ROCHETTE DE LA MORLIÈRE

Numéro

696

Prénom

Jacques

Naissance

1719

Décès

1785

Jacques Rochette, fils de Joseph Rochette de La Morlière, conseiller du roi et maître à la Chambre des comptes du Dauphiné, et d'Anne Bûcher, est né à Grenoble le 22 avril 1719 et a été baptisé le 23. Son parrain était Jean de Bûcher, seigneur de Saint-Guillaume, et sa marraine, Jeanne Marianne Hugon, « épouse du dit seigneur » (reg. par. Saint-Hugues, B.V. Grenoble, GG 103 ; voir Uzanne, p. XV). Tant par son père que par sa mère, issue d'une famille de légistes connus à Grenoble depuis le XVIe siècle, il appartenait à la noblesse de robe.

2. Formation

Destiné au barreau, il fut placé chez Me Brochier, procureur à la cour de Grenoble, causa quelques scandales dans la ville et fut envoyé à Paris où il entra dans les mousquetaires du roi (Rochas). Il en fut chassé, selon Collé, « pour des causes déshonorantes» (t. I, p. 473). De son passé de mousquetaire, il gardait encore vers 1760 le chapeau et une «longue épée sur sa cuisse» (Diderot, Le Neveu de Rameau, éd. J. Fabre, Genève, 1950, p. 45 ; n. 163, p. 189-190).

3. Carrière

Il se fait connaître en 1746 par la publication d'Angola. En 1747, les Campagnes de l'abbé T (rééd. en 1748 sous le titre des Lauriers ecclésiastiques) font scandale et lui valent un exil à Rouen. Il y séduit une fille de grande bourgeoisie que son père se hâte de marier ; R. menace de faire éclater l'affaire ; son chantage lui aurait rapporté, selon les M.S., 30 000 £ (8 nov. 1763, p. 269 ; Estrée, p. 393 et suiv.). De retour à Paris, il publie, après la représentation de Denys le Tyran de Marmontel (févr. 1748), les Très humbles remontrances à la cohue, «véritable libelle contre le public et où il menaçait de coups de bâton Marmontel» (Ars., ms. 11648, affaire Duperron, f° 51). Il aggrave son cas en enlevant Marie Louise Duperron, née Fleury, femme d'un marchand de vin de Paris, accusée en outre d'avoir dérobé 2000 £ à son mari. R. est exilé à Grenoble par ordre du 11 mars 1748 ; il revient à Paris, est arrêté et conduit au Petit-Châtelet le 19 septembre pour «désobéissance à son exil» (ibid., f° 49) ; il y reste jusqu'au 5 octobre, adresse quatre lettres de justifications au commissaire La Janière (f° 109-112, 115-116) pour obtenir un second exil à Rouen. L'intervention de son père (f° 74) lui vaut l'indulgence de la justice ; il est rappelé d'exil en janvier 1749 (f° 51) ; Marie Louise Duperron est enfermée au couvent ; Jérôme Lacombe, valet de R. accusé d'avoir distribué les Lauriers ecclésiastiques et les Très humbles remontrances,est interné à For l'Evêque (f° 62).

En mars 1758, il est compromis dans une nouvelle affaire d'enlèvement : le «rapt» de Françoise Madeleine Cailly, épouse de Nicolas Alexandre Hogu de Fargot, de Vendôme (Mémoire pour Sieur Nicolas Alexandre Hogu de Fargot [...] accusateur en crime de rapt et incidemment deffendeur à une demande en nullité de mariage sous prétexte d'impuissance, Vve Delormel, 1758, B.V. Grenoble, Vh 271, 71 p.) : «Arrive à Vendôme vers le Carnaval de 1758 le chevalier de La Morlière, homme de naissance dans la Robbe, homme de beaucoup d'esprit, auteur d'Angola, des Lauriers ecclésiastiques, de l'Amant déguisé, de trois ou quatre enlèvements et de beaucoup d'aventures du même genre » (p. 15). R. emmène F. Cailly à Paris «dans une chambre garnie, au second étage, chez le Sieur Taxil, apothicaire rue Montmartre» ; il affirme son dessein «de l'épouser lui-même et de réparer ainsi une fortune que ses dérangements ont depuis longtemps épuisée » (p. 67). Sur procédure de Fargot (29 mars), F. Cailly est enfermée au couvent ; elle accuse son mari d'impuissance (29 mai), semble-t-il sans succès.

