ROUSSEAU

Numéro

713

Prénom

Pierre

Naissance

1716

Décès

1785

Pierre Rousseau est né à Toulouse le 19 août 1716, de Philippe Rousseau, maître ès arts ; baptisé le 23 août avec pour parrain Pierre Gilis maître pâtissier, pour marraine Guillemette de Froy (Troy ?), épouse de Jean Dumeny maître boutonnier, et pour officiant le vicaire Sartor ( ?) (A.M. Toulouse, GG 293, par. Saint-Etienne, f° 39 r°). Il épouse, le 30 septembre 1755, Ludovica F.J.C. Weissenbruch (6 oct. 1736 - 14 mars 1806), fille du premier conseiller du prince Henri de Nassau-Saarbrücken (A.W., I, 15). Ils n'eurent pas d'enfant.

2. Formation

Sa scolarité fut prise en charge par les Jésuites ; il entama des études de chirurgie qu'il abandonna pour une carrière ecclésiastique qu'il abandonna pour le droit. Enfin, on le retrouve à Paris en 1740 (F).

3. Carrière

Son orientation professionnelle reste longtemps incertaine : il s'embauche comme clerc ou commis (F). Puis il tente une carrière d'auteur comique : de 1744 (La Coquette sans le savoir, représenté à la Foire Saint-Germain ; Brenner, n° 10715) à 1754 (année de l'Esprit du jour). En 1755, il se tourne vers la littérature romanesque : à Paris, il publie Les Faux Pas. Entre-temps, il participe à la rédaction des Affiches de Paris (F, p. 16-17) : premier contact avec le journalisme pour lequel il va abandonner les belles-lettres définitivement. Dans l'été 1755, il devient correspondant et agent littéraire de l'électeur palatin résident à Mannheim, Charles Théodore, et reçoit le titre de conseiller aulique. Un autre prince, Guillaume Henri de Nassau-Saarbrücken, l'honore de son estime, en l'invitant à sa cour peu après et en lui conférant le titre de fermier général de ses domaines (Malebranche, p. 50). Ses tribulations ne prennent pas fin pour autant. Décidé à entreprendre une carrière journalistique dans la ligne de pensée des «Lumières» françaises, il cherche à s'installer à Liège. Malgré l'accord du duc de Bavière, Jean Théodore, «cardinal, évêque et prince de Liège» (dédicace du J.E., 1er janv. 1756), et le soutien du premier ministre tout-puissant, le comte Horion, la parution du J.E. provoque une puissante opposition (FK), qui réussit à obtenir la révocation du journal le 6 septembre 1759. L'Eglise eut un grand rôle dans cette affaire, en particulier le nonce de Cologne (Halkin, 1930 et 1932). Contraint de quitter Liège, R. cherche à s'installer à Bruxelles, où, selon le même schéma qu'à Liège, malgré l'appui des autorités temporelles, le comte de Cobenzl et le prince de Kaunitz (de Boom), la demande de privilège fut écartée. R. trouve refuge à Bouillon où règne le duc Charles Godefroy de La Tour d'Auvergne, et où il acquiert le soutien du comte de Velbrûck (Froidcourt ; Biographie nationale belge, t. XXVII, col. 523-531). Le journal reparaît le 1er janvier 1760 (privilège accordé par La Tour d'Auvergne à R., B.V. Sedan). «L'île flottante» de R. (lettre de Voltaire, 27 août 1760, D9171) se fixa à Bouillon définitivement. L'affaire prospéra rapidement.

