ROUSSEAU

Auteurs

Numéro

711

Prénom

Jean

Naissance

XVIIIe s.

3. Carrière

Jean Rousseau a été professeur de mathématiques à l'école royale d'hydrographie de Nantes. En 1776, il demeurait à Paris, rue de Bourbon, à l'Hôtel des écuries de Mme la comtesse d'Artois, paroisse Saint-Sulpice.

6. Activités journalistiques

Rédacteur du Journal historique et politique dit de Genève (D.P.1 754). Le 28 août 1776, les libraires C.J. Panckoucke et J. Lacombe signèrent une convention à propos de ce journal : «En conséquence du présent arrangement le Sr Lacombe s'oblige d'augmenter, s'il y a lieu, le journal d'une feuille par chaque ordinaire, et quand M. Rousseau rédacteur le jugera nécessaire. Plus le Sr Lacombe permet que le Sr Rousseau dépense par chaque année la somme de 600 £ tant pour frais de gazettes, que pour correspondance du journal, à la charge par luy néantmoins de justifier de l'employ. Dans le cas où les souscriptions du journal passeroient le nombre de 5000, il est convenu qu'il sera donné audit Sr Rousseau la somme de 5000 £ tant pour les honoraires du journal, que pour les frais d'un copiste ; que si elles vont à 6000, il luy sera donné 6000 £, et ainsi de suite à raison de 1000 £ par chaque mille d'augmentation». Depuis quelle date R. rédigeait-il le Journal de Genève? Le faisait-il depuis les origines du journal (1772)? Le 5 septembre 1778, Panckoucke traita avec lui, s'engageant à lui payer un intérêt annuel de 7 s. 6 d. sur chaque souscription du journal au-delà du premier mille, ainsi qu'une rétribution annuelle de 800 £. Le 30 novembre 1780, l'intérêt annuel était converti en une somme forfaitaire de 1200 £, « autant qu'il se trouvera 3000 souscriptions».

8. Bibliographie

A.N., M.C., XXXV, 28 août 1776, convention Panckoucke-Lacombe ; 852, 30 nov. 1780, convention Panckoucke-Jean Rousseau.

9. Additif

État-civil: Jean Rousseau est né le 13 mars 1738 à  Witry-lès-Reims (registre paroissial de Witry) , fils de Jacques R.,  procureur fiscal  et lieutenant de justice; il est  mort à Châtillon-sous-Bagneux le 7 novembre 1813 . Il n’a aucun lien de famille avec Jean-Jacques Rousseau, dont il a été l’ami.

Formation: Après avoir fait ses études à l’Oratoire, il est admis dans la congrégation en 1756. Il est d’abord préfet de chambre au collège de Juilly. Le 4 novembre 1758, il est envoyé par les Oratoriens dans leur maison de Montmorency, où il étudie la philosophie de 1758 à 1760 ; c’est alors qu’il fait la connaissance de Jean-Jacques Rousseau, qui exercera sur lui une profonde influence (G. Py). Il  quitte l’Oratoire de Montmorency le 1er octobre 1760  pour enseigner la logique puis la physique à l’École d’Hydrographie de Nantes. Il passe au service du duc d’Aiguillon, le 2 septembre 1762 et devient précepteur de son fils, le comte d’Agenois (archives de l’Oratoire, exploitées par Gilbert Py) .

Carrière: C’est le duc d’Aiguillon qui le plaça à la tête du Journal de Genève en 1772, c’est-à-dire au moment du coup d’état de Maupeou contre les parlements. Les Mémoires secrets, très hostiles au parlement Maupeou, et au triumvirat d’Aiguillon, Maupeou, Terray, notent l’événement le 4 décembre 1772 : « On connaît actuellement les entrepreneurs utiles du Journal politique commencé au mois d’octobre dernier, sous les auspices du ministre des Affaires étrangères [= le secrétaire d’État d’Aiguillon]. Ce sont les sieurs Dusson [Julien Busson], médecin du duc d’Aiguillon, et Rousseau ex-oratorien, instituteur du comte d’Agenois ; c’est le sieur Marin qui tient la plume moyennant mille écus de pension sur cet objet ». Sa carrière politique commence avec la Révolution. Il rédige le discours préliminaire du Résumé général des cahiers des divers bailliages (1789, 3 vol.) Il devient député suppléant de Paris à la Convention, démissionne au moment de la Terreur, est arrêté en septembre 1793 et libéré à la chute de Robespierre. Son ralliement à Bonaparte lors du 18 brumaire lui permet de faire une rapide carrière sous l’Empire : il entre au Conseil des Anciens, où il est rapporteur des finances, puis au Sénat ; il est nommé comte d’Empire ; il sera commandeur de la Légion d’Honneur (J. Tulard, Dictionnaire Napoléon, Fayard, 1999).

Situation de fortune : D’après les données recueillies par G. Feyel dans l’Annonce et la nouvelle et dans sa communication de 1999 sur le Journal de Genève, J.R. aurait reçu une rente annuelle de 800 £ de la part de Panckoucke à partir de 1776, et une garantie de 5000 £ de la part de Lacombe sur les bénéfices à venir, mais l’échec de Lacombe le laissa avec des dettes, que Panckoucke lui permit en partie de payer. Sa fortune lui vint essentiellement de l’Empire.

