COURT DE GÉBELIN

Numéro

201

Prénom

Antoine

Naissance

1725?

Décès

1784

Né à Nîmes en 1725 (d'après Rabaut-Saint-Etienne, Dardier et Hugues), en 1728 (selon Haag 2 et N.B.G.). P. Schmidt avance l'hypothèse d'une naissance en 1719 à Lausanne: son père, Antoine, aurait changé la date pour dissimuler le peu de précocité de son fils. Protestant et Français, il obtient en 1752 des lettres de naturalisation comme citoyen de Lausanne.

Il ne se maria pas. Mlles Linot et Fleury s'intéressèrent au sort du jeune homme lors de son arrivée à Paris en octobre 1763.

2. Formation

Destiné au pastorat, il eut une formation encyclopédique sous la direction de son père et de J.P. Loys de Chézeaux. Il fit ses études à l'Académie de Lausanne et non au séminaire français dirigé par son père. Il soutint sa thèse de théologie le 4 juin 1754. Consacré pasteur en septembre 1754, il entra comme lecteur au séminaire de Lausanne. Pendant toute cette période, il compléta sa formation théologique et linguistique.

3. Carrière

Il servit de secrétaire bénévole à C.G. Loys de Bochat, puis à son père de 1743 (Dardier, p. 19) à la mort de celui-ci en 1760. Au séminaire de Lausanne, il est chargé des cours de morale et de logique, puis de controverses avec l'Eglise romaine. En 1763, après l'échec des Toulousaines, il quitte Lausanne, tente de se faire nommer député des Eglises réformées au synode de Nîmes de 1763 et obtient le poste de correspondant des Eglises, poste qu'avait occupé son père. En 1781, le garde des Sceaux et le directeur de la Librairie, le président Le Camus de Neville, le font nommer censeur royal, «quoique protestant» (M.S., t. XXV, p. 337). Selon lui, les mêmes autorités le font participer à l'Encyclopédie méthodique de C. J. Panckoucke. Deux de ses projets connus ont échoué : celui d'une banque protestante destinée à acheter un édit de tolérance pour les réformés, en 1764 (Schmidt, p. 42), et celui d'un journal protestant proposé par souscription, en 1766 (Schmidt, p. 73).

Il réside à Lausanne de sa naissance (?) à 1763. Sa tournée auprès des Eglises réformées de France le mène de Nîmes (juin 1763) à Paris (oct. 1763) par le Béarn, Bordeaux, La Rochelle, Poitiers, Chartres. Il habite à Paris à l'hôtel Saint-Martin, rue des Ménétriers, puis dans la «Maison de M. Boucher, secrétaire du Roi, rue Poupée, seconde porte cochère à droite en entrant par la rue Hautefeuille», enfin dans les locaux du Musée de Paris, rue Dauphine, à partir du 22 novembre 1782 (M.S., t. XXI, p. 14). La maison est louée «au nom de M. de Gébelin» (ibid.).

Il a fondé ou a participé à la fondation de la Société de l'Etoile (Dardier, p. 62-63), de la Société libre d'émulation de France, vers 1777, de la Société Apollinienne dont il est président (M.S., t. XVI, p. 88) et qui devient en novembre 1781 le Musée de Paris. Il a été membre ou associé de la Société économique de Berne, de l'Académie royale de La Rochelle, de l'Académie de Dijon, de l'Académie de Rouen, de l'American Academy of Arts and Sciences.

Sa confession le rendait inéligible à l'Académie des Inscriptions et Belles-lettres, bien qu'il fût en relations suivies avec nombre de ses membres.

4. Situation de fortune

Ses ressources ont toujours été médiocres, en dépit d'un train de vie modeste. A Lausanne, il disposait de 600 £, dont 300 au titre de correspondant des Eglises. En France, son héritage lui procure une rente d'environ 500 £, à quoi s'ajoutent de 1763 à 1767, 450 £ annuelles accordées par le synode de Nîmes. Il est lui-même l'éditeur du Monde primitif proposé en souscription à 12 puis à 14 £ le volume. C'est une opération financière désastreuse selon Court de Gébelin lui-même (lettre à Solier, juil. 1777, Schmidt, p. 127). Le premier volume n'a vu le jour que grâce à un prêt de 5000 £ de Mlle Fleury (Dardier, p. 38). En 1780, l'Académie lui octroie le legs Valbelle (900 £), et l'année suivante, Garat renonce au même legs en sa faveur. Sa participation aux articles « Antiquités grecque et romaine, médailles et inscriptions, blason, mythologie, art militaire des Anciens», de L’Encyclopédie méthodique lui procure quelques revenus en 1763. Dans sa correspondance, il se plaint toujours de manquer d'argent: ses travaux, ses fonctions officieuses dans les Eglises réformées, sa présidence du Musée étant continuellement des causes de dépense. Il meurt en laissant 36 000 £ de dettes (Coquerel, t. II, p. 605).

