DUCHEMIN DE L'ETANG

Numéro

254

Prénom

Julien

Naissance

?

Décès

1792?

1. État-civil

Julien François Duchemin de l'Etang (écrit aussi parfois de Létang ou Delétang) était marié et avait une fille. Il est probablement mort à Saint-Domingue en décembre 1792 (A.N., Col. E 144, f° 129-130).

2. Formation

Docteur en médecine de l'Université de Montpellier. Médecin du roi aux Cayes Saint-Louis, île de Saint-Domingue (ibid., f° 3). Membre, en 1790, de l'Assemblée provinciale du sud de l'île (Moreau, p. 1479).

3. Carrière

Après avoir étudié la médecine à Montpellier, D. semble avoir exercé un temps à Paris (Col. E 144, f° 21). Il se fait connaître en 1768 par un Mémoire sur la cause des noyés écrit à l'occasion de « l'affaire Catherine Lerouge », cette jeune fille de Lyon retrouvée noyée et dont on accusait une voisine, Mme Pera, de l'assassinat. Voltaire, pressentant l'erreur judiciaire, prend un « vif intérêt » à cette affaire, et il se sert du livre de D. pour essayer de rétablir les faits et de montrer comment les défaillances de la justice et les mécanismes de la rumeur, de la colère et de la haine, ont transformé ce qui était probablement un accident, en une «abominable affaire», Mme Pera étant accusée sans preuves, sinon «les étonnantes dépositions» de son fils, âgé de cinq ans et demi, interrogé de façon à le faire «toujours dire oui à toutes les questions qu'[on] lui [posait]» (D16152, 17100, 17516). Ruiné à la suite de spéculations malheureuses, D. part s'établir en 1775 à Saint-Domingue - il avait obtenu, le 20 février de cette année-là, un brevet de médecin du roi aux Cayes (Col. E 144, f° 3). A la fin de 1779, il obtient un congé et revient en France pour régler certaines affaires personnelles et pour essayer d'obtenir «la survivance [de la charge] de premier médecin du roi au Cap», le titulaire, Baradat, songeant alors à se retirer. La charge lui est promise, et il est nommé en attendant «médecin en second» au Cap, où il exerce pendant la durée de la guerre d'Amérique (ibid., f° 21, 31, 34, 45). Au début de 1784 cependant, malgré les assurances données, la recommandation de Pierre Poissonnier, « inspecteur et directeur général de la médecine et des hôpitaux de la marine et des colonies», et les protestations du Corps des médecins et chirurgiens du Cap. le nouveau ministre de la Marine, le comte de La Luzerne, accorde la place de médecin du roi au Cap à Jean Charles Arthaud. D. aurait été victime de «l'intrigue et de la haine», Baradat et Arthaud, qui se haïssaient l'un l'autre, mais qui haïssaient encore plus D., ayant mis de côté leurs dissensions, pour s'entendre et «surprendre la religion» des administrateurs de Saint-Domingue et du ministre (ibid., f° 39, 42, 49, 89, 113). Arthaud, que D. considérait comme son «ennemi juré», avait déjà été à l'origine, à la fin de 1778, d'une véritable campagne de presse qui avait joué un rôle déterminant dans l'échec de la Gazette de médecine pour les colonies, que D. avait entrepris de publier au Cap en novembre de cette année-là (D.P.1 543). D. demande, au printemps 1784, un nouveau congé pour se rendre en France plaider sa cause auprès du ministre (A.A., 31 mars 1784). Il ne réussit cependant ni à faire annuler la décision ni à obtenir une nomination à un poste plus important que celui des Cayes. D. est encore en France au début de 1789, trouvant prétextes après prétextes pour ne pas retourner à Saint-Domingue. Le ministre de la Marine se verra même obligé de lui ordonner, sous menace de destitution, de rejoindre son poste au plus vite, ce qu'il fait finalement le 27 juin, s'embarquant ce jour-là au Havre sur La Mère de famille à destination de Saint-Domingue (Col. E 144, f° 62, 98-99, 104-106). Revenu dans l'île, D. manifeste son «attachement à la révolution» qui commence, ce qui lui vaudra d'être suspendu de ses fonctions de médecin du roi par le Conseil supérieur de Port-au-Prince, sous prétexte que son «titre était suranné» et n'avait pas été proprement enregistré dans la colonie. Le brevet sera confirmé par le ministre de la Marine en mai 1791 (ibid., f° 123, 126-127 ; Almanach de Saint-Domingue, p. 132). D. est probablement mort à Saint-Domingue, victime des luttes révolutionnaires auxquelles il semble avoir pris une part active. Sa femme, réfugiée à Toulouse, écrit au ministre de la Marine le 2 juin 1793, pour lui demander des nouvelles de son mari dont une lettre reçue deux mois plus tôt annonçait la mort, à Saint-Domingue, au mois de décembre de l'année précédente. Le ministre fait répondre le 12, qu'il n'a pu encore trouver de confirmation officielle de ce décès (Col. E 144, f° 129, 130). D. était encore aux Cayes à la fin du mois d'août 1792. Il écrit alors à la Gazette des Cayes pour souligner que, s'il est actuellement en congé de son poste de médecin du roi, il continue à avoir une «pratique [privée]». Dans la même livraison de ce journal, une lettre de la municipalité de la ville, souligne le «patriotisme» de D., et les «principes d'humanité qui [le] caractérisent» (30 août 1792, p. 282).

