DENIS

Numéro

220

Prénom

Jean Baptiste

Naissance

vers 1640

Décès

1704

1. État-civil

De la jeunesse de Jean Baptiste Denis, né vers 1640, nous ne savons rien, et sa parenté avec Claude Denis, fontainier à Versailles, établie sur une homonymie (Det; D.S.B.) est infirmée par les actes notariés. Il mourut à Paris, le 3 octobre 1704.

2. Formation

Son titre de docteur en médecine n'est confirmé ni par les matricules de la faculté de Montpellier, ni à Reims pour des «lettres de médecine», ses seuls diplômes acquis au cours de l'hiver 1667, selon un de ses adversaires. Ses conférences et son Discours sur les comètes suivant les principes de M. Descartes lui ouvrirent les portes de l'académie réunie par Habert de Montmor, avant 1667.

3. Carrière

Les premiers documents qui nous parlent de lui le montrent établi conférencier au moins dès 1664: chaque samedi, à son domicile de ce quai des Grands Augustins fréquenté par les amateurs de gazettes et de nouvelles à la main, il donnait à partir de quatorze heures une conférence publique de physique, mathématique et médecine, semblable par son organisation et ses sujets à celles que Fontenay ou Rohault dispensaient depuis quelques années. Sur un sujet proposé par un auditeur, ou «envoyé de divers endroits de l'Europe», le conférencier présentait un état de la question et donnait la parole à chaque contradicteur auquel il s'efforçait de répondre immédiatement. Il traita ainsi de questions d'astronomie (l'instabilité du firmament, la taille apparente de la lune sur l'horizon, les comètes à l'occasion de celle de 1665); de sujets d'anatomie et de médecine (la fonction de la rate, les parties du coeur); de curiosités, comme l'ambre ou la rosée de mai.

A la différence de Renaudot ou de Richesource qui exposaient une science facile et populaire, D. traitait des mêmes sujets que les cercles savants, comme l'académie Montmor. Il y noua des relations suivies avec Henry Justel et l'abbé Bourdelot; le premier l'initia aux travaux des Anglais et l'introduisit auprès d'Henry Oldenburg, et il fréquenta vers 1672 les réunions du second, après la disparition de cette académie.

Lorsqu'en 1667 l'Académie des Sciences décida de renouveler les expériences de transfusion sanguine réalisées à Londres l'année précédente, Habert de Montmor l'imita et il chargea D. et un habile chirurgien, Paul Emerez, de poursuivre ces expériences devant les amateurs qu'il réunissait de nouveau. Les compte rendus que D. publia sous forme de lettres adressées à Montmor, Sorbière ou Oldenburg nous apprennent qu'après avoir répété et amélioré les essais londoniens sur des chiens, les deux expérimentateurs passèrent à des veaux puis réalisèrent des transfusions d'un animal (agneau ou mouton) à un homme, qui après la guérison d'un jeune homme affaibli et le renforcement d'un homme déjà vigoureux, se terminèrent par la mort suspecte du quatrième patient. L'enquête révéla que le malade avait été empoisonné par son épouse et le lieutenant criminel soumit en avril 1668 toute nouvelle transfusion à l'autorisation de la Faculté de médecine, hostile à la théorie circulatoire, ce qui fermait la voie aux expérimentateurs.

Ces expériences, comme les conférences qu'il donna au moins jusqu'en 1672, permirent à D. d'asseoir sa réputation auprès du public et face à la Faculté de médecine de Paris qui entravait l'exercice des médecins de province, ce que D. surmonta en acquérant, avant 1671, une charge de Médecin ordinaire du roi.

Par ailleurs la publication d'une vingtaine de brochures à propos de ses transfusions (dont quatre de sa plume) lui montra l'avidité du public pour les nouvelles scientifiques. Il répondit à cette attente en donnant un Discours sur l'astrologie judiciaire et en lançant un périodique lorsque l'abbé Gallois, absorbé par le service de Colbert, négligea la publication du Journal des Savants (J.S.). Dans la deuxième version de sa revue publiée sous le titre de Conférences, Denis versa outre des mises en forme des séances du Quai des Grands Augustins, le compte rendu des expériences de son eau styptique, un hémostatique qui lui valut d'être appelé en Angleterre en juin 1673, où le gouvernement de Charles II, alerté par un mémoire des Philosophical Transactions, lui fit répéter ses démonstrations avant de lui commander assez de son remède pour satisfaire aux besoins de la flotte qui s'armait contre les Néerlandais. Après un court séjour à Paris, fin 1673-début 1674, au cours duquel il donna les derniers numéros de ses Conférences, D. retourna en Angleterre au printemps de 1674 et y exerça quelques temps son art.