4. Situation de fortune

En effet, malgré des débuts incertains et des déboires de parcours, R. ne manqua jamais d'argent. Les bourgmestres et conseillers de Liège soutinrent le départ du J.E. d'une somme de cent florins (F, p. 33). En décembre 1756, le conseil de Liège lui paya 40 écus pour une souscription annuelle de quatre exemplaires (qu'il dénonça sous la pression de l'Eglise le 4 janvier 1758 : A.E.L., Registre aux Recès de Messieurs les Bourgmestres). Cobenzl soutenait R. financièrement (lettre, 16 sept. 1758 où R. accuse réception du « montant de la lettre de change » envoyée de la part du comte de Kaunitz, secrétairerie d'Etat et de Guerre, A.G.R., Correspondance de Cobenzl, ms. 11209, 1057). Dès sa parution, le J.E. comptait 1200 souscripteurs (Charlier, p. 32) et ce nombre ne cessera de s'accroître, sa diffusion devenant largement européenne (A.W., dossier VII, lettres 5, 9, 18 ; dossier X, lettre 2 ; dossier II, lettres 5, 15). En septembre 1759, à la suite de la révocation du privilège accordé par Jean Théodore, Desroches de Tours, Français réfugié à Liège, avançait de l'argent à R. pour son installation à Bruxelles (Malebranche, p. 59-60). Il reçut, officieusement, des subsides du ministre Cobenzl, 100 pistoles en septembre 1760 (lettre, 15 sept. 1760, A.G.R., Le). La fortune de R. devint rapidement «brillante» (G) ; on parlait de 80 000 francs par an pour le seul bénéfice gagné avec le J.E., la Gazette salutaire et le Journal politique. Il compléta son entreprise journalistique par la fondation de la Société typographique de Bouillon, établie dans «les maisons de la rue du Moulin» (G), achetées 4800 £ (A.W., dossier V, 1). Au produit net des journaux et de l'imprimerie, il ajouta la rente d'un fonds sur le prince de Guéménée (G). Mairobert parle de R. comme d'un «manufacturier littéraire très estimé et très riche», capable d'épargner, tous frais de gestion et d'exploitation décomptés, « vingt mille net au point d'être aujourd'hui en marché d'une terre de cent quatre-vingt mille livres [...] qu'il compte payer argent comptant» (M.S., 18 juin 1769, t. XIX, p. 103-104). En juillet 1770, il fut en mesure d'avancer 24 000 £ à la Société typographique (A.E.A., Reliefs et transport, p. 337). En juillet 1771, il est établi que le J.E. à lui seul rapportait 40 000 francs à R. (Clément, p. 24). N'oublions pas l'affaire des Suppléments à l'Encyclopédie dont chaque volume rapportait 15 000 £ à Robinet qui sur cette somme payait les auteurs des articles «trente livres, argent de France, par feuilles de composition» (Carra). En 1781, R. «occupait à Paris une très confortable position grâce à l'esprit de conduite et à l'entente des affaires dont il était éminemment doué » (Souvenirs et causeries du président Boyer, cité dans B.H.C., p. 64).

5. Opinions

Voltaire a souvent assuré R. de son appui, le félicitant de lui fournir un périodique aussi intéressant, mais ne pousse pas plus loin son « zèle très vif et très sincère » à son égard (26 mars 1763, Du 132), malgré les occasions qu'il avait de rendre des services importants au journaliste en difficulté. C'est que si, de fait, R. ne se plaça jamais dans le camp adverse aux «philosophes», «cet ami des philosophes et des Encyclopédistes était profondément religieux et respectueux de la Foi» (Froidcourt, p. 177). Sur son respect religieux, voir sa lettre du 10 janvier 1761 à J.J. Fabry (B.U.L., ms., Papiers de Fabry, vol. 1, n° 40) ou encore au comte de Cobenzl du 8 février 1761 (A.G.R., secrétairerie d'Etat et de la Guerre n° 1209, Correspondance du comte de Cobenzl, f° 323 et suiv.). Le titre de son journal, qui a passé pour un défi aux yeux de certains hommes d'Eglise, annonçait aussi un programme. Les docteurs en théologie de l'Université de Louvain furent tout à fait conscients de l'orientation partisane du journal : ils accusent cet « admirateur perpétuel» des philosophes français (voir leur Lettre [...] au sujet du J.E., s.l., 1759, fonds Capitaine, n° 10235) de s'entêter «à faire avoir une haute idée de plusieurs auteurs qui ne font qu'inspirer le libertinage et l'irréligion et qu'à faire goûter à ses lecteurs les principes d'un Dictionnaire encyclopédique et d'un livre de l'Esprit, trop fameux aujourd'hui pour ignorer les maximes abominables qu'ils débitent et qui ne tendent à rien moins qu'à la ruine de la Religion, de la Morale et de l'Etat» (Consultation adressée en réponse aux curés de Liège par la Sacrée Faculté de Louvain le 3 juin 1759, A.E.L., fonds Ghisels. n° 573). En réalité, R. n'adhère pas tant à l'idéologie des Diderot, d'Alembert, Helvétius et consorts qu'il ne les félicite « d'avoir jeté dans les esprits les germes des Sciences » (son Préliminaire de la Réponse des auteurs du J.E. à la lettre de MM. les Docteurs [...] de Louvain, A.E.L., fonds Ghisels, liasse 26, n°573 et J.E., 1er oct. 1759). Il réaffirme son rattachement aux «membres éclairés» de l'Encyclopédie, le 1er avril 1769 : «Nos presses consacrées au progrès des sciences, à l'amour de la vertu, à l'avancement de la vraie philosophie, ne refuseront que les ouvrages qui leur seraient contraires». Il réserve sa plus belle plume à la louange de l'Encyclopédie : «Nous avons loué cet ouvrage avec une espèce d'enthousiasme ; nous en convenons et n'en rougissons pas » (J.E., 15 févr. 1760). Il n'est pas question pour lui d'envisager comme un problème le rapport entre foi et science, de poser un lien entre connaissance scientifique et matérialisme. La condition de journaliste implique une certaine quiétude théorique, comme l'avait compris de son côté Marmontel, autre rédacteur «philosophe».

