PRÉVOST

Numéro

659

Prénom

Antoine François

Naissance

1697

Décès

1763

1. État-civil

Antoine François Prévost est né à Hesdin le 1er avril 1697 (reg. par., mairie d'Hesdin), de Liévin Prévost (1666-1739), avocat au parlement, conseiller du roi et son procureur au bailliage d'Hesdin, et de Marie Duclay (1669-1711). Son parrain était Antoine Prévost, doyen d'Hesdin (1662-1741). Il eut quatre frères : Liévin, jésuite, chanoine de Cambrai (1696-1742), Jérôme (1700-1763), Bernard Joseph, abbé prémontré (1708-1766), Louis Eustache, maître des eaux et forêts (1703-1758) ; et quatre sœurs : Thérèse Claire (16981711), Anne Françoise (1706-1707), Marie Anne (17081712), et Barbe Ursule (1710-1710). Sa généalogie a été établie par R. Rodière (A.D. Pas-de-Calais, Généalogie d'Artois, t. II ; voir J. Lestocquoy, «Du monastère à la loge : la famille de l'abbé Prévost», Annales, juil.-sept. 1950, p. 334-337). Il prend en Angleterre, en 1730, le nom de «Prévost d'Exilés» (voir Sgard, «Antoine Prévost d'Exilés», S4, p. 11-23) : il lui arrive également de signer « Le Prévost ». Il meurt d'apoplexie le 25 novembre 1763 près de Saint-Firmin.

2. Formation

Sa première formation lui vient des Jésuites à qui il semble avoir été promis dès l'école primaire (S1, p. 40) ; il fait ses humanités au collège d'Hesdin, puis après un bref séjour à l'armée, entre au noviciat de La Flèche le 11 mars 1717 (Deloffre, p. XIX) ; il le quitte à la fin de 1718 pour « reprendre le métier des armes» (P.C., t. IV, p. 38) ; d'après Gastelier, il aurait cédé aux offres d'un recruteur et déserté peu de temps après (J.E. Gastelier, Lettres sur les affaires du temps, éd. H. Duranton, Paris, Genève, Champion-Slatkine, 1993, p. 105). Il se rend en Hollande (Dupuis, p. VIII ; Gastelier, p. 105), puis revient en France où «la malheureuse fin d'un engagement trop tendre» (P.C., t. IV, p. 38) et sans doute des difficultés avec la justice l'obligent à entrer chez les Bénédictins de Jumièges. Sa seconde formation est bénédictine : il prononce ses vœux le 9 novembre 1721 (Deloffre, p. XXV), le regrette dès 1722 (P.C., t. IV, p. 38), travaille successivement dans les abbayes de Rouen, du Bec, de Fécamp, de Sées, des Blancs-Manteaux et de Saint-Germain-des-Prés où il est employé à la Gallia Christiana. Un différend avec le supérieur, Dom Thibault, le décide à prendre la fuite le 18 octobre 1728 (voir lettre à Dom Thibault, Deloffre, p. 267-269).

3. Carrière

Dès 1723, il est en relation avec les libraires hollandais pour imprimer un petit écrit satirique sur la Régence, Les Aventures de Pomponius (A.A.E., CD., Hollande, ms. 350351) ; vers 1724, il fait passer un manuscrit de Dom Le Cerf de La Viéville à Gosse et Néaulme (Si, p. 59). En 1728, il fréquente l'ambassade de Hollande à Paris, et c'est grâce au chapelain de l'ambassade, le pasteur Dumont, qu'il passe en Angleterre en qualité de «prosélyte» (CE. Engel, p. 38-39). Il arrive en Angleterre en novembre 1728, se convertit à l'anglicanisme, probablement dès le début de 1729 (S. Larkin, «The abbé Prévost, a convert to the Church of England», S. V.E.C. 249, p. 205 et suiv.). Il devient précepteur de Francis Eyles, fils d'un sous-gouverneur de la South Sea Company ; il visite avec lui le sud de l'Angleterre. Ayant séduit et tenté d'épouser la fille de J. Eyles, il est obligé de quitter Londres à la fin de 1730 (Deloffre, p. L et suiv.) ; il se rend à Amsterdam où il entreprend la version française de Cleveland et achève les Mémoires d'un homme de qualité dont le t. VII, Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut, est publié en avril 1731. A La Haye où il s'installe en mars, il mène la traduction de l'Histoire de M. de Thou. Ruiné par une aventurière de La Haye, Lenki Eckhardt, il fait faillite au début de 1733 (Guilhou). Il regagne l'Angleterre où, malgré la mise en chantier du P.C., il ne parvient pas à rétablir ses affaires ; il produit un faux chèque qui le mène en prison en décembre !733 (M. Robertson, éd. du t. V des Mémoires et aventures, Paris, Champion, 1927, p. 13 et suiv.). Il rentre en France au début de 1734, se réconcilie avec l'Eglise et obtient de passer, en juin 1734, dans l'Ordre large de Cluny (S3) ; son refus d'écrire l'histoire de la Constitution Unigenitus lui crée des difficultés avec les Bénédictins et les Jésuites (Si, p. 318 et suiv.) ; il doit faire pénitence à La-Croix-Saint-Leufroy d'août à décembre 1735. En janvier 1736, il trouve appui auprès du prince de Conti qui le prend comme aumônier. Mêlé à une affaire de gazette clandestine, il doit s'exiler une dernière fois à Bruxelles puis à Francfort en 1741 (Si, p. 479481) ; rentré à Hesdin, puis à Paris en septembre 1742 (S1, p. 481), il se consacre à ses activités de romancier, d'éditeur et de traducteur ; il se retire à Passy en 1746, puis dans le quartier du Temple, rue Meslé ; il passe les dernières années de sa vie à Saint-Firmin, près de Chantilly (Si, p. 560-562).