A partir de ce moment les témoignages à son sujet se font rares: à part une nouvelle publication en 1683 dans laquelle il promettait de donner bientôt un système des fièvres qui ne parut jamais, et son installation, au plus tard en 1687, rue d'Anjou, ce qui avec l'absence de mention dans le Livre commode de Blégny (1692) laisse supposer la fin de ses conférences publiques, on ne sait rien de lui jusqu'à sa mort.

5. Opinions

Les idées exposées par D. dans ses conférences et les livres qui les prolongèrent justifient partiellement l'étiquette de philosophe cartésien que lui décernèrent ses contemporains. Les sujets ou les arguments de conférences consacrées à la végétation des plantes, à l'instabilité du firmament ou à la digestion renvoient à Descartes, mais lorsqu'il veut démontrer l'absence d'influence des comètes ou l'inanité de l'astrologie judiciaire, il présente les diverses théories à ce propos, dont celle de Descartes. Ses écrits sur la transfusion renvoient autant à une pensée mécaniste qu'à une pratique d'expérimentateur et la répétition des tentatives en 1667 et 1668 servit à satisfaire une curiosité scientifique, partagée avec les membres du cercle Montmor, comme à appuyer la réputation d'un traitement et de son divulgateur: chez D. le philosophe se double d'un «virtuoso» et la recherche expérimentale n'est pas éloignée d'un souci commercial.

6. Activités journalistiques

Denis avait donné entre 1665 et 1668 deux de ses conférences en petits volumes et six de ses lettres sur la transfusion dont deux dans le Journal des Savants et quatre en opuscules d'une douzaine de pages tous imprimés par Jean Cusson; ces publications lui firent mesurer l'intérêt du public pour les comptes rendus scientifiques et le goût de certains libraires pour les brochures faciles à éditer et à écouler.

D. profita des années de langueur du J.S. pour publier le premier de chaque mois un périodique qu'il accompagna, tous les quinze jours, d'un extraordinaire: composé de douze pages in-quarto, presque toujours illustrées d'une planche de Pierre Giffart qui gravait au même moment le recueil des médailles du Cabinet du roi, les Mémoires concernant les arts et les sciences sortirent des presses de Frédéric Léonard à partir du 1er février 1672. La présentation de ces Mémoires au Dauphin et leur réalisation par l'imprimeur des ouvrages ad usum depuis 1670 montrent que D. et Léonard cherchèrent à réfléchir sur ce périodique le prestige des publications delphiniennes.

En tête de son premier numéro le journaliste affirmait ne pas vouloir répéter ce qu'avait jusque-là publié le J.S., ce qui sous la déférence envers un confrère laissait entrevoir un programme comparable. Autorisé par son privilège du 6 janvier 1672 à imprimer des mémoires scientifiques, des pièces curieuses et la traduction des Philosophical Transactions comme du Giornale de' Letterati, le rédacteur consacra pourtant presque entièrement son premier numéro à des extraits de livres dont il indiquait les dépositaires parisiens. Bien qu'il s'en défendît, Denis plaçait sa revue dans la mouvance du J.S. dont il cherchait à capter le public en se situant dans son prolongement par l'annonce de la traduction des parties des journaux étrangers inédits en français.

Les lecteurs ne s'y trompaient pas; ainsi Henry Justel écrivit au Toulousain Samuel de Fermat, le 6 février 1672, qu'il s'agissait d'un «journal déguisé» né de l'abandon de l'abbé Gallois, et le comparant au J.S. dans une lettre à Panciatichi du 24 février suivant, Émery Bigot jugea: «c'est un dessein quasi semblable et qui ne diffère qu'au titre». De fait les deux périodiques se ressemblent non seulement par la forme des articles et les thèmes abordés, mais plusieurs sujets se retrouvent dans les deux revues: le J.S. du 29 février 1672 et les Mémoires publiés le lendemain, mardi 1er mars, présentèrent le nouveau télescope de Newton, chacun par un article accompagné d'une illustration. Au delà des similitudes, leurs différences prouvent qu'il ne s'agit pas d'un plagiat de la première revue par la seconde mais de l'exploitation d'une source commune, lettre, mémoire ou opuscule récemment parvenu d'Angleterre.