Le 29 mars 1761, il est l'objet d'un ordre de perquisition ; il est de nouveau exilé à Grenoble. Le 13 août 1762, selon les M.S., R. «plus connu par ses escroqueries, son impudence et sa scélératesse que par ses ouvrages, vient enfin d'être mis à Saint-Lazare » (t. I, p. 115). Il en sort le 11 décembre « avec un front d'airain » (ibid., p. 154). La réputation de R. est alors solidement établie. C'est en novembre 1762 que les M.S. rapportent trois cas d'escroqueries dont il s'est rendu coupable ; dans la 3e anecdote, il s'agit encore d'enlèvement accompagné de vol : R. garde l'argent et dénonce la femme à son mari (t. I, p. 296).

Il s'est surtout fait une réputation de pamphlétaire et de chef de cabale au Théâtre-Français et au Théâtre-Italien, où il sévit pendant plus de 20 ans. Il établit son quartier au café Procope et négocie ses services avec les écrivains, les acteurs, les danseurs (voir Henriot, Les Livres du second rayon, p. 207 et suiv.). De 1746 à 1755 il publie de nombreux pamphlets. Ses propres pièces eurent peu de succès et tombèrent après quelques représentations ; son crédit en fut diminué, surtout lorsqu'il se fut attaqué, sans succès, à Fréron (Le Contrepoison des feuilles, 1754).

Dans les vingt dernières années de sa vie, il vit d'expédients, tantôt maître de déclamation et entremetteur, tantôt joueur et tricheur, tantôt revendeur et escroc : il vend des tableaux et détourne les fonds qui lui sont confiés (Rochas) ; il vole un manuscrit de l'Histoire de la guerre de 1741 de Voltaire (R. Pomeau, Voltaire en son temps, 2e éd., Oxford, Paris, 1995, t. I, p. 811). Il flatte cyniquement la comtesse Du Barry dans Le Fatalisme (1769) et obtient de la comtesse une invitation à souper qui fit scandale (M.S., 29 juin 1769). C'est de Louveciennes qu'il écrit, le 17 mai 1784, après s'être entremis pour faire obtenir à M. de Bourdie une croix de Saint-Louis (B.V. Grenoble, ms. 1999, lettre à M. de Payan).

4. Situation de fortune

Ses parents lui faisaient une pension de 800 £ par an ; pour subvenir à ses nombreuses dépenses, il empruntait à ses amis «en leur disant qu'il le leur rendrait quand son père serait mort» (Ars., ms. 11648, f° 66). Ses escroqueries ne se comptent pas ; en 1764, il montait des cristaux de Grenoble «et en faisait des boucles d'oreilles, des croix avec d'autres garnitures de femmes » fort semblables à des « diamants faux » (Avignon, ms. Calvet 2352, t. I, f° 15, lettre d'Artigny, 20 juil. 1764).

5. Opinions

Méprisé de Voltaire, de Rousseau, de Marmontel, de Bachaumont, de Diderot, il fut en relations avec Mouhy, avec Palissot dont, par ailleurs, il sifflait les pièces (M.S., t. I, p. 91, 7 juin 1762).

6. Activités journalistiques

Quoique non périodiques, les pamphlets de R. sont de véritables comptes rendus critiques dans lesquels il commente l'actualité théâtrale, analysant les pièces du point de vue de l'action, des personnages, de la langue, des acteurs, du costume et du décor. En voici la liste :

