BARBEYRAC

Numéro

030

Prénom

Jean

Naissance

1674

Décès

1744

1. État-civil

Jean Barbeyrac est né à Béziers le 15 mars 1674 d'Antoine Barbeyrac (mort en 1690) et de Madeleine de Gelly (Haag, D.B.F., S-M). Son père, qui fut successivement pasteur des églises de Bédarieux (1648), Clermont-sur-l'Hérault (1652), Béziers (1655) et Montagnac (1678), descendait d'une famille de petite noblesse du Vivarais, établie en Provence et convertie au protestantisme depuis la fin du XVIe siècle (Haag ; M, p. 29). Antoine Barbeyrac avait trois frères : Jean, qui fut avocat et juge, Charles (1629-1699), médecin de Montpellier et savant réputé, et Jacques, qui suivit la carrière des armes. De son mariage avec Madeleine Gelly, Antoine Barbeyrac avait eu, outre l'aîné, Jean, un fils cadet, Jacques, qui fut nommé pasteur de Tornow en Prusse en 1710 (M, p. 48), et deux filles dont l'une, Catherine, épousa le pasteur Pierre Thérémin et mourut en 1729 (ibid.). Lors de la Révocation, Antoine Barbeyrac s'établit à Lausanne où il fonda, en 1687, la Chambre des Réfugiés français (M, p. 33-34). B. s'est marié à Berlin le 1er mars 1702 avec Hélène Chauvin, fille d'Etienne Chauvin, pasteur réfugié et professeur au collège français de Berlin (M, p. 62). De ce mariage naquirent au moins quatre enfants : Catherine Hélène (1710-1710), Esther (1711-1743), Jean Pierre Victor (1712-1713) et Antoine (1713-1732). B. survécut à sa femme, morte le 7 août 1730, et à ses enfants. Seule Esther laissa une descendance ; elle épousa en 1734 Paul Auguste Brunet de Rochebrune et eut une fille, Henriette Hélène, qui se maria et fit souche (M, p. 158).

2. Formation

B. fit ses premières études à Montagnac, où son père était pasteur, puis à Montpellier, sous la tutelle de son oncle Charles. En 1685, seuls le pasteur, sa femme et leur fils cadet, Jacques, eurent l'autorisation de s'exiler. B. et ses deux soeurs réussirent à passer clandestinement la frontière en janvier 1686 et gagnèrent Lausanne. B. acheva ses études au collège de Lausanne de 1688 à 1693 ; il suivit en même temps le cours de droit naturel de J.P. de Crousaz (M, p. 39). Devenu chef de famille après la mort de son père, le 12 janvier 1690, et de sa mère, le 15 novembre 1691 (M, p. 40), réduit aux seuls secours accordés aux réfugiés de Lausanne, il s'inscrivit à la faculté de théologie de Genève le 1er juin 1693 (S.M.), puis à l'Université de Francfort-sur-l'Oder où il reçut sans doute une bourse (M, p. 45) ; inscrit le 24 avril 1694, il quitte cependant Francfort pour s'établir, à la fin de l'année, à Berlin. Il se détournera alors peu à peu de la théologie pour se consacrer au droit ; ses travaux sur Pufendorf lui vaudront, le 25 mai 1717, d'être nommé docteur «in utroque jure» par la Société des Jurisconsultes de Bâle.

3. Carrière

Le 1er janvier 1697, il est chargé par l'Electeur Frédéric de l'enseignement du latin et du grec au Collège français de Berlin, et le 21 avril 1699, des fonctions de pasteur extraordinaire de l'église française de Berlin ; il se heurte alors à l'opposition d'une partie du Consistoire et décide de rester au Collège français (M, p. 46-51). Il se tourne progressivement vers l'étude du droit naturel et entreprend la traduction de Pufendorf, qui paraît en 1706. En même temps, il apprend l'anglais et entreprend en 1707 la traduction des Sermons de Tillotson (M, p. 65). Le 2 juin 1710, le Conseil de Berne le choisit comme professeur de droit à Lausanne, où il arrive en novembre (M, p. 74-75). Installé le 11 mars 1711, il y professe pendant sept ans. Le 23 janvier 1714, il est élu recteur, «pénibles fonctions» auxquelles il se résigne (lettre à Desmaizeaux, 25 mai 1714, add. mss. 4281), qu'il interrompt en 1715 (lettre au même, 15 févr. 1715) puis reprend en 1716. Le 27 février 1717, il reçoit l'offre d'une chaire de droit public et privé à Groningue ; il quitte Lausanne pour la Hollande le 31 mai 1717 (M, p. 120). Il donne sa leçon inaugurale à la Faculté de droit de Groningue le 29 septembre 1717 (M, p. 124) ; il en est le recteur en 1720, 1726, 1733 et y enseigne jusqu'à sa mort.

