PREVILLE

Numéro

658a

Prénom

Louis Joseph de

Naissance

1698

Décès

1752

Les catalogues romains de la Compagnie de Jésus font naître Louis Joseph de Préville, alias Louis de Kerguern, nom sous lequel il entre au noviciat et qu’il conserve plusieurs années durant dans la Compagnie, dans le diocèse de Quimper, le 4 avril 1698. Sommervogel, qui simplifie ici, indique Quimper comme lieu de naissance (son acte de baptême n’a pu être retrouvé dans les registres paroissiaux de cette ville qui subsistent). Le P. de Préville meurt au collège Louis-le-Grand, le 8 janvier 1752, des suites d’une “espece d’Apoplexie” (lettre mortuaire conservée aux A.F.C.J.).

2. Formation

Préville mène tambour battant ses premières études : il a déjà à son actif deux années de philosophie à dix-huit ans, à son entrée au noviciat de la Compagnie de Jésus, à Paris, le 10 octobre 1716 (A.R.S.I., francia 19, f° 211). Au sortir de ses deux années de noviciat, il fait sa troisième année de philosophie à Louis-le-Grand pour achever son cursus dans cette discipline, enseigne ensuite les humanités en province, avant de revenir à Louis-le-Grand pour achever sa formation de futur profès, avec quatre années de théologie (1726-1730). Il devient prêtre à Paris, en 1729 (A.R.S.I., francia 19, f° 468 r°), et prononce ses derniers vœux trois ans plus tard, le 2 février 1732, à Rennes (A.R.S.I., gal. 20, ff° 322-323), où il enseigne alors la logique, partie de l’enseignement de la philosophie.

3. Carrière

Suit une carrière professorale au sein de la Compagnie au plus haut niveau : le P. de Préville enseigne la philosophie, puis la théologie - summum de la carrière d’un profès- dans les grands établissements de la Province de France, à Paris et à Rennes, où il se trouve notamment de 1741 à 1745. Ses aptitudes dans le domaine des Belles-Lettres et de la philosophie font l’unanimité (cf. sa lettre mortuaire et les catalogues triennaux adressés à Rome par chaque province de la Compagnie) et on ne s’étonne pas de le voir nommé en 1746, scriptor au collège Louis-le-Grand, qu’il ne quittera plus jusqu’à sa mort.

5. Opinions

Le P. de Préville semble avoir été un esprit ouvert et curieux de tout. En 1739, la rédaction des Observations sur les écrits modernes (2 mai 1739, t. XVII, p. 215) dit avoir eu communication de lettres du P. de Préville relatives aux pompes hydrauliques de l’ingénieur Dupuy utilisées avec succès dans les mines bretonnes de Pompéan. A cette occasion, le P. de Préville est mis sur le même plan que le Président de Robien et  présenté comme une personne “très-éclairée”. Le P. de Préville a également la réputation de dialoguer avec les incrédules et d’être un conseiller écouté de personnages importants en matière familiale. “Le caractere liant et aimable du P. de Préville, affirme sa lettre mortuaire, l’avoit fait gouter des personnes les plus distinguées de différens endroits ou il a demeuré soit en province soit a paris (...). Son caractere ouvert, droit et sincere l’a rendu souvent depositaire des secrets les plus intimes des familles dans certaines divisions qui y arrivent de tems en tems.” (A.F.C.J., lettre mortuaire). Complétant son rapide portrait, la lettre mortuaire ajoute : “de tems en tems aux prises avec certains esprits forts il a defendu en homme d’esprit la religion dont il s’étoit fait une etude particuliere. il a refuté solidement les principes des incredules on scait qu’il en a fait revenir quelques uns de leurs préjugés” (Ibid.).

6. Activités journalistiques

Le P. de Préville est membre en titre de la rédaction des Mémoires de Trévoux de 1746 à sa mort en 1752 (A.F.C.J., lettre mortuaire et la France littéraire). Sur son activité au sein de l’équipe rédactionnelle des Mémoires de Trévoux les sources jésuites ne nous disent pratiquement rien. Les Archives françaises de la Compagnie de Jésus possèdent un précieux exemplaire annoté de la Bibliothèque de Sommervogel dans lequel en marge de la notice du P. de Préville, il est fait mention d’un article paru dans le numéro des Mémoires de Trévoux de janvier 1753 (pp. 30-53). L’auteur de la note marginale se demande si l’article, qui porte sur une méthode pour conserver la santé, ne serait pas du P. de Préville. Il s’agirait alors d’un article posthume. C’est finalement dans une source extérieure à la Compagnie que l’on trouve une indication précise sur le travail journalistique du P. de Préville. Dans sa première lettre ouverte au P. Berthier relative à la querelle de l’Encyclopédie, Diderot dit un mot en passant du P. de Préville. Évoquant la composition de l’équipe des journalistes des Mémoires de Trévoux, Diderot écrit précisément : “Nous ajouterons qu’on y distingue aujourd’hui [janvier 1751] les Extraits du P. de Preville, votre collègue, à une métaphysique fine et déliée, à un style noble et simple, et surtout à une grande impartialité.” (Correspondance de Diderot, éd. Roth, Paris, 1955, t. I, p. 105). Le jugement de Diderot s’inscrit dans un contexte de polémique et voisine avec des traits visant les Mémoires de Trévoux. De l’avis de C. Northeast, il n’est peut-être pas pour autant ironique (Op. cit., p. 46n). Relevons, à cet égard, que dans la même lettre le P. Castel, qui renseignait Diderot et Montesquieu sur le fonctionnement de la rédaction, est décrit comme ayant “du feu et de l’esprit”, description correspondant à la réalité. Le jugement de Diderot s’accorde en tout cas avec les appréciations élogieuses portées sur le P. de Préville dans les catalogues triennaux adressés au Généralat à Rome. On y loue les capacités du P. de Préville en philosophie et en théologie. “Bonus in omnibus praesertim in philosophis”, est-il noté sous la rubrique “profectus in litteris” du Catalogus secundus de 1749 (A.R.S.I., francia 21, f° 234 v°). Le Catalogus primus de 1746 indiquait déjà, sous la rubrique “emploi” : “ad nulla maxime ad docendum Theol” (Ibid, f° 100).

7. Publications diverses

Les Mémoires de Trévoux sont la seule publication à laquelle on soit sûr que le P. de Préville ait travaillé. En tant que scriptor, il a probablement écrit d’autres ouvrages ou pris part à leur rédaction, mais nous n’en savons rien. Le Journal de la Librairie de l’inspecteur d’Hémeryle soupçonne, en 1751, d’être l’auteur de l’Examen des Observations sur l’extrait des procès-verbaux de l’abbé de Senone, avant d’attribuer au P. Patouillet ce libelle qui porte sur l’Assemblée générale du Clergé.

8. Bibliographie

Archives romaines de la Société de Jésus (A.R.S.I.), catalogues triennaux — Archives françaises de la Compagnie de Jésus (A.F.C.J., Vanves), lettre mortuaire (cotée Gz 5), catalogues annuels de la Province de France, exemplaire annoté de la Bibliothèque de Sommervogel — BN., “Journal de la Librairie” (ms. fr. 22156, ff° 59 et 65) — La France littéraire Correspondance de Diderot (éd. G. Roth, Paris, 1955, t. I, p. 105) — C.M. Northeast, The Parisian Jesuits and the Enlightenment (1700-1762), Oxford, 1991 — Sommervogel, Bibliothèque de la Compagnie de Jésus (Bruxelles-Paris, 1891 et sq.), VI, col. 1217.