Réponse au soi-disant Spectateur littéraire au sujet de son avis désintéressé sur Angola, s.l., 1746, 36 p. – Très humbles remontrances à la cohue au sujet de la tragédie de Denys le Tyran, s.l.n.d. [1748], 11 p. – Réflexions sur la tragédie d'Oreste où se trouve placé naturellement l'essai d'un parallèle de cette pièce avec l'Electre de M. de C.[Crébillon], s.l.n.d. [1750], 47 p. «Réponse de M.M. *** à M. Racine fils après la première représentation des Héraclides», dans Lettre de M. Racine à M.M., s.l.n.d. [1752], 8 p. – Observations sur la tragédie du Duc de Foix de M. de Voltaire, s.l., 1752, 4 p. – Le Contre­poison des feuilles ou Lettres à M. de ***, retiré à **** sur le Sr. Fréron, s.l.n.d. [1754], 23 p. (D.P.i 227) – Les Anti-feuilles ou Lettres à Madame de *** sur quelques jugements portés dans L'Année littéraire de Fréron, Paris, 1754. – Lettre d'un sage à un homme très respectable et dont il a besoin, sur la musique française et italienne, Paris, 1754, 18 p. – Lettre de Madame de *** sur l'Orphelin de la Chine, La Haye et Paris, 1755, 24 – Le Misanthrope et les conseils du Ch. de La M. à un jeune littérateur qu'il avait adopté pour fils, ou Etrennes aux journalistes, Amsterdam et Paris, Langlois fils, 1786, 31p.

7. Publications diverses

Voir Cior 18, n° 36469-36495. Y ajouter deux comédies : La Créole, représentée le 12 août 1754 {L'Année littéraire, t. V, p. 65 et suiv.). – L'Amant déguisé, représenté le 26 juin 1758, mentionné par Collé et par le factum 1999 de la B.V. de Grenoble.

8. Bibliographie

CL. ; M.S. – Collé C, Journal et mémoires, éd. H. Bonhomme, Paris, 1868. – Rochas A., Biographie du Dauphiné, Paris, Charavay, 1856. – Uzanne 0., notice biobibliographique en tête des Contes du Chevalier de La Morlière, Angola, Paris, Quantin, 1879. – Monselet C, Les Aveux d'un pamphlétaire, Paris, Lecou, 1854 (rééd. dans Les Oubliés et les dédaignés, Alençon, Poulet-Malassis et de Broise, 1857). – Estrée P. d', «Le Chevalier de La Morlière, documents inédits», Revue hebdomadaire, sept. 1901, p. 393-407. – Henriot E., «Le Chevalier de La Morlière», Mercure de France, t. CLXXIX, 1925, p. 90-102. – Id., Les Livres du second rayon : irréguliers et libertins, Paris, Grasset, 1925. – Trousson R., «Le chevalier (Jacques Rochette) de La Morlière : un aventurier des lettres au XVIIIe siècle», Bulletin de l'Académie royale de langue et de littérature française, Bruxelles, 1990, n° 3-4, p. 218-299.

MOUHY

Numéro

597

Prénom

Charles de Fieux de

Naissance

1701

Décès

1784

Charles de Fieux, chevalier de Mouhy, est né à Metz le 9 mai 1701 ; il était le fils d'un colonel des dragons, et le neveu du baron de Longepierre, auteur dramatique. Il s'établit très tôt à Paris et se maria avec une femme aussi pauvre que lui, dont il eut cinq enfants. Il est mort à Paris le 29 février 1784.

2. Formation

Il a été officier de cavalerie et pensionnaire du roi, titres qu'il lui arrive de citer en tête de ses ouvrages.

3. Carrière

En 1735, il publie plusieurs romans et Le Répertoire, ouvrage périodique. En août 1736, il offre ses services à Voltaire ; il lui emprunte 200 pistoles en novembre (lettre de Voltaire à Moussinot, vers le 6 nov. 1736, D1191), et lui envoie « les petites nouvelles » deux fois par semaine à Cirey (V. à Moussinot, vers le 30 nov. 1736, D1213). En 1738, Voltaire le paie 200 £ par an en qualité de « correspondant littéraire» ; il exige de lui «des nouvelles très courtes, des faits, sans réflexion, et plutôt rien que des faits hasardés » (V. à Moussinot, 18 août 1738, Di593) ; il lui fait endosser, en outre, la paternité du Préservatif contre Desfontaines : le « cher chevalier» obtient 2000 £ pour ses peines (V. à Moussinot, 20 avril 1739). En août 1742, Voltaire emploie Mouhy auprès du lieutenant de police Marville, qu'il souhaite gagner à sa cause (voir D2640) ; mais dès cette époque, M. travaillait pour Marville (Boislisle, 1.1, p. LXXXIX et suiv.).

