MOZARD

Numéro

599

Prénom

Charles

Naissance

1755

Décès

1810

1. État-civil

Né à Paris, paroisse Saint-Eustache, le 2 février 1755, Théodore Charles, dit Charles Mozard, est mort à Naples le 19 mars 1810 (M2, p. 3, 219). Il était d'une famille qui «sort[ait] de bons [et riches] cultivateurs» d'Athis. Son père avait un temps « servi comme officier dans [la] maison du roi [Louis XV]» (ibid., p. 5-6, 13, 162). M. était le cadet de cinq enfants : l'aîné, Jean Alexandre, fait carrière dans l'administration des douanes, et se trouve, en 1799, receveur des droits de navigation à Bordeaux ; Louis Maximilien, sera successivement cuisinier du prince de Soubise, cafetier à Paris au début de la Révolution, boulanger à Philadelphie, puis distillateur aux Cayes, île de Saint-Domingue ; Julie, épousera un écuyer de la reine, M. Bellevraie ; Félicité, sera modiste à Paris, rue de l'Ancienne-Comédie (ibid., p. 8, 10-12, 160). M. a épousé en première noce, le 11 avril 1790, à Port-au-Prince, Anne Veillaton (parfois écrit Veillatont), originaire de Dijon, dont il avait déjà une fille, Laure ou Lamette Aimée, née le 17 août 1788 à Port-au-Prince. Anne Veillaton se donnera la mort l'année suivante, le 25 septembre 1791. Elle était âgée de 27 ans (G.S.D., 1791, p. 990 ; M2, p. 15-16, 97-98). En novembre 1792, à Paris, M. épouse en secondes noces la fille d'une ancienne actrice de l'Opéra, dont il divorcera par la suite (ibid., p. 15, 29-30, 38-39, 66). Sa fille, Laurette Aimée, est l'auteur de plusieurs livres dont des Mémoires qu'elle signe, en 1844, «Veuve Ravinet». C'était son second mariage, ayant épousé en première noce, à Paris, en 1817, François Nicodim, un professeur de musique originaire de Bohême, mort en 1829 (M1, p. 21-23, 27. 29).

2. Formation

Membre de la Société royale des sciences et arts du Cap-Français, de la Société d'histoire naturelle de Paris, et de l'American Philosophical Society dont le siège se trouvait à Philadelphie (Maurel, p. 265 ; Almanach, p. 147 ; M2, p. 15 ; Elicona, p. 193). M. était franc-maçon (M2, p. 166).