ROYOU

Numéro

719

Prénom

Thomas Marie

Naissance

1743

Décès

1792

Thomas Marie, connu sous le nom d'abbé Royou, est né à Quimper, le 25 janvier 1743 (D.L.F. ; B.Un. donne 1741 mais la notice contient beaucoup d'erreurs) ; il était fils d'un procureur fiscal de Pont-l'Abbé. Il eut au moins deux frères, tous les deux hommes de loi ; le cadet, Jacques Corentin (1749-1828) fut son proche associé dans la lutte contre-révolutionnaire que mena L'Ami du Roi, et il poursuivit la lutte, après la mort de R., dans divers périodiques et ouvrages de son cru.

2. Formation

Il professa pendant plus de vingt ans la philosophie au collège Louis-le-Grand (Feller-Weiss). Il fut, jusqu'en 1789, dénommé «docteur en théologie, chapelain de l'ordre de Saint-Lazare, professeur de philosophie au collège Louis-le-Grand».

3. Carrière

R. semble avoir passé toute sa jeunesse en Bretagne, et le reste de sa vie à Paris.

4. Situation de fortune

Indépendamment de son salaire d'enseignant, R. ne semble avoir eu d'autre source de revenus que ses écrits. Par un contrat dressé le 26 février 1784 avec sa sœur, Mme Fréron, R. lui céda le privilège du Journal de Monsieur et promit de travailler pendant deux ans, à dater du 1er janvier 1784, soit au Journal de Monsieur, soit à L'Année littéraire. Il devait être payé 600 £ par an, qu'il travaillât ou non à ces journaux, pourvu qu'il ne s'engageât avec aucun autre (A.N., T 54161). Le journal de R., L'Ami du Roi, fondé le 1er septembre 1790 pour lutter contre la Révolution, fut immédiatement un succès commercial et le resta jusqu'à son interdiction. La sincérité de R. peut difficilement être mise en doute, mais il fut également poussé par l'intérêt. Accusé d'avarice par ses ennemis, Desmoulins déclara en 1790 qu'il saluait la chute du Journal de Monsieur, avec la réserve suivante : «sacrée b... de religion, voilà plus de mille écus qu'il m'en coûte pour te défendre» (Révolution de France et de Brabant, n° 65, p. 620).

5. Opinions

Associé par les liens familiaux à Fréron (il était déjà son beau-frère quand son frère Corentin épousa l'une des filles du premier lit de Fréron), il subit l'influence de ses idées. Cependant, ses violentes attaques contre les philosophes ne devinrent vraiment furieuses qu'à partir de la Révolution. R. fut un catholique intégriste, autoritaire et intolérant : il considérait la liberté de conscience, la raison et l'innovation comme les monstres du temps. Il poursuivit la campagne anti-philosophique de Fréron dans tous ses écrits. Intolérant par nature comme par principe, il eut la réputation d'être détesté de ses élèves au collège Louis-le-Grand ; ses intempérances de langage eurent pour effet de faire retirer ses articles de L'Année littéraire, par crainte que le journal ne perdît son privilège : ces critiques ont été formulées par La Harpe, ennemi déclaré de R. dans le Mercure de France, 20 février 1790, p. 112-113, en réponse aux attaques de L'Année littéraire. Cependant il eut le soutien fidèle de son collègue Geoffroi, de sa sœur Mme Fréron et de son frère Corentin, à la fois avant la Révolution et lors de la querelle d'août 1790, quand, opposé à Montjoie, Crapart et Briand, il quitta leur journal pour fonder le sien, L'Ami du Roi. Il ne se réconcilia jamais avec Montjoie.

6. Activités journalistiques

La réputation de R. comme journaliste est surtout née de son opposition à la Révolution dans L'Ami du Roi, entre 1790 et 1792. Auparavant, il avait cependant acquis une longue expérience du journalisme.

L'Année littéraire : R. a presque certainement collaboré à ce journal durant la vie de Fréron. Grosier, qui le reprit à la mort de Fréron, en qualité d'éditeur principal, a affirmé que R. et Geoffroy, ses collaborateurs, «étaient à cette époque peu exercés dans l'art d'écrire, peu façonnés aux formes du genre polémique et à la tactique des journaux» (lettre au Journal de Paris, 10 avril 1817, citée dans l'art. «Grosier», B.Un.). Grosier ne resta que peu de temps éditeur de L'Année littéraire, et R. y joua progressivement un rôle de plus en plus important avec l'appui de sa femme, sœur de Fréron, et en s'alliant provisoirement à Stanislas Fréron. Linguet a noté dans ses Annales, peu de temps après la mort de Fréron : «M. Grosier a, en effet, travaillé quelque tempsà L'Année littéraire. C'est aujourd'hui l'abbé Royou qui le remplace» (H.P.L.P., t. II, p. 33). En mars 1780, commentant la réfutation par R. des Epoques de la nature de Buffon, Meister appelait R. le «digne successeur de l'illustre Fréron, plus savant que lui peut-être, tout aussi impartial, mais un peu moins plaisant » (CL., t. XII, p. 380). R. est resté à la tête du journal de la fin de 1778 au milieu de 1781. Evincé par Stanislas Fréron, il réussit à s'emparer à son tour du privilège et restera désormais le seul directeur du journal (sur la succession de Fréron en 1778, voir Balcou, p. 460-463). Le rôle de R. dans L'Année littéraire n'a pas été établi définitivement. Il n'y écrivit probablement pas tant qu'il eut son propre Journal de Monsieur ; après la chute de ce dernier, il passe pour avoir écrit exclusivement dans L'Année littéraire. Il y joua dès lors et jusqu'à mars 1790, un rôle déterminant. Il est certain qu'il ne travaillait plus à L'Année littéraire quand il publia le premier Ami du Roi le 1er juin 1790.

Journal de Monsieur : R. et Geoffroy achetèrent le privilège de ce journal pour 4000 £ en 1781, à un moment où le nombre des souscripteurs était tombé à moins de 100 (D.P. 1 674). Il tomba en 1783 «faute de souscripteurs», selon l'avis de La Harpe, l'un de ses adversaires (Correspondance, t. I, p. 418), peut-être aussi sur l'ordre de Monsieur, à l'instigation de l'Académie (H.P.L.P., t. II, p. 211).

L'Ami du Roi : entre le 13 juin et le 6 août 1790, R. assura la rédaction des articles de fond du premier Ami du Roi, après quoi il en fit son propre journal.

L'Ami du Roi : fondé par R., il parut entre le 1er septembre 1790 et le 4 mai 1792, avec une première interruption en juin et une seconde en juillet-août 1791.

7. Publications diverses

Le Monde de verre réduit en poudre, ou analyse et réfutation des «Epoques de la nature» de M. le comte de Buffon, par M. l'abbé Royou, Paris, s.d., in-12. Plusieurs articles de R. ont été réimprimés comme pamphlets.

8. Bibliographie

H.P.L.P. – A.N., T 54161. – Trévedy T., Fréron et sa famille, Saint-Brieuc, L. et R. Prud'homme, 1889. – Balcou J., Fréron contre les philosophes, Genève, Paris, Droz, 1974. – Popkin J.D., The Right-Wing Press in France 1792-1800, Durham, U. of North Carolina Press, 1980. – Id., Revolutio­nary News, the Press in France, Durham N.C., Londres, Duke Press, 1990. – Bertaud J.P., «L'Ami du Roi de l'abbé Royou», S.V.E.C. 287, 1991.P. 221-227. – Chisick H., The Ami du Roi of the Abbé Royou: The Production, Distribution and Readership of a Conservative Journal of the Early French Revolution, Philadelphia, American Philosophical Society, 1992.

NICOLLON

Numéro

606

Prénom

Joseph

Naissance

seconde moitié du XVIIIe s.

On sait fort peu de chose sur Joseph Nicollon (ou Nicolon), ignoré par les biographies tant anciennes que modernes et dont seul le nom est éventuellement mentionné dans les monographies consacrées aux périodiques méridionaux. Il semble d'ailleurs appartenir plus au monde de l'économie qu'à celui des journaux. Nicollon est à l'origine un actif fabriquant de boutons d'or, d'argent et de parements pour vêtements. Entreprenant, il tente de concurrencer en Provence dans ce domaine les produits lyonnais et installe même des succursales à Gênes, Milan et Florence (« Mémoire »).