6. Activités journalistiques

A partir du témoignage de Garrigues de Froment, J. Schlobach a prouvé que R. avait rédigé les Affiches de Paris de Boudet (D.P.1 48) en 1751 (C.L.M., p. 6-7). R. aurait par la suite gardé de bonnes relations avec les Affiches de province (D.P.1 57) auxquelles il emprunte de nombreux passages dans sa «Correspondance de Mannheim», nouvelles à la main rédigées de 1754 à 1756 (C.L.M., p. 10). R. semble avoir rédigé « seul les vingt-huit premières livraisons » du J.E. (Capitaine, p. 50 n.). Ensuite, il eut pour collaborateurs Prévost de La Caussade, auteur d'un projet destiné à « abréger et rectifier les Mémoires de Mme de Maintenon» (lettre de Voltaire, 28 nov. 1756, D7065), l'abbé Claude Yvon (1741-1791) (voir K.H., ms. G 16-A 287, n° 3-6), auquel il doit vite renoncer (FK, p. 41, n. 3), puis les frères Jean (1718-1799) et Jean Louis Castilhon (1720-1793) qui s'installèrent à leur compte sur les ruines du Journal de Trévoux (lettre de R. à Mérian, 10 mars 1777, A.W., dossier X, lettre II). Il y en eut aussi d'autres comme J.B. Robinet (1735-1820), Deleyre, J.L. Carra (1743-1793), envoyé par Voltaire, Méhégan de 1757 à 1763. (Sur ce personnel, voir Q., t. II, p. 78­79 et t. VIII, p. 85-86, et Malebranche, p. 60). Il est difficile, sinon impossible, d'attribuer les articles du J.E. à tel ou tel journaliste : les signatures manquent. On trouvera beaucoup d'informations sur la composition du J.E. dans la correspondance de R. avec Formey (Staatsbibliothek Berlin, Nachlass Formey, «Rousseau, Pierre», lettres, 16 oct. 1755-23 oct. 1779).

Au début de 1761, R. est seul à Bouillon et s'en plaint dans une lettre à Mercier de Saint-Léger datée du 3 mai : «Je n'ai encore personne ici pour partager mon travail et il m'est impossible de m'en tirer tout seul [...]. Je cherche encore un collaborateur» (B.V. Sedan). Jusqu'en 1768, il ne considère pas comme de véritables auteurs du journal les simples correspondants ; sa société « se borne à trois collaborateurs unis par l'amour des Lettres» (J.E., 15 août 1766, p. 3). Les trois auteurs sont R. lui-même, J.L. Castilhon et J. Castilhon : «C'est nous seuls, c'est-à-dire trois Toulousains, liés par les nœuds respectables de l'amitié» (J.E., 15 juin 1765, p. 124). Même quand le journal se fut agrandi, les collaborateurs furent moins nombreux qu'on ne l'a dit ; en 1774 R. écrivait : «Sans compter MM. Morand, le chevalier de Méhégan, et Deschamps [correspondant à Londres] qui sont morts, il existe 18 littérateurs qui peuvent prendre le titre d'Anciens Auteurs du Journal Encyclopédique» (J.E., 15 mai 1774, p. 133). [Paragraphe rédigé par P. Matthieu.]

R. obtint également un privilège pour le Journal de jurisprudence (1763 ; D.P.1 648), qu'il rédigea avec J.L. Castilhon (voir ce nom).

