais critiques ; voir Cior 18, n° 48387-48526 ; Brenner ; A. Martin, V. Mylne et R. Frautschi, Bibliothèque du genre romanesque français, 1751-1800, Londres, Paris, 1977.

8. Bibliographie

F.L. 1769, N.B.G., B.N.C., Cior 18. – Rainguet P.D., Biographie saintongeaise, Saintes, 1851. – (R) Rétif de la Bretonne, Monsieur Nicolas, éd. de P. Testud, Paris, 1989.

LUCAS

Auteurs

Numéro

531

Prénom

Jean

Naissance

1646

Décès

1697

Jean Maximilien Lucas est né à Rouen en 1646 ; il était probablement fils du pasteur Lucas-Janssen de Rouen (Van Eeghen, p. 228). Il s'établit en Hollande vers 1667, devient membre de l'Eglise wallonne le 9 juin 1669 avec une attestation de Rouen datée du 2 mars 1667. Il acquiert la qualité de citoyen d'Amsterdam le 19 août 1670. Le 9 novembre 1674 sont publiés les bans de Jean Maximilien Lucas et de Maria Verjannen, née le 15 mars 1658 à Oude Kerk de Willem Verjannen, maître d'école, et de Catharina Deckers.

3. Carrière

Citoyen d'Amsterdam en qualité de libraire le 19 août 1670, inscrit à la guilde le 6 octobre 1671, L. travaille d'abord, semble-t-il, en association avec le libraire Hieronymus Sweerts, à l'adresse de Wakende Hond sur le Dam : en 1674, il est imposé à 10 florins, à la suite de Sweerts, imposé pour 15 florins ; ils louent, l'un et l'autre, une maison à la veuve Hondius d'Utrecht. De 1673 à 1677, «Jean-Maximilien Lucas, marchand libraire tenant son magazin sur le Dam» publie sous son nom divers textes français et latins tels Receptio publica unius juvenis medici, in academia burlesca, Joannis Baptistae Molière (1673), les œuvres du médecin Thomas Willis (1676), les Délices de la France de W. Croone (1677). Le 11 janvier 1678, il est frappé d'une amende de 6,6 florins au sujet de l'édition d'un texte latin. Le 30 août 1680, un curateur est désigné pour la liquidation de ses biens, dont l'inventaire est dressé le 14 septembre. La vente judiciaire, le 3 janvier 1681, produit 443,4 florins, dont 375 sont attribués à son logeur, Frederick de Wit. L. se consacre alors à des éditions plus ou moins clandestines. En 1683, il est visé par Chavigny dans un pamphlet intitulé : « Les francs fripons dans Mercure au gibet et le libraire banqueroutier», et demande à être entendu par le bailli, le 2 octobre 1683.

L. serait alors associé à Jean Crosnier, auteur de « lardons » (voir art. «Crosnier» et «Chavigny de La Bretonnière»). Le 31 décembre 1685, L. passe un contrat avec Isaac de Later pour une gazette (non identifiée). Il est condamné, au cours de l'été 1686, pour impression de gazettes, puis, le 12 décembre 1686, pour impression et diffusion de livres interdits ; le 19 décembre, un arrêt le condamne à 630 florins d'amende et à trois ans de bannissement ; le 27 avril 1688, il est de nouveau condamné pour infraction à la sentence rendue (Van Eeghen, p. 229). Le 4 mars 1694, il sera enfin condamné, pour avoir imprimé la Quintessence, à quatre ans de bannissement et finira ses jours à La Haye.

5. Opinions

L. passe pour avoir été «ami et disciple de Spinoza» (Nouvelles littéraires de 1719, citées par G. Cohen, «Le séjour de Saint-Evremond en Hollande, 1665-1670», R.L.C., 1925­-1926, p. 65) ; mais Du Sauzet, directeur des Nouvelles littéraires hésite, pour l'attribution de la Vie de M. Benoît de Spinoza, entre L. et Ceinglen ; M. Francès opte pour Ceinglen (voir ce nom). Sur le milieu intellectuel de L., voir G. Cohen (art. cité) et P. Vernière (Spinoza et la pensée française avant la Révolution, Paris, P.U.F., 1954,1.1, p. 26 et suiv.).