Opinions : Gilbert Py a attiré l’attention sur la  forte influence que Rousseau exerça sur lui à Montmorency (Dictionnaire de Jean-Jacques Rousseau, dir. R. Trousson et F.S. Eigeldinger, Champion, 1996, notice « Oratoriens », p. 669-671). J.R. fait part  à son ami de son admiration pour la Nouvelle Héloïse (lettre à J.-J. R. du 18 mars 1761, CC 1372), puis pour Émile (lettre du 8 juillet 1763, CC 2806). Ouvertement acquis à la réforme parlementaire de 1772, il est un ferme défenseur de l’équilibre des pouvoirs. Lors du rétablissement des parlements en 1774, il reste en place à la rédaction du Journal de Genève. On peut admirer la largeur de ses vues sur la politique internationale et sa vaste culture dans les « discours » qui ouvrent l’année dans le Journal de Genève. Durant la Révolution, il défend des positions modérées. J.R. a été l’un des rédacteurs de la Constitution de l’an VIII.

Activités journalistiques: Il a été le rédacteur principal, dès sa fondation en  décembre 1772, du Journal historique et politique dit Journal de Genève. Il a participé de près aux négociations entre Lacombe et Panckoucke en août 1776. Il a défini d’une main ferme la politique extérieure du journal, prenant vigoureusement le parti de l’indépendance américaine. Lors de la grande fusion de juin 1779 entre les journaux de Panckoucke, il doit cependant laisser la place à Dubois-Fontanelle ; le Journal de Genève doit s’effacer devant Journal de Bruxelles.

Bibliographie: Dictionnaire de Jean-Jacques Rousseau, dir. R. Trousson et F.S. Eigeldinger, Champion , 1996, notice « Oratoriens » par Gilbert Py, p. 669-671. – Feyel, Gilles, L’Annonce et la nouvelle : la presse d’information sous l’Ancien Régime, Voltaire Foundation, p. 305. – Id., « Du récit de la Gazette de France à la réflexion du journaliste politique : le Journal historique et politique de Genève dans les années 1770 », dans Gazettes et information politque sous l’Ancien Régime, Publication,s de l’Université de Saint-Étienne, 1999 (Jean SGARD).État-civil: Jean Rousseau est né le 13 mars 1738 à  Witry-lès-Reims (registre paroissial de Witry) , fils de Jacques R.,  procureur fiscal  et lieutenant de justice; il est  mort à Châtillon-sous-Bagneux le 7 novembre 1813 . Il n’a aucun lien de famille avec Jean-Jacques Rousseau, dont il a été l’ami.

 

RENAUDOT

Auteurs

Numéro

677

Prénom

Théophraste

Naissance

1586

Décès

1653

Né à Loudun en 1586, Théophraste Renaudot est issu, par sa mère Cécile Fourneau, d'une famille bourgeoise de la ville, comptant des échevins, des chirurgiens et des apothicaires. Son père, Jean Renaudot, sieur de Saint-Jean, «précepteur de la jeunesse», c'est-à-dire tout à la fois maître d'école et maître de pension, était venu de Luché, un village du Maine, actuel département de la Sarthe (canton du Lude), s'établir dans la petite cité huguenote l'année précédente.

2. Formation

Très tôt orphelin de père et de mère, R. fit ses humanités dans sa cité natale, où il bénéficia de l'enseignement du grand latiniste Daniel Boulanger. A l'âge de seize ans, il vint à Paris où, pendant deux ans au moins, il suivit les cours de chirurgie au collège de Saint-Côme. En 1604 ou en 1605, le voici revenu en province faire des études de médecine dans une petite école, peut-être en Poitou. Etudes couronnées par un bref séjour à la faculté de Montpellier, où en neuf mois - de novembre 1605 à juillet 1606 -, il obtint tous ses grades, y compris le doctorat. En juillet 1606, il n'a pas encore vingt ans et, comme il le dit lui-même, «sachant que l'âge est nécessaire pour autoriser un médecin », il fit un grand périple européen «dedans et dehors le royaume» pour y recueillir ce qu'il trouverait de meilleur en la pratique de la médecine. De ce grand voyage, R. tira certainement des observations et des expériences qui lui furent bien utiles lorsqu'il devint gazetier. Déjà y apparaît le «donneur d'avis», anxieux de se faire une place auprès des puissants du moment, ainsi que le prouve sa supplique au roi Jacques 1er d'Angleterre, alors qu'il séjourne à Londres en avril 1607. N'ayant point réussi à faire valoir cette mystérieuse « affaire, de plus grande importance qu'on ne sçaurait croire avant de l'avoir ouye», il revient s'établir médecin à Loudun au printemps 1608 (voir Jubert, 1986). Jusqu'en 1625, R. va pratiquer son art à Loudun, avec succès, semble-t-il. Fidèle disciple de l'Ecole de Montpellier, il se veut «moderne», préférant l'expérimentation aux idées toutes faites de l'Ecole de Paris qui bornait son univers à la saignée, au clystère et au latin. Ainsi fait-il de fréquentes anatomies, ainsi soigne-t-il avec les plantes et les substances chimiques, notamment l'antimoine. Avide de reconnaissance sociale, il fait beaucoup de bruit autour de lui. En décembre 1619 et en janvier 1620, il profite de la grande assemblée des députés des Eglises réformées de France et souveraineté de Béarn, réunie à Loudun, pour prononcer deux harangues ensuite publiées, consacrées la première aux mérites d'un médicament composé par les médecins de Poitiers - le Polychreston -, la seconde au squelette, avec une leçon anatomique. R. ne se veut pas seulement médecin «éclairé», il se veut aussi humaniste et cultive assidûment l'amitié et la protection du vieux poète Scévole de Sainte-Marthe, ancien Trésorier de France, autrefois maire de Poitiers, alors retiré dans sa patrie loudunoise et devenu l'âme d'un petit cénacle de réflexion littéraire. Lorsque le «grand homme» disparut en 1623, R. eut l'honneur de prononcer l'éloge funèbre devant les officiers du bailliage et les autres notables de la petite cité. Modernité donc du médecin, mais aussi et surtout, volonté d'insertion parmi les notabilités de la province, pour faire carrière bien au-delà.