7. Publications diverses

Liste des œuvres de R. dans Cior 18, n° 57446-54476. – Charlier G. et Mortier R., Le Journal encyclopédique (1756-1793), Bruxelles, Paris, 1952. – Froidcourt G. de, «P. Rousseau et le Journal encyclopédique, à Liège», La Vie wallonne, t. XXVII, 1953, p. 161-194 et 261-301, avec bibliographie. – Birn R.F., Pierre Rousseau and the philosophes of Bouillon, S.V.E.C. 29, 1964 : bibliographie, p. 203-212.

8. Bibliographie

B.H.C. – (A.E.A) Archives de l'Etat d'Arlon. – (A.E.L.) Archives de l'Etat de Liège. – (A.G.R.) Archives générales du Royaume, Bruxelles. – (A.W.) Archives Weissenbruch, Bouillon. – (B.U.L.) B.U. de Liège. – (K.H.) Koninklijk Huisarchief, collection autographe de la correspondance Rousseau-Rey, 1757-1774, ms. G 16-A 287, La Haye. (J.E.) Journal encyclopédique : réimpr. de l'éd. de Liège, Bouillon, 1756-1793, 304 vol. in-12 (en 76 vol. in-40), Genève. – (F) Garrigues de Froment, Eloge historique du J.E. et de P. Rousseau son imprimeur, Paris, 1760. – Malebranche P.B., Le Microscope bibliographique, Amsterdam, 1770. – Carra J.L., Le Faux Philosophe démasqué ou Mémoires du Sr Carra, collaborateur aux Suppléments de la grande Encyclopédie de Paris, contre le Sr Robinet, Bouillon, 1772. – Mellinet, notice sur le Journal encyclopédique, dans L'Esprit des journaux, mai 1817, t. II, p. 245-247. – (G) Grundwald F.E., Courte notice sur la typographie bouillonnaise. Bouillon, 1825 ; réimpr. dans G. Charlier et R. Mortier, Le Journal encyclopédique (1756-1793), Bruxelles, 1952, p. 68-72. – Capitaine U., Recherches historiques et bibliographiques sur les journaux et les écrits périodiques liégeois, Liège, 1850. – (FK) Francotte H. et Küntziger J., Essai historique sur la propagande des encyclopé­distes français dans la principauté de Liège, dans Mémoires couronnés [...] de l'Académie Royale de Belgique, Bruxelles, 1880, t. XXX. – «Une page d'histoire», Revue britannique, 1er mars 1883. – «Pierre Rousseau», Biographie toulousaine, Paris, 1823, p. 332-334 ; réimpr. dans Revue des Pyrénées, 1900, p. 323-326. – Belin J.P., Le Commerce des livres prohibés à Paris de 1750 à 1789, Paris, 1913. – Boumal L., Une ville wallonne. Bouillon, à la fin du XVIIIe siècle, Liège, Wallonia, 1914. – Halkin L.E., «Contribution à l'histoire du Journal encyclopédique, d'après les archives diplomatiques du Saint-Siège», Bulletin de l'Institut historique belge de Rome,

t. X, 1930, p. 225-245. – Id., «Note sur P. Rousseau», ibid., t. XII, 1932, p. 121-126. – Boom G. de, Les Ministres plénipotentiaires dans les Pays-Bas autrichiens, Bruxelles, 1932. – Cahen L., «La Librairie parisienne et la diffusion du livre français à la fin du XVIIIe siècle», Revue de synthèse, t. XVII, 1939, p. 166. – Couvreur A., La Pharmacie et la thérapeutique au XVIIIe siècle vues à travers le Journal encyclopédique de Pierre Rousseau, Paris, Vigot, 1953. – Yans M., «L'imprimerie du Journal encyclopédique de P. Rousseau», La Vie wallonne, t. XXVIII, 1954, p. 276-278. – Clément F., Le Journal encyclopédique et la société typographique. Exposition en hommage à P. Rousseau (1716-1785), et C.A. de Weissenbruch (1744-1826), Bouillon. Musée ducal, 1955. – id., «Rousseau et l'édition des suppléments de l'Encyclopédie», Revue des sciences humaines, fasc. 86, avril-juin 1957, p. 137-142. – Comoth R., « Le Journal encyclopédique et le < mirage > russe au XVIIIe siècle», La Vie Wallonne, t. LVI, 1982, p. 241-252. – Delval J.P., «Homme ou animal? L'orang-outan dans le Journal encyclopédique de Pierre Rousseau». Revue belge de philosophie et d'histoire, t. LX, 1982, p. 305-311. – Wagner J., «Le rôle du Journal encyclopédique dans la diffusion de la culture», S.V.E.C. 193, 1980, p. 1802-1812. – Id., «Pierre Rousseau à Liège», dans Livres et Lumières au pays de Liège, Liège, 1980. – Id., Lecture et société dans le « Journal encyclopédique » de P. Rousseau (1756-1785), thèse, Clermont-Ferrand, 1985. – (C.L.M.) Schlobach J. (éd.), Correspondance littéraire de Mannheim (1754-1756), Paris, Genève, 1992.