6. Activités journalistiques

L. entreprend de travailler à la Gazette d'Amsterdam sans doute à la fin de 1685. Le 21 février 1686, les gazettes françaises sont interdites à la demande de l'ambassadeur de France, le comte d'Avaux qui écrit au roi, le 14 juillet 1686 : « Il me paraît que Messieurs d'Amsterdam sont dans de très bonnes dispositions ; ils ont marqué dans le châtiment de Lucas, leur gazetier, l'envie qu'ils ont de plaire à Votre Majesté» (cité dans G.H., p. 96). Aucune trace n'a été gardée de ce «châtiment» (Van Eeghen, p. 229) et les gazettes continuent de paraître clandestinement.

Quintessence des nouvelles historiques, critiques, politiques, morales et galantes, La Haye et Amsterdam, 1688-1730, in-folio : L. crée le journal vers septembre 1688 ; les premiers numéros connus datent de 1689 (D.P.1 1153). En tête du numéro du 4 octobre 1723, on peut lire : «Le sieur Lucas, son fondateur, écrivait Dieu sait comment ; son style bas, sa fade poésie et les flots d'impertinences qu'il répandait sur le parti qu'il pouvait insulter impunément, font son caractère » (cité dans G.H., p. 183). A sa mort, Bayle écrit à l'abbé Dubos : «Vous avez su sans doute la mort de Lucas, le fameux auteur de la Quintessence des Nouvelles, qui a publié pendant tant d'années un si horrible détail de satires infamantes et grossièrement fabuleuses» (lettre du 2 mai 1697, publiée par F.P. Denis, «Lettres inédites de P. Bayle», R.H.L.F., t. XIX, 1912, p. 929). On connaît des exemplaires de la Quintessence datés de septembre 1688 ; le journal paraît alors deux fois par semaine (Van Eeghen, p. 230). L. semble le publier régulièrement jusqu'en 1694. Le 1er mars 1694, il est arrêté et interrogé ; il déclare que l'auteur-imprimeur de la Quintessence est Seljeer (en français Chayer), et que le journal est diffusé par Oossen, Mortier, Wolfgang, Brunei et quelques autres, à La Haye et Amsterdam. Interrogé le lendemain sur ses informateurs, il cite «Dumon» ou «Bomon», Dubreuil, qui lui fournit des nouvelles de Paris, Dorval, «Tienne le Feebeere» (Van Eeghen, p. 229). II est condamné, le 4 mars 1694, à quatre ans de bannissement.

8. Bibliographie

8. G.H. – Van Eeghen I.H., De Amsterdamse boekhandel (1680-1725), Amsterdam, 1960-1967, t. IV, p. 228-230.

9. Additif

Jean Maximilien Lucas, né à Quevilly le 19 avril 1647, était le huitième des dix-huit enfants du libraire rouennais Centurion Lucas (1608-1678) et de Judith Mauclerc.  Reçu maître à Rouen en février 1665, il s'installa avant 1669 aux Pays-Bas, où le rejoignit son frère Abraham, également membre de la corporation des imprimeurs de Rouen. Certains frères passèrent quant à eux en Angleterre. (Gerard Lemmens, d’après les Archives départementales de Seine-Maritime et Jean-Dominique Mellot, L'Édition rouennaise et ses marchés, Paris,  École des Chartes 1998, p. 242, 278-280) 

LIMOGES

Auteurs

Numéro

524

Prénom

L. de

Naissance

?

Décès

?

On ne sait à peu près rien du chevalier L. de Limoges, qui était en 1786 (d'après la page de titre de Julie et Colin) « lieutenant des maréchaux de France, de l'Académie des Arcades de Rome ». Son nom paraît bien être un pseudonyme.

2. Formation

Il avait fait ses études au collège du Plessis. C'est pourtant bien à Limoges qu'il fait ses débuts littéraires, avec des traductions de Young en 1779 et 1781.

6. Activités journalistiques

Le 11 mars 178 7, on trouve une lettre de lui publiée dans les Affiches de la Basse Normandie (D.P.1 13).

Journal du Hainaut et du Cambrésis (D.P.1 719) et Affiches du Hainaut (D.P.1 29) : il en fut le fondateur et le principal rédacteur en juillet 1788, mais un mois plus tard, il en confie la responsabilité à l'avocat Debavay, qu'il remercie dans le n° 45 de juin 1789 du Journal. D'après J. Morel, il fonde alors à Rouen L'Abeille, qu'il imprime dans sa propre imprimerie.