6. Activités journalistiques

Affiche de provence (D.P.1 56) : en juin 1778, les Affiches, jusqu’alors dirigées par Maynard, passent sous la direction de N. Bientôt le bureau des Affiches est domicilié chez le sieur Nicollon (Affiches, n° XXVI, 28 juin 1778). A partir d’août 1778, c’est à N. qu’on doit adresser abonnements et et annonces et un avis parle de ceux qui étaient en charge du journal. Une lettre est encore adressé en octobre 1778 au « rédacteur » Maynard (n°XLII), mais N. est qualifié peu après de « Directeur » (N. est-il alors seulement gestionnaire ?). Pour lui manifestement les intérêts journalistiques et intérêts économiques se mêlent : « le sieur Nicollon qui a le bureau des Affiches de Provence avertit le Public qu’il fabrique toute sorte de boutons » (n°XXXIX). Toujours entreprenant, N. crée un cabinet de lecture (n°XXXIX, 1778). En octobre 1779, N. adresse un mémoire aux Etats de Provence auxquels il demande un soutien financier afin de pouvoir développer ses activités. Là est peut-être la clé de son intérêt pour les journaux, qui certes l’attirent (il crée un cabinet de lecture), mais dans lesquels il voit sans doute aussi un instrument au service de sa politique d’expansion.

8. Bibliographie

«Mémoire aux Etats de Provence», A.D. des Bouches-du-Rhône, Fonds des Etats, dossier C. 1777. – Gérard R., Un journal de province sous la Révolution, Paris, 1964. – Ribbe C., Un journal et un journaliste à Aix avant la Révolution, Aix, 1859

MILCENT

Numéro

576

Prénom

Jean

Naissance

1747?

Décès

1830?

L'état civil de Milcent a été détruit lors de l'incendie de 1871 et n'a pas été reconstitué (A.V.P.). Un acte notarié (Etude Morin de Paris, 8 oct. 1789) lui attribue les prénoms de Jean Marie Gabriel, tandis que les biographies usuelles donnent Jean Baptiste Gabriel. Milcent (il se laisse appeler de Milcent par ses lecteurs) serait né le 23 juin 1747 à Paris et serait le dernier et seul survivant d'une famille de vingt et un enfants dont le père aurait été marchand de bois (N.B.G.). M.

2. Formation

M. aurait fait ses études chez les Jésuites avant d'être introduit dans le salon de Mme Geoffrin par d'Alembert et Diderot (il n'apparaît toutefois pas dans la Correspondance de Diderot, ni dans les Mémoires de Morellet). M. a été membre de la Société littéraire de Bayeux, membre-adjoint, puis trésorier de l'Académie des Palinods de Rouen et secrétaire de l'Opéra de Paris.

3. Carrière

M. a été connu en son temps avant de tomber dans l'oubli. Aussi sa biographie, telle qu'on peut la reconstituer, est-elle discontinue et emplie d'incertitudes. La carrière littéraire de M. semble commercer précocement. D.O.A. lui attribue Le XVIIIe siècle vengé, ouvrage paru en 1775. H s'agit d'une vibrante et maladroite apologie de la philosophie des Lumières, exécutée par le fils de Fréron dans L'Année littéraire, 1776, t. V. Très tôt M. mène de pair une carrière d'auteur littéraire et de journaliste. M. dirige le Journal d'agriculture et La Gazette d'agriculture qui, selon A. Dubuc, sont des publications officieuses du ministère des Affaires étrangères, avant de devenir le rédacteur du Journal de Normandie, qu'il obtient peut-être en dédommagement de son départ du Journal d'agriculture en 1785. M. quitte alors Paris, contraint et forcé (voir Journal de Normandie, 1786, p. 1) et s'installe à Rouen où il réside rue du Bourg-l'Abbé. M. se multiplie sur tous les terrains. Tout en dirigeant avec dynamisme son journal, il participe à l'activité de l'Académie des Palinods où il occupe le rang modeste de membre-adjoint et où il présente des poèmes d'un médiocre intérêt (Gosseaume). Mais M. écrit aussi pour le théâtre -Agnès Bernau en 1785 qui est soupçonnée de plagiat et où se mêlent des passages touchants et d'autres ridicules (CL., juil. 1785; L'Année littéraire, 1786, t. VIII, p. 320) - et devient en 178 7 secrétaire de séance du département de Rouen, qui est une émanation de la commission intermédiaire. Il garde cet emploi, la Révolution venue, en devenant secrétaire du district de Rouen en 1790: les archives de ces organismes sont conservées aux A.D. de Rouen et contiennent plusieurs pièces de la main de M. Dans son journal qu'il conserve jusqu'en 1792, M. appelle de ses vœux dès 1788 des réformes et adhère à la Société patriotique bretonne. En 1792 M. vend son journal à Noël de La Morinière et quitte Rouen pour s'installer à Paris. Est-il acculé à la vente par le mauvais état de sa vue (Le Patriote de Normandie) ou attiré par le bouillonnement politique de la capitale (Dubuc)? Souhaite-t-il tout au contraire se mettre en retrait? Toujours est-il qu'il semble renoncer au journalisme et se consacrer à la scène. M. occupe les fonctions de secrétaire de l'Opéra du 1er juin 1793 au 1er avril 1796 tout en écrivant plusieurs tragédies lyriques qui seront rejetées. On perd alors sa trace : auteur d'une œuvre abondante, M. reste cependant pour ses contemporains comme pour nous, non sans raison sans doute, avant tout comme le directeur du Journal de Normandie.

4. Situation de fortune

On ne sait pratiquement rien des revenus que M. tire de son activité proprement littéraire. On saisit toutefois l'enregistrement pendant la Révolution d'une convention sous seing privé entre un Milcent, très vraisemblablement le nôtre, et le libraire David: l'auteur se voit proposer 300 francs pour l'abrégé du troisième volume d'une Histoire d'Angleterre (A.V.P.). En tant que secrétaire du département de Rouen, M. reçoit 1800 £ par an (voir reçu aux A.D. Rouen, C.2126).

5. Opinions

M. est un représentant typique de la foule des républicains des lettres, membres de sociétés savantes, esprits curieux de tout, favorables aux réformes. Il milite en faveur des Etats Généraux. Par la suite il abandonne l'avant-scène politique à d'autres. Toutefois on le voit adhérer à une société patriotique bretonne et déposer, lors d'un bref passage à Rouen, un texte louant la Convention au bureau de la Commune de son ancienne ville d'adoption, le 5 frimaire 1793 (Le Patriote de Normandie).

