DINOUART

Numéro

241

Prénom

Joseph

Naissance

1716

Décès

1786

1. État-civil

Joseph Antoine Toussaint Dinouart naît à Amiens le 1er novembre 1716, dans la paroisse de Saint-Rémy (Daire), dont les registres n'existent plus. Il est le fils de Marguerite Cornet et de Jean Baptiste Dinouart, détenteur de la modeste charge de sextelier (mesureur de grains), représentant un capital de 4500 £ (Camus). D. meurt à Paris de mort subite, le 23 avril 1786 (procès-verbal des scellés), laissant un frère, une nièce et deux neveux. L'un d'eux est ecclésiastique, tous les autres membres de la famille appartiennent au monde des métiers.

2. Formation

D. montre de précoces dispositions pour la poésie, notamment pour la latine, dans laquelle il excellerait. Il serait l'auteur, à dix-sept ans, d'une élégie à l'adresse de Mgr Sabatier, mais aurait aussi composé des vers galants (Camus). Cela ne l'empêche pas de s'orienter très tôt vers la carrière ecclésiastique. Il semble faire à Amiens de solides études religieuses, qu'il obtient par faveur de terminer à Paris, où il est reçu maître ès arts tout en se livrant à la prédication (Daire). D. a été également membre de l'Académie des Arcades, où il entre sur la recommandation du cardinal Passionei, et primé par l'Académie des Palinods de Rouen.

3. Carrière

De retour à Amiens, après ses études, D. est affecté au service de la chapelle Saint-Honoré, succursale de la paroisse de Saint-Rémy. Cette charge ne comble pas les vœux du jeune ecclésiastique, visiblement attiré par la carrière littéraire et la vie mondaine. En 1749, il publie, sous le voile d'un anonymat transparent, Le Triomphe du sexe, qui lui vaudra la réputation d'être un des précurseurs en France du féminisme. Desservi par cette publication légère et d'obscures rumeurs, peut-être inspirées par l'envie (Daire), D. est interdit par son évêque, l'austère Mgr de La Motte, qui souhaite reprendre en main son clergé. D. quitte sans déplaisir Amiens et ses concitoyens et s'installe à Paris, où il s'illustre comme prédicateur à Saint-Eustache et s'ouvre les portes de quelques salons. Un rapport de police du mois d'août 1752 le décrit, de manière expéditive, comme «un jeune homme qui est précepteur de Mad. de Marville et qui fait asses joliment des vers» (n.a.fr. 10781). L'homme, à cette date, est connu au plan littéraire et ses activités n'inspirent aucun soupçon aux sourcilleux inspecteurs de la Librairie. D. est alors le protégé de Le Blanc, architecte de l'Intendance (n.a.fr. 10781), de Mme de Forcalquier pour laquelle il compose des vers (Daire, p. 349), et surtout du puissant avocat général Orner Joly de Fleury, au moins depuis 1751 (allusion d'une lettre dans Joly de Fleury, 573, f° 31). D. est un conseiller occulte en matière ecclésiastique de Joly de Fleury, auquel il fournit des notes bibliographiques, des avis, des informations et même des propositions de correction (fonds Joly de Fleury). On a notamment plusieurs jugements de D. sur des mandements d'évêque. Joly de Fleury, en retour, obtient pour son protégé, dans un premier temps, une place de précepteur chez le lieutenant de police Marville (N.B.G.), puis le canonicat de Saint-Benoît à Paris (que D. détient déjà en 1760). Il l'appuiera ultérieurement dans ses démêlés avec la censure (n.a.fr. 3347) et ses projets journalistiques. Parallèlement à ses activités souterraines ou journalistiques, qui commencent dès 1746, D. se lance dans une féconde, mais peu originale carrière littéraire, dans laquelle il gagne le surnom d'Alexandre des plagiaires : D. compile, traduit, adapte en les défigurant souvent un grand nombre d'ouvrages, quand il ne se livre pas au pur et simple pillage.