3. Carrière

R. se fit connaître par son projet sur le «règlement des pauvres», un grand dessein qui avorta, mais qui lui permit de se pousser auprès des puissants de l'époque. Au début du XVIIe siècle, alors que la France, tout juste sortie des malheurs de la guerre civile, reconstruit sa société et son économie, le pouvoir royal et les municipalités des villes doivent affronter le mal endémique de la pauvreté, du vagabondage et de la mendicité. Les «Aumônes générales» qui depuis les années 1530 avaient distribué les secours aux «pauvres assistés» dans les grandes villes, ne peuvent plus faire face devant l'accroissement des besoins. La faillite du système d'assistance et les difficultés de la reconstruction économique poussent les premiers penseurs mercantilistes - par exemple Barthélémy de Laffemas - à militer sans relâche pour la mise au travail de tous les Français, à argumenter sur la valeur morale autant qu'économique du travail, à mener la guerre contre les «oisifs». Dès 1601, Laffemas se prononce explicitement pour l'enfermement des pauvres qui refuseraient de se mettre au travail. Ainsi passait-on tout naturellement de la nécessité du travail à la contrainte, voire à l'enfermement. De nombreux «donneurs d'avis» et autres «économistes» reprirent de telles idées pendant tout ce premier XVIIe siècle. S'il ne fait aucun doute que R. ait lu et relu beaucoup de ces projets et s'en soit manifestement inspiré pour bâtir son propre «règlement des pauvres», il s'en écarta en refusant l'enfermement que les administrations, à Paris, à Rouen, à Lyon, finirent elles-mêmes par préconiser, tant était grand l'échec des «Aumônes générales». 1612, 1617-1618, deux fois de suite, R. essaya de faire valoir ses idées à Paris. Mais sans succès, malgré des décisions favorables du Conseil du roi. Ses protecteurs, grands ou petits, avaient tout juste été capables de le soutenir auprès du Conseil. Pour passer à la phase des réalisations, il fallait des appuis autrement puissants. A qui doit-on le premier essai de 1612 ? Scévole de Sainte-Marthe pourrait avoir été d'un grand secours. Il est très probable aussi que Richelieu a agi. Le projet philanthropique de R. pouvait être, pour le futur cardinal, un moyen parmi d'autres, de ne point se faire oublier du pouvoir. Au printemps 1611, Richelieu avait été introduit auprès de la reine-mère Marie de Médicis par le P. Joseph. Rentré en Poitou pendant l'été suivant, il était revenu à Paris pour le carême 1612 et avait pu alors y nouer d'utiles relations avec le pouvoir. La coïncidence des dates ne paraît pas fortuite. Le 26 juin 1612, R. était lui aussi à Paris, où il présentait son projet à une commission de notables, réunie depuis avril 1610, pour discuter du sort des pauvres. «Messieurs les commissaires establis sur le fait des pauvres» voulurent bien l'écouter, mais ne retinrent pas ses suggestions. Ils ne désiraient s'occuper que du sort des pauvres de Paris et avaient déjà opté pour l'enfermement, alors que R. étendait son «règlement» à tout le royaume. Avec très probablement de bonnes paroles, l'importun «donneur d'avis» fut renvoyé vers le Châtelet de Paris, qui le 28 août approuva ses « inventions et moyens ». Devenu médecin ordinaire du roi, R. parvenait à obtenir le brevet du 14 octobre 1612, qui lui accordait le «privilège exclusivement à tous autres de faire tenir Bureaux et Registres d'adresse de toutes les commoditez réciproques » des sujets du roi en tous les lieux du royaume, et la promesse de lettres patentes. R. avait ainsi préservé l'avenir de son projet contre tout éventuel concurrent, mais l'affaire en était restée là. Le deuxième essai, celui de 1617-1618, n'aurait pu non plus exister sans le patronage de Richelieu. Par la grâce de la reine-mère et de Concini, ce dernier était entré quelques mois au Conseil du roi, pour s'occuper des Affaires étrangères, entre novembre 1616 et avril 1617. R. profita manifestement de ce premier et bien éphémère ministériat de l'évêque de Luçon pour reprendre les démarches avortées de 1612. Après tout un cheminement administratif, l'affaire fut évoquée favorablement le 30 octobre 1617 par la Chambre du commerce, tout juste créée à Paris le 20 novembre 1616. Le 3 février 1618, R. obtenait enfin « la charge de Commissaire général des pauvres de ce royaume». Il recevait aussi le droit de nommer un commis « dont il demeurera seulement responsable civilement » dans chaque bailliage ou sénéchaussée. Ses projets étaient très vastes puisqu'il s'agissait de créer une véritable administration couvrant tout le royaume, alimentée financièrement par les aumônes, le revenu des biens affectés aux pauvres, ainsi que par des prélèvements fiscaux sur les jeux et l'exportation de «matières non manufacturées». Projets si vastes que tout naturellement deux conseillers d'Etat furent commis à en examiner les implications financières, moyen bien commode de les faire disparaître dans les sables, alors que Richelieu n'était plus là pour les appuyer. Au printemps 1624, le cardinal de Richelieu rentre en grâce. En avril, le voici de nouveau au Conseil du roi, dont il devient le chef en août suivant. R. se presse d'en profiter et obtient deux nouveaux arrêts du Conseil les 28 février et 22 mars 1624. Au début de l'année 1625, il vient s'établir à Paris. Mais lorsqu'il faut appliquer le « règlement des pauvres », Richelieu laisse traîner les choses. Comme tous ses maîtres mercantilistes - les Laffemas, les Montchrestien -, R. attend de la Couronne qu'elle veuille bien patronner et diriger toutes initiatives susceptibles de donner prospérité au royaume. Mais ses projets sont très vastes et très complexes de réalisation. Au vrai, Richelieu va très vite les considérer comme une utopie qu'il convient d'oublier. Certes, en 1625, dans son Règlement pour toutes les affaires du royaume, véritable programme de gouvernement, le cardinal avait bien prévu de réformer la « mauvaise administration des hôpitaux», mais il s'était clairement prononcé pour l'enfermement des pauvres et avait laissé aux notables citadins le soin de se concerter avec I'évêque de l'endroit pour trouver les « fons » nécessaires à leur entretien. Propositions bien éloignées de celles de R. Une dernière fois cependant, Richelieu laissa le médecin présenter son projet lors de l'Assemblée des notables réunie entre décembre 1626 et février 1627. La Requeste présentée au Roy et à Nosseigneurs de l'Assemblée convoquée à Paris affirme haut et fort qu'il est du devoir de l'Etat de s'occuper du sort des pauvres. Belle construction bien vite oubliée par Richelieu. Outre les difficultés de financement, elle vidait de leur substance les anciennes Aumônes générales et le Grand Bureau des pauvres de Paris qui ne désiraient pas disparaître, et elle heurtait de front les intérêts des divers corps de métier.