Quoique ses gazettes manuscrites aient circulé dès 1736 avec la tolérance de la police, il fut enfermé à la Bastille le 25 avril 1741 pour avoir publié les Mille et une faveurs sans permission. Il n'y resta que quinze jours et eut une première entrevue avec Marville. Quand, quelques mois plus tard, un édit du Parlement interdit la circulation des nouvelles à la main, M. s'adressa à Marville qui l'employa, à partir de mai 1742, comme agent secret et fournisseur des gazetins de la police. Cependant, il céda à la tentation de vendre ses bulletins, notamment au cardinal de Tencin et au maréchal de Belle-Isle, et fut de nouveau conduit à la Bastille, le 16 février 1745 ; il y resta un mois, puis fut relégué à Rouen pour six mois. A son retour à Paris, il offrit ses services à Berryer, successeur de Marville, qui lui demanda les nouvelles du théâtre en 1748-1749. En 1746, il passa en Hollande, où il dirigea Le Papillon jusqu'en 1751. Voltaire le soupçonnant de l'avoir calomnié dans La Bigarrure, périodique imprimé à La Haye, toutes relations cessèrent entre les deux hommes à dater de 1750.

On sait très peu de chose des vingt dernières années de sa vie. En 1755, M. est installé à Paris rue des Cordeliers {Supplément aux Tablettes dramatiques. Pour les années 1754 et 1755, Paris, 1755, Avis, p. 18).

En 1758, le maréchal duc de Belle-Isle, nommé, le 3 mars, ministre de la Guerre, remet à M., qui était déjà à son service et lui avait été utile pour des ouvrages militaires, la charge des « affaires secrètes » de ce « département » et lui demande de s'en occuper exclusivement(Abrégé de l'histoire du théâtre françois depuis son origine jusqu'au Ier juin de l'année 1780, nouv. éd., Paris, 1780, t. I, Avertissement). Formule bien pompeuse pour désigner des «fonctions» dont, selon la C.L. de décembre 1780, «tout Paris» connaissait la nature exacte ! Dans le Testament politique du maréchal-duc de Belle-Isle (Amsterdam, 1761, p. 33 et 119) et dans L'Esprit de M. le Maréchal de Bell'lsle ou commentaire de son Testament politique (La Haye, Van Duren, 1762, p. 6 et 17-18), Chevrier compte M. parmi les « créatures » que protégeait le ministre, le montre instruisant son supérieur des «nouvelles courantes», «bruits du jour», bref «de toutes ces petites choses que les Ministres ont tort de négliger», et prétend même que M. n'hésitait pas à se qualifier de «gentilhomme de la chambre de M. le Maréchal». A la mort du duc de Belle-Isle (26 janvier 1761), M. se retrouve «sans emploi et sans occupation». Le comte de Pont-de-Veyle, qui l'honore de son amitié depuis plus de 30 ans et lui veut beaucoup de bien, l'encourage alors à «mettre au jour un corps complet de l'Histoire du Théâtre Français», l'aide de ses conseils et le laisse maître de sa bibliothèque, une des plus riches de France en pièces de théâtre(Abrégé de l'histoire du théâtre françois, loc. cit.). L'Abrégé de l'histoire du théâtre lui valut une pension du roi en 1780. [Paragraphe rédigé par R. Granderoute.]

Au début de 1763, Sartine lui proposa de surveiller le salon de Mme Doublet ; après quoi l'on perd sa trace.

4. Situation de fortune

Toujours besogneux, obligé de pourvoir aux besoins de ses cinq enfants, Mouhy vendait lui-même ses gazettes, exploitait dans ses romans les modes successives, vendait ses services au plus offrant. «Pauvre à faire pitié et laid à faire peur» (Chronique scandaleuse de 1785, citée dans N.B.G.), il ne s'est guère montré pointilleux sur le genre de travail qu'il faisait, tout en gardant ses entrées dans le monde de la noblesse et des finances.

6. Activités journalistiques

Dès 1735, il fonde à Paris un bureau d'adresses et publie Le Répertoire, «ouvrage périodique par M. le Chevalier de Mouhy», Paris, Dupuis jeune ; cette publication devait paraître tous les 15 jours et contenait des anecdotes et des critiques littéraires (voir le c.r. du Doyen de Killerine, n° 1) ; elle ne comporta sans doute qu'un numéro (D.P. 1 1191).