6. Activités journalistiques

M. a collaboré au Journal d'agriculture, de commerce et de finances (D.P.1 650) et à la Gazette d'agriculture (D.P.1 555) de la fin de 1781 jusqu'en 1784, date à laquelle ces deux périodiques sont réunis à L'Affiche de province. Ce regroupe­ment s'insère manifestement dans un contexte de réorganisation assez confuse pour nous de la presse du début des années quatre-vingt. En 1783, le censeur Houard s'efforce d'obtenir un privilège pour un périodique s'intitulant Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique, civile, littéraire de Normandie, titre qui, à quelques mots près, va devenir le sous-titre du Journal de Normandie (D.P.i 681). Le problème est abordé notamment lors d'une séance des services de la Librairie, le 7 septembre 1783 (f.fr. 21978, f° 31). Houard finit par obtenir un privilège pour dix ans le 24 décembre 1784 (f.fr. 21978, f° 31; f.fr. 22011, f° 115 v°). Il ne semble pas en tirer immédiatement profit (il évoque même un privilège du 19 septembre 1783, f.fr. 21865, f° 95)- Cependant, en 1784, la veuve Machuel, éditrice des Affiches de Rouen, se voit retirer brutalement son privilège. Elle s'en plaint, mais apparemment en vain (f.fr. 21937, f° 51)- Un vide est créé. Le chevalier de Limoges tente de bénéficier du privilège de Houard. Celui-ci s'oppose à la diffusion du Journal de Normandie. La Librairie répond en déclarant ne pouvoir donner au sieur de Milcent, qui fait son apparition dans l'affaire, le privilège déjà accordé à Houard (f.fr. 21865, f° 95) et intervient auprès du comte de Vergennes, ministre des Affaires étrangères. On connaît la suite : assez mystérieusement, M. obtient le privilège et réunit sous le titre de Journal de Normandie les Affiches de Machuel et le projet de Houard. M. va vouloir faire immédiatement de la feuille d'annonces - déjà assez originale - de Machuel un journal rendant compte des aspects les plus divers de la vie culturelle locale et nationale. Son projet rencontre dans un premier temps une certaine inertie {Journal de Normandie, 1786, p. 1). Cela ne décourage pas le dynamique et enthousiaste M., qui, en s'appuyant sur de nombreuses contributions, parvient à faire de son journal un véritable bureau d'esprit, où sont examinées les questions les plus graves (esclavage, réformes politiques, progrès économiques). M. est en 1788 un des premiers à lancer le mot « citoyen » et à briser le silence imposé en matière politique aux journaux. Cependant M. travaille aussi en harmonie avec les autorités: il reçoit ainsi de l'intendant l'ordre d'annoncer certaines publications (A.D. Rouen, C.1078). Sous la direction de M., le Journal de Normandie devient sans doute un des titres les plus attachants et les plus intéressants de la presse provinciale de la fin de l'Ancien Régime.

7. Publications diverses

L'oeuvre de M. est abondante et seulement en partie imprimée. Certaines attributions sont discutables. Se reporter à Cior 18.

8. Bibliographie

8. B.Un.; N.B.G.; H.G.P., t. I, p. 337-343. – Frère E.B., Manuel du bibliographe normand, Rouen, 185 7-1859. – B.N.: f.fr. 21865, 21937, 21978, 22011. – (A.V.P.) Archives de la ville de Paris, D.Q.7, 126631. – A.D. Rouen, C.909, 1078,1080, 2126, 2186. – B.M. Rouen, ms., m.233, Aublé R., Bibliographie de la presse rouennaise. – Gosseaume D.M., Précis analytique des travaux de l'Académie [...] de Rouen, Rouen, 1821. – Héron A., Liste générale des membres de l'Académie de Rouen, Rouen, 1903. – Le Patriote de Norman­die, 2 avril 1894. – Dubuc A., «Le journal de Normandie avant et durant les Etats généraux», dans Actes du congrès des sociétés savantes de Lyon, 1964,1.1, p. 385-404.

MENARD

Numéro

566

Prénom

Léon

Naissance

1703

Décès

1767

Léon Ménard (parfois orthographié Mesnard, Maynard ou Meynard) naît le 11 septembre 1703 (Germain) à Tarascón dans une vieille famille de magistrats et d'ecclésiastiques nîmois. Sa mère est une certaine Anne Chalamont, apparentée à la famille du père, Louis Ménard, conseiller au Présidial de Nîmes et antiquisant amateur à ses heures. Léon Ménard épouse en premières noces Anne Massip en 1726 et, sur le tard, en 1765, Sophie Bourcier de plus de trente ans sa cadette (Bayle).

2. Formation

M. entreprend ses études chez les Jésuites à Lyon, les poursuit à Toulouse où il étudie le droit, puis semble s'orienter vers la vie religieuse (il est tonsuré en 1719) avant de devenir conseiller au Présidial de Nîmes en 1725. Parallèlement à son activité de magistrat il se livre à des recherches historiques et savantes qui lui ouvrent les portes des académies de Lyon et de Marseille et, en 1749, celles de l'Académie des Inscriptions et Belles-lettres.

3. Carrière

M. commence par mener de front ses activités de magistrat et des recherches sur la ville de Nîmes. Il effectue à ce titre de nombreux voyages à Paris, où il est député par sa cour en 1744 et où il poursuit ses recherches. A partir de 1749, M. réside le plus souvent à Paris où le retiennent ses fonctions à l'Académie, pour laquelle il rédige de nombreux mémoires et qu'il ne peut quitter sans congé du roi. Il se rend en 1763 en Avignon dont il envisage d'écrire l'histoire, revient à Nîmes en 1765 qu'il quitte peu après son mariage pour Paris où il s'éteint.

4. Situation de fortune

La modeste fortune familiale, mise à mal par l'opération Law et l'érosion de la valeur des offices du Présidial de Nîmes, ne résiste pas au coût de la ruineuse édition de l'Histoire civile, ecclésiastique et littéraire de la ville de Nîmes, l'œuvre majeure de M. Un moment créancier de son Présidial pour 23 000 £ et malgré un premier mariage qui lui apporte 16 000 £ de dot, M. finit son existence dans la plus grande précarité. En 1752, il obtient du Conseil de la ville de Nîmes, du diocèse et des états de la province diverses gratifications d'un montant total de 10 000 £ auxquelles s'ajoute une pension de 600 £. Cela ne suffit pas et en 1757 M. doit proposer à la Bibliothèque royale l'achat des pièces qu'il a rassemblées pour son estimable Histoire de Nîmes. A la fin de sa vie M. en est réduit à demander des secours à son fils.

5. Opinions

M. a consacré sa vie à de paisibles et obscures recherches tournées vers le passé. Il semble rester à l'écart de la vie et des querelles littéraires de son temps. Il est cependant question de lui confier une édition des œuvres de Montesquieu (D7538) et on le voit également défendre contre Voltaire l'authenticité du Testament politique de Richelieu. Si Caylus ne l'aime pas (Bayle), ses autres collègues de l'Académie (ex. Foncemagne) semblent l'apprécier. M. a de nombreux correspondants et notamment Séguier de Nîmes.

6. Activités journalistiques

La carrière journalistique de M. est apparemment brève et de bien maigre importance. M. appartient à cette foule d'auteurs dont l'activité journalistique se réduit à l'envoi aux journaux de dissertations savantes.

Germain donne une liste de quatre contributions de M., toutes destinées au Mercure de France (elles sont signées): Mémoires sur des monuments antiques découverts à Nîmes (juin 1739, t. II, p. 1303-1317), Observations sur des antiquités découvertes à Nîmes (déc. 1739, t. II, p. 2984-3001), Dissertation sur un ancien monument découvert à Bourg Saint Andéol (mars 1740, p. 411-439), Mémoire pour servir à l'histoire de l'ordre de la boisson (janv. 1742, p. 88-122).

7. Publications diverses

7. Histoire des évêques de Nismes, La Haye, 1737. – Les amours de Callisthène et d'Aristoclée, La Haye, 1740. – Les mœurs et les usages des Grecs, La Haye, 1743. – Histoire civile, ecclésiastique et littéraire de la ville de Nismes, Paris, 1744-1758. – Réfutation du sentiment de M. de Voltaire qui traite d'ouvrage supposé le Testament politique du Cardinal de Richelieu, s.L, 1750. – Pièces fugitives pour servir à l'histoire de France, Paris, 1759.

8. Bibliographie

Germain A.C., Ménard, sa vie et ses ouvrages (avec un portrait), Montpellier, 1857. – Germain A.C. et Charvet M., «Documents inédits sur L. Ménard et sa famille», Comptes rendus de la Société scientifique et littéraire d'Alès, t. VII, 1875, p. 13-26. Bayle G., «L. Ménard à Avignon», Les Mémoires de l'Académie de Nîmes, 1894, p. 35-65.