Après avoir perdu toute chance de jamais faire admettre son «règlement des pauvres», R. se replia sur l'établissement des seuls Bureaux d'adresse. Le 31 mars 1628, une déclaration royale les instituait. R. pourrait y « mettre des commis » qui tiendraient « livres et registres dans lesquels il sera permis à un chacun de faire inscrire et enregister, par chapitres distincts et séparez, tout ce dont il pourra donner addresse sur lesdites nécessitez, et semblablement d'y venir apprendre et recevoir lesdites addresses par extraits desdits registres. Sans qu'il soit payé plus de 3 sols pour chacun enregistrement ou extrait desdits registres, et gratuitement pour les pauvres». Il s'agissait toujours de permettre aux pauvres de «rencontrer les addresses de leurs nécessitez», mais il n'était plus question de contraindre qui que ce fût à les utiliser. La grande administration des pauvres aux ressources fiscales variées, se réduisait à de simples Bureaux de placement qui ne pourraient vivre que des bénéfices de leur activité. Cantonné dans cette structure très étroite, R. va en étendre les compétences, soit parce qu'un simple Bureau de placement n'était pas suffisamment rentable, soit parce qu'il se heurte à l'opposition des «recommanderesses», «proxénètes» et autres intermédiaires traditionnels. Encore lui faut-il protéger d'éventuels concurrents ses nouveaux projets. Aussi obtient-il le 8 juin 1629 un privilège de librairie préservant de toute contrefaçon L'Inventaire des Addresses du Bureau de rencontre, un livre où il va pouvoir exposer ses idées. Au début de l'été 1629, les intermédiaires traditionnels tentent sans y parvenir d'empêcher la fondation du Bureau d'adresse. L'affaire remonte jusqu'au Parlement qui déboute le 16 août les opposants et ordonne que R. jouira «du contenu desdits Brevet, Arrests du Conseil, Déclaration et Privilège», «sans qu'aucun autre se puisse immiscer, sinon par son consentement, de faire les impressions et adresses y mentionnées». Le roi tranche enfin l'affaire le 13 février 1630, dans ses «lettres de confirmation du don desdits Bureaux d'addresses», lettres patentes entérinées le 5 mars suivant par le prévôt de Paris et le lieutenant civil. Alors semble-t-il, à la fin de mars ou au début d'avril 1630, R. établit son Bureau d'adresse et publie l'Inventaire des addresses du Bureau de rencontre, où il détaille ses fonctions - voir sur cet Inventaire, D.P.1 457, Feuille du Bureau d'adresse. Bien sûr, le Bureau est d'abord au service des pauvres. Il enregistrera toute idée nouvelle concernant leur soulagement, donnera l'adresse de ceux qu'il faut «ausmoner», des médecins, chirurgiens et apothicaires voulant bien dispenser gratuitement leurs soins, consignera « toutes les expériences qu'on aura et qu'on voudra donner au public des effets admirables des simples et autres remèdes » - voilà les débuts de la publicité pharmaceutique, si riche d'avenir -, recevra les factums «bien circonstanciés» et anonymes pour les «maladies secrettes» et «se chargera de leur faire donner promptement avis et consultation ample». Au-delà du service des pauvres, le Bureau révèle ses compétences universelles, lorsqu'il se tourne vers une clientèle plus aisée (voir D.P. 1 457).

