LA TASTE

Numéro

464

Prénom

Louis de

Naissance

1692

Décès

1754

1. État-civil

Louis Bernard de La Taste fut baptisé dans l'église abbatiale et paroissiale de Sainte-Croix de Bordeaux le 13 février 1692, «fils légitime de sieur Jean Lataste, scindic de cette paroisse, et de Demoiselle Philipe Boits, né le 12 à deux heures du matin [...] Parrain, le sieur Louis Lamarre bourgeois et marchand. Marraine Demoiselle Marieanne des Lestrilles ; signé Denis, curé», extrait, certifié le 7 mars 1711 par Armand Bazin de Besons, archevêque de Bordeaux (B.N., ms. fr. 15802, f° 1-4). Son frère à l'initiale B fut aussi bénédictin à la Reuble en 1739. L. est mort en avril 1754 à Saint-Germain-en-Laye.

2. Formation

L. fut ordonné diacre en 1714 à Cavaillon par l'évêque Joseph de Guyon, et prêtre en 1716. Le 8 janvier 1729 il fut élu au monastère «B. Mariae Alborum Mantellorum» à Paris comme prieur (f.fr. 15802), mais les documents sur ses quinze premières années dans l'ordre manquent. Déjà assistant du général de l'ordre en 1736, il semblait devoir lui succéder à sa disparition, n'eussent été ses interventions dans les controverses du temps qui l'aiguillèrent dans d'autres directions.

3. Carrière

L. à Paris semble être devenu très vite homme de confiance du cardinal de Fleury, premier ministre tout-puissant qui employait tous les chefs de maisons monastiques pour faire pression sur leurs membres, afin de leur arracher des déclarations unanimes à l'appui de la bulle Unigenitus. Sa première lettre en date, conservée par lui, est sa réponse du 10 août 1734 à celle du cardinal au sujet de ses premières Lettres théologiques : «Monseigneur ; c'est une satisfaction bien grande pour moi d'apprendre de Votre Eminence même que mes écrits lui plaisent et qu'ils sont utiles à la religion [...]. J'espère qu'Elle m'accordera de même l'honneur de sa protection pour les écrits que j'ai à donner encore et où j'emploierai tous mes faibles talents pour éclaircir les matières épineuses qu'il me reste à traiter. J'aurai l'honneur, comm'Elle me l'ordonne, de lire à Dom Villiers ce que j'en sais, et ce que les certificats des médecins et chirurgiens rapportent sur son état [...] il n'est pas sur non plus sur les affaires du temps ; acceptant [de la Bulle] quand il est avec moi, et encore me demande-t-il le secret : pire qu'appelant quand il est dans les cercles, et faisant souvent le nègre et distributeur des libelles! bien des religieux et des séculiers m'en ont assuré ; je lui en ai fait le reproche, mais il écarte ou nie tout». Il finit en demandant au cardinal une enquête secrète sur ce moine, avec toutes les précautions nécessaires pour sauvegarder la paix dans son monastère (ms. fr. 19667, f° 5 et 162). Si l'on tient compte de cette lettre, mais aussi de la première lettre de L. contre les convulsionnaires de Saint-Médard (mi-avril 1733), on peut considérer que deux crises publiques ont déterminé son choix : d'abord la révolte et l'exil du Parlement de Paris en automne 1732, puis les miracles attribués au diacre Pâris, interprétés par les jansénistes comme la ratification céleste de leur opposition à Fleury. Ces deux bouleversements de l'ordre catholique traditionnel, joints aux agissements feutrés de Fleury, ont certainement influencé son jugement. Ce cas typique des pressions exercées sur la conscience de tant de religieux jansénisants trouve son écho dans bien des lettres que lui envoyaient d'autres membres de l'ordre, certaines très aigres, d'autres peinées par le ton ou les arguments jugés défectueux dans ses Lettres théologiques, et encore d'autres le félicitant. L. servit la politique d'étouffement du janséno-gallicanisme avec dévouement, voire avec des termes fort injurieux qui dressèrent contre lui bien des adversaires. Le plus considérable fut le Parlement de Paris, qui par un arrêt du 4 janvier 1738 supprima ses dix-neuf premières Lettres pour avoir attaqué des magistrats jansénisants. Bien des écrivains attaquèrent L., entre autres l'abbé Thierry, professeur à la Sorbonne, et les Nouvelles ecclésiastiques souvent (Ladvocat), ce qui le touchait peut-être plus que l'approbation officielle exprimée le 11 octobre 1737 par le ministre Amelot, en lui renvoyant le manuscrit de sa dix-neuvième Lettre «à l'édition de laquelle Son Eminence vous permet et vous exhorte de travailler le plus promptement possible, cette pièce ne lui ayant pas paru moins utile que toutes celles du même genre qui ont paru de vous jusqu'à présent» (ms. fr. 19667, f° 17). Rien ne montre mieux les rapports étroits du prieur avec le premier ministre. Plus grave encore pour les deux fut un complot qui s'ourdit dans toutes les congrégations bénédictines en cette année 1738 où devait se tenir leur assemblée générale. Une lettre du 28 octobre 1738, écrite de Vierzon par le frère Nicolas Foussard en donne un petit aperçu : «le chapitre ici vous prépare un terrible orage pour le chapitre général prochain par les jansénistes outrés. Dom Gille de Sieprare envoie une plainte circulaire dans tous nos monastères pour des signatures contre vos derniers ouvrages. Mgr. d'Auxaire [sic] doit être dépositaire des souscriptions» (ms. fr. 19667, f° 177). Pour éviter un éclat de religieux et d'évêques fort estimés, Fleury dut agir vite. Il le fit par le canal du duc de Nevers, qui avait le droit de nommer à l'évêché in partibus de Bethléem, dont le siège était à Clamecy. L. y fut propulsé avec l'accord du roi et du pape pour le soustraire aux avanies probables de son assemblée générale, avec les consolations supplémentaires, peu après, du don de l'abbaye de Moiremont (diocèse de Châlons-sur-Marne) et du poste de supérieur des Carmélites de Saint-Denis, à la fin de 1738 (ms. fr. 19667, f° 160-175). Plus tard il devint visiteur-général de l'ordre entier avec la mission expresse de le réduire à l'orthodoxie, et fut jusqu'à sa fin le serviteur dévoué du gouvernement pendant la décennie qui suivit la mort du cardinal. C'est ainsi qu'il fut nommé aux conférences épiscopales du Louvre pour examiner l'instruction pastorale controversée du fougueux Rastignac, archevêque de Tours, ainsi qu'à celles de Conflans et Paris (1753) qui durent juger l'Histoire du peuple de Dieu du P. Berryer (Ladvocat).