4. Situation de fortune

A la mort de ses parents en 1690 et 1691, Jean Barbeyrac se trouve sans ressources ; lorsque le Conseil de Lausanne lui retire, le 3 avril 1693, l'aide accordée aux réfugiés, il doit s'exiler. Le professorat sera en fait sa seule ressource pendant toute sa vie, avec l'appoint des traductions et du journalisme. Le montant de son traitement à Lausanne fit l'objet de longues négociations (M, p. 70-71) ; il obtint 630 francs par an, mais non le logement. Ces conditions jouèrent dans sa décision de gagner Groningue ; outre le traitement exceptionnel de 1500 florins, une maison «provinciale» au centre de la ville (M, p. 115, 123) et 450 florins pour le transport de ses livres, il obtenait enfin la citoyenneté et le droit, pour ses descendants, d'accéder aux fonctions publiques (ibid.).

5. Opinions

Marqué dès son enfance par la persécution, Barbeyrac fut un défenseur inlassable de la tolérance et le représentant le plus illustre du protestantisme libéral. Ses travaux sur le droit naturel le firent soupçonner souvent d'arminianisme ou de socinianisme. S'il se réclame de Locke et de J. Le Clerc, c'est pourtant avec un souci constant d'orthodoxie ; contre son ami Desmaizeaux, il défend Locke du soupçon de spinozisme (lettre du 7 mai 1707, add. mss. 4281 ) et se méfie de P. Bayle (P. Rétat, Le Dictionnaire de Bayle et la lutte philosophique au XVIIIe siècle, Belles-Lettres, 1971, p. 39-43).Il a soutenu des polémiques avec les catholiques aussi bien qu'avec les protestants : avec Dom Ceillier au sujet des allégories de l'Ecriture Sainte (M, p. 111, 128, 155), avec les pasteurs rigoristes et notamment de Joncourt, au sujet du Traité du jeu (v. Bibliothèque raisonnée, t. XIX, juil.-sept. 1737, art. VIII), avec les pasteurs vaudois au sujet du «consensus» (M, p. 104 et suiv.). Ses traductions et ses commentaires de Pufendorf et de Grotius l'ont fait connaître dans toute l'Europe ; il apparaît comme l'un des grands théoriciens du droit naturel ; Rousseau surtout lui doit beaucoup (cf. index du t. III des Oeuvres complètes, éd. de la Pléiade), tout en lui reprochant d'avoir flatté George 1er et d'avoir justifié la monarchie (Le Contrat social, ibid., p. 370-371 ; v. M, p. 126-128). B. fut en relations avec les savants et les philosophes les plus éminents de son temps : Jacques Lenfant (M, p. 47-51), Des Vignolles, Le Clerc, Desmaizeaux, Turettini (M, p. 64, 73, 86, 91 et index), Leibniz (M, p. 109-110), Bourguet (M, p. 110-111). Il eut en Jean Pierre Crousaz un ami fidèle (cf. J. de La Harpe, Jean-Pierre de Crousaz et le conflit des idées au siècle des lumières, Droz, 1955, p. 190-192). Parmi les fonds de correspondance, on comptera essentiellement : le fonds Crousaz de la B.V. de Lausanne (13 lettres de B.) ; le fonds Bourguet de la B.V. de Neuchâtel (8 lettres de B.) ; le fonds Desmaizeaux de la B.L. (13 lettres de B., publiées en partie par G. Masson dans B.S.H.P.F., t. XV, p. 237-247, 248-292, 332-339, et par G. Ascoli dans, R.H.L.F., t. XX, 1915) ; le fonds La Motte de la B.H.P. (35 lettres de B.) ; le fonds Turettini de la B.P.U. de Genève (102 lettres de B.). Le répertoire de la correspondance de B. a été établi par Ph. Meylan (p. 6-8).