4. Situation de fortune

Petit ecclésiastique de modeste extraction, D. est comme nombre de ses semblables contraint de rechercher protections et sources de revenus. Il parviendra ainsi à cumuler plusieurs pensions : Mme de Marville lui sert une rente viagère (de 600 £, selon Daire), qu'il perçoit encore effectivement en 1771 (testament) et qui complète une pension sur le doyenné de Moirax, près d'Agen, et une part sur le chapitre de Saint-Benoît (testament). S'y ajoute le produit de son intense activité littéraire et notamment le revenu attaché au Journal ecclésiastique (Camus, sans précision, parle de «jolis bénéfices» ; le précieux n.a.fr. 1180 ne donne aucune indication sur ce point). Et cependant D. semble avoir vécu dans une certaine gêne. La liasse de l'étude J.C. Estienne, contenant l'inventaire des biens de D., manque et, en son absence, toute pesée précise de ses revenus est impossible. Toutefois, du procès-verbal des scellés ne se dégage pas une impression de grande aisance et les legs du testament sont modestes. Dans ce dernier document d'ailleurs D. affirme n'avoir eu au cours de sa vie que «très peu de biens». Déjà, en 1759, dans une lettre à Joly de Fleury, D. évoque «ses petits revenus» (Joly de Fleury, 573, f° 31). Sans doute cela pousse-t-il D. à s'endetter pour de petites sommes. Ainsi en septembre 1764 le censeur Salmon, approbateur du Journal ecclésiastique, prête à D. 164 £, qui ne sont toujours pas remboursées en novembre 1766 au moment du décès de Salmon (Inventaire Salmon, Etude LXXXII-428, f° 172). Les compilations ont vraisemblablement assez peu rapporté à D. qui s'est, par ailleurs, chargé de l'éducation de sa nièce et de ses neveux (testament).

5. Opinions

D. aurait été janséniste. C'est ce que semble insinuer Feller-Weiss. Dans la notice qu'il lui consacre, Feller-Weiss fait obscurément reproche à D. de s'être laissé captiver par «la petite Eglise» (il ne peut évidemment s'agir de l'Eglise concordataire). Le D.T.C. juge, de manière plus explicite, empreint de jansénisme le tome III de L’Abrégé chronologique de l'histoire ecclésiastique de Macquer (dû à la plume de D.), paru en 1768. Les débuts de D., eux, n'ont rien de janséniste et le mouvement janséniste, dans les colonnes des Nouvelles ecclésiastiques, réserve un accueil fort réticent au Journal ecclésiastique : tout en conseillant de suivre dans sa carrière ce nouveau périodique, le célèbre organe des jansénistes note le caractère présomptueux du projet (mars 1761), décèle dans les premières livraisons des passages burlesques, des affirmations condamnables et regrette la place qui y est faite aux Jésuites (nov. 1760 et mars 1761). Après 1761 le Journal ecclésiastique n'est plus mentionné par le périodique janséniste jusqu'au décès de D. (échapperait-il à la critique des Augustiniens?). Les Nouvelles ecclésiastiques ne consacrent, fait sans doute significatif, aucune notice nécrologique à D. dont le décès n'est évoqué qu'indirectement en 1788. Toutefois, commentant le changement de direction survenu à la tête du Journal ecclésiastique à cette occasion, les Nouvelles ecclésiastiques, notent que le nouveau directeur est acquis, à la différence de son prédécesseur, aux idées des Jésuites (févr. 1788, p. 22). D. aurait-il évolué vers des positions jansénistes sans devenir janséniste? Un point semble assuré : au début de sa carrière D. n'est point janséniste : dans un rapport à Joly de Fleury il déconseille des mesures qui pourraient favoriser les thèses jansénistes (Joly de Fleury, 570, f° 331).