3. Carrière

Ses parents le destinent à la prêtrise, mais, tout en étudiant, il «cour[t] les théâtres» et rêve de «s'embarquer en mer». Une fugue le conduit à pied jusqu'au Havre où on le découvre caché dans la cale d'un navire prêt à mettre à la voile. Renvoyé à ses parents, ceux-ci, «pour le punir», le mettent en apprentissage chez un graveur, avant de le « rap­pele[r] dans sa famille» où il reprend ses études sous la direction d'un précepteur. M. ne se résout cependant pas à la carrière qu'on lui a choisi, et il obtient finalement de pouvoir partir «tenter la fortune en Amérique» (M2, p. 6). A Saint-Domingue, où il arrive à dix-huit ans, il travaille d'abord comme précepteur, puis est employé à l'Imprimerie royale du Port-au-Prince, alors dirigée par Jean Louis Bourdon (Ma. ; A.N., Col. E 47). A la fin de 1784, il est chargé par les administrateurs de la colonie de la rédaction des Affiches américaines. Quatre ans plus tard, il obtient la direction de la seconde imprimerie établie au Port-au-Prince par le roi (Moreau, p. 353 ; A.A., 1788, p. 174). Cette imprimerie, le magasin de librairie-papeterie qui lui est adjoint, seront détruits lors de l'incendie de la ville à la suite du soulèvement des « gens de couleur libres », le 21 novembre 1791. M. décide alors de se rendre en France avec l'intention, notamment, de «réclamer une indemnité pour ses presses» et d'acquérir un nouveau matériel d'imprimerie. Il ne reviendra cependant pas à Saint-Domingue (M2, p. 21, 26, 28, 101). A la fin de 1791, laissant son fils âgé de quelques mois aux soins d'une nourrice, M. s'embarque avec sa fille pour la Guadeloupe où il trouve passage sur un bateau à destination de Liverpool. De là, par Londres et Douvres, il gagne Calais où il arrive le 3 mai 1792 (ibid., et p. 99). A Paris, où il s'établit, sa connaissance de «l'Amérique» et des colonies françaises, vont lui faire obtenir, sur recommandation de Lindet et Carnot, un emploi dans les bureaux du Comité de salut public. En 1794, il est « chef-adjoint de la partie du commerce et approvisionnement » dans la « 4e division » du Comité, celle chargée de la marine et des colonies. Le 30 octobre de cette année-là, par arrêté de la Convention nationale, il est nommé consul de France à Boston, où il restera en poste jusqu'en 1799 (A.A.E.). De retour en France, M. réside de nouveau à Paris, boulevard des Italiens puis rue Cérutti (M2, p. 70). Une situation financière de plus en plus difficile l'oblige, en 1806, à se rendre à Naples où il espère obtenir « un consulat » ou un « emploi d'importance » à la cour du roi Joseph. Malgré la «protection éminente» de Talleyrand, qu'il avait connu à Boston et qui lui a remis des lettres de recommandation, ce n'est qu'avec difficulté qu'il obtient «un poste modeste» dans les «bureaux de la guerre». Il meurt quatre ans plus tard, à Naples, âgé de cinquante-cinq ans, le 19 mars 1810 (ibid.,p. 164-167, 182, 197, 219).

4. Situation de fortune

A Saint-Domingue, M. était devenu un homme «riche», ayant «des terres et des esclaves». En 1788, en tant que rédacteur des Affiches américaines, il touche un salaire de 12 000 £, auxquelles viennent s'ajouter les revenus de son imprimerie et de son magasin de librairie-papeterie. II afferme également alors une «habitation» près du Port-au-Prince (M2, p. 22, 26 ; Moreau, p. 495 ; A.N., Col. E 47). Le soulèvement du 21 novembre 1791, l'évolution de la situation politique à Saint-Domingue, lui font perdre sa fortune, malgré les efforts de son frère Louis Maximilien pour en sauver une partie. Lui-même ruiné par la Révolution, Louis Maximilien était venu s'installer dans l'île après avoir un temps songé à s'établir aux Etats-Unis (A.N., Gr 38, f° 118-119). Rentré en France, M. ne pourra se faire indemniser, ni même rembourser l'argent qui lui est dû, notamment par le « gouvernement [...], pour lequel, comme imprimeur, il [aurait] fait plus de 20 000 francs d'avance en impression» (M2, p. 28, 194). Par la suite, sa situation financière sera souvent précaire, notamment dans les dernières années de sa vie. En 1806, ayant mis sa fille en pension chez une lingère, il est obligé de s'exiler en Italie, à la recherche d'un emploi. Talleyrand, connaissant son «état de gêne», lui donne alors «un secours de douze cent francs pour ses frais de route». A Naples, il ne peut trouver qu'un emploi subalterne, et pendant longtemps il n'aurait eu qu'un seul «habit noir» qu'il passait ses dimanches à raccommoder. Il meurt en «hôtel garni» (ibid., p. 167, 182, 219).