4. Situation de fortune

En 1775, à la suite des «réductions des rentes sur l'hôtel de ville où il avait placé toute sa fortune», D. est non seulement ruiné, mais sous menace d'arrestation, poursuivi pour dettes par ses créanciers et ceux d'un ami qu'il avait «cautionn[é]». Il est d'ailleurs possible que ses «mauvaises affaires» l'ait «fait mettre [un temps] en prison» (Col. E 144, f° 92). Quand, en 1780, il revient en France, il devra en tout cas demander au ministre un «sauf-conduit», qui lui sera accordé, pour pouvoir séjourner dans la métropole (ibid., f° 23, 28). Selon D., qui multiplie requêtes après requêtes pour être muté à une place plus lucrative ou obtenir des « compensations » et « suppléments de gratification », médecin du roi aux Cayes était « une place d'un trop modique revenu pour fournir à sa subsistance et à celle de sa famille» (ibid., f° 21, 25, 27, 51, 62, 74). Ses appointements ne sont que de 1200 £ annuelles, mais à cela s'ajoutent des exemptions et privilèges, et la perception de plusieurs droits, notamment pour les visites de négriers, les rédactions de procès-verbaux ou les réceptions des chirurgiens et apothicaires. La pratique privée était aussi une autre source importante de revenus (ibid., f° 51 ; Pluchon, p. 95). En 1779, quand il retourne pour la première fois en France, quatre ans seulement après s'être installé à Saint-Domingue, D. emporte avec lui « 30 000 livres » économisées « pour satisfaire ses créanciers » et ramener sa famille dans la colonie. Au cours de ce voyage, cependant, il aurait perdu sa malle qui contenait, outre son argent, «tous ses titres, papiers et autres effets précieux», le navire sur lequel il s'était embarqué, le Comte d'Artois, ayant été pris dans un ouragan au large des Bermudes (Col. E 144, f° 23-25). La situation financière de D. sera par la suite souvent précaire. Au point que c'est sa femme qui, voyant qu'il ne se résout toujours pas à retourner à Saint-Domingue, écrit au ministre, au début de 1789, pour lui demander d'ordonner à son mari de rejoindre son poste, la famille se trouvant alors «dans la plus grande misère [...], [et] n'existant] que de charités» (ibid., f° 92). En 1791, son mari venant d'être suspendu de ses fonctions, elle intervient de nouveau, cette fois-ci auprès de Jean Baptiste Gérard, député de la colonie à la Constituante, qui certifie de «la situation malheureuse» et de «l'état de détresse» de la famille, et obtient du ministre que D. soit reconfirmé dans son poste de médecin du roi aux Cayes (ibid., f° 108, 111, 122-123).