6. Activités journalistiques

D. entre dans la carrière journalistique en envoyant à partir de 1746 une série d'articles au Journal de Verdun (1746-1747). Il s'agit de dissertations à caractère académique. La première, parue en août 1746, qui donne le ton des suivantes est une «Lettre sur les gens de lettres» (Daire). Dans un autre article D. propose des Réflexions sur les gens en dessous de nous. Par la suite, D. enverra encore au Journal de Verdun un «Eloge latin de M. Joly de Fleury» (févr. 1760).

Au cours de l'été 1753 D. tente de lancer son propre journal et présente, avec le soutien du marquis de Custine (f.fr. 22133, f° 56) un projet de Journal ecclésiastique, fort proche de celui qui verra le jour (f.fr. 22133, f° 57)- Le projet est rejeté par Malesherbes lui-même, au motif que le nouveau périodique ferait double emploi avec le Journal des savants et avec les Mémoires de Trévoux. Peu après D. rejoint, à partir de 1755 et pour quatre ans (Daire), l'équipe du Journal chrétien (ou Journal de piété) de l'abbé Joannet (D.P.1 627). Il est notamment l'auteur d'un projet d'académie ecclésiastique {Journal de piété, première feuille de 1756). Joannet tire profit des puissantes relations de son collaborateur. En mars 1759 il utilise une note de Joly de Fleury, le protecteur de D., favorable à un extrait devant paraître dans le Journal de piété, pour vaincre les réticences du censeur Salmon, avant de tenter, avec le soutien de D., mais en vain, de se passer de l'approbation du prudent censeur (Joly de Fleury, 573, f° 31 et suiv.). L'alerte est plus chaude en 1760 : le belliqueux Saint-Foix, accusé par le Journal chrétien d'avoir voulu, dans ses Essais sur Paris, tourner en ridicule la religion, attaque en justice Joannet et D. (CL., août 1760). A nouveau Joly de Fleury s'interpose et parvient à arrêter la procédure (lettre de Joly de Fleury à Malesherbes, n.a.fr. 3344, f° 134). Il soutient par ailleurs le nouveau projet de Journal ecclésiastique présenté par D. (qualifié «d'associé» au Journal chrétien). Le projet en est déjà à un stade avancé : D. a trouvé un protecteur, le prince de Rohan, coadjuteur de Strasbourg, et un censeur, Salmon. Le journal obtient une permission simple le 24 septembre 1760 (f.fr. 21962, f° 100), pour trois ans et paraît dès octobre 1760. La formule journalistique est originale (D.P.1 727), elle mêle aux matières proprement religieuses des nouvelles littéraires aussi bien que médicales (les maladies vénériennes). Si elle heurte certains lecteurs (les Nouvelles ecclésiastiques, selon Daire, s'en font l'écho), elle est louée par des autorités comme le cardinal Passioneï et semble connaître le succès. D. y travailla jusqu'à son décès : sous les scellés, on trouve les feuilles du numéro à paraître.

7. Publications diverses

Se reporter au Journal ecclésiastique, février 1780, à la notice de Daire, et à Cior 18, n 24981-25001.

8. Bibliographie

Feller-Weiss ; N. B. G. ; D. T. C. – Barbier A., Examen critique des dictionnaires historiques. – CL., t. II, août 1760, p. 424. – Journal ecclésiastique. – Nouvelles ecclésiastiques, 16 nov. 1760, 6 mars 1761 et 6 févr. 1788. – Procès-verbal des scellés après le décès de D., A.N., Y12816. – Testament olographe de D., A.N., Etude XLIX-872. – B.N., f.fr. 21962, 22133 ; n.a.fr. 1180, 3344, 3347. – B.N., fonds Joly de Fleury, 567, 570, 573, 601. – Daire L.F., Histoire littéraire de la ville d'Amiens, 1782. – Camus A., «Un prêtre amiénois féministe au XVIIIe siècle », Bulletin de la Société des Antiquaires de Picardie, 1941, p. 256-281. – Balestrazzi A.M., «L'abbé Dinouart e le virtù del silenzio», Ragioni dell'anti-illuminismo, dir. L. Sozzi, Alessandria, 1992.