4. Situation de fortune

P., qui a toujours mené grand train, a tiré d'importants revenus de ses activités littéraires, son seul moyen d'existence si l'on excepte le petit bénéfice du prieuré de Gennes, obtenu en 1754 grâce à Benoît XIV (Harrisse, p. 382-384 ; S1, p. 562). Dès 1724, il entreprend la traduction de l'Histoire de M. de Thou (S1, p. 59) et négocie des manuscrits ; à partir de 1731, il exploite le succès des Mémoires et aventures et défend âprement ses droits de romancier ; lors de l'édition dest. I-IV de Cleveland, il oppose à Etienne Néaulme, d'Utrecht, François Didot qui lui propose «vingt-cinq livres de France pour chaque feuille [d'imprimerie]» (P. à E. Néaulme, 19 oct. 1732, Extraits de plusieurs lettres de l'Auteur des Mémoires d'un homme de qualité, Utrecht, 1732, éd. M.R. de Labriolle, French studies, t. IX, 1955) ; en 1736, il vend le manuscrit des trois derniers tomes à Prault pour plus de 1000 £, c'est à-dire à un tarif comparable (Lettres du commissaire Dubuisson au marquis de Caumont, Rouxel, Paris, s.d., p. 209). Ambroise-Firmin Didot écrit : «La feuille d'impression lui était payée un louis, somme considérable alors» (art. «Typographie», l'Encyclopédie moderne, t. XXVI) ; Gastelier, qui paraît bien renseigné, parle de 25 £ par feuille pour le P.C., soit 1300 £ par an (Lettres sur les affaires du temps, p. 106). Les exigences de P. révoltent La Varenne (Le Glaneur historique, t. III, 19 janv. 1733) ou La Barre de Beaumarchais (Lettres sérieuses et badines, t. VIII, 1740, p. 253-254). En fait, P. joint à son métier d'auteur, ceux de correcteur, de conseiller d'édition et de courtier en manuscrits. Il arrange volontiers des manuscrits pour Didot (S1, p. 402) et pour Paupie (Si, P- 357)- Son rôle de maître d'oeuvre à la tête du P.C., du Journal étranger ou de l'Histoire des voyages se révélera irremplaçable : Didot lui fit abandonner le Journal étranger pour reprendre l'Histoire des voyages en 175 5 « en lui donnant dix mille francs» (Galerie française, Paris, Hérissant, 1771, p. 9). Dans la mesure où il souhaitait s'assurer des revenus réguliers, P. a surtout travaillé à des publications périodiques ou échelonnées (romans à suites, cycles de traductions, Histoire des voyages) et perçu une partie de ses droits au moment de la signature du contrat, d'où des procès avec ses éditeurs, E. Néaulme en 1732, ou Didot en 1741 (B.N., f.fr. 21814, f° 360). Ses dettes ont toujours été considérables : 900 florins, auxquels il faut ajouter 1700 florins d'avances de Gosse et Néaulme, en janvier 1733 (Deloffre, p. LXVI), 50 louis demandés à Voltaire le 15 janvier 1740 (D2143), 5000 £ en novembre 1740 (D2367 ; Harrisse, p. 307). De 1733 à 1742, il a souvent été menacé de prison pour dettes (S1, p. 402-403) ; s'il refuse l'offre de Frédéric II de l'employer comme libraire, c'est faute de pouvoir payer son voyage (Harrisse, p. 306-307). Quoique sa situation se soit stabilisée à partir de 1746, grâce à l'édition de l'Histoire des voyages et aux traductions de Richardson, il connaît, jusqu'à ses derniers jours, des difficultés d'argent (S1, p. 561-562).