Disposant enfin d'une «institution» reconnue par toutes les autorités de l'Etat et de la ville de Paris, R. va rebondir de cette position de repli pour élargir sans cesse le champ de ses activités. Après avoir trois fois déménagé depuis le début de leur séjour parisien en 1625, R. et sa famille louent le 30 septembre 1628 «deux corps d'hostel», rue Sainte-Croix de la Bretonnerie. Ils s'installent enfin le 11 juillet 1630 dans l'île de la Cité, rue de la Calandre, à l'enseigne du Grand Coq. Situé entre le Marché-Neuf et le Palais, le Bureau d'adresse ne pouvait que profiter de l'intense activité de ce quartier d'affaires où se rencontraient les gens du commerce, les libraires de la Cour du Palais, les très nombreux robins grands et petits. Dès la fin de l'année 1630 ou au début de l'année 1631, R. développe suffisamment son Bureau pour éprouver le besoin d'offrir à sa clientèle marchande des mercuriales et des nouvelles de l'étranger. Voulant publier tout cela sans dépendre des libraires, il demande et obtient du roi le 30 mai 1631, un second privilège de librairie pour «imprimer ou faire imprimer» les «affiches, mémoires, actes et autres choses et matières dont il se donne addresse audit Bureau, comme le prix des Marchandises et les gazettes dont il retire les mémoires des pais estrange[r]s» (voir Feyel, L'Annonce et la nouvelle). Retrouvé sur une pièce imprimée de la Bibliothèque Mazarine, ce privilège fonde la légitimité de la Gazette dont R. publie la première livraison ce même 30 mai 1631, et prouve qu'il distribuait périodiquement alors «le prix des marchandises». Au-delà du marché parisien, ces mercuriales auraient enregistré les prix des grands marchés étrangers, ainsi que le laissent entendre les termes du privilège et les regrets exprimés après leur disparition, lors des « assemblées du commerce» de l'été 1638, réunies au Bureau d'adresse, pendant les «vacations» ou vacances des Conférences : « Mais surtout, en cette occurence est nécessaire la connoissance certaine de la valeur du prix des marchandises dont on veut trafiquer. Ce qui a fait grandement louer les feuilles qui sont autresfois sorties contenans le prix courant des marchandises par chacune semaine, à l'imitation de la ville d'Amsterdam». Lorsque R. fonde la Gazette le 30 mai 1631, il pense d'abord servir le monde marchand, anxieux de connaître les nouvelles de la guerre de Trente Ans, ainsi que le prouvent les termes mêmes du privilège de ce 30 mai. Mais abandonnant très vite cette première utilité marchande, il a dû passer alliance avec le pouvoir monarchique pour installer sa feuille dans la durée, contre les Nouvelles ordinaires de ses concurrents Epstein, Martin et Vendosme (voir D.P.1492, Gazette de France, et 1052, Nouvelles ordinaires). Ouverte le 11 septembre 1631, la querelle avec les imprimeurs et les libraires s'achève en février 1635 sur la victoire complète de R., avec les lettres patentes qui précisent que son privilège s'étend à toutes les formes d'information : « Voulons et nous plaist que ledit Renaudot et ses successeurs et ayans cause, jouissent pleinement, paisiblement, et perpétuellement à l'exclusion de tous autres, du pouvoir, permission et privilège de composer et faire composer, imprimer et faire imprimer en tel lieu, et par telles personnes que bon leur semblera toutes les Gazettes, Relations, et Nouvelles, tant ordinaires qu'extraordinaires, lettres, copies, ou extraicts d'icelles, et autres papiers généralement quelconques contenans le récit des choses passées et avenues, ou qui se passeront tant dedans que dehors le Royaume, prix courant des marchandises, Conférences et autres impressions desdits Bureaux, et généralement toutes les choses mentionnées esdits Arrests. Le tout vendre et faire vendre, exposer et débiter. Avec deffenses à tous imprimeurs, libraires, et autres personnes de quelque condition qu'ils soient de s'immiscer ni entreprendre aucune des choses cy-dessus, sans le pouvoir, consentement et aveu dudit R. ou des siens après luy ; sans que cy-aprés ils puissent estre troublez et privez de tout ou partie des émolumens procedans desdites impressions et choses cy-dessus, par quelque personne ou prétexte que ce soit, sur les peines portées par lesdits Arrests, cy attachez sous le contre-séel de nostre Chancellerie. Nonobstant toutes Déclarations, Ordonnances, Arrests, Règlements, et défenses faites ou à faire pour raison de la papeterie, imprimerie et librairie ; mesmes celle faites à toutes personnes de tenir presses, et imprimerie en leur maison, que ne voulons nuire ne prejudicier directement ou indirectement audit Renaudot et aux siens, et ce tant qu'il nous plaira les Gazettes, Nouvelles et autres impressions avoir lieu en cestuy nostre Royaume et lieux de nostre obéissance.» Désormais libéré des contraintes administratives et corporatives du monde du livre, R. est devenu la voix du pouvoir. La Gazette n'existe que parce que Louis XIII et Richelieu y trouvent leur compte. Elle durera tant qu'il leur «plaira». Ainsi, ces années 1631-1635 furent-elles décisives pour l'avenir de la presse d'information française. A peine de disparaître écrasée par une communauté de libraires supportant mal les empiétements de R., la Gazette dut se mettre sous la protection de la monarchie, qui s'efforçait alors de rassurer et d'amadouer une opinion divisée et hésitante après la «Journée des Dupes» et l'exil de la reine-mère. L'Etat absolutiste en voie de formation, grâce à ses gens - en l'occurence R. -, s'attribue la fonction tribunicienne, sans permettre aux corps intermédiaires de l'exercer. La communauté des imprimeurs et libraires garde certes le privilège reconnu de publier et de vendre des livres. Elle n'a plus celui de diffuser de l'information, quelle qu'en soit la forme, périodique ou occasionnelle. Avec la Gazette, l'information se sépare de la rumeur et du merveilleux pour entrer dans la rationalité.