5. Opinions

La lutte officielle contre le jansénisme fut le leitmotiv de sa vie à partir de la grande crise de la grève du Parlement de Paris en 1732, et de leur exil par Fleury, qui lui écrivit le 3 août 1733 : «0n ne peut estre plus satisfait que je le suis de vos Lettres et elles produisent déjà un très bon effet», L. n'avait rien d'un persécuteur lui-même, mais il se prêtait à la politique gouvernementale. Fut-ce par ambition, en vue de la carrière brillante qui est devenue la sienne vers l'âge de quarante ans? ou plutôt par un loyalisme inébranlable à la congrégation que toute sa famille avait servie, et aux autorités de l'Etat ? Ses talents réels, de style, de composition, de polémique, d'érudition, s'accompagnaient d'une certaine naïveté qui fourvoyait son jugement, surtout concernant ce qu'on lui disait être des innovations dangereuses.

Pour combattre ce qu'il juge l'engouement excessif d'une grande partie du public pour les miracles allégués par les «convulsionnaires» du cimetière de Saint-Médard, il se lance dans une argumentation sur la nature des miracles, allant jusqu'à des propositions qui soulèvent contre lui jansénisants, orthodoxes et défenseurs de la liberté. Tout en avouant que la matière est embrouillée même pour les théologiens (p. 82-86), il va jusqu'à dire simulés ou produits par des démons tous les miracles jansénistes, alors que la piété des participants impressionnait presque tout le public. Ladvocat suggère que L. frise le blasphème à force de démolir le crédit de phénomènes religieux qu'il trouve inadmissibles. En fait, sa conclusion le rapproche des déistes qu'il abhorrait et de l'argument de Voltaire pour qui les religions constituées reposaient sur des impostures. Ce qui l'amène à garder le silence pendant près de deux ans après sa Lettre XX du 18 décembre 1738 jusqu'à la dernière, destinée à plaider qu'on l'avait mal interprété et à résumer son rôle dans la grande controverse ; entreprise si ardue qu'il doit augmenter deux fois cette Lettre XXI, finalement allongée sur 340 pages ; la première n'en avait que 16. Cette controverse ardue eut relativement peu d'échos dans les cercles cultivés. Chauffepié en 1750, l'édition de Moreri de 1759 n'en disent mot. D'Argenson est l'un des rares mémorialistes à en parler ; il note en janvier 1751 : «La Taste [...] avait été jadis grand janséniste, puis il fut transfuge et devint grand persécuteur de ces mêmes jansénistes, qu'il quitta avec opprobre et scandale. Or sur ces affaires entre le clergé et le ministre des finances, les Molinistes ont crié en faveur du haut clergé, et les jansénistes, montés contre ceux-ci, se sont piqués d'être grands royalistes (pour l'imposition de la hiérarchie). Dom La Taste a beaucoup écrit pour le clergé, il avait chez lui des exemplaires d'un nouveau mémoire politique à paraître bientôt. On l'a mandé, on lui a fait la leçon, on lui a dit qu'il répondrait de la publication de ce nouveau mémoire, il a dit qu'il répondait bien de ce qu'il avait dans son bureau, et que cela ne paraîtrait pas, mais qu'ayant des collègues de ce travail, il ne pouvait répondre du tout et que ces mémoires paraîtraient chez lui. Réflexions faites, on a envoyé un commissaire et des archers saisir tout dans son cabinet, y mettre les scellés et inventorier ; le bruit est grand qu'il est à la Bastille lui-même». Déjà condamné par le parlement pour ses Lettres théologiques (4 janv. 1738), L. eut la mortification de voir ces Observation sur le refus que fait le Châtelet de reconnaitre la Chambre royale (imprimées « en France » 1754, in4°, 258 p.) brûlées par le Châtelet. D'Argenson écrit en juillet 1753 : «devenu le plus forcené des molinistes, il dit des injures à tout le monde dans ce terrible mémoire, il prétend que le roi est janséniste, et que personne ne fait son devoir pour cette admirable bulle Unigenitus