7. Publications diverses

7. Première nuit d'Young, traduite en vers français, par M. L. de L., Limoges, 1779. – Le Monde, 15e nuit d'Young, traduite en vers français, par M. L*** de L, Limoges, 1781. – Le Temple de Gnide, poème imité de Montesquieu par L. de L., s.l., 1782. – Le Congrès de Cythère, et Lettres de Léonce à Erotique son fils, trad. de l'italien d'Algarotti, Paris, 1785. –Julie et Colin, ou le tribut du sentiment, comédie en deux actes en prose mêlés de vaudevilles par M. le Chevalier de L***, lieutenant des maréchaux de France, de l'Académie des Arcades de Rome, s.I., 1786. – En 1792, il publie une édition des Centuries et prédications de Nostradamus, hostile à la Révolution. Suspect, il est arrêté et les exemplaires sont détruits (Morel, p. 48).

8. Bibliographie

Cior 18. – Morel J., Histoire de Valenciennes sous la Révolution d'après une étude de l'imprimé, T.E.R. dact. Lille III, 1971.

9. Additif

État-civil : LIMOGES, Louis Charles de (1750- ?)

« Le treisième jour de janvier 1750 a été batisé par moy, curé soussigné, Louis Charles de Limoges né d’hyer du légitime mariage de Jean Alexis de Limoges écuyer Sr. de St. Just et de Dame Louise Charlotte Élisabeth de Godard de cette paroisse, qui a été nommé par le Sr. Jean Jacques Henry de Limoges assisté de Damoiselle Joachime de Limoges, et ce au lieu et place de Messire Charles Louis de Limoges, chevalier de l’Ordre militaire de St. Louis et de Damoiselle Charlotte de Moisy parrain et marraine dudit enfant » (registres paroissiaux du Tronquay-en-Lyons, dpt. Eure). Cet acte baptistaire, publié par le Journal de Rouen le 25 mars 1930 et reproduit par B.C., lève plusieurs doutes : le chevalier de Limoges n’est pas originaire de Limoges, mais de Normandie ; sa famille est de petite noblesse : son père est écuyer, son parrain (sans doute son grand-père) est chevalier de Saint-Louis. L. s’est marié le 14 juin 1774 à Ingouville avec une demoiselle Brocque ; il a divorcé en 1794, s’est remarié avec Marie-Louise Cordier le 5 janvier 1795, qui lui donna deux enfants (Ibid.), nés hors mariage. Son fils aîné, Louis Charles, né le 17 juillet 1787, qui portera comme son père le titre de vicomte de Limoges, reçoit de Mme d’Authieulle en 1818 une donation entre vifs qui fera l’objet d’un long procès, du fait de sa naissance adultérine (Recueil général des lois et des arrêts, « jurisprudence de la cour de cassation », 1825-1827, p. 360).

Louis Charles de Limoges est mort le 6 juin 1818 à Paris (B. Beau)

Formation : On ignore tout de ses études. Un document des A.D. de la Seine maritime donne à penser qu’en 1764, il faisait ses études au Tronquay (série G, insinuations ecclésiastiques, 1er mai 1764, « Charles Louis de Limoges, fils de Jean Alexis de Limoges et d’Élisabeth Godard, du Tronquay »). Le titre de « lieutenant des maréchaux de France », qu’il porte déjà en 1772 ne prouve pas qu’il ait été militaire. Il fut seulement, du fait des origines très anciennes de sa famille, chargé d’arbitrer les points d’honneur entre nobles.