MARQUER

Numéro

551

Prénom

Louis

Naissance

1653

Décès

1725

Louis Marquer (on trouve aussi Marquet ou Marquières) appartient à une vieille famille de la noblesse bretonne (Kerviller). Il naît à Vannes le 19 octobre 1653 de l'union d'une Damoyselle Poury et de Louis Marquer, procureur au siège presidiai de Vannes (A.D. Morbihan). Il meurt à La Flèche le 8 avril 1725.

2. Formation

Une santé très fragile (M. souffrira d'hydropisie et son autopsie révélera une pathologie cardiaque rarissime, une ossification partielle du cœur) perturbe le déroulement de ses études à La Flèche orientées vers les lettres et la théologie. Le 26 septembre 1670, M. devient novice de la Compagnie de Jésus. Il prononce ses quatre vœux le 2 février 1687.

3. Carrière

M. commence par mener une carrière itinérante d'enseignant dans les collèges provinciaux de la Compagnie. Il enseigne les mathématiques à Nantes, à Moulins, la philosophie à Eu, à Orléans et à Rouen. Après 1687 il professe la théologie scolastique à Amiens, à Vannes, à La Flèche, puis à Paris. A Paris entre 1703 et 1706, M. a parmi ses élèves le célèbre Yves Marie André qui le décrit comme un « esprit élégant mais mince». Parallèlement M. mène une carrière obscure mais féconde de journaliste dans l'équipe des Mémoires de Trévoux. En 1720 M. quitte Paris pour La Flèche, où il s'éteint le 8 avril 1725.

5. Opinions

La notice nécrologique consacrée par les Mémoires de Trévoux à M. témoigne de l'estime dont il jouissait au sein de la Compagnie. Les réserves exprimées par le jésuite malebranchiste Y.M. André pourraient s'expliquer par l'hostilité de M. à Malebranche. M. a dû avoir en tant que journaliste et du fait de la multiplicité de ses centres d'intérêt de nombreux correspondants. La B.N. possède une lettre de remerciements de M. au célèbre antiquisant N. Thoynard (1629-1706).

M. fait partie d'une des premières équipes chargées des Mémoires de Trévoux. Il collabore pendant plus de quatorze ans au périodique jésuite auquel il fournit, selon les sources unanimes, «un nombre infini d'extraits» (lettre du P. J. de Blainville, dans Faux). Il est de manière certaine l'auteur de l'extrait consacré au Traité des serins de Hervieux de Chanteloup, paru dans la livraison d'octobre 1713 (art. CXLII, p. 1722-1732). A la suite de ce compte rendu M. adresse à Hervieux une lettre imprimée en tête d'une réédi­tion de l'ouvrage (1745).

M. est peut-être l'auteur de l'extrait de l'Entretien d'un Philosophe chrétien avec un Philosophe chinois (art. LXXXIX, juil. 1708, p. 1134-1143). Le P. Ingold, éditeur de La Vie du R.P. Malebranche du P. André, attribue à M. la paternité de ce compte rendu polémique, auquel Malebranche, pourtant méprisant à l'égard des Mémoires de Trévoux (Chaudon, Dictionnaire historique, art. «Malebranche»), daigna répondre.

7. Publications diverses

La notice du Moreri, remarquablement précise, suivie par Q., fait à tort, pense-t-on aujourd'hui, de M. le responsable de la publication des sept premiers volumes des Nouveaux mémoires des missions de la Compagnie de Jésus dans le Levant.

M. aurait laissé à l'état de manuscrit une Armenia vêtus et recens (Moreri).

8. Bibliographie

Moreri ; Sommervogel. – Sommervogel C, « Essai histori­que sur les Mémoires de Trévoux», dans la Table méthodique des Mémoires de Trévoux, Paris, 1864-1865. – Backer A. de, Bibliothèque des écrivains de la Compagnie de Jésus, Paris, 1894,

t. V. – B.N., n.a.fr. 562. – Mémoires de Trévoux, art. LIV, juin 1726, p. 1140-1154. – Kerviller R., Répertoire général de bio-bibliographie bretonne, Rennes, 1885, rééd. 1985. Cherma A., Mancel G., Documents inédits pour servir à l'histoire philosophique [...] du XVIIIe siècle, Paris, 1844-1845, t. II, p. 336-337. – André Y.M., La Vie du R.P. Malebranche, éd. A.M.P. Ingold, Paris, 1886, p. 319. – Faux J.M., «La fondation et les premiers rédacteurs des Mémoires de Tré­voux», Archivum historicum Societatis Jesu, Rome, 1954, t. XXIII, p. 131-151. – Desautels A.R., Les Mémoires de Trévoux et le mouvement des idées au XVIIIe siècle, Rome, 1956. Malebranche, Œuvres complètes, éd. A. Robinet, Paris, 1986, t. XV.

LINGUET

Numéro

525

Prénom

Simon

Naissance

1736

Décès

1794

Simon Nicolas Henri Linguet est né le 14 juillet 1736 à Reims, d'un père pro-janséniste qui fut successivement professeur à Paris, sous-principal du collège de Beauvais puis greffier de l'élection à Reims, où il fut exilé par lettre de cachet pour ses sympathies à l'égard des convulsionnaires, et d'une mère, fille de procureur. Il était le petit-fils d'un fermier des bords de l'Aisne. Il se donna le pseudonyme de «Kong-Kin» pour son Discours économique prononcé dans l'Académie impériale de Fong-Yang-Fou (La Haye, 1768) et celui de «M.

2. Formation

Il fit de brillantes études au collège de Beauvais où il rivalisa avec Delille, Dorât et Thomas, puis à Paris. Il y obtint les trois premiers prix de l'Université au concours de 1751. Sa réussite en mathématiques lui fit d'abord envisager une carrière dans les Ponts et Chaussées, mais il interrompit ses études pour le service du duc de Deux-Ponts puis celui du prince de Beauvau et, en 1764, se consacra définitivement au droit pour entrer au barreau.

3. Carrière

Secrétaire du duc de Deux-Ponts, il voyagea en Pologne mais dut abandonner sa place après une obscure histoire de cheval volé. De retour à Paris, il cultiva les lettres avec le poète Dorât, qu'il quitta bientôt pour une affaire de 100 ou 200 louis qu'il aurait dérobés à son ami. Il suivit alors le prince de Beauvau, comme aide de camp pour la partie mathématique du génie, en Espagne : il y apprit l'espagnol et traduisit Calderón et Lope de Vega (Théâtre espagnol, 1768, 4 vol.). Après son Histoire du siècle d'Alexandre (Amsterdam, 1762), il tenta vainement d'entrer à l'Académie française et devint, avec Fréron, l'adversaire des philosophes. Il fit un voyage en Espagne et s'installa quelque temps à Abbeville (à partir de 1763) où il essaya, sous un faux-nom, de renouer avec le parti philosophique et avec la carrière des lettres.

Devenu avocat, il défendit des causes fameuses : celles du chevalier de La Barre, d'Abbeville (1766), du duc d'Aiguillon (1770), de la marquise de Gouy (1771), du comte de Morangiès contre les Verron (1772), de la comtesse de Béthune (1774). Cette dernière affaire lui valut d'être rayé du barreau (arrêt du 11 févr. 1774).

L. se réfugia alors en Hollande, en Angleterre (1777) puis en Belgique pour relayer son Journal de politique, interdit, par des Annales politiques, civiles et littéraires. A la fin d'avril 1778, il fut autorisé par Vergennes à rentrer en France mais ses prises de position dans les Annales occasionnèrent de nouveau son exil. Jusqu'en septembre 1780, il vit à Ostende où il a fondé une imprimerie clandestine, puis à Bruxelles. Le 27 septembre, il est arrêté à Paris et enfermé à la Bastille, d'où il sortira le 19 mai 1782 pour s'exiler de nouveau. En juillet 1786, il revient à Paris où il reçoit un accueil triomphal.