5. Opinions

Admirateur des encyclopédistes, rangé «sous les bannières de la philosophie moderne», M. s'est voulu un «homme des Lumières» (M2, p. 73-77). Il élève sa fille «à la Jean-Jacques», s'efforce de n'être guidé que par «le seul motif [...] du bien public », cherche toute sa vie à « acquérir des lumières utiles à [son] pays » et à faire avancer la cause de «la raison», de «l'humanité», et du «progrès», contre «la routine aveugle» et les «préjugés», «fruits de l'ignorance» et de «la barbarie» (ibid., p. 14, 39 ; A.A., 11 sept., 30 oct., 27 nov. 1784, 4 mars, 6 mai 1786). M. accueille favorablement les débuts de la Révolution – «J'ai propagé en Amérique, au péril de ma vie», affirmera-t-il plus tard, «les principes de la Révolution dès son aurore» (A.A.E.). En octobre 1789, on l'accuse, avec Arthaud et Moreau de Saint-Méry, de «trahir» la colonie, en se montrant un « ami du despotisme [ministériel]», c'est-à-dire de s'opposer au mouvement autonomiste qui prévaut alors à Saint-Domingue, et un partisan de l'abolition de l'esclavage (Maurel, p. 256-257). Au début de 1791, on lui reprochera aussi ses liens avec l'abbé Ouvière qui avait pris le parti des «gens de couleur libres» (A.N., Rec. Col. II, 18, pièce 37). Cependant M. affirme, dans les A.A. de novembre 1789, que «jamais les intérêts des colonies ne seront compromis par [son] fait » et que, contrairement à ce que soutiennent «les faiseurs de systèmes et de brochures, [...] il est impossible de cultiver les Colonies autrement que par le régime actuel», c'est-à-dire le maintien de l'esclavage et le refus d'accorder des droits politiques aux «gens de couleur libres » (A. A., 1789, p. 622, 653). En 1791, la Gazette de Saint-Domingue, qu'il rédige, défend les mêmes thèses, celle du «parti colon» qui réclame un «régime intérieur» particulier aux colonies, un régime dans lequel les assemblées coloniales, et non l'Assemblée nationale, seraient notamment les seules habilitées à statuer sur «l'état des personnes» aux colonies, cela afin d'éviter que les principes de la Déclaration des Droits de l'homme y soient appliqués. En se ralliant ainsi à ces thèses, M. cède peut-être à la pression des événements et des circonstances. Il est aussi sans doute, comme beaucoup de colons qui sont par ailleurs également des «hommes des Lumières», prisonnier de convictions contradictoires, adhérant d'une part aux principes du « nouvel ordre des choses », mais continuant d'autre part à être persuadé que la conservation du statu quo aux colonies est une nécessité aussi bien économique que sociale, le seul moyen d'assurer non seulement leur prospérité, mais leur existence même. Malgré l'évolution de la situation politique aux colonies, malgré aussi l'abolition de la royauté à laquelle il était resté attaché, M., revenu en France, va continuer, tout en condamnant les excès de ceux qui «abus[ent] du mot de liberté», à soutenir et à servir la Révolution, une révolution dans laquelle il avait voulu surtout voir l'avènement de «la raison éclair[ant] enfin la terre» (G.S.D., 1791, p. 393-394. 719 ; A.A.E. ; M2, p. 36-37).

6. Activités journalistiques

Chargé en 1784 de la rédaction des Affiches américaines, à la suite de la mort de Bernard Rodier (Moreau, p. 494 ;

D.P. 1 18), M. cherche à en faire, non pas seulement une «feuille d'avis» mais aussi une «gazette» et même un «jour­nal», accordant notamment une place importante dans ses colonnes aux «nouvelles découvertes dans les Arts et les Sciences» et aux «observations sur l'Agriculture, les Manu­factures, le Commerce, l'Histoire civile, politique et naturelle de la Colonie en particulier et des Antilles en général » (Avis ; A.A., 28 août, 30 oct., 27 nov. 1784, 17 juin 1786, et passim). Avec M., les Affiches américaines redeviennent, comme le voulait leur fondateur Monceaux, à la fois un lien avec l'extérieur, et par là l'agent de la diffusion du savoir et de «l'esprit nouveau» aux colonies, et un journal vraiment « colonial », centré sur la colonie, au service de ses particularités, de ses intérêts, de ses besoins, et de son progrès. «Ce serait manquer à la justice de ne pas dire, remarquera Moreau de Saint-Méry, que personne n'a plus cherché que [M.] à répandre de l'intérêt dans cette feuille. Il n'est point de détails coloniaux qu'il n'ait sollicité ou reçu avec empressement, et il a su exciter souvent et le zèle et l'amour-propre de plusieurs personnes instruites, et s'il avait été mieux secondé en général, le public aurait encore gagné plus d'instruction. Depuis que la rédaction lui est confiée, il a rendu cette première feuille périodique de Saint-Domingue encore plus utile, par des calculs et par des vues neuves» ; une grande partie du succès de ce journal est « réellement dû[e] à son talent» (p. 495). Moreau de Saint-Méry, Barbé-Marbois, qui sert comme intendant à Saint-Domingue de 1786 à 1789, ont aussi souligné les qualités de M. imprimeur : «dans un pays où [il n'y avait] pas toutes les ressources nécessaires à la perfection de l'art typographique, [il y a] suppléé par un soin et un talent personnel qui ont rendu remarquables les produits de [ses] presses», que l'on peut comparer à ceux «de l'imprimerie du Louvre» (Barbé-Marbois, citation dans M2, p. 178, n. 1 ; Moreau, p. 353).