En novembre 1632, R. sert aussi la raison en instituant à son Bureau d'adresse, les Conférences, assemblées de gens doctes et sages, discutant tous les lundis de grandes questions de morale ou de physique. Espace de tolérance et de liberté, ces assemblées n'accueillirent pas seulement le mathématicien et astrologue Jean-Baptiste Morin, l'un des tenants les plus influents du géocentrisme, mais aussi de grands défenseurs de l'héliocentrisme, l'astronome Ismaël Boulliau et le P. Mersenne, promoteur du «mécanisme», cette science nouvelle, fondée sur les mathématiques et l'expérimentation, refusant de disserter sur la qualité pour calculer la quantité, s'efforçant de réduire l'enchaînement des phénomènes naturels à une mécanique cohérente. Toujours à partir de son Bureau d'adresse, R. va prendre de nouvelles initiatives, fort dangereuses car elles vont soulever contre lui la double et irréductible opposition de la Faculté de médecine et des Six Corps des marchands parisiens. Au printemps 1630, il s'était engagé à ne faire aucun commerce, et avait fait afficher et distribuer cet Advertissement au lecteur : «Le Bureau ne fournira d'aucune autre chose que d'addresses et mémoires pour faire rencontrer à chacun ses nécessitez et commoditez, en leur donnant plus prompte et facile cognoissance des personnes et lieux où ils les trouveront : affin qu'on n'y vienne chercher autre chose, et qu'aucun ne prenne sujet de se plaindre, comme s'il fournissoit et administrait les choses pour l'exercice, manufacture et débit desquelles sont establies les diverses professions, arts et mestiers, dont la société humaine est composée». Malgré de telles assurances, R. va assez rapidement s'évader des «adresses» ou simples indications pour faire un véritable commerce des objets déposés dans son Bureau. Il a bien sûr pour cela de si excellentes raisons qu'il obtient les 27 mars et 1er avril 1637 un Arrêt du Conseil et un Brevet du roi y autorisant les troques ou échanges, de même que les «Ventes à grâce, et pures et simples» (D.P.1 457). Toujours désireux d'aller au bout de ses initiatives, R. fonda en 1638 un laboratoire - les « fourneaux » du Bureau d'adresse - où les remèdes chimiques seraient préparés gratuitement par les apothicaires parisiens qui le désireraient. Pour conforter cette initiative, il obtint du roi les lettres patentes du 2 septembre 1640. Il s'agissait aussi et surtout d'un véritable laboratoire d'essai où étaient testés les nouveaux remèdes. Par delà les intentions philanthropiques bruyamment affichées, le Bureau d'adresse, en bonne «agence publicitaire», était à l'affût de toute nouvelle « invention » pharmaceutique. Disposant de ses « fourneaux », R. entreprit de faire en grand ce qu'il avait discrètement débuté. Entre mai et juillet 1640, il organisa définitivement les «Consultations charitables pour les pauvres malades». Tous les mardis, à «deux après midy», une quinzaine de médecins siégeaient dans la grande salle du Bureau d'adresse, «divisés en plusieurs tables». Chaque consultant recevait à son arrivée un numéro d'ordre, et riche ou pauvre, n'était consulté que lorsque son tour était venu. Les plus riches déposaient leur obole dans une «boëte» placée à cet effet. Naturellement, ils payaient ensuite le chirurgien ou l'apothicaire à qui ils s'adressaient ensuite pour obtenir leur médication. Les plus pauvres étaient examinés gratuitement, puis étaient envoyés chez un apothicaire ou un chirurgien qui avait accepté, par amour des pauvres, de se faire « simplement indamniser de son déboursé», soit que le prix des remèdes ait été donné au pauvre malade en même temps que la prescription, soit qu'il ait été versé directement à l'homme de l'art. Souvent méprisés par les médecins de l'Ecole, les chirurgiens et les apothicaires ne pouvaient qu'applaudir, puisqu'ils étaient ainsi assurés de disposer d'une clientèle solvable, mais bien sûr, ils se devaient de savoir préparer chez eux les médications chimiques expérimentées dans le laboratoire de R. L'habile homme s'était ainsi assuré la publicité et la diffusion de ses innovations pharmaceutiques ! Au cas où certains apothicaires se seraient trouvés incapables de telles préparations, le Bureau d'adresse était tout prêt à les leur apprendre. Frappée de plein fouet par le succès immédiat de ce « dispensaire », en grand péril de voir disparaître et ses étudiants et ses malades, la Faculté ouvrit les hostilités contre R. dès l'automne 1640, autant par intérêt professionnel étroit, que par conviction scolastique : il fallait tuer les «fourneaux», ce laboratoire d'essai et de vérification militant en faveur des remèdes chimiques, ce véritable embryon d'une université parallèle. Le 23 octobre 1640, la Faculté assigna son adversaire devant le Châtelet. Avant même que le prévôt de Paris se fût déclaré favorable à l'Ecole (6 nov. 1640), R. s'était retourné vers le Conseil du roi qui finit par évoquer l'affaire et lui donna gain de cause en interdisant à la Faculté de le gêner dans ses initiatives (14 juin et 9 juil. 1641). Aussitôt le voici poursuivant son avantage et projetant de construire un «Hostel des consultations charitables », le long des remparts, au nord de la porte Saint-Antoine. C'était tout ce que l'Ecole pouvait craindre le plus : fort dangereuse, cette nouvelle institution risquait de l'étouffer par son rayonnement auprès des malades et du corps médical. Au début de 1643, des lettres patentes accordèrent le terrain convoité pour l'érection de l'Hostel, mais la disparition du roi, précédée de celle de Richelieu vint tout remettre en question. Ayant cru tout perdre, la Faculté n'eut de cesse de tout gagner. Malgré les efforts de R., elle obtint du Conseil privé, le 7 août 1643, le renvoi de l'affaire devant ses juges naturels, c'est-à-dire le