Nouveaux séjours à Londres et Bruxelles où il poursuivit la rédaction de ses Annales. Remarqué par l'empereur Joseph, il se rendit à Vienne et y reçut des lettres de noblesse et une gratification de 1000 ducats. Mais l'incorrigible L. se brouilla avec l'empereur pour avoir pris la défense de Van der Noot et des insurgés du Brabant (1790).

Auteur d'un Mémoire contre le pouvoir arbitraire, L. devait profiter de la Révolution française pour revenir en France : il y reprit ses Annales jusqu'en 1792 ; il défendit à la Constituante, contre les blancs, les droits de l'Assemblée coloniale de Saint-Domingue (1791) ; membre des Cordeliers, il échoua à la députation ; adversaire de Barnave, il fut en relation avec Camille Desmoulins, Danton et Robespierre mais, la terreur venant, il se retira à Marnes, près de Ville-d'Avray. Il fut arrêté et emprisonné en septembre 1793, jugé neuf mois plus tard sur sa demande et guillotiné le même jour, pour «avoir encensé les despotes de Vienne et de Londres».

4. Situation de fortune

L. apparaît comme un des fondateurs du journalisme politique. Son Journal appartenait au libraire Panckoucke, fermier d'un privilège qui lui concédait le droit de composer un tel journal. L'acte qui lie L. à Panckoucke (copie aux A.A.E. avec lettre à Vergennes) assure au rédacteur des honoraires de 10 000 £ par an ; en outre, «dans le cas où le nombre des exemplaires excéderait 6000, M. Linguet recevrait 1000 livres de plus pour chaque millier de souscriptions qui surpasserait ce nombre» (soit un produit de 100 000 £ calculé par L. lui-même). Chaque souscripteur payait 18 £. L'accord prévoyait même une sorte d'indemnité de « licenciement» éventuel en faveur de L. qui «n'est pas un gagiste qu'on peut congédier sans cérémonie, et qui a du moins des indemnités à prétendre» (annotation manuscrite de L. sur copie citée ci-dessus).

5. Opinions

L. est le promoteur d'un nouveau type de journalisme, engagé, employant un vocabulaire neuf et s'exprimant sur les sujets les plus divers (politique, économie, société, finances publiques). Esprit pénétrant, dialectique, pourfendeur des modes et des apparences, L. qui par ailleurs donne souvent à ses feuilles le tour de plaidoyers personnels, se bat sur tous les terrains : il croise le fer avec les philosophes, les «Economistes», critique les prétentions parlementaires, les arrière-pensées des abolitionnistes de l'esclavage, dont il dénonce les excès, ou les engouements de son siècle. Il combat encore contre la tolérance ou en faveur de l'Assemblée coloniale de Saint-Domingue. L'anticonformisme, les paradoxes de L. déconcertent et sa pensée peut paraître chaotique. Elle ne manque pas pour autant de cohérence interne. Fondamentalement, L. est un conservateur, soucieux avant tout, malgré ses critiques corrosives, de paix civile.

6. Activités journalistiques

Le Journal de politique et de littérature (Bruxelles, 1774-­1778, in-8°) comporte 12 vol., publiés du 25 octobre 1774 au 15 juin 1778 (D.P.1 684). Dans son Journal, L. s'en prend aux Philosophes, aux académiciens, aux ministres, au pain de blé, etc. ; Maurepas dut supprimer le Journal en 1776. La Harpe en reprendra aussitôt la rédaction, jusqu'au mois de juin 1778. L. bénéficia de la collaboration de Dubois-Fontanelle (pour la partie politique), Cadet de Sainneville, de François de Neufchâteau, du jeune Brissot et de Mallet Du Pan.

Les Annales politiques, civiles et littéraires du XVIIIe siècle (Londres, 1777-1792, in-8°) comprennent 179 numéros qui forment 19 vol., publiés du 24 mars 1777 à mars 1792

(D.P.1 114).

7. Publications diverses

L. est l'auteur de nombreux ouvrages parmi lesquels on peut citer les plus significatifs : Le Fanatisme des philosophes, Londres et Abbeville, 1764. – Nécessité d'une réforme dans l'administration de la justice et dans les lois civiles de France, Amsterdam, 1764. – Socrate, tragédie en 5 actes, Amsterdam, 1764. – Histoire des révolutions de l'Empire romain, Paris, 1766, 2 vol. – La Cacomonade, «histoire politique et morale, traduite de l'allemand du docteur Pangloss, par le docteur lui-même depuis son retour de Constantinople», Cologne, 1766. – Théorie des lois civiles, Londres, 1767 («où l'on trouva un jour de quoi [le] poursuivre comme un républicain furieux»). – Histoire impartiale des Jésuites, s.l., 1768. – Mémoires et plaidoyers, Paris, 1773, 7 vol. Mémoires sur la Bastille, Londres, 1783. – Examen des ouvrages de Voltaire considéré comme poète, comme prosateur, comme philosophe, Bruxelles, 1788.

8. Bibliographie

Devérité L.A., Notice pour servir à l'histoire de la vie et des écrits de S.H.N. Linguet, Liège, 1781. – Monselet C, «Linguet», dans Les Oubliés et les dédaignés, Paris, 1857,1.1, p. 1-50. – Martin H., Etude sur Linguet, Travaux de l'Académie de Reims, t. XXX-XXXI, 1861. – Gruppi J., Un avocat journa­liste au XVIIIe siècle, Paris, 1895. – Levy D.G., «Simon Linguet's sociological system : an exhortation to patience and invitation to revolution», S.V.E.C. 70, 1970, p. 219-293. – Id., The Ideas and careers of S.H.N. Linguet : a study in the eighteenth-century French politics, U. of Illinois Press, 1980. Id., « Despotism in S.H.N. Linguet's science of society», S.V.E.C. 191, 1980, p. 761-768. – Boss R.I, «Linguet : the reformer as anti-philosophe», S.V.E.C. 151, 1976, p. 333-351. – Conti Odorisio G., S.N.H. Linguet dall'Ancien Regime alla Rivoluzione, U. di Roma, 1976. – Grange H., «Les réactions d'un adversaire des philosophes : Linguet», R.H.L.F., mars-juin 1979, p. 208-221. – Barny R., «Un anti-philosophe dans la Révolution : S.N.H. Linguet de 1788 à 1794», S.V.E.C. 190, 1980, p. 381-382. – Baruch D., Simon Nicolas Linguet ou l'Irrécupérable, Paris, Bourin, 1991.– Reynaud D., «Linguet faiseur de journal», mémoire dactylographié en vue de l'habilitation, U. de Lyon II, 1996.

DINOUART

Numéro

241

Prénom

Joseph

Naissance

1716

Décès

1786

Joseph Antoine Toussaint Dinouart naît à Amiens le 1er novembre 1716, dans la paroisse de Saint-Rémy (Daire), dont les registres n'existent plus. Il est le fils de Marguerite Cornet et de Jean Baptiste Dinouart, détenteur de la modeste charge de sextelier (mesureur de grains), représentant un capital de 4500 £ (Camus). D. meurt à Paris de mort subite, le 23 avril 1786 (procès-verbal des scellés), laissant un frère, une nièce et deux neveux. L'un d'eux est ecclésiastique, tous les autres membres de la famille appartiennent au monde des métiers.

2. Formation

D. montre de précoces dispositions pour la poésie, notamment pour la latine, dans laquelle il excellerait. Il serait l'auteur, à dix-sept ans, d'une élégie à l'adresse de Mgr Sabatier, mais aurait aussi composé des vers galants (Camus). Cela ne l'empêche pas de s'orienter très tôt vers la carrière ecclésiastique. Il semble faire à Amiens de solides études religieuses, qu'il obtient par faveur de terminer à Paris, où il est reçu maître ès arts tout en se livrant à la prédication (Daire). D. a été également membre de l'Académie des Arcades, où il entre sur la recommandation du cardinal Passionei, et primé par l'Académie des Palinods de Rouen.