5. Opinions

Il a servi toute sa vie la cause du protestantisme, aspect de son activité particulièrement étudié par tous ses biographes. Il a eu une importante activité maçonnique dont il a dû se justifier auprès de ses amis protestants. Co-fondateur du Rite des Philalèthes à l'intérieur de la loge des Amis Réunis (Amiable, p. 190), auteur d'une série de cours sur les allégories des grades maçonniques à la Loge Ecossaise (Amiable, p. 190), il est membre de la Loge des Neuf-Sœurs dont il devient dignitaire en 1778, et où il parraine Voltaire en avril 1778 (Besuchet, t. II, p. 71-79). Il fonde en novembre 1780 la Société Apollinienne, «dédoublement de la Loge des Neuf-Sœurs» (Amiable, p. 152; Le Bihan, passim). Habile à se ménager des protections, il s'est gardé de donner prise à tout soupçon de progressisme. Il est en relations avec le milieu économiste (Turgot, Quesnay, Mirabeau le père), mais aussi avec le comte de Saint-Florentin, Choiseul, Vergennes (sous le couvert de qui il reçoit le courrier étranger), Bertin surtout, dont il perçoit la retraite en 1781 comme une perte importante. Le Monde primitif compte de nombreux ecclésiastiques parmi ses souscripteurs, dont le fameux Christophe de Beaumont, bien connu pour la violence de ses prises de position contre Rousseau et les philosophes. Ces derniers, bien que Diderot figure sur la liste des souscripteurs, semblent avoir toujours eu une attitude réservée à son égard.

6. Activités journalistiques

L'intérêt de C. pour le journalisme est ancien. Dès 1752, il aurait eu le projet d'un «gazetin protestant», projet repris ultérieurement par Rabaut Saint-Etienne. En août 1765, dans une lettre à Seigneux de Correvon (Schmidt, p. 74), il dit s'intéresser aux feuilles de commerce et d'agriculture et n'hésite pas à affirmer: «ce siècle est le siècle des journaux, des feuilles périodiques, des papiers publics». En septembre 1766 réapparaît dans sa correspondance le projet d'une «Gazette protestante de l'Europe» (Schmidt, p. 76) ou d'un «Observateur protestant» qui devient en février 1767 la «Gazette protestante de l'Europe». Conçu sur le modèle de la Gazette de France, le périodique devait paraître à 2500 exemplaires, à raison d'une feuille in-4° de 4 p. par semaine. L'abonnement prévu était de 24 £ par an. Le premier numéro, imprimé en Angleterre, devait sortir en mai 1767. C. essaie d'obtenir des souscriptions par ses relations à Lausanne et promet un dixième de la souscription à celui qui les lui procurera. Mais en avril 1767, son échec au synode du Bas-Languedoc fait définitivement échouer le projet.

Ce goût du journalisme explique peut-être pourquoi Le Monde primitif, le grand ouvrage de C., envoyé par livraisons aux souscripteurs de 1773 à 1782 en 9 volumes, revêt parfois une allure de périodique.

C. a, selon ses biographes, participé avec Franklin et J.E. Genest aux Affaires de l'Angleterre et de l'Amérique, publié «A Anvers» de 1776 à 1778, en 15 vol. in-8° (D.P.1 4). Enfin, en 1771, C. a, de son propre aveu (Monde primitif, t. I, «Allégories orientales», p. 90), assuré un compte rendu paru anonymement dans la rubrique «critiques raisonnées» des Ephémérides du citoyen (1771, t. VIII, p. 188 et suiv.). Il s'agit de l'ouvrage de l'orientaliste français Anquetil-Duperron intitulé Liturgie et Cosmogonie des Guèbres ou des anciens mages; traduites par M. Anquetil de l'Académie Royale des Inscriptions et Belles-lettres.

7. Publications diverses

Liste des œuvres de C. dans Dardier, Reish (lacunaire), Schmidt et Faivre-Mercier. Certains écrits sont restés inédits, par exemple le mémoire «De l'Origine et des Propriétés de la langue parlée dans l'île de Taïti» et le «Mémoire sur l'abrégé de la langue latine» (voir S. Auroux et A. Boës, «Court de Gébelin et le comparatisme: deux textes inédits», dans Histoire, Epistémologie, Langage, t. III, n° 2, 1981, p. 21-67.