Carrière : Son premier essai littéraire fut la traduction de la première Nuit d’Young « par M.L. de Limoges, in-8°, à Limoges chez Chapoulaud, libraire » en 1779 (annonce du Mercure du 4 décembre 1779). Il se fait connaître en 1784 par une réponse à un amateur de théâtre qui se plaignait de la désaffection du public dans les Annonces de Normandie du 16 juin ; le « chevalier de Limoges, lieutenant des maréchaux de France » élargit le débat en plaidant pour le culte des grands hommes de Rouen (Bouteiller, p. 89). Sa carrière journalistique avait sans doute commencé par des éloges des écrivains rouennais (Corneille, Champein). Bouteiller cite des vers de Limoges « dont la fécondité poétique était alors si grande qu’il remplissait les journaux de ses élucubrations » (p.90 ; voir p. 95, 101-102, 106). Il produisit, le 2 mai 1785, un divertissement en un acte et en prose, La Fête impromptu, qui obtint un réel succès, malgré la polémique qui s’ensuivit (p. 106), et en juillet 1786 un opéra-comique en deux actes, Julie et Colin, publié la même année. On ne sait pas pour quelle raison il s’établit en 1788 à Valenciennes, pour rédiger le Journal du Hainaut et du Cambrésis, mais il avaitcertainement, à travers les Annonces et le Journal de Normandie, une certaine expérience de la presse ; on peut au reste se demander s’il a réellement résidé à Valenciennes, la plus grande partie du journal et l’administration de l’entreprise étant confiée à Debavay. Dans le n° 46 de juin 1789, reprenant son journal après une interruption de près d’un an, il se plaindra d’avoir été victime de la calomnie. En décembre 1789, c’est à Rouen qu’il publie L’Abeille politique.

Situation de fortune : Le journalisme fut certainement pour lui un moyen de survivre. En août 1793, quand son Écho politique est supprimé, il ait valoir à la Commune qu’il n’a pas « d’autre ressource pour faire vivre les siens » (Clérembray). Il fut arrêté et conduit à la prison de Saint Yon, où il resta jusqu’à la fin de la Terreur (« Deux journalistes rouennais sous la Révolution »), tandis que sa femme, la demoiselle Cordier, imprimait chez elle Le Postillon du jour. En octobre 1795, il devient imprimeur-libraire « dans l’intention d’ouvrir un cabinet politique et littéraire pour la lecture des feuilles publiques » (Ville de Rouen. Analyse des délibérations de l’assemblée municipale, éd. 1905, p. 485, citées par B.C.).

Opinions : L. tenait de ses origines une grande fierté et soutint longtemps la cause de la noblesse et de la monarchie, non sans imprudence : les violences de l’Abeille politique lui valurent son incarcération de quinze mois. Elle prit fin en décembre 1794, grâce à une relative indulgence des autorité rouennaises. À sa sortie de prison, il lança le Journal du soir, qui manifestait unfort ressentiment à l’égard des jacobins, la « horde terroriste » (Journal du soir, 10 avril 1795). L’apaisement général le conduisit à renoncer au militantisme ; en février 1797, il fonda un Journal de littérature et des théâtres qui le ramenait à ses débuts littéraires, en particulier au théâtre. À partir de cette date, on perd sa trace.

Activités journalistiques : L. fonde les Affiches du Hainaut, dont le premier n° paraît le 2 juillet 1788, mais une maladie « violente et subite » interrompt sa collaboration le 30 août 1788 (voir DP1, n° 29, par A. Granier). Le Journal du Hainaut, publié simultanément, cesse à la même date (DP1, n°70, par A. Granier). L. peut donc être considéré comme le rédacteur du prospectus, et sans doute pendant un mois, de la chronique théâtrale, et son oeuvre de journaliste commence en fait à l’époque révolutionnaire. Il publie alors L’Abeille politique et littéraire (1789-1792), L’Écho politique ou Journal du soir (1792-1793), Le Réviseur décadaire (1794), Le Journal du soir (1795-1796), Le Journal de littérature et des théâtres (1797). Seul ce dernier journal, qui exprime les goûts littéraires de L., et en particulier sa passion du théâtre, et sa nostalgie de l’Ancien Régime, présente un réel intérêt. Il a été étudié notamment par Catriona Seth dans « La culture au service de la politique » (Un siècle de journalisme culturel en Normandie et dans d’autres provinces. 1785-1885, PURH, 2011, p. 75-86).

Bibliographie : Une bonne partie de nos informations nous vient du mémoire de maîtrise de Betty Conseil, soutenu en 2002 sous la dir. de C. Seth (B.C.). – Bouteiller, Jules-Édouard, Histoire complète et méthodique des théâtres de Rouen depuis leur origine jusqu’à nos jours, Rouen, 1880, t. 4.- Rotailt de La Vigne, « Deux journalistes rouennais sous la Révolution », dans le Journal de Rouen, 25 mars 1930. –Clérambray, Félix, La Terreur à Rouen, 1994.- Catriona Seth, « La culture au service de la politique », dans Un siècle de journalisme culturel en Normandie et dans d’autres provinces. 1785-1885, PURH, 2011, p. 75-86. (J.S.)