MORIN

Numéro

595

Prénom

d'HÉROUVILLE

Naissance

XVIIIe s.

Il paraît peu probable qu'il soit d'origine noble, même si les Morin sont nombreux dans La Chesnaye-Desbois (voir Dictionnaire de la noblesse : Morin de Banneville, marié à Françoise d'Hérouville en 1579). La F.L. de 1769 nomme un Morin, auteur de La Platine, l'or blanc en 1758, et des Annales typographiques la même année (t. I, p. 347).

6. Activités journalistiques

Il fut, d'après Fréron, le fondateur des Annales typographiques en 1758 : il a «le premier conçu et exécuté l'idée de cet ouvrage» (12 mars 1760, p. 165). Les Avertissements des Annales donnent le peu de détails qu'on possède sur lui : il obtient un privilège à titre personnel le 15 novembre 1758 (1er janv. 1760, p. XIV) ; il cède le privilège à l'imprimeur Vincent le 26 décembre 1759 (ibid., janv. 1760, p. XIV), mais poursuit le travail de rédaction en commun avec A. Roux ; en janvier 1760, il change le format et la périodicité pour réduire le prix de la souscription ; mais en janvier 1761, il doit renoncer à cet ouvrage « dont on lui doit la première idée». C'est A. Roux qui annoncera en décembre 1762 le déficit de l'entreprise et l'échec des rédacteurs.

8. Bibliographie

F.L. 1769 ; D.P.1 116.

MARMONTEL

Numéro

550

Prénom

Jean François

Naissance

1723

Décès

1799

Né à Bort, en Limousin, le 11 juillet 1723, fils aîné de Martin Marmontel (orthographié Marmonteil sur l'acte de baptême), tailleur d'habits, et de Anne Marie Gourde (Rupin, p. 13). Dans sa famille, nombreuse, il vit au milieu de femmes : ses deux bisaïeules, ses tantes, sa mère, qui le couvent. Il se maria le 11 novembre 1777, à Paris, avec Mlle de Montigny, nièce de l'abbé Morellet, âgée de dix-neuf ans environ (Morellet ; Mémoires). Auparavant, il noua de nombreuses liaisons : Mlle Navarre, comtesse de Mirabeau, en 1748 (Joly, p.

2. Formation

Malgré les réticences de son père, désireux plutôt de le pousser dans une carrière commerciale, il entra au collège jésuite de Mauriac à onze ans en 1734. Préparé par le P. Malosse en vue de la quatrième, il continua à apprendre le latin avec le P. Bourges (Ravaisson, t. XII, p. 454-457). En 1738, à quinze ans, il termine sa rhétorique. De 1738 à 1740, il se fit accepter comme répétiteur en philosophie au collège jésuite de Clermont-Ferrand. De 1740 à 1745, il pensa entrer dans les ordres et, après des séjours à Limoges chez les Sulpiciens, à Toulouse chez les Jésuites et les Bernardins, entre autres, il obtint brillamment son grade de bachelier en théologie, mais, à la suite d'une menace d'exil au séminaire de Calvet, et sur les pressions de sa mère, il renonça à l'état ecclésiastique, préférant une carrière d'homme de lettres.

