GAULTIER

Numéro

337

Prénom

Abraham

Naissance

vers 1650

Décès

1720

1. État-civil

Médecin de Niort, né protestant entre 1650 (son acte de décès dira en 1720 qu'il était «âgé de soixante et dix ans environ») et 1653 (Estât, p. 31 : en 1685, date de son abjuration, il aurait «32 ans»). Vraisemblablement fils de l'orfèvre de Niort de mêmes nom et prénom (Rivierre), mort en 1669 (A.D.S., 4 E2 202/2, p. 124). Marié à Jacquette Fraigneau entre 1685 (mariage protestant vraisemblablement - cf. lettre de M. Misson au médecin Pinet en date du 13 novembre 1686 : «Je voudrois bien savoir si le dernier [Gautier] n'est point devenu Pere, vous me le manderez et ferès aussi mes civilités à Melle son épouse», B.M. Poitiers, ms 535, p. 395) et 1687 («Notes Laurence», A.D.S., 25 F 30 et 49, d'où Beauchet-Filleau - mariage catholique ?). Père de Jean (1687-?), Abraham (1688-1725), Gabriel (1691-1724 ou 1725), et Jean (1692-1693 ou 1694) (A.D.S., 4 E1 202 - permettant de rectifier les approximations et erreurs de Laurence, reproduites dans Beauchet-Filleau). Mort le Ier avril 1720 (ibid., f° 17 v°). L'enquête de 1699 et un acte notarial (A.D.S., 3 E 304, pièce 85) de peu postérieur à la mort de leur père, attestent qu'Abraham fils et Gabriel ont été les deux seuls enfants survivants ; l'information posthume dirigée en juin 1725 contre Gabriel (Rivierre, d'après A.D.S., B Supplément Ia 84, dernier dossier) montre que celui était mort peu de temps avant cette date, en refusant les sacrements. Malgré Rivierre, il n'y a pas lieu de dédoubler le personnage en deux médecins, dont le premier se serait exilé sans retour en 1682, et serait le père du second, mort à Niort en 1720 : il doit s'être glissé quelque part une confusion avec Jacques (de) Gaultier, originaire de Languedoc, médecin de la cour de Berlin, frère du pasteur François de Gaultier de Saint Blancart, qui avait participé aux côtés de ce dernier en juin 1688 à la conférence de Berlin pour l'aide aux réfugiés.

2. Formation

Docteur en médecine - en 1677 selon Laurence ; on aimerait savoir où il a obtenu ce grade : peut-être aux Pays-Bas?

3. Carrière

Emigré vers 1682 (Rivierre) : le consistoire de Niort lui a délivré le 10 juin de cette année-là un certificat pour valoir auprès des autres communautés protestantes. Il est à Amsterdam au début de 1684, où il travaille à la publication de l'éphémère Mercure Sçavant lancé par Nicolas de Blégny (Desmaizeaux P., La Vie de Mr Bayle, dans P. Bayle, Dictionnaire historique et critique, 5e éd., Amsterdam, 1734, p. XVI-XVII). Il est en 1685 de retour à Niort, où il abjure le 10 septembre (Estât). Il y exerce la médecine. En 1699, il réside rue de la Rochette : lui-même, et surtout sa femme, soupçonnés d'être de mauvais «nouveaux convertis», sont l'objet d'une enquête en vue de les obliger à mettre leurs deux fils au collège (A.D.V., C 53, pièces 66 et 134). Bien qu'il n'y ait pas trace des suites données à cette affaire, on peut noter que le plus âgé des deux fils, Abraham, est en 1720, d'après des actes notariaux (A.D.S., 3 E 4235, pièce 122, du 5 avril, et A.D.S., 3 E 304, pièce 85, du 11 mai, déjà mentionnée), prieur commandataire de Saint Jean de Mougon près de Niort (il sera donné dans son acte de décès - A.D.S., 4 E1 202, année 1725, f° 2 v° - pour « ancien prieur de Mougon»).

4. Situation de fortune

G. a été médecin à Niort dès avant 1682 (voir le certificat cité ci-dessus : il s'est dès lors « aquis beaucoup de réputation dans cette ville dans la profession de la Médecine») et au moins jusqu'à 1714, date de la Réponse en forme de dissertation. L'«Estât des nouveaux convertis» (A.D.V., C 53, pièce 66) dit de sa femme et lui qu'«ils sont fort riches» ; cette richesse s'explique d'autant mieux s'il est effectivement fils d'un orfèvre.