3. Carrière

De retour à Amiens, après ses études, D. est affecté au service de la chapelle Saint-Honoré, succursale de la paroisse de Saint-Rémy. Cette charge ne comble pas les vœux du jeune ecclésiastique, visiblement attiré par la carrière littéraire et la vie mondaine. En 1749, il publie, sous le voile d'un anonymat transparent, Le Triomphe du sexe, qui lui vaudra la réputation d'être un des précurseurs en France du féminisme. Desservi par cette publication légère et d'obscures rumeurs, peut-être inspirées par l'envie (Daire), D. est interdit par son évêque, l'austère Mgr de La Motte, qui souhaite reprendre en main son clergé. D. quitte sans déplaisir Amiens et ses concitoyens et s'installe à Paris, où il s'illustre comme prédicateur à Saint-Eustache et s'ouvre les portes de quelques salons. Un rapport de police du mois d'août 1752 le décrit, de manière expéditive, comme «un jeune homme qui est précepteur de Mad. de Marville et qui fait asses joliment des vers» (n.a.fr. 10781). L'homme, à cette date, est connu au plan littéraire et ses activités n'inspirent aucun soupçon aux sourcilleux inspecteurs de la Librairie. D. est alors le protégé de Le Blanc, architecte de l'Intendance (n.a.fr. 10781), de Mme de Forcalquier pour laquelle il compose des vers (Daire, p. 349), et surtout du puissant avocat général Orner Joly de Fleury, au moins depuis 1751 (allusion d'une lettre dans Joly de Fleury, 573, f° 31). D. est un conseiller occulte en matière ecclésiastique de Joly de Fleury, auquel il fournit des notes bibliographiques, des avis, des informations et même des propositions de correction (fonds Joly de Fleury). On a notamment plusieurs jugements de D. sur des mandements d'évêque. Joly de Fleury, en retour, obtient pour son protégé, dans un premier temps, une place de précepteur chez le lieutenant de police Marville (N.B.G.), puis le canonicat de Saint-Benoît à Paris (que D. détient déjà en 1760). Il l'appuiera ultérieurement dans ses démêlés avec la censure (n.a.fr. 3347) et ses projets journalistiques. Parallèlement à ses activités souterraines ou journalistiques, qui commencent dès 1746, D. se lance dans une féconde, mais peu originale carrière littéraire, dans laquelle il gagne le surnom d'Alexandre des plagiaires : D. compile, traduit, adapte en les défigurant souvent un grand nombre d'ouvrages, quand il ne se livre pas au pur et simple pillage.

4. Situation de fortune

Petit ecclésiastique de modeste extraction, D. est comme nombre de ses semblables contraint de rechercher protections et sources de revenus. Il parviendra ainsi à cumuler plusieurs pensions : Mme de Marville lui sert une rente viagère (de 600 £, selon Daire), qu'il perçoit encore effectivement en 1771 (testament) et qui complète une pension sur le doyenné de Moirax, près d'Agen, et une part sur le chapitre de Saint-Benoît (testament). S'y ajoute le produit de son intense activité littéraire et notamment le revenu attaché au Journal ecclésiastique (Camus, sans précision, parle de «jolis bénéfices» ; le précieux n.a.fr. 1180 ne donne aucune indication sur ce point). Et cependant D. semble avoir vécu dans une certaine gêne. La liasse de l'étude J.C. Estienne, contenant l'inventaire des biens de D., manque et, en son absence, toute pesée précise de ses revenus est impossible. Toutefois, du procès-verbal des scellés ne se dégage pas une impression de grande aisance et les legs du testament sont modestes. Dans ce dernier document d'ailleurs D. affirme n'avoir eu au cours de sa vie que «très peu de biens». Déjà, en 1759, dans une lettre à Joly de Fleury, D. évoque «ses petits revenus» (Joly de Fleury, 573, f° 31). Sans doute cela pousse-t-il D. à s'endetter pour de petites sommes. Ainsi en septembre 1764 le censeur Salmon, approbateur du Journal ecclésiastique, prête à D. 164 £, qui ne sont toujours pas remboursées en novembre 1766 au moment du décès de Salmon (Inventaire Salmon, Etude LXXXII-428, f° 172). Les compilations ont vraisemblablement assez peu rapporté à D. qui s'est, par ailleurs, chargé de l'éducation de sa nièce et de ses neveux (testament).

5. Opinions

D. aurait été janséniste. C'est ce que semble insinuer Feller-Weiss. Dans la notice qu'il lui consacre, Feller-Weiss fait obscurément reproche à D. de s'être laissé captiver par «la petite Eglise» (il ne peut évidemment s'agir de l'Eglise concordataire). Le D.T.C. juge, de manière plus explicite, empreint de jansénisme le tome III de L’Abrégé chronologique de l'histoire ecclésiastique de Macquer (dû à la plume de D.), paru en 1768. Les débuts de D., eux, n'ont rien de janséniste et le mouvement janséniste, dans les colonnes des Nouvelles ecclésiastiques, réserve un accueil fort réticent au Journal ecclésiastique : tout en conseillant de suivre dans sa carrière ce nouveau périodique, le célèbre organe des jansénistes note le caractère présomptueux du projet (mars 1761), décèle dans les premières livraisons des passages burlesques, des affirmations condamnables et regrette la place qui y est faite aux Jésuites (nov. 1760 et mars 1761). Après 1761 le Journal ecclésiastique n'est plus mentionné par le périodique janséniste jusqu'au décès de D. (échapperait-il à la critique des Augustiniens?). Les Nouvelles ecclésiastiques ne consacrent, fait sans doute significatif, aucune notice nécrologique à D. dont le décès n'est évoqué qu'indirectement en 1788. Toutefois, commentant le changement de direction survenu à la tête du Journal ecclésiastique à cette occasion, les Nouvelles ecclésiastiques, notent que le nouveau directeur est acquis, à la différence de son prédécesseur, aux idées des Jésuites (févr. 1788, p. 22). D. aurait-il évolué vers des positions jansénistes sans devenir janséniste? Un point semble assuré : au début de sa carrière D. n'est point janséniste : dans un rapport à Joly de Fleury il déconseille des mesures qui pourraient favoriser les thèses jansénistes (Joly de Fleury, 570, f° 331).

6. Activités journalistiques

D. entre dans la carrière journalistique en envoyant à partir de 1746 une série d'articles au Journal de Verdun (1746-1747). Il s'agit de dissertations à caractère académique. La première, parue en août 1746, qui donne le ton des suivantes est une «Lettre sur les gens de lettres» (Daire). Dans un autre article D. propose des Réflexions sur les gens en dessous de nous. Par la suite, D. enverra encore au Journal de Verdun un «Eloge latin de M. Joly de Fleury» (févr. 1760).