3. Carrière

En effet, à la suite de succès poétiques aux Jeux Floraux (Poitevin-Peitavi), il fut appelé par Voltaire à Paris, avec la promesse d'y être pris en charge par le contrôleur des finances Orry (billet de nov. 1745, D12770). Il semble être arrivé à Paris en décembre 1745 (lettre de Voltaire à Mme Denis, déc. 1745, D12777). Orry disgracié, M. fonde avec Bauvin L'Observateur littéraire en 1746, qui ne parut que de février à avril (D.P. 1 1080). A l'automne 1746, il devint précepteur chez Mme Harenc et le resta jusqu'en 1747. Il habitait rue des Mathurins avec Lavirotte, rédacteur au Journal des savants (La France littéraire, Paris, 1758) et l'abbé de Prades. En juin 1748, il accompagne Mlle Navarre à Avenay (Joly), puis accepte l'hospitalité du fermier général La Popelinière à Passy, chez lequel il séjourna jusqu'en 1753. En 1753, grâce à la protection de Mme de Pompadour, il obtint le poste de secrétaire des Bâtiments auprès de M. de Marigny, frère de celle-ci, et s'installa à Versailles jusqu'en 1758. Le 27 avril 1758, Mme de Pompadour le fit nommer auteur du Mercure de France avec pour auxiliaires Coste et Suard. Pour avoir mécontenté le duc d'Aumont, il fit un bref séjour à la Bastille, du 28 décembre 1759 au 7 janvier 1760 (lettre de M. à Diderot, Corr., t. I, n 50 ; Mercure de France, mars 1758, p. 480 et suiv.).

Le 23 novembre 1763, il fut élu à l'Académie française (Brunei, Les Philosophes et l'Académie française au XVIIIe siècle, Paris, 1884, p. 143-153). Il poursuivit son ascension sociale : nommé en 1772 historiographe du roi (lettre à Voltaire, 1er avril 1772), élu secrétaire perpétuel de l'Académie française en 1773, en succession à d'Alembert (registres de l'Académie, 1763-1791), nommé historiographe des Bâtiments en 1785 ; enfin, en 1787, il occupa, peu de temps, la chaire d'histoire du Lycée.

A partir de 1789, il commença une carrière politique : électeur à l'assemblée primaire de Paris (section des Feuil­lants), il ne fut pas élu député aux Etats généraux, mais après avoir quitté Paris, le 6 août 1792, pour Evreux, puis Abloville, il fut nommé, le 13 octobre 1795 (21 vendémiaire, an III), président de l'assemblée électorale de l'Eure. Enfin, le 12 avril 1797 (23 germinal, an V), il fut élu au Conseil des Anciens dont il devint secrétaire le 22 juillet de la même année (lettre du 20 avril 1787 à M., Lenel, p. 25, n. 1) ; mais son élection fut annulée par le coup d'Etat du 18 fructidor, an V.

4. Situation de fortune

Avant son arrivée à Paris, il payait ses études comme répétiteur ; ses prix aux Jeux Floraux de Toulouse et de Montauban lui rapportèrent quelques centaines d ecus : premier prix de poésie pastorale en 1744, quatre prix en 1745 et un accessit (Poitevin-Peitavi ; Mélanges de poésie, de littéra­ture et d'histoire, par l'Académie des Belles-Lettres de Montauban,

1750).

A Paris, il tenta de vivre de ses travaux de plume, journalistiques ou littéraires : vente de sa traduction, La Boucle de cheveux enlevée d'après Pope, en 1746 ; prix de poésie de l'Académie française avec La Gloire de Louis XIV, perpétuée dans le Roi son successeur, que Voltaire se chargea de lui monnayer auprès de la Cour ; autre prix, au même concours, l'année suivante, avec «La Clémence de Louis XIV est une des vertus de son auguste successeur», poème qui fut ensuite publié au Mercure de France (1747) ; en 1748, beau succès avec Denis le tyran, tragédie ; des articles littéraires pour l'Encyclopédie, dei753ài758 ; des Contes moraux envoyés au Mercure et publiés à partir de 1755.

Mais ses premières ressources importantes lui vinrent de sa fonction d'auteur du Mercure. En 1758, les pensions allouées aux collaborateurs de ce journal s'élevaient à 21 300 £ (A.N. 0TI02, f° 232-236). Quand il en perdit le brevet en janvier 1760, il conserva 1000 écus de pension (Lenel, p. 189, n. 2 et 3 ; Delort parle même de 4000 £). Ses travaux pour le Supplément de l'Encyclopédie et pour l'Encyclopédie méthodique lui rapportèrent 7000 £. En 1787, l'édition complète de ses Œuvres lui fut payée 12 500 £ (Archives de l'Académie française) ; en 1789, il avait 22 000 £ de rentes (Lenel, p. 407-408). La Révolution ne semble pas lui avoir profité.