5. Opinions

La conversion de G. au catholicisme au plus fort de la campagne de conversions forcées préparant la révocation de l'Edit de Nantes ne s'explique sans doute pas seulement, dans son cas, par la simple opportunité, pas plus que par la contrainte, voire la violence, mais aussi par l'indifférence, pour le moins, en matière de religion. Lorsque Maximilien Misson, à propos de ses anciens amis nouveaux catholiques, parmi lesquels son correspondant le médecin Pinet lui-même, fait état, dans sa lettre du 5 décembre 1685 a celui-ci (Misson, p. 372), de «ce que me mandoit l'autre jour nostre ami Gautier, que j'aurois été bien fin, si je n'avois pas fait comme eux. estant à leur place quand la gesne les a serrez», on doit noter que le propos de G. ainsi rapporté ne s'appliquait pas expressément à son propre cas. Et lorsque dans la lettre précédente (10 nov. 1685), à laquelle la phrase citée faisait écho, Misson, plaignant les nouveaux convertis, écrivait (P- 367) : «Je crois qu'ils passent de mauvais quarts d'heure, quand ils ont la tête sur l'oreiller. Pour notre ami Gaultier, je le plains plus que tous ; que le Dieu que j'adore, me veuille garder d'un état pareil au sien», l'«état» en question doit selon toute vraisemblance s'entendre comme un état moral et spirituel : perte de la foi, voire, déjà, athéisme. L'on peut soupçonner que c'est le même «état» que Bayle avait en vue lorsque, faisant référence (Nouvelles de la République des Lettres, 1684, p. 41) à la recension donnée dans le numéro de février du Mercure Sçavant des Méditations sur la Métaphysique de «Guillaume Wander», il notait à propos de l'auteur de cette recension (lequel ne peut être que G.), et des réfutations qu'il y donnait de ces Méditations, que «ses remarques, quoi que bonnes dans son Système, n'ont gueres de force, quand on les fait servir contre les principes de l'Auteur des Méditations». Le «système» de G., auquel Bayle fait ainsi allusion, risque fort d'avoir été déjà, en 1684, celui que développera en 1714 la Réponse à un théologien en forme de dissertation sur les sentimens des sceptiques : ces «sentiments», qu'il fait mine de n'y vouloir exposer que pour les offrir à la réfutation du théologien, sont de toute évidence les siens, et l'on ne saurait donner tort au rédacteur de l'abrégé clandestin qu'en constituera la Nouvelle Philosophie Sceptique lorsqu'il déclarera que «son système» (celui de G.) «n'est que pur athéisme et matérialisme» (Ars., ms. 2239, p. 16).

6. Activités journalistiques

G. a été associé à Nicolas de Blégny dans la publication du Mercure Sçavant, dont deux numéros seulement, datés de janvier (t. I, p. 1-65) et février (t. II, p. 69-150) 1684, parurent (avec quelques semaines de retard) à Amsterdam chez Henry Desbordes. Celui-ci le remplaça immédiatement par les Nouvelles de la République des Lettres, rédigées par Pierre Bayle, dont le premier numéro, daté de mars 1684, parut en mai. L'exposé de l'affaire par Desmaizeaux, source unique sur ce point des notices ultérieures concernant G., est tendancieux et en partie au moins erroné, tant en ce qui concerne le passage du Mercure Sçavant aux Nouvelles (il s'agit bel et bien d'une substitution, et c'est d'abord en tant que nouveau rédacteur du Mercure Sçavant que Bayle avait été sollicité pour prendre la suite des rédacteurs précédents, la raison exacte pour laquelle on avait voulu ce changement de rédaction restant à établir) -, qu'en ce qui concerne le rôle de G., lequel, à l'en croire, se bornait à faire imprimer les «mémoires» que Blégny lui envoyait de Paris afin de prolonger la publication de ses journaux de médecine qui n'y étaient plus tolérés. En fait, G. a dû prendre à la rédaction de ce périodique éphémère une part personnelle plus importante : il faut lui attribuer au moins la recension de « Méditations Métaphysiques» parue au début du t. II (févr. 1684, p. 69-78) sous le titre de «Nouveautez concernant la Théologie» ; ces Méditations (les Méditations sur la Métaphysique de l'abbé de Lanion, parues en 1678 sous le pseudonyme de Guillaume Wander) venaient d'être rééditées par Pierre Bayle dans son Recueil de quelques pièces curieuses concernant la philosophie de Monsieur Descartes (Amsterdam, chez Henry Desbordes, 1684), réédition dans laquelle le recenseur les avait lues. La parution du Recueil n'ayant eu lieu qu'en mars 1684, tout va-et-vient entre Amsterdam est exclu, et le recenseur ne peut donc être que G. lui-même ; au reste, il fera écho en 1714 à cette recension en donnant des mêmes Méditations une réfutation plus brève dans sa Réponse en forme de dissertation, où il les attribue à Malebranche (p. 117-120). Cela étant, et pour des raisons de contenu, on peut sans doute lui attribuer également la «Lettre de ... à M. D[e]. B[légny].» qui, sous la rubrique «Nouveautez concernant la Physique», fait suite immédiatement à cette recension dans le Mercure Sçavant (p. 78-82), et où l'on défend l'idée que la matière est capable de sentir.