Châtelet et le Parlement. Le 9 décembre suivant, le prévôt de Paris interdisait à R. et à ses «adhérents et adjoints, soy disants médecins, d'exercer cy après la médecine, ny faire aucunes Conférences, consultations ny assemblée dedans le Bureau d'adresse ou aultres lieux de cette ville et faulxbourgs». Le 1er mars 1644, le Parlement confirmait la sentence du Châtelet, et allait encore plus loin, puisque sous l'influence de l'avocat général Orner Talon, il suspendait les «Ventes à grâce» jusqu'à plus ample examen. Contrairement à ce qui a été souvent un peu rapidement affirmé, l'arrêt du Parlement ne détruisait pas complètement l'œuvre de R. Il lui restait bien sûr la Gazette, mais aussi le Bureau d'adresse qui ne semble pas avoir alors disparu. Il va désormais s'acharner à récupérer les «Ventes à grâce», tout en consolidant et sa feuille et son Bureau. Il ne lui fut pas bien difficile de maintenir la Gazette, parce que dès son arrivée au pouvoir, Mazarin avait bien vu tout l'avantage politique qu'il en pourrait tirer. Au cours du même mois d'août 1643, le Conseil du roi avait su prendre deux décisions fort contrastées : le 7, il avait certes renvoyé R. devant le Châtelet, mais le 18, il prenait bien soin de confirmer le privilège de la Gazette dans toute son étendue contre l'imprimeur Claude Morlot, coupable de contrefaçon. Enfin, le 1er mars 1644, R. put bien perdre son procès devant le Parlement, le 17 du même mois, il obtenait de nouvelles Lettres patentes confirmant les privilèges des seuls Bureaux d'adresse et Gazette. Ces Lettres de confirmation garantissaient l'avenir de l'institution, puisqu'en cas de décès, absence ou empêchement du fondateur, elles ordonnaient que son fils, Théophraste II, sieur de Boissemé, conseiller en la Cour des monnaies, lui serait automatiquement substitué. La suspension des « Ventes à grâce » avait été très durement ressentie. Quelques mois plus tôt, R. avait dû réaffirmer ses droits contre un protégé du duc d'Orléans et du prince de Condé, Balthazar Gerbier. Le 3 septembre 1643, ce dernier avait reçu des Lettres patentes et un Brevet pour l'établissement de monts-de-piété à Paris et dans de nombreuses autres villes de France. A son tour, pour se débarrasser de ce rival inattendu, R. avait dû obtenir le mois suivant (oct. 1643), des Lettres patentes pour conforter le privilège de ses « Ventes à grâce». Pour montrer sa bonne volonté, il se soumit au Parlement et suspendit provisoirement toutes les activités de son Bureau d'adresse, s'efforçant de négocier la réouverture des «Ventes à grâce». Dès 1644, ou peut-être un peu plus tard, il présentait ses Lettres patentes au Parlement. C'est alors qu'il trouva face à lui une nouvelle opposition qui ne désarmera jamais par la suite. Les Six Corps des marchands voyaient dans les «Ventes à grâce» une concurrence commerciale encombrante qu'il convenait de détruire en la taxant d'usure. Aussi s'opposèrent-ils aussitôt à l'entérinement à des Lettres. Le conflit traîna en longueur, parce qu'au tout début, R. n'était plus en mesure de beaucoup peser face à un Parlement heureux de montrer son autorité et point trop pressé d'aboutir. C'est seulement à partir de 1646, année de véritable reconquête, que R. poussa vraiment les feux. En cette année faste, il reçut du pouvoir de nombreux gages de bonne volonté. Le 28 avril, le roi ordonnait l'enregistrement aux requêtes de l'Hôtel des Lettres de confirmation de mars 1644. Le 6 mai, R. était nommé «historiographe du roi» et prêtait serment en cette qualité le 19. Le 31 juillet, il obtenait un arrêt du Conseil contre les nouvellistes à la main qui concurrençaient la Gazette. Enfin, en décembre, le roi ordonnait que les procès que R. et ses enfants avaient « en divers parlements et autres juridictions de ce royaume» seraient évoqués aux requêtes de l'Hôtel qui devraient enregistrer les Lettres patentes, Brevets, arrêts du Conseil obtenus depuis février 1635. Dernière grâce, en mai 1648, R. obtenait la faveur de s'établir dans les galeries du Louvre, «devant la rue Saint-Thomas», où furent installés l'imprimerie de la Gazette et le Bureau d'adresse. Et puis l'affaire s'enlisa de nouveau dans de longues procédures. Depuis 1648, la Fronde donnait bien d'autres soucis au Parlement. En 1650, elle n'était toujours pas réglée au fond. Passée cette année 1650, R. perdait toute chance de la voir aboutir. Depuis l'exil de Mazarin en février 1651, il était tombé en disgrâce, et la Gazette ne recevait plus rien du gouvernement. Mais R. ne perdait pas espoir. Savait-on jamais? Aussi, le 11 octobre 1651, prévoyait-il dans son contrat de mariage avec Louise de Mascon, l'heureuse issue de son procès. S'il ne réussit point à relancer les «Ventes à grâce», R. parvint à réveiller son Bureau d'adresse quelque peu assoupi depuis 1644. Dans sa brochure Le Renouvellement des Bureaux d'Adresse, a ce nouvel an MDCXLVIL - voir D.P.1 457, Feuille du Bureau d'adresse - R. n'indique nulle part qu'il relance un Bureau qui aurait été fermé en mars 1644. Le titre peut prêter à confusion. Mais aucune rupture n'est suggérée. A deux reprises, R. donne à son Bureau toute sa durée : « depuis dix-huit ans que l'ouverture de ces Bureaux a été faite» (p. 4), «l'expérience que la plupart des grandes maisons de cette ville en ont faite depuis dix-huit années, publie assez cette commodité : ayant eu pendant ce temps là, comme j'ai dit, ce grand nombre de personnes placées en divers lieux par l'adresse de ce seul Bureau» (p. 21). Malgré ses difficultés de gestion, le Bureau d'adresse paraît avoir eu beaucoup de succès, s'il faut en croire les chiffres de fréquentation publiés par son fondateur : plus de 80 000 personnes «de plusieurs conditions» auraient été placées entre 1630 et 1646, soit plus ou moins 4700 par an.