8. Bibliographie

B.Un.; Haag 2; N.B.G.; Feller- Weiss ; M.S. Besuchet J.C., Précis historique de la Franc-maçonnerie, Paris, 1829, t. II, p. 71-79. — Coquerel C., Histoire des Eglises du Désert jusqu'à la Révolution française, Paris, 1841. — Frossard C., «Le premier journal protestant français, projet de Court de Gébelin », B.S.H.P.F., 1853, p. 377-383. — Dardier C., Court de Gébelin, notice sur sa vie et ses écrits, Nîmes, 1890. — Amiable L., Une loge maçonnique d'avant 1789, Paris, 1897. — Schmidt P., Court de Gébelin à Paris, 1763-1784, Paris, 1908. — Hugues E., «Les Nouvelles politiques protestantes», Les Synodes du désert, t. II, p. 443. — Le Bihan A., Francs-maçons parisiens du Grand-Orient de France, Paris, 1966. — Reish J.G., Court de Gébelin, Eighteenth-Century Thinker and Linguist : an Appraisal, U. of Wisconsin, xérogr., 1972, 243 p. — Kirsop W., «Cultural networks in pre-revolutionary France : some reflections on the case of Antoine Court de Gébelin», Australian Journal of French Studies, t. XVIII, n° 3,1981, p. 231-247. — Mercier-Faivre A.M., Court de Gébelin, du génie allégorique et symbolique des Anciens, Liège, Mardaga, 1993.

BASNAGE DE BEAUVAL

Numéro

038

Prénom

Henri

Naissance

1656

Décès

1710

Henri Basnage de Beauval est né à Rouen le 7 août 1656. Fils puiné de Henri Basnage de Franquesney, jurisconsulte, l'un des plus éloquents avocats au Parlement de Normandie selon Bayle (lettre a son frère Joseph, v. E. Labrousse, t. I, p. 133) et de Marie Coignard sa femme, l'un et l'autre de la religion reformée. Confondu souvent avec Jacques Basnage, son frère aîné, auquel P. Marchand attribue la paternité de l'Histoire des Ouvrages des Savans, il a écrit sous le pseudonyme de Le Fevre.

2. Formation

Il suivit la tradition familiale et étudia le droit à Valence auprès de A. de Marville. Une lettre de Bayle à son frère Joseph, ainsi que le contenu de l'Eloge permettent de penser qu'il devint un avocat réputé au Parlement de Rouen.

Nommé membre étranger de la Royal Society en 1697, il devint en 1707 membre de l'Académie des Sciences de Berlin.

3. Carrière

L'année de la Révocation de l'Edit de Nantes, Jacques Basnage partit pour Rotterdam où demeurait son ami Pierre Bayle depuis 1681. B. rejoignit son frère en août 1687. Trois ans plus tard, il s'installa à La Haye. Sa carrière de journaliste débuta dès son arrivée à Rotterdam.

4. Situation de fortune

Sa situation financière paraît avoir été relativement sûre. Il tenta cependant de l'améliorer en sollicitant des charges appointées auprès du gouvernement de Hollande. Il se porta candidat en 1689 au poste de «Secrétaire-interprète» auprès du Staten-Generaal. Selon Pierre Jurieu, qui lui refusa son appui dans ses démarches, il aurait aussi tenté de devenir professeur de droit. En 1694 il réussit à être reçu comme avocat au barreau de Hollande. A partir de cette date il conduit de front la carrière juridique et l'activité de journaliste: «Il n'est pas impossible de concilier les soins d'un Etat avec ceux de la République des Lettres» (Histoire des Ouvrages des Savants, janv. 1697, p. 225).

5. Opinions

Sa première oeuvre, Tolérance des Religions, publiée grâce à P. Bayle en 1684 à Rotterdam énonce dans son titre la profession de foi de B. tout au long de sa vie. D'abord admirateur de Pierre Jurieu, il se détache de ses opinions dès 1688 et se range aux côtés de Bayle dans la controverse qui l'oppose à Jurieu sur le retour des Réfugiés. Il réfute la vision apocalyptique de Jurieu (L'Accomplissement des Prophéties) dans la Réponse de l'Auteur de l'Histoire des Ouvrages des Savans à l'Avis de Mr Jurieu, Auteur des Lettres Pastorales. Il dénonce avec la même continuité l'injustice de la Révocation de l'Edit de Nantes, tentant de dépasser les différences politiques et religieuses entre les hommes pour défendre l'impartialité de la «République des Lettres» (voir article «Bayle» et Bots).