M. abandonne la rédaction des Affiches américaines en décembre 1790, pour publier la Gazette de Saint-Domingue, politique, civile, économique et littéraire, bi-hebd. publié au Port-au-Prince à partir du janvier 1791. A partir du n° 62, du 3 juillet 1791, la rédaction en est confiée à Huard, M. ayant alors obtenu un congé pour aller « rétablir sa santé » en France (G.S.D., 1791, p. 761, 771, 1001). Il annule son voyage à la suite de la mort de sa femme, et reprend la rédaction du journal à partir du n° 88, du 2 novembre 1791. La publication de la G.S.D. s'interrompt avec le n° 93 du 19 novembre 1791. Deux jours plus tard éclate l'insurrection des mulâtres.

Revenu en France, M. continuera à contribuer des articles à différents journaux, notamment au Moniteur (M2, p. 71).

7. Publications diverses

M. est l'auteur de nombreux poèmes, petits vers et poèmes de circonstance, publiés dans les Affiches américaines. Il a aussi écrit plusieurs pièces de théâtre, dont deux au moins ont été représentées à Saint-Domingue : La Vengeance africaine ou les Effets de la haine et de la jalousie, drame en 4 actes et en prose adapté librement de Young, dont la première eut lieu à Port-au-Prince le 22 décembre 1781 ; et La Répétition interrompue, «divertissement national en un acte, en prose et en vers, mêlé de chant, fait à l'occasion de la réunion des Trois Ordres de l'Etat, [...] représenté pour la première fois sur le Théâtre de Port-au-Prince, le Dimanche 4 octobre 1789 ». Cette dernière pièce a été imprimée en 1789, à Port-au-Prince, par M. (Fouchard, p. 265-271).

8. Bibliographie

A.N., Col. E 47, dossier Jean Louis Bourdon (Au comte de la Luzerne, 25 oct. [1788]). – A.N./S.O.M., Recueil Colonies, 2e série 18, B.M. Saint-Méry 18. – A.N./S.O.M., Gr. 38 (Greffe de Port-au-Prince), f° 118-119. – A.A.E., Correspon­dance consulaire et commerciale, Boston, vol. 3, f° 301 (Mozard au Comité de Salut public, 28 sept. 1794). – Avis à MM. les Abonnés aux Affiches américaines, s.l.n.d. [Port-au-Prince, 1785]. – Almanach général de Saint-Domingue, Port-au-Prince, 1791 – (A.A.) Affiches américaines. (G.S.D.) Gazette de Saint-Domingue. – Moreau de Saint-Méry, Description [...] de la partie française de l'isle Saint-Domingue (Philadel­phie, 1797), nouv. éd., Paris, 1984. – (Mi) Mozard L.A., Biographie de M. Nicodami [Nicodim], maître de piano et profes­seur de musique du Conservatoire de Paris, Paris, 1843. – (M2) Id., Mémoires d'une créole du Port-au-Prince, Paris, 1844. – Elicona A.L., Moreau de Saint-Méry, Paris, 1934. – Maurel B., «Une société de pensée à Saint-Domingue : le Cercle des Philadelphes au Cap-Français», Revue française d'histoire d'outre-mer, t. XLVIII, p. 171,1961, p. 234-266. – Fouchard J., Le Théâtre à Saint-Domingue, Port-au-Prince, 1955.

Auteurs