6. Activités journalistiques

Les Lettres théologiques (D.P.1 839) sont sa seule tentative de journaliste, selon toute apparence. Controversiste surtout, prêt à recommencer plusieurs fois un ouvrage au service du gouvernement, on ne saurait rien de ses moyens secrets pour la diffusion des Lettres si des correspondants n'en dévoilaient pas quelques aspects dans ses archives ; plusieurs lui demandent comment et où les acheter, même à Paris dans le cercle de la duchesse d'Agen et de la princesse d'Armagnac (ms. fr. 19667, f° 114). L'épiscopat les recevait d'office, paraît-il, ainsi que les chapitres : l'auteur en fut félicité par plusieurs prélats comme Languet de Gergy, archevêque de Sens, le cardinal de Rohan qui osa demander un second exemplaire pour sa nouvelle bibliothèque à Strasbourg, le cardinal Lercari à Avignon, qui remercie aussi pour le Nonce ; et d'autres (ms. fr. 19668, f° 33-35). Le plus grand nombre des exemplaires semble avoir été envoyé secrètement à des agents sûrs ; parmi eux, au moins une dame, Mme de Lavagnac à Montpellier (lettre du 8 février 1734) : très sensible à l'envoi de ses Lettres, écrit-elle, «je les fits remettre à leur adresse et je retirai une réponse de M. le Premier Président que je vous envoie ; je lui envoyai la quatrième et à Me Campan, je montrai les mienes à un home très entendu qui les dit fort solides et sçavantes. La quatrième a un style plus recherché que les trois premières, les Jésuites m'en ont parlé insy, un ami dit qu'il les fairet débitter, on n'a pas voulu donner l'argent sans l'ouvrage complet de cinq livres pour cinquante sols» (ms. fr. 19667, f° 10). Un certain Denux, doctrinaire à Castelnaudary (Aude), remercie le 4 juillet 1734 pour les lettres envoyées par un M. Vernède et en demande d'autres, ayant passé les siennes au théologal de son chapître, un Lattrapes qui écrit le même jour pour en avoir la suite : «parce que le nouveau fanatisme faisoit des progrès énormes dans notre ville ; je pourrois en arreter le cours, et peut-etre même l'étouffer en y répandant cette saine et solide doctrine par des mains fidelles. Par quelle voie les procurerai-je si on les vend?» (ms. fr. 19668, f° 111). La réponse manque, mais on peut penser qu'après avoir dispersé les premiers numéros gratis, même à des inconnus comme Denux et Lattrapes, par des amis sûrs, L. aidé par les agents des ministres aura organisé un réseau de distribution plus large et rémunérateur. Au moment où les Lettres se terminent et se vendent complètes, un abbé de Courtavel lui écrit de Blois le 9 novembre 1740 pour demander à garder la dix-neuvième, leur intermédiaire étant malade ; il continue : «Comme tout l'ouvrage se vend moins cher à Avignon qu'à Paris, j'espère que vous m'aiderez à l'y acheter. On n'est pas encore à beaucoup près aussy désabusé icy des faux miracles qu'à Paris, le grand nombre des gens du party, qui pour la plupart sont et les plus riches et les plus distingués de la ville, joint à la mortelle indifférence pour la religion de presque tous les prêtres qui se disent catholiques, met un grand obstacle au retour de ceux qui se sont laissez entrainer au torrent... » (ms. fr. 19667, f° 92).