Il demanda en 1744 le privilège du Mercure, et en 1749 celui de la Gazette, mais sans succès.

Le Papillon « ou Lettres parisiennes, ouvrage qui contiendra tout ce qui se passe d'intéressant, de plus agréable et de plus nouveau dans tous les genres » : M. le dirige de 1746 à 1751 (avec une absence de 18 mois) et en publie 4 vol. ; il y donne des nouvelles de guerre, des scandales, de la critique de théâtre, des énigmes, des épigrammes, et y fait beaucoup de propagande en faveur de la France (D.P. 1 1104). M. travailla en même temps à la Gazette de France du 18 mai 1749 au 1er juin 1751 (F.L. 1769, 1.1, p. 348).

Il collabora en même temps à La Bigarrure (La Haye, 1749-1753, 20 vol. ; D.P. 1 175) dont il fut sans doute le premier auteur ; Durey de Morsan lui aurait succédé à partir du t. IV (6 juin - 13 août 1750), comme il l'a déclaré lui-même : « L'auteur trop médiocre et trop médiocrement payé qui faisait à La Haye le petit journal hebdomadaire sous le titre de La Bigarrure avait décrédité cet ouvrage périodique ; on augmenta du double le salaire ; j'y travaillai pendant un an, et avec succès» (texte cité en entier dans l'art. «Crébillon»).

L'essentiel de sa production de journaliste est passé en nouvelles manuscrites. Une partie de ses lettres manuscrites, adressées à de nombreux abonnés – dont Stanislas, Belle-Isle, Voltaire – se trouve à l'Arsenal sous le titre de Postillon de Paris, n° 10 (ms. 11498). Utilisés à double usage, public et secret, les gazetins qu'il a adressés au lieutenant de police appartiennent au même genre. M. y donne de pittoresques descriptions de la «nervosité parisienne», des intrigues de cour et du monde théâtral. Ce sont les observations d'un lettré qui se mêle à la foule. Ces rapports quotidiens sur l'opinion publique étaient destinés essentiellement à Maure­pas, à Marville, au cardinal de Fleury et au roi. On peut en reconstituer la série pour les années 1742-1744 avec les collections suivantes : Ars., ms. 3866, 1er juil. 1742 - 26 juil. 1743 ; Revue rétrospective, 1834-1835, 27 juil. i743-8août 1743 (éd. V. Schoelcher) ; voir aussi les numéros isolés, p. 248-252 ; Ars., ms. 10029 : série incomplète de brouillons, 30 mars 1744-7 févr. 1745.

En même temps que ces gazetins, M. offrait au public un bulletin de nouvelles de la cour et de l'étranger, pour un abonnement de 30 à 40 sous par mois. La police en surveillait rigoureusement le contenu, ce qui amena Voltaire et le duc de Richelieu à résilier leur abonnement. Il existe des copies de ces nouvelles pour l'année 1744 dans les Archives du ministère de la Guerre, ms. 3070, Diplomatie, 1743-1744.

7. Publications diverses

Bégin a évalué à 80 volumes la production de M. Il fut avant tout un romancier (S.P. Jones, A list of French prose fiction, New York, 1939, et Cior 18 permettent de lui attribuer 20 romans) ; mais journaliste par nature, il consacre souvent ses récits à l'actualité et leur donne une publication en plusieurs parties. A partir de 1752, il s'est consacré à l'histoire du théâtre dans les Tablettes dramatiques auxquelles il donne chaque année jusqu'en 1758 un supplément avec, par ordre alphabétique, les pièces omises, corrigées ou représentées. Liste de ses œuvres dans Cior 18, n° 4510-47555.