5. Opinions

P. répugne au dogmatisme et n'est d'aucun parti. Pour des raisons d'opportunité, il s'est d'abord montré hostile à la Constitution Unigenitus et a été suspect de jansénisme ; mais en 1734, il s'appuie sur les constitutionnaires, en particulier sur le cardinal de Bissy. Très influencé par les jésuites, il lui arrive pourtant de se moquer, dans Cleveland, de la morale relâchée, quitte à se racheter dans le Doyen de Killerine en 1735. Après 1735, il se montre favorable aux Lumières ; il est lié à Voltaire, à Thiériot, à Mme Doublet, à La Chalotais ; il défend la franc-maçonnerie (S1, p. 354-355) ; en 1740, il est tenté par les offres de Frédéric II Après son exil de 1741, il prend ses distances ; vers 1750, à Passy, il fréquente Jean Jacques Rousseau et ses amis, Mussard, Procope, N.A. Boulanger, Lenieps (S1, p. 351-354). Quand il quitte le Journal étranger en 1755 pour le confier à Fréron, il se brouille avec Grimm et les encyclopédistes. Souvent très proche de Voltaire, il a été amené, du fait de son état ecclésiastique et d'une situation économique précaire, à des compromis ambigus (cf. J. Sgard, «Prévost et Voltaire», R.H.L.F., oct.déc. 1964, p. 545-564).

6. Activités journalistiques

(P.C.) Le Pour et contre, ouvrage périodique d'un goût nouveau. Dans lequel on s'explique librement sur tout ce qui peut intéresser la curiosité du public, en matière de sciences, d'arts, de livres, d'auteurs, etc., sans prendre aucun parti et sans offenser personne. Par l'auteur des Mémoires d'un homme de qualité, Paris, Didot, 1733-1740, 20 vol. in-12 (D.P.1 1138). P. est l'auteur ou le traducteur de la quasi-totalité des articles, sauf lors de deux interruptions : l'une, de novembre 1733à mars 1734, concerne le t. II à partir de la p. 83 (n° 19) et le t. III jusqu'à la p. 168 (n° 32) ; P. a lui-même précisé l'étendue de l'interruption (P.C., t. V, p. 24 ; cf. S2, p. 23) ; l'autre interruption, de juin 1739 à juin 1740, concerne les t. XVI, 1 et XVI, 11 (P.C., t. XX, p. 335). Didot a confié la rédaction des nombres 19-32 à divers journalistes (Desfontaines, Granet, Saint-Hyacinthe) qui ont largement utilisé les Lettres sérieuses et badines. Lefebvre de Saint-Marc a rédigé les t. XVII-XVIII. Au retour de P. en France, en 1734, une édition anglaise du P.C. a paru sous le titre : Le Critique français, «ouvrage périodique d'un goût nouveau» (cf. Bibliothèque raisonnée, t. XII, p. 232) ; aucun exemplaire de ce journal, qui semble n'avoir eu qu'un numéro, n'a été retrouvé. Gastelier affirme avoir possédé les manuscrits retranchés du P.C. par le censeur, et qui auraient dû passer dans l'édition anglaise (op. cit., p. 104).

Le Journal étranger, ouvrage périodique, Paris, Durand, 1754-1762 (D.P.1 732) : P. succède à Grimm et à Toussaint à la tête du journal en janvier 1755 ; en avril paraît une liste des souscripteurs du journal, riche de 980 noms, et au total de 1521 souscriptions qui attestent du succès du journal (voir }. Sgard, «Les souscripteurs du Journal étranger», dans La Diffusion et la lecture des journaux de langue française sous l'Ancien Régime, Amsterdam, Maarssen, APA-Holland U.P., 1988, p. 89 et suiv.). Il prend congé de ses lecteurs en août et présente son successeur Fréron, qui fait de lui un éloge enthousiaste dans l'avertissement de septembre 1755. Le rôle de P. à la tête du journal est moins de le rédiger que de le diriger : il fait venir les livres, établit des correspondants, choisit les spécialistes (Fréron, Journal étranger, sept. 1755, p. 18) ; lui-même se définit comme un «administrateur» et un « financier du Parnasse » (août 175 5, p. 1-2). Avec Fréron et Goudeau, il semble d'ailleurs avoir de gros intérêts dans la publication (B.N., f.fr. 159, f° 124).