Cette similitude de champ et de forme conduisit Gallois à intervenir; Leibniz présent à Paris de 1672 à 1674 en témoigna dans une lettre de 1678: «M. Denys fut obligé de changer ses mémoires en conférences, à cause du privilège de M. Galloys auquel ces mémoires estoient contraires». D. publia un dernier numéro des Mémoires le 11 juin 1672, un samedi sans doute pour atteindre les lecteurs du J.S. qui paraissait le lundi et bien marquer sa situation par rapport à celui-ci.

Il transforma alors sa formule et donna le titre de Conférences présentées à Monseigneur le Dauphin un périodique, le plus souvent mensuel, de même format et volume que les Mémoires, qui offrait à côté du texte de certaines de ses assemblées du samedi, quelques lettres ou mémoires de savants italiens qui pourraient avoir été transmis par l'abbé Bourdelot, lui même auteur de deux lettres. Cette nouvelle revue véhicula aussi une publicité pour les conférences de D. et pour son eau hémostatique dont les démonstrations remplirent les onzième et douzième livraisons.

Le premier séjour de D. en Angleterre entraîna, de la fin d'avril au 15 décembre 1673, une interruption de la revue qui cessa après le quatorzième numéro du 1er février 1674 lors du second voyage du rédacteur outre Manche. Par la suite, en 1683, il présenta comme une quinzième livraison des Conférences un mémoire imprimé par Laurent D'Houry, libraire spécialisé dans les ouvrages médicaux, qui discutait des vertus thérapeutiques d'une fontaine polonaise et du quinquina; mais il n'en donna pas d'autre et ne souscrivit pas au projet de dialogues mensuels que l'abbé Bourdelot lui présenta vers la fin de la même année.

Il en fut peut être dissuadé par l'attitude de l'abbé de La Roque envers ses concurrents: sortant d'une lutte contre Nicolas de Blégny (que Bourdelot avait soutenu), il tentait de prolonger son J.S. par un Journal de médecine, lancé en février, et par des recueils périodiques de pièces curieuses dont il exposa en mai le projet à Huygens. Une intervention du rédacteur du J.S. pourrait expliquer l'existence de deux impressions de ce mémoire, l'une intitulée Quinzième conférence, l'autre seulement Conférence, supprimant ainsi l'allusion à une reprise de l'ancien périodique; par ailleurs le titre de la réédition de ce texte en 1687, Relation curieuse d'une fontaine découverte en Pologne, abandonna toute référence au recueil antérieur.

Très largement inspirés du J.S. et reçus comme son remplaçant, les Mémoires concernant les arts et les sciences connurent dès 1672 la consécration d'une contrefaçon à Bruxelles chez Eugène-Henry Fricx qu'imitèrent en 1673 à Amsterdam Pierre Michel et Pierre Le Grand dont l'ajout au titre de la mention «qui y continue le Journal des Savants» fit admettre que ces Mémoires constituaient un supplément du Journal. Leur adjonction à la réédition in-4° des années 1672 à 1675 de ce dernier réalisée par Pierre Witte au début du XVIIIe siècle accrédita cette idée auprès des bibliographes du siècle suivant et encore des rédacteurs du Catalogue collectif des périodiques (voir D.P.1 1177). Sources de revenus, ses périodiques furent aussi pour D. un moyen d'annoncer au public ses conférences et ses remèdes et de se faire connaître du monde savant; cela le rattache à un groupe de journalistes pour lesquels la publication d'un périodique prolongeait des activités médicales ou des conférences publiques.

7. Publications diverses

Outre deux périodiques, D. a publié des articles, des opuscules et un petit ouvrage qui correspondaient tous à une actualité. Lors du passage de la comète de 1665, il participa au flot d'ouvrages qui analysaient le phénomène ou discutaient de son éventuelle influence en donnant un texte issu de ses conférences dont trois libraires se partagèrent le tirage: Discours sur les comètes, suivant les principes de M. Descartes, Paris, C. Savreux (et aussi J. Guignard et P. Promé), 1665. Le numéro du 1er avril 1672 des Mémoires concernant les arts et les sciences en annonça une réédition qui ne semble pas avoir paru.