8. Bibliographie

CL. ; Ravaisson ; Cior 18. – Begin E.A., Biographie de la Moselle, Metz, 1831. – Boislisle A. de, Lettres de M. de Marville, lieutenant général de police au ministre Maurepas(1742-1747), Paris, Champion, 1896-1905. – Cruickshanks E.G., «Public opinion in Paris in the 1740s : reports of the chevalier de Mouhy», dans Bull. Inst. Hist. Research, t. XXVII, 1954, p. 54-68. – Estrée P. d', «Journal du lieutenant de police Faydeau de Marville (1744)», Nouvelle revue rétrospective, t. VI, 1897. – Id., « Un journaliste policier : le chevalier de Mouhy», R.H.L.F., 1897, p. 195-238. Green F.C, «The chevalier de Mouhy, an 18th-century French novelist», Modem philology, févr. 1925, p. 225-237. Imbert, notice nécrologique, Mercure de France, sept. 1784, p. 122. – Shaw E., «The Chevalier de Mouhy's newsletter of 20th December 1752», Modern language notes, LXX, 1955, p. 114-116. – Voltaire, Correspondence, éd. Besterman.

9. Additif

Bibliographie : Rivara, Annie, éd. du Masque de fer, Desjonquères, 1983. Coulet, Henri, éd. de La Paysanne parvenue, Desjonquères, 2005. Le Chevalier de Mouhy. Bagarre et bigarrure, études réunies par Jan Herman, Kris Peeters et Paul Pelckmans, Amsterdam et New York, 2010 (J.S.).

François Moureau, Répertoire des nouvelles à la main; Dictionnaire de la presse manuscrite clandestine XVIe-XVIIIe siècle, Oxford, Voltaire Foundation, 1999, voir l'index (François Moureau).

LEPRINCE DE BEAUMONT

Numéro

501

Prénom

Marie

Naissance

1711

Décès

1780

Marie Leprince naquit à Rouen le 26 avril 1711, de Jean Baptiste Leprince, joaillier à Paris, et de Marie Barbe Plantard (voir l'acte de mariage). Son frère, Jean Leprince (1733-1781), fut peintre et conseiller de l'Académie. Elle a, selon sa fiche de police rédigée en novembre 1750, « une sœur qui est à Rouen, et qui a autant d'esprit qu'elle ». Curieusement, sa fiche de police la dit de Nancy, peut-être à cause de son séjour à Lunéville.

2. Formation

Elle reçut une bonne éducation et se consacra très tôt à la pédagogie, aux pauvres de l'école gratuite aussi bien qu'aux enfants de la noblesse ; elle devait y consacrer sa carrière et sa vie.

3. Carrière

Elle débuta dans les lettres en 1748 avec Le Triomphe de la vérité, mais faute de ressources suffisantes, elle s'établit la même année comme gouvernante à Londres, où elle se chargea de plusieurs éducations particulières. « Elle a donné dans sa jeunesse dans la débauche [...]. Ensuite elle a passé en Hollande où elle s'est fait passer morte ; après en Angleterre, où elle vit avec un nommé Beaumont qui passe pour son mari ; ils montrent les Belles Lettres » (fiche de police, nov. 1750) ; la fiche de police de 1751 la dit « Assez bien, mais d'une malpropreté affreuse ».

De fait, L. était séparée de son second mari depuis 1745. Pendant les quatorze années qu'elle passa à Londres (1748-1761), elle composa de nombreux ouvrages périodiques, des ouvrages édifiants, des manuels d'histoire ou de géographie. Son passage est signalé à Paris en juillet 1751 ; elle vit alors « dans une misère affreuse » et doit repartir à Londres (Hémery, juil. 1751, f° 84, 86, 115). De retour en France, elle refusa, dit-on, les invitations pressantes de plusieurs princes et grands seigneurs pour se consacrer à l'éducation des enfants et à la rédaction de ses derniers ouvrages.

Jean Des Champs écrit à Formey, de Londres, le 9 octobre 1764 : « Cette femme-là est actuellement dans un couvent à Chambéry en Savoie après avoir joué sur le théâtre de Marseille, été entretenue, puis mariée à un danseur encore en vie à Paris, remariée à un contrebandier nommé Beaumont et mariée actuellement pour la troisième fois au Sr Tyrell ici, où elle a fait la cagote, la pédante et joué toutes nos dames les plus huppées qui à présent en disent plus que pendre. C'est bien l'esprit le plus superficiel et la tête la plus bigote et la plus hypocrite que j'aie connue » (Staatsbibliothek Berlin, Nachlass Formey ; renseignements transmis par H. Duranton et P. Lee).