7. Publications diverses

L. a laissé de nombreux manuscrits, certains remaniés plusieurs fois avec grand soin, mais desquels il est difficile de dire s'ils parurent dans le public, au moins un imprimé y ayant été conservé. Il paraît donc impossible de dresser actuellement une bibliographie claire et sûre de ses oeuvres, et même une biographie.

L.est l’auteur de la Réfutation des Lettres adressées à MM. Les Commissaires nommé par le roi, accompagné de deux suites (25 avril et 15 août 1753), également anonyme, s.l., 1753 (attribué aussi au P. Patouillet, qui a bien pu collaborer avec L.). Sa cible était les Lettres pacifiques, qui venaient de paraître anonymement (Lettres adressées à MM. les Commissaires nommés par le Roi pour délibérer sur l’affaire […] du refus des sacrements, avec titre de départ : Les Pacifiques au sujet des contestations présentes, 1752, 7 lettres, 48 p.) dont l'auteur était l’avocat L.A. Le Paige.

La B.N. garde une dizaine de volumes de manuscrits provenant de la collection de L., tirée de Saint- Germain-des-Prés, la plus grande partie écrite de sa main. Les reprises fréquentes d'ouvrages en divers brouillons aux titres variables constituent un obstacle qui interdit d'en donner une liste utile ici ; il resterait à vérifier lesquels d'entre eux ont pu être publiés en brochures ou articles.

8. Bibliographie

B.Un., N.B.G. D.O.A., D.L.F. Ladvocat J.B., Dictionnaire historique, 1770 art. «Taste, Dom Louis de». – Richart et Giraud, Bibliothèque sacrée, 1822, t. XXIV. – B.N., fonds La Taste : ensemble des papiers saisis en janvier 1741, f.fr. 19667-19668. – Préclin E., Les Jansénistes du XVIIIe siècle, Paris, 1929. – Id., L'Union des Eglises gallicane et anglicane, une tentative au temps de Louis XV, Paris, 1928. – Hardy G., Le Cardinal de Fleury et le mouvement janséniste, Paris, 1928. – Parguez J., La Bulle Unigenitus et le jansénisme politique, Paris, 1936. – Briggs E.R., La Crise parlementaire de 1732 et la formation de l'opinion publique à Paris, L.I.A.S. – Kreiser B.R., Miracles, convulsions and ecclesiastical politics in early eighteenth-century Paris, Princeton, 1978. – Maire C.L., Les Convulsionnaires de Saint-Médard. Miracles, convulsions et prophéties à Paris au XVIIIe siècle, Paris, 1985.

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