5. Opinions

Longtemps, il n'eut pas d'opinions très affirmées, gagnant sa vie selon le bon vouloir de ses hôtes ou employeurs successifs. Son manque de conviction lui fit abandonner l'Eglise ou tout au moins la foi catholique à laquelle il revint à la fin de sa vie («Discours composé pour être lu devant le Conseil des Anciens sur le libre exercice des cultes», Lenel, p. 537-538). Pourtant, entre ses débuts et sa fin, de 1758 à 1799, il sut rester fidèle, sinon à l'esprit philosophique, du moins à la famille voltairienne (lettre à Voltaire, 5 mai 1758, D7725 ; voir Renwick). Il fut davantage «client» (Desprez de Boissy, Lettre sur les spectacles, Paris, éd. 1779, p. 58) du groupe philosophique que militant ardent. Il eut beau décla­rer sa volonté de «se purifier chez les cakouacs» (lettre à Voltaire du 5 mai 1758), Voltaire eut beau lui demander en termes non voilés, à propos du Mercure « de le relever et d'en faire un très bon journal» (lettre de Voltaire, 16 mai 1758, D7737). M. ne fit pas de ce journal la tribune philosophique qu'espérait Voltaire et un antidote contre les poisons de Fréron, qui, en 1759, revenait au vieil ennemi. Ni novateur ni penseur (pourquoi «penser des choses étranges», se demande-t-il à propos d'Helvétius, Mémoires, t. II, p. 116), mais éducateur et technicien de la littérature (Mercure, 1760, avant-propos), il se cantonna dans cette attitude de juste milieu.

Une seule affaire qui eût pu être grave marqua son timide engagement philosophique : celle de Bélisaire, en 1767 (Renwick, dans Erhard, p. 249-269) ; une seule grande haine, pour Rousseau (en particulier, Mercure, nov. 1758 - janv. 1759) ; un seul ennemi constant : Fréron, qui ne l'oubliait pas dans son journal depuis 1748 (voir en particulier L'Année littéraire, 1759, t. III, p. 97-128, à propos du Venceslas retouché par M. et de sa querelle avec l'acteur Lekain ; Mercure, juin 1759 ; lettre de M. à Malesherbes, de 1759, B.N., n.a.fr. 3531, f° 131-132 ; lettre de Malesherbes à Turgot, du 24-25 mai 1759, B.N., n.a.fr. 3531, f° 129). Une querelle musicale l'opposa, comme admirateur de Piccini, aux partisans de Gluck, dont était Marie-Antoinette ; enfin une opposition politique à tout ce qu'il considérait comme les excès de la Révolution l'éloigna de la scène publique de 179 7 jusqu'à sa mort. A ces conflits d'ordre théâtral, musical et politique, ajoutons le conflit d'ordre social qui l'opposa au duc d'Aumont, protecteur de Lekain en 1759-1760.

6. Activités journalistiques

Auteur du Mercure de France, il prit ses fonctions dès août 1758 ; le dernier volume préparé par lui fut la deuxième livraison de janvier 1760 (Mercure : «Mémoire historique sur le Mercure», mai 1760, p. 27 et suiv. ; rectifier l'erreur dans D.P.1 924). Aidé par Coste et Suard, il semble avoir été le seul rédacteur des articles de critique littéraire, scientifique, technique et philosophique, comme ce fut le cas déjà en 1746 dans L'Observateur littéraire, écrit en collaboration avec Bauvin (la F.L. 175 8 en désigne M. comme le seul rédacteur ; voir art. «Bauvin»). A partir de mai 1758, il assuma la direction du Choix des anciens Mercures et la quitta en 1760 (D.P.i 208) ; sa responsabilité concerne les t. XVI à XXXIX. De janvier 1790 à décembre 1791, il reprit, à l'appel de Panckoucke, une fonction de rédacteur littéraire aux côtés de La Harpe et de Chamfort (Mercure, 5 déc. 1789). M. s'intéressa à l'instruction publique (première semaine, janv. 1790 et 13 févr. 1790) ; à l'organisation de la force publique (c.r. de Guibert, De la force publique considérée dans tous ses rapports, 1er et 8 mai 1790) ; enfin à la peine de mort (c.r. des Lois pénales de Pastoret, 12 juin 1790)