Au cours de l'été 1753 D. tente de lancer son propre journal et présente, avec le soutien du marquis de Custine (f.fr. 22133, f° 56) un projet de Journal ecclésiastique, fort proche de celui qui verra le jour (f.fr. 22133, f° 57)- Le projet est rejeté par Malesherbes lui-même, au motif que le nouveau périodique ferait double emploi avec le Journal des savants et avec les Mémoires de Trévoux. Peu après D. rejoint, à partir de 1755 et pour quatre ans (Daire), l'équipe du Journal chrétien (ou Journal de piété) de l'abbé Joannet (D.P.1 627). Il est notamment l'auteur d'un projet d'académie ecclésiastique {Journal de piété, première feuille de 1756). Joannet tire profit des puissantes relations de son collaborateur. En mars 1759 il utilise une note de Joly de Fleury, le protecteur de D., favorable à un extrait devant paraître dans le Journal de piété, pour vaincre les réticences du censeur Salmon, avant de tenter, avec le soutien de D., mais en vain, de se passer de l'approbation du prudent censeur (Joly de Fleury, 573, f° 31 et suiv.). L'alerte est plus chaude en 1760 : le belliqueux Saint-Foix, accusé par le Journal chrétien d'avoir voulu, dans ses Essais sur Paris, tourner en ridicule la religion, attaque en justice Joannet et D. (CL., août 1760). A nouveau Joly de Fleury s'interpose et parvient à arrêter la procédure (lettre de Joly de Fleury à Malesherbes, n.a.fr. 3344, f° 134). Il soutient par ailleurs le nouveau projet de Journal ecclésiastique présenté par D. (qualifié «d'associé» au Journal chrétien). Le projet en est déjà à un stade avancé : D. a trouvé un protecteur, le prince de Rohan, coadjuteur de Strasbourg, et un censeur, Salmon. Le journal obtient une permission simple le 24 septembre 1760 (f.fr. 21962, f° 100), pour trois ans et paraît dès octobre 1760. La formule journalistique est originale (D.P.1 727), elle mêle aux matières proprement religieuses des nouvelles littéraires aussi bien que médicales (les maladies vénériennes). Si elle heurte certains lecteurs (les Nouvelles ecclésiastiques, selon Daire, s'en font l'écho), elle est louée par des autorités comme le cardinal Passioneï et semble connaître le succès. D. y travailla jusqu'à son décès : sous les scellés, on trouve les feuilles du numéro à paraître.

7. Publications diverses

Se reporter au Journal ecclésiastique, février 1780, à la notice de Daire, et à Cior 18, n 24981-25001.

8. Bibliographie

Feller-Weiss ; N. B. G. ; D. T. C. – Barbier A., Examen critique des dictionnaires historiques. – CL., t. II, août 1760, p. 424. – Journal ecclésiastique. – Nouvelles ecclésiastiques, 16 nov. 1760, 6 mars 1761 et 6 févr. 1788. – Procès-verbal des scellés après le décès de D., A.N., Y12816. – Testament olographe de D., A.N., Etude XLIX-872. – B.N., f.fr. 21962, 22133 ; n.a.fr. 1180, 3344, 3347. – B.N., fonds Joly de Fleury, 567, 570, 573, 601. – Daire L.F., Histoire littéraire de la ville d'Amiens, 1782. – Camus A., «Un prêtre amiénois féministe au XVIIIe siècle », Bulletin de la Société des Antiquaires de Picardie, 1941, p. 256-281. – Balestrazzi A.M., «L'abbé Dinouart e le virtù del silenzio», Ragioni dell'anti-illuminismo, dir. L. Sozzi, Alessandria, 1992.

BROSIUS

Numéro

118

Prénom

Henri Ignace

Naissance

vers 1760

Décès

vers 1840

Brosius Henri Ignace naît à Luxembourg vers 1760 (La B.N.B. donne le 17 juin 1764) de Henri Brosius, notaire, et de Barbe Schwab et meurt à Aix la Chapelle vers 1840. Henri Ignace Brosius est pafois confondu avec François Xavier Brosius, professeur et vicaire général dans le Luxembourg. Sommervogel doute qu'il soit le frère (B.N.B., De Backer) du Jésuite Pierre Brosius qui serait né cinquante-sept ans avant lui.

2. Formation

B. fait ses humanités puis des études de théologie au séminaire de Luxembourg. Il aurait eu pour professeur F.X. de Feller dont il deviendra un collaborateur dans le domaine journalistique. Son affiliation à la Compagnie de Jésus à un âge fort précoce – il a neuf ans au moment de la suppression de la Compagnie, si on situe sa naissance en 1764 – est remise en cause par Sommervogel. B. semble avoir embrassé, quoi qu'il en soit, l'état ecclésiastique ; Theux, Warzée entre autres le qualifient d'abbé. Pie VI le fait notaire apostolique.

3. Carrière

B. se lance très jeune dans le journalisme en devenant en janvier 1783 (Capitaine) rédacteur du Journal historique et politique, figure de proue du journalisme religieux. A partir de 1786 le journal adopte une ligne nettement critique vis-à-vis de la politique religieuse et administrative de l'empereur Joseph II. Pour se mettre à l'abri des tracasseries de l'administration impériale B. s'installe à Liège en 1788 et continue à critiquer la politique impériale. B. embrasse tout naturellement la cause de la Révolution brabançonne (1789-1790), dont les acteurs projetaient de créer des Etats Belgiques Unis. La fin de la Révolution contraint B. à l'exil, qui le conduit aux Etats-Unis, où il demeure jusqu'en 1815 avant de s'établir à Aix-la-Chapelle où il vivrait les vingt-cinq dernières années de sa vie.

4. Situation de fortune

On est peu renseigné sur les moyens d'existence de B., qui semblent avoir varié au gré des circonstances. Son farouche engagement en faveur des Etats Belgiques Unis lui apporte de substantiels revenus : B. recevrait 1306 florins des Etats de Brabant en 1790 (Capitaine). Le Journal européen (18 février 1792) insinue à cet égard que le zèle de Brosius, comme celui de Feller et de Linguet, est intéressé. B. aurait été par ailleurs également imprimeur au moins de son Journal philosophique et chrétien. En Amérique, Brosius vit apparemment de leçons de français et d'allemand et il recevrait à la fin de sa vie une pension de la Compagnie de Jésus (B.N.B.), ce qui pose le problème de ses liens avec les Jésuites que Sommervogel paraît s'attacher à nier.

5. Opinions

B. est un des porte-parole les plus engagés du parti nationaliste et ultra catholique dirigé par Van der Noot et Van der Eupen. C'est également avec Feller – auquel il donne des articles pour le Journal historique et littéraire – un des plus farouches adversaires de la Philosophie des Lumières. L'extrémisme de ses prises de position suscite de nombreux écrits polémiques et prépare la restauration autrichienne en discréditant aux yeux des Belges la cause nationaliste.

6. Activités journalistiques

B. serait rédacteur, à compter du 1er janvier 1783, du Journal historique et politique des principaux événements du temps présent (D.P.1 753). Le journal est interdit, en raison de ses prises de position critiques vis-à-vis de la politique impériale, par une ordonnance du 29 janvier 1788 (annulée par un édit du Congrès du 29 mars 1790). Le titre continue de paraître à Liège. Dans l'empire le titre devient, sans changement de contenu, Le Nouvelliste impartial (13 février 1788 - 30 décembre 1789). Ce journal toléré par l'administration impériale sous réserve de se soumettre à la censure est dénoncé aux autorités.

Lors de la Révolution brabançonne B. dirige Le journal philosophique et chrétien dédié au Congrès des Etats Belgiques Unis et pourchassé par le gouvernement autrichien. B. est peut-être brièvement emprisonné à la suite de cette expérience (Le Postillon européen, 23 avril 1791).

B. donne par ailleurs des articles au Journal historique et littéraire de Feller (B.N.B. ; (D.P.1 750).

7. Publications diverses

B. est aussi l'auteur de brochures polémiques : L'Assemblée nationale vengée des calomnies du fanatisme, s.l.n.d. (pièce prohibée le 17 février 1791). – La Démolition raisonnée du séminaire profane érigée à Louvain en 1786, s.l.n.d. – Catéchisme d'un bon citoyen, Liège, 1792.

8. Bibliographie

(B.N.B.) Biographie nationale, publiée par l'Académie royale de Belgique, Bruxelles, 1872. – Warzée A., Essai historique et critique sur les journaux belges, Gand, 1845. – Theux de Montjardin X., Bibliographie liégeoise, Bruges, 1885. – Capitaine U., Recherches historiques et bibliographiques sur les journaux et les écrits périodiques liégeois, Liège, 1850.