4. Situation de fortune

Elle ne parvint jamais à vivre de sa plume. Malgré le succès du Magazin des enfants, le plus connu et le meilleur de ses périodiques, elle dut faire la chasse aux abonnements pour s'acquitter des frais d'impression.

5. Opinions

Son prosélytisme n'a pas toujours été apprécié des protestants du Refuge, ce qui peut expliquer le témoignage hostile du pasteur Jean Des Champs.

6. Activités journalistiques

S'inspirant de périodiques anglais, tel The Spectator, L. fit paraître, durant son séjour en Angleterre, plusieurs journaux et collections diverses.

Le Nouveau Magasin français, ou Bibliothèque instructive et amusante, publication mensuelle commencée en 1750 à Londres et suspendue en 1752 (D.P. 1 985) ; ce journal aurait été précédé d'un Magasin français qui disparut au bout de six mois sans laisser de trace (B.H.C., p. 46). Le Nouveau Magasin était débité à Paris par David jeune, libraire (Hémery, 1er juil. 1751, f° 84 v°). D'Hémery signale sa venue à Paris pendant l'été 1751 afin de solliciter une permission pour faire imprimer son Nouveau Magasin (8 juil. 1751, f° 86 v°). Sans succès, puisqu'elle dut arranger avec un libraire de Rouen la réimpression des 14 premières livraisons et leur vente par souscription ; d'Hémery signale les 14 livraisons de l'édition rouennaise. Malesherbes lui refusa une permission tacite de les écouler ; elle partit le 10 septembre pour l'Angleterre emportant le reste de l'édition (f° 115 r° ; renseignements fournis par F. Moureau). Le Nouveau Magasin contient, sous la forme de feuilletons, des contes, des discours, des réflexions et des lettres. Répondant à quelques lettres de lecteurs, L. se montre championne passionnée des femmes et de la libération de son sexe. Les meilleurs articles du Nouveau Magasin ont été rassemblés par M.A. Eidous en 1775 dans les Œuvres mêlées de Madame Leprince de Beaumont (Maestricht, 6 vol.).

Une suite du Magasin français « interrompu en l'année 1752 » parut au début de 1758 (D.P.1 1233) mais cessa après quelques numéros.

Lettres curieuses, instructives et amusantes ou correspondance historique, galante, etc. entre une dame de Paris et une dame de province, La Haye, 1759, 4 vol. (D.P.1 803).

7. Publications diverses

L. tenta d'exploiter le succès du Nouveau Magasin français sous la forme de nombreux suppléments non périodiques :

Magasin des enfants ou Dialogues d'une sage gouvernante avec ses élèves de la première distinction : paru en 1757 à Londres et en 1758 à Lyon, cet ouvrage avait d'abord été publié en anglais sous le titre de Young Misses Magazine (ce titre ne correspond pas au Magasin des adolescentes, comme l'indique à tort le Cat.B.N.). II connut un grand succès, fut traduit dans la plupart des langues européennes, en grec, en russe et a été réédité 53 fois depuis, avec diverses modifications historiques, géographiques ou religieuses. Dans ses dialogues, L. met en présence la gouvernante Mme Bonne (Mrs Affable) et un groupe d'élèves âgées de cinq à treize ans : Lady Sensée (son élève modèle, Lady Sophie Carteret), Lady Spirituelle, Lady Tempête, Miss MoIIy, etc. Dans une atmosphère détendue et amicale, la bonne gouvernante raconte d'ordinaire un conte de fées dont elle tire une leçon morale, puis continue avec une démonstration pratique de physique ou de géographie ou une lecture commentée de l'Ancien Testament. L. soumet ses élèves au double principe de la religion et de la raison, et n'accepte aucun argument sans le prouver. Cette méthode d'éducation parut assez nouvelle en Angleterre, et fut, en France, l'objet de critiques sévères de la part de Grimm (CL., t. II, p. 446 ; t. IV, p. 289).

Magasin des adolescentes ou Dialogues entre une sage gouvernante et plusieurs de ses élèves de la première distinction : publié en 1760 à Londres sous le titre de Young Ladies Magazine, et la même année en français (voir le Censeur hebdomadaire, t. V, 1760, p. 177). Cet ouvrage, qui fait suite au Magasin des enfants a connu 9 éditions en français.