6. Activités journalistiques

Jean Barbeyrac a publié toute une partie de son oeuvre dans les périodiques du temps. Il collabore dès 1697 à un journal savant de Berlin, publié en latin, les Ephemerides gallicae berolinenses (M, p. 46). Il a donné plusieurs dissertations aux Nouvelles de la République des Lettres (1702), à la Bibliothèque choisie de Le Clerc (1709), au Journal des savants (1712-1714). On en trouvera la liste dans M (p. 245-246). Il a rappelé les liens qui l'unissaient à Jean Le Clerc dans «l'Eloge historique de M. Le Clerc», publié dans la Bibliothèque raisonnée (t. XVI, 1736, 2e part., art. 5 ; rééd. augm. la même année à Amsterdam).

Il fut surtout, avec ses amis Desmaizeaux et La Chapelle, l'un des principaux rédacteurs de la Bibliothèque raisonnée des ouvrages des savants de l'Europe, (Amsterdam, Wettstein et Smith, 1728-1753, 52 vol.) : de 1728 à 1741 (t. I-XXVI), il rédige la plupart des extraits d'ouvrages juridiques et de nombreux extraits d'ouvrages historiques ou littéraires. On trouvera dans Meylan (p. 247-248) une précieuse bibliographie de ces comptes rendus, pour la plupart anonymes ; cette liste a été complétée par B. Lagarrigue (p. 49-52). Le fonds Desmaizeaux de la B.L. et le fonds La Motte de la B.H.P. concernent en bonne partie l'activité journalistique de B., Charles de La Motte (v. ce nom) étant l'intermédiaire, le libraire et le correcteur de B. à Amsterdam. B. a publié quelques articles dans les t. XX et XXI de la Bibliothèque britannique. Il semble avoir promis sa collaboration à La Motte pour la Nouvelle Bibliothèque vers 1743, époque de la reprise de ce périodique par La Motte ; quelques articles de B. ont été publiés après sa mort, dans le tome XIX (1744, p. 304). Un «Mémoire sur la vie et sur les écrits de M. Jean de Barbeyrac, écrit par lui-même» a été publié dans le même tome XIX, p. 271-304 ; un brouillon de l'original latin, effectivement rédigé par Barbeyrac, se trouve parmi les papiers de La Motte à la B.H.P. (ms. 295) ; cet article reste une des principales sources de la biographie de B. (voir M., p. 29-30).

7. Publications diverses

Barbeyrac s'est surtout rendu célèbre par sa traduction de Pufendorf : Le Droit de la nature et des gens, Amsterdam, Schelte et Kuyper, 1706, 2 vol.), avec une longue préface et de nombreux commentaires ; il a également traduit l'abrégé que Pufendorf avait donné de son livre Les Devoirs de l'homme et du citoyen (Amsterdam, 1707). Il a traduit, avec le même succès, l'ouvrage de Grotius, Le Droit de la guerre et de la paix (Amsterdam, De Coup, 1724). Parmi ses oeuvres personnelles, outre de nombreuses dissertations, on notera le Traité du jeu (Amsterdam, Humbert, 1709) et le Traité de la morale des Pères...(Amsterdam, de Coup, 1728). On trouvera dans M (p. 245-248) la bibliographie complète des travaux de B.

8. Bibliographie

Haag 2, B.Un., D.B.F. – (M), Meylan P., Jean Barbeyrac (1674-1744) et les débuts de l'enseignement du droit dans l'ancienne Académie de Lausanne. Contribution à l'histoire du droit naturel, Lausanne, F. Rouge, Librairie de l'Université, 1937. – (S.M.), Livre du Recteur de l'Académie de Genève (1559-1878), éd. S. Stelling-Michaud ; t. II, Genève, Droz, 1966. – Lagarrigue B., Un temple de la culture européenne (1728-1753). L'histoire externe de la «Bibliothèque raisonnée des ouvrages des savants, Nimègue, 1993.

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