P. a collaboré en novembre-décembre 1740, à une gazette à la main (cf. F. Weil, «L'abbé Prévost et le <gazetin> de 1740», Studifrancesi, 1962, n° 18, p. 474-486 ; E. Showalter, «L'abbé Prévost et le <Gazetin> de 1740 : nouveaux documents», ibid., 1970, n° 14, p. 257-260). Il a correspondu avec le Journal littéraire de La Haye, avec le Mercure ; P. Bernard le donne comme auteur possible de la Revue des feuilles de M. Fréron en 1756 et comme collaborateur du Journal encyclopédique (Prévost, Œuvres choisies, Paris, Leblanc, 1810, «Essai sur les ouvrages de l'abbé Prévost», t. I, p. 87-88), à la suite de confusions avec Le Prévost d'Exmes dans le premier cas, et Prévost de La Caussade dans le second.

7. Publications diverses

Voir S1, p. 607-615.

8. Bibliographie

Dupuis A.N., «Abrégé de la vie de M. l'abbé Prevot» en tête des Pensées de M. l'abbé Prevot, Amsterdam, 1764. – Harrisse H., L'Abbé Prévost, histoire de sa vie et de ses œuvres d'après des documents nouveaux, Paris, Calmann-Lévy, 1896. – Guilhou E., L'Abbé Prévost en Hollande, avec des documents nouveaux, La Haye, J.B. Wolters, 1993. – Engel CE., Le Véritable Abbé Prévost, Monaco, éd. du Rocher, 1958. – Deloffre F., introd. à l'éd. de Manon Lescaut, Paris, Garnier (1965) 1990. – (S1) Sgard J., Prévost romancier, Paris, Corti, 1968. – (S2) Id., Le «Pour et Contre» de Prévost d'Exilés, introduction, tables et index, Paris, Nizet, 1969. – (S3) «L'Apostasie et la réhabilitation de Prévost», dans L'Abbé Prévost, Actes du colloque d'Aix-en-Provence, Ophrys, 1965.– (S4) Id., Vingt Etudes sur Prévost d'Exilés, Grenoble, ELLUG, 1995. – Monty J.R., Les Romans de l'Abbé Prévost, S.V.E.C. 78, 1970. – Tremewan P., Prévost : an analytic bibliography of criticism to 1981, Londres, Grant & Cutler's, 1984 ; suppléments dans les Cahiers Prévost d'Exilés, n° 5 et 9. – Leborgne E., Bibliographie des écrivains français : Prévost d'Exilés, Paris, Memini, 1996.

En ce qui concerne le P.C., nous renvoyons à : Tremewan, p. 99-103 et à Leborgne, p. 176-183. – LabrioIIe M.R. de, Le Pour et contre et son temps, S.V.E.C 34-35, 1965. – Goruppi T., «La Bibliothèque belgique contro Le Philosophe anglais » : storia di una polemica sulla religione dell'abbé Prévost, Milano, Societa Ed. Dante Alighieri, 1976. – Weil F., «La bibliographie matérielle, pour quoi faire ? L'exemple du Pour et contre», dans Etudes et recherches sur le XVIIIe siècle, Aixen-Provence, U. de Provence, 1980, p. 209-220. – Charles S., Récit et réflexion : poétique de l'hétérogène dans Le Pour et contre de Prévost, S.V.E.C. 298, 1992. – Larkin S., éd. dest. I-V du Pour et contre, S.V.E.C. 309-310, 1993.

Auteurs

9. Additif

État civil : Une récente biographie de Prévost (Vie de Prévost. 1697-1763, par J. Sgard, Presses de l’Université Laval, 2006) permet de compléter divers épisodes de son existence : son milieu familial, son séjour à Jumièges (témoignage de Dom Boudier), ses liens avec la famille Eyles en Angleterre, les péripéties de son retour en France et ses rapports avec le prince de Conti , sa réputation douteuse dans les années 1740 (témoignage de Mme de Graffigny), sa vieillesse à Chantilly (dernières poésies), sa carrière de professionnel des lettres (rapports avec Didot). L’édition critique des Contes singuliers tirés du Pour et Contre, par J.S. (Classiques Garnier, 2010) apporte quelques précisions sur les difficultés du retour en France de Prévost en 1734.

Bibliographie : Sgard J., Vie de Prévost. 1697-1763, Presses de l’Université Laval, 2006 (J.S.).