Continué par : Instructions pour les jeunes dames qui entrent dans le monde et se marient, leurs devoirs dans cet état envers leurs enfants, Londres [Lyon], 1764, 4 vol. ; intitulé par la suite Magasin des jeunes dames, ce périodique eut 12 éditions.

Magasin des pauvres, des artisans, des domestiques et des gens de campagne, Lyon, 1768, 2 vol. : à partir de 1819, cette collection fut souvent rééditée sous les titres de Trésor des pauvres, Trésor des artisans, Trésor des classes ouvrières ou Trésor des familles chrétiennes ; elle fut remaniée en 1819 sous le titre de Château de Malpertus.

Le Mentor moderne ou Instructions pour les garçons et pour ceux qui les élèvent, Liège, 1773, 12 vol.

La Dévotion éclairée, ou Magasin des dévotes, Lyon, 1779. Le genre des Magasins est difficile à définir. L. a sans doute voulu continuer le Magasin des enfants par d'autres volumes (voir l'Avertissement). Elle dut abandonner ce projet et écrivit des suites (Magasin des adolescents, Magasin des jeunes dames, etc.) à intervalles irréguliers. L. a publié en outre plusieurs romans et contes, de nombreux essais et traités édifiants dont le total correspond à environ 70 vol. Voir Cior 18, n° 39400-39437.

8. Bibliographie

F.L. 1769 ; B.Un. ; N.B.G. ; D.L.F. B.N., f.fr. 10783, f° 47 : fiche de police de novembre 1750, complétée après le Ier septembre 1751. – B.N., f.fr. 22156, Journal d'Hémery. – A.M. Lunéville, A.C.328, II, BMS, I737-I739- P- 82 ; minutes notariales, étude Guibal, Maître Thiriet 1718-1765, 8 E 13, acte 183. – Archives de la Bastille, Ars., ms. Bic. 11329 (1736). – Baril, Dictionnaire de la danse, Paris, Seuil, 1964,1.1, p. 141. – EstréeP. d', «Artistes et musiciens du XVIIIe siècle d'après des documents inédits», Le Ménestrel, 1897. – Frère E., Manuel du bibliophile normand, Rouen, 1858-1860, t. I, p. 81. – Sullerot E., La Presse féminine, Paris, Armand Colin, 1963, chap. 1. – Clancy P., «A French writer and educator in England : Madame Leprince de Beaumont», S.V.E.C. 201, 1982.

9. Additif

État-civil : Geneviève Artigas-Menant a récemment éclairé, grâce à la découverte des papiers de Thomas Pichon-Tyrell, plusieurs aspects de la biographie de Marie Leprince. Ses contemporains avaient glosé sur ses trois mariages ; G.A. prouve, dans un article récent (« Les lumières de Marie Leprince : nouvelles données biographiques ») que les aveux de M.L. au prince de Wurtemberg en 1767-1768, aussi bien que les propos malveillants de Jean Deschamps, sont confirmés par les faits. Marie L. s’est mariée une première fois à Lunéville le 25 juin 1737 avec le danseur Claude Antoine Malter ; elle est alors nommée « Musicienne » ; son mariage est entaché de clauses de nullité qu’elle invoque pour se marier une seconde fois, avec M. de Beaumont vers 1745 ; elle ne peut toutefois affronter les frais d’un divorce. Elle vit enfin avec Pichon-Tyrell de 1756 environ à 1763, année de sa « réforme » et de son installation à Annecy. Aucune trace de leur mariage éventuel n’a été retrouvée. Sa correspondance avec Pichon de 1763 à 1775 la présente comme « une vraie pénitente », mais aussi comme une femme d’affaires capable de négocier à son profit l’édition du Magasin des pauvres (1768).

Bibliographie :  Bonnefon, P., Artigas-Menant, G., Lumières clandestines. Les papiers de Thomas Pichon, Paris, Champion, 2001. – Id., « Les lumières de Marie Leprince de Beaumont : nouvelles données biographiques », Dix-Huitième siècle n° 36, 2004, p. 291-301 (J.S.).