Entre ces deux périodes, il envoya, à partir de 1777 surtout, quelques articles au Mercure : une «défense contre l'accusation d'impiété portée contre Les Incas» (mars 1777) ; un compte rendu des Muses rivales, pièce en un acte et vers libres de La Harpe ( 15 mars 1778) ; des instructions à propos de l'ouvrage de Lacretelle, Les Devoirs de l'homme et du citoyen (2 déc. 1784) ; enfin un article sur le Catéchisme de la nature de d'Holbach ( 17 juil. 1790). A partir du 17 décembre 1791, M. n'est plus mentionné que pour les contes.

Signalons encore quelques textes parus dans le Journal encyclopédique : «Remarques sur l'action du poème, soit dra­matique soit épique», t. III, 1783, p. 317-328 et 500-507 ; «Lettre sur Lucain», 1er juin 1765 (d'abord publiée dans le Journal des dames, févr. 1765 ; voir aussi le Mercure, avril I76i ,t. II, p. 73, et juil. 1763) ; «EpîtreàMUe***Montigny», mars 1777.

7. Publications diverses

7. Cior 18, n° 42995-43241 ; Q., t. V, p. 548-552. – Valette R.M., «Marmontel : a comprehensive bibliography, 1900­1960», Modem language notes, t. LXXIX, 1964, p. 552-553. – Renwick J., «Marmontel : a bibliographical addition, 1900-1960», Modem language notes, t. LXXX, 1965, p. 623. – Micholls J.C., «Variations on the motif of the one-eyed lover from Marmontel to Hatzenbusch», R.L.C., t. XXXXIII, 1969, n° 1, p. 15-22.

8. Bibliographie

Voltaire, Correspondence, éd. Besterman. – M., Mémoires, éd. Renwick, Clermont-Ferrand, Bussac, 1972, 2 vol. : l'ab­sence de références dans notre texte signale les Mémoires de M. comme source de renseignements. – (Corr.) ld., Correspondance, éd. Renwick, U. de Clermont-Ferrand, 1974, 2 vol. – Poitevin-Peitavi P.V., Mémoires pour servir à l'histoire des Jeux Floraux, Toulouse, 1815, p. 157-158. – Morellet A., Eloge de Marmontel, prononcé à la séance publique de la deuxième classe de l'Institut, Paris, 1824. – Delort J., Histoire de la détention des philosophes et des gens de lettres, Paris, 1829. – Monmerqué L.J.N., «Détention à la Bastille de Marmontel et Morellet», Bulletin de la S.H.F., t. II, 2e part., T835, p. 344-358. – Sainte-Beuve C.A., Causeries du lundi, 15 sept. 18 51. – Joly A., Mlle Navarre, comtesse de Mirabeau, Mémoires de l'Académie de Caen, 1880. – Brunetière F., «Les mémoires d'un homme heureux», Revue des deux mondes, 1er juil. 1891, p. 207-218. – Rupin E., Notice sur Marmontel, Brive, 1882. – Delterme G., «Notes sur Marmontel, d'après des documents inédits », Bulletin de la Société de Corrèze, t. XIV, 1892, p. 235-270. – LenelS., Un homme de lettres au XVIIIe siècle, Marmontel, Paris, Hachette, 1902. – Courcel G. de, «Mémoire historique et détaillé pour la connaissance des auteurs qui ont travaillé au Mercure de France», Bulletin du bibliophile et du bibliothécaire, 1902 et 1903. – Escart P., Marmontel à Compiègne, Compiègne, 1909. – Le Senne C, Figures disparues, Paris, 1913. – Nouaillac J., Le Mariage de Marmontel et son heureux ménage : essai sur la vie familiale de Marmontel, Brive, 1936. – Grosclaude P., Malesherbes, témoin et interprète de son temps, Paris, Fischbacher, 1961. – Ehrard J. et al., Marmontel, Clermont-Ferrand, Bussac, 1970. – Renwick J., «Essai sur la première jeunesse de Marmontel (1723-1745) ou Antimémoires», S.V.E.C. 176, 1979, p. 273-348. – Cardy M., The Literary doctrines of Marmontel, S.V.E.C. 210, 1982. – Mortier R., L'Originalité : une nouvelle catégorie esthétique au siècle des Lumières, Genève, Droz, 1982, chap. IX.