Denis rendit compte de ses premières expériences de transfusion sanguine dans deux courtes lettres publiées par le J.S. le 14 mars et le 25 avril 1667; par l'intermédiaire de Justel, Oldenburg publia une traduction de cette dernière dans les Philosophical Transactions du 6 mai 1667. La parution au début de l'été suivant d'un livre du médecin Claude Tardy sur la transfusion, que le J.S. présenta dans son numéro du 13 juin, incita probablement D. à publier chez Jean Cusson, l'imprimeur du J.S., son premier opuscule sur le sujet: la Lettre escrite à M. de Montmor par J. Denis [...] touchant une nouvelle manière de guérir plusieurs maladies, in-4° de 15 pages daté du 25 juin. La suivirent en 1668 la Lettre escrite à M***, par Jean Denis touchant une folie invétérée qui a esté guérie depuis peu par la transfusion du sang (12 pages in-4°), la Lettre écrite à M. Sorbière [...] touchant l'origine de la transfusion du sang (12 pages in-4°) et enfin la Lettre écrite à M. Oldenburg [...] touchant les différentz qui sont arrivez à l'occasion de la transfusion du sang (12 pages in-4°), tous trois chez le même libraire. Ces quatre ouvrages, comme le Discours sur l'astrologie judiciaire et sur les horoscopes, Paris, Jean Cusson, 1668 (une autre édition chez C. Savreux en 1669) invoquent, sans le dater, un privilège qui pourrait être celui accordé à leur auteur le 20 juin 1667, pour des cours et divers opuscules de médecine que D. ne présenta que le 25 octobre 1668 à l'enregistrement de la Chambre syndicale des libraires.

Les Mémoires comme les Conférences furent contrefaits dès 1672 à Bruxelles, puis à Amsterdam avec quatre tirages en 1673, 1678 et 1682. A Paris, Laurent D'Houry réalisa en 1682 un réassortiment de la collection des deux périodiques auxquels il ajouta, en 1683, un mémoire publié sous deux titres différents. Enfin, en 1729, Jean Baptiste Delespine entérina la manipulation hollandaise en fondant les deux périodiques de D. dans une réédition intitulée Supplément du Journal des savants.

8. Bibliographie

Moreri, éd. 1759 – D.P.1 1177, «Recueil des Mémoires et Conférences (1672-1674)». – Florence, Bibl. Nazionale Centrale, Panciatichi 216, Lettere erudite di diversi. – B.N., f.fr.21945: enregistrement à la Chambre syndicale des privilèges accordés par le Chancelier. – B.M. Toulouse, ms. 846: lettres de Justel à Fermat. – Astruc J., Mémoires pour servir à l'histoire de la Faculté de Médecine de Montpellier, t. V, Paris, 1767. – Bayle P., Oeuvres diverses, t. I, Amsterdam [Trévoux], 1737. – Guiffrey J., Comptes des bâtiments du Roi sous le règne de Louis XIV, Paris, 1881-1901. – Huygens C., Oeuvres complètes, La Haye, 1888-1950. – La Martinière P.M. de, Remonstrances charitables du Sieur de la Martinière à Monsieur Denis, Paris, 1668. – Le Gallois P., Conversations de l'Académie de Monsieur l'abbé Bourdelot, Paris, 1672. – Leibniz G.W., Sämtliche Schriften und Briefe, Reihe I, Allgemeiner politischer und historischer Briefwechsel, Darmstadt, depuis 1923. – Oldenburg H., The Correspondence of Henry Oldenburg, Madison, Wis., depuis 1965. – Barroux M., Les Sources de l'ancien état-civil parisien, Paris, 1898. – Brown H., Scientific organisations in seventeenth century France, Baltimore, 1934. – Id., «Jean Denis and transfusion of blood. Paris 1667-1668», Isis, t. XXXIX, 1948, p. 15-29. – Det A.S., «Le médecin Denis, l'un des inventeurs de la transfusion du sang», Mémoires de la société académique d'agriculture de l'Aube, 1892, p.307-312. – D.S.B., «Denis Jean-Baptiste» par Hebel E. Hoff. – Dupâquier J., Statistiques démographiques du Bassin parisien (1636-1720), Paris, 1977.