7. Publications diverses

En dehors du Mercure Sçavant, la seule œuvre connue de G. est cette Réponse en forme de dissertation à un théologien, qui demande ce que veulent dire les Sceptiques, qui cherchent la vérité par tout dans la Nature, comme dans les écrits des Philosophes ; lors qu'ils pensent que la Vie et la Mort sont la même chose (etc.) (ou, plus brièvement ; Réponse à un Théologien, en forme de Dissertation, sur les sentimens des Sceptiques), «Par le Sieur Gaultier, Médecin à Nyort», Niort, chez Jean Elies, 1714. Cette édition comporte, de façon surprenante vu le contenu de l'œuvre, et à considérer d'autres données concernant en particulier les éditeurs de Niort, l'approbation de deux théologiens, et un permis d'imprimer signé du lieutenant de police de Niort : si, comme toutes les données de la bibliographie matérielle le donnent à penser, cette édition est authentique, ces autorisations pourraient s'expliquer, outre la situation de G., sa notabilité et sa richesse, voire des appuis occultes dont il aurait bénéficié, par le peu d'importance que pouvait attacher l'autorité à un ouvrage philosophique de ce genre, en un lieu et un moment où la lutte religieuse et politique contre les protestants continuait d'occuper le devant de la scène. Mais même si l'on devait envisager l'hypothèse d'une supercherie concernant la date et le lieu de l'édition, l'attribution de l'ouvrage à G., et la date, au moins approximative, de son achèvement, ne paraissent pas pouvoir être mises en cause.

8. Bibliographie

Haag (mais la notice, brève, paraît peu fiable). – Rivierre J., Dictionnaire des familles protestantes du Poitou, La Mothe Saint-Héray, inédit, chez l'Auteur, s.d., p. 1488-1491. – (Laurence) A.D. Deux-Sèvres (A.D.S.), 25 F 30 et 49 : fonds Laurence, fiches généalogiques (ire et 2e séries, concernant G. et ses enfants ; N.B. ; Laurence s'appuyait sur des pièces d'archives, mais n'indique pas ses sources en clair) ; 3 E 304 : Minutes du notaire J. Sabourin pour 1720 ; 3 E 4235 : Minutes du notaire J. Grugnet pour 1720 ; 4 E1 202 ; état civil de la paroisse de Notre-Dame à Niort ; 4 E2 202/2 : état civil protestant de Niort ; B Supplément ia 84 : Siège Royal de Niort, procédures criminelles 1720-1725, dernier dossier. – (A.D.V.) A.D. Vienne, C 53, pièce 66 («Estât des nouveaux convertis de la ville de Niort et de quelques paroisses de la banlieue qui sont en pouvoir de mettre leurs enfants dans des collèges et dans des couvents et d'y payer leurs pensions avec le nombre, le sexe et l'âge de leurs enfants» ; date : 1699), f° 2 v°, et pièce 134 («Visite des Nouveaux convertis du 2. quartier de la ville de Niort [...] le 11e févriers 1699»), f°2 v° – (Misson) B.M., Poitiers, ms. 535 : coll. Fonteneau, t. LXXIX, p. 363-408 : «copie de lettres adressées à M. Pinet, docteur en médecine à Niort par M. [Maximilien] Misson protestant et M. [Isaac] de Beausobre protestant » (oct. 1685-nov. 1686). – Musée de la France protestante de l'Ouest au Bois-Tiffrais, manuscrit répertorié au 4e supplément du Catalogue, 1er groupe, p. 34 : certificat délivré à G. le 10 juin 1682 par le Consistoire de Niort. – Bayle P., Nouvelles de la République des Lettres, n° 1 (mars 1684), Préface, et p. 4 ; et «Avertissement» placé à la suite du frontispice du n° 4 (juin 1684) ; voir les notes de l'éditeur dans Œuvres diverses, La Haye, 1727,1.1, p. 2 et p. 44. – Id., Lettre à Mr Lenfant du 8 août 1684, Œuvres diverses, t. IV (La Haye, 1737). p. 616b (et la note de l'éditeur, p. 616a). – Beauchet-Filleau H. et P., art. «Gaultier Abraham», dans Dictionnaire historique et généalogique des familles du Poitou, 2e éd., t. III, Poitiers, 1905, p. 788. – Bloch O., Parité de la vie et de la mort : la Réponse du médecin Gaultier, Paris, Oxford, 1993. –Desmaizeaux P., La Vie de Mr Bayle, dans P. Bayle, Dictionnaire historique et critique, 5e éd., Amsterdam, 1734, p. XVI-XVII. – Dreux Du Radier J.F., Bibliothèque historique et critique du Poitou, Paris, 1754, t. IV, p. 370-374. – (Estât) Estât des religionnaires Qui ont été convertis à la Foy Catholique Apostolique et Romaine par les soins du présidant de Fontmort, et en sa présence. Envoyé à Madame de Maintenon. A Nyort, chez Joseph Lagrange, Imprimeur et Marchand Libraire, s.d. [1686], p. 31 (aux A.D.S., 8° 253). – Lièvre A., Histoire des protestants et des églises réformées du Poitou, Paris, Poitiers, 1856-1859, t. III, p. 108-109.

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