Selon Jacques Bernard, B. vers 1700, ne s'entendait plus avec Bayle: «Mr Baudri, beau-frère de M. de Beauval, a dit à un de ses amis que celui-ci était brouillé avec M. Bayle et qu'ils étaient sur le point d'écrire l'un contre l'autre. M. de Beauval le nie. Je crois cependant qu'il y a quelque chose de vrai» (Lettres inédites adressées à J.A. Turrettini, 1887, t. I, p. 264 ; Labrousse, t. I, p. 257).

Profitant des contacts internationaux de Bayle, B. a eu des correspondants nombreux : Hans Sloane, John Mill, Desmaizeaux, Nicaise, Daniel Larroque, Turrettini, Cuper, Cornelis Van Eck et Leibniz, etc. Ses lettres sont conservées dans différents fonds (v. Bots, t. III).

6. Activités journalistiques

B. a fondé et dirigé l'Histoire des ouvrages des savants (1687-1709), revue qui prenait la suite des Nouvelles de la République des Lettres. Le 2 septembre 1687, Jacques Basnage écrit de Rotterdam à Gisbert Cuper: «Mr Bayle a quitté sa place à mon frère qui est arrivé depuis un mois en cette ville» (BR 72D58K). Selon B., Bayle lui a confié la rédaction du périodique pour des raisons de santé, «dès avril 1687». «L'auteur de la République des Lettres ayant été attaqué de quelques indispositions et de quelques maux de tête [...] me fit proposer de continuer son travail» (Préface», sept. 1687). Il accepte le «parti sans faire toutes les réflexions que méritait l'entreprise» (ibid.). Jacques Basnage collabore pour 81 articles au moins; l'aide de Bayle commence à se réduire vers 1700. La maladie de Basnage interrompt le périodique en 1709 (v. D.P.1 605).

7. Publications diverses

Liste des oeuvres de B., de ses Lettres et Réponses dans Bots, t. I, p. 86-87. B. a édité le Dictionnaire de Furetière et les oeuvres de son père.

8. Bibliographie

Nicéron t. II et X ; Moreri ; B.Un. ; Haag ; B.H.C. ; D.B.F. – Ladvocat J.B., Dictionnaire historique Hatin, Paris, 1752 – Léonard E., Histoire générale du protestantisme, 1961, t. 2, «l'Etablissement». – Weiss Ch., Histoire des Réfugiés protestants de France depuis la Révocation de l'Edit de Nantes jusqu'à nos jours, 1853, t. II. – Mémoires de Trévoux, «Eloge de Basnage de Beauval», nov. 1710, p. 1925-1933 – Martin Fr., Athenae Normannorum, Caen, 1901. – Luiscius, Het Algemeen historisch geographisch en genealogisch woordenboek, s'Gravenhage, 1725, t. 2, p. 125. – Marais M., Journal et Mémoires, 1863-1868, t. 1, p. 104 et suiv. – Labrousse E, «Les coulisses du journal de Bayle», dans P. Dibon, Pierre Bayle, le philosophe de Rotterdam, 1959, p. 20-48 – Labrousse E, Inventaire critique de la correspondance de Pierre Bayle, 1961 et Pierre Bayle, La Haye, 1963. – Labrousse E, «Le refuge hollandais: Bayle et Jurieu», XVIIe siècle, 1967, p. 75-95. – Mason G., «Desmaizeaux et ses correspondants. III: Les Basnage», B.S.H.P.F., 1876, p. 325-332. – Olivier E., «Le célèbre jurisconsulte protestant, Henri Basnage», B.S.H.P.F., 1860, p. 153-187. – et surtout: Bots H., Henri Basnage de Beauval en de Histoire des Ouvrages des Savans, 1687-1709, Amsterdam, 1976, 2 vol. – Bots H. et Van Lieshout L., Contribution à la connaissance des réseaux d'information au début du XVIIIe siècle : Henri Basnage de Beauval et sa correspondance à propos de l'Histoire des ouvrages des savants (1687-1709), lettres et index, Amsterdam et Maarssen, 1984. – Lankhorst O., Reinier Leers (1654-1714), uitgever en boekverkoper te Rotterdam. Een europees 'libraire' en zijn fonds, Amsterdam et Maarssen, 1983.