5. Opinions

Admirateur de Montesquieu, du «sublime Voltaire», du «fameux Rousseau», disciple de Boerhaave, D. s'est voulu un homme de progrès, résolu à «penser autrement», et a mené le combat de «la raison» contre les «absurdités dangereuses» et les «préjugés meurtriers» nés de «l'ignorance». D. a partagé les curiosités et les intérêts de son siècle (l'inoculation ; les propriétés de «l'air fixe» ; les influences déterminantes de «l'air» et des «exhalaisons»), et a pressenti l'importance de l'hérédité, ces «causes prédisposantes qui ne se trouvent point chez les autres» et qui font naître ou se développer certaines maladies (ibid., p. 24). Convaincu aussi du rôle essentiel joué par «l'esprit» dans la naissance et l'évolution des maladies, il s'est soucié d'imposer l'idée d'une médecine qui prévient, qui se préoccupe aussi bien de «la conservation de la santé» que de son «rétablissement». Pour D., le médecin doit tout autant travailler à changer les mentalités et les habitudes, qu'à guérir les corps. Il doit aussi, rejetant dogmatismes et a priori, pratiquer le «doute méthodique de Descartes », recueillir les données de l'observation et de l'expérience, s'y soumettre, et ne raisonner qu'à partir d'elles : le médecin «ramasse [les faits] [...] pour les comparer ensemble et en tirer ensuite des conséquences à la lumière de la raison», tout en se gardant de «décider [hâtivement], [car] la nature a de furieux écarts et nous ne la connaissons encore que très imparfaitement» (Gazette de médecine pour les colonies, p. 1-4, 10, 12, 15, 20, 22, et passim).

6. Activités journalistiques

D. est le fondateur et le rédacteur de la Gazette de médecine pour les colonies, bimensuel publié au Cap à partir du 1er novembre 1778, et qui n'aura que huit numéros (D.P.1 543). Cet «établissement fort utile à la colonie et aux progrès de l'art en général», selon Pierre Poissonnier, qui en avait encouragé la publication (Col. E 144, f° 9, 10), se donnait pour but de faire progresser la connaissance et la pratique médicale dans l'île et d'aider au développement d'une véritable «médecine coloniale», adaptée aux conditions particulières, aux ressources et aux besoins des colonies. L'échec de ce journal s'explique non pas tant par la résistance aux « idées nouvelles » qu'il véhicule, que par des rivalités personnelles et professionnelles, et cette méfiance vis-à-vis de toute innovation, de toute initiative qui, en changeant l'état de fait, remet en question les habitudes, les traditions et les hiérarchies en place.

7. Publications diverses

7. Mémoire sur la cause de la mort des noyés pour servir de réponse à MM. Faissole et Champeau, chirurgiens à Lyon, et à M. L..., chirurgien à Paris, s.l.n.d. [1768]. D. est également l'auteur de plusieurs mémoires manuscrits sur des sujets de médecine et d'histoire naturelle, notamment un Mémoire sur les garnisons et sur les maladies de Saint-Domingue, et un Mémoire sur un nouveau fourrage originaire d'Afrique et tiré de la Nouvelle-Angleterre et des isles de l'Amérique, présenté à la séance du 30 novembre 1786 de la Société royale d'agriculture de Paris (Col. E 144, f° 58, 132-136, 137-146).

8. Bibliographie

A.N., Col. E 144, dossier Duchemin de l'Etang. – Almanach de Saint-Domingue, Port-au-Prince, 1791. – (A.A.) Affiches américaines. – Gazette des Cayes. – Voltaire, Correspondence, éd. Besterman. – Moreau de Saint-Méry, Description [...] de la partie française de L’lsle Saint-Domingue, Philadelphie, 1797, Paris, 1984. – Pluchon P. et al., Histoire des médecins et pharmaciens de la marine et des colonies, Paris, 1985.

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