4. Situation de fortune

Il est clair que ses nombreuses initiatives ont donné à R. d'importants revenus. Dès ses débuts de médecin à Loudun, il avait déjà accumulé un pécule qui lui permettra plus tard de s'installer sans trop de difficultés financières à Paris. II ne part pas de rien, puisque l'héritage de ses parents et son mariage lui ont permis de s'installer sans peine. En 1641, lors d'une polémique au sujet des «Consultations charitables», il revendique cette première aisance financière : « Ce qui reste de médecins fameux en Poitou dira si j'avais quelque employ, voire si ma réputation était médiocre en cet art. J'ai encore pour témoin tout le Loudunois et la noblesse d'alentour où s'étendait l'exercice de ma charge. J'employai le relâche que me donnaient les malades à de fréquentes anatomies, à la connaissance des simples et à la propagation des remèdes plus curieux, comme le témoignent les livres que j'en donnai alors au public. » L'inventaire dressé le 9 janvier 1643 pour régler la succession de Marthe Dumoustier, vient prouver que les époux Renaudot vivaient alors dans un certain confort, en bons bourgeois (M.C., LVII, 59).

Dès le début de ses activités, R. eut la réputation de tirer de gros revenus de ses spéculations. Le 7 mars 1634, Peiresc se faisant l'écho de son ami I'érudit parisien Jean Bourdelot. estime qu'il tire du Bureau d'adresse 20 000 £ de rente : « Car M. de Bourdelot me parloit de luy comme d'un homme qui en badinant et souffrant les badineries de ceux qu'il est obligé de respecter, tire 20 mille livres de rente de son bureau, ce dict-on, qui est une quinte essence et pierre philosophale d'importance, pour faire négliger toute aultre correspondance que celle qui luy peult servir.» A l'automne de cette même année 1634, les imprimeurs en procès avec R. déclarent que ce dernier gagne sur la Gazette «15 000 livres de rente par an » : « Et encore, Sire, que la Gazette ne soit une occupation pour mériter de grandes recompenses, neantmoins ledit Renaudot ne se contente pas d'y gaigner nettement quinze mille livres de rente par an, mais s'imaginant estre homme nécessaire, et ce grand revenu ne pouvant satisfaire à son ambition, il veut encor ravir aux Supplians toutes les autres impressions». Ce chiffre, assez proche de celui de Bourdelot - 20 000 £ pour le Bureau d'adresse, c'est-à-dire la Gazette, mais aussi les autres spéculations du Bureau - semble comprendre une pension annuelle de 6000 £ alors versée par le pouvoir à son gazetier. En tout cas, les bénéfices sont tels que les imprimeurs sont prêts à reprendre la Gazette après l'éviction de R., tout en offrant de payer 2000 £ l'abbé de Boisrobert, ce censeur que voudra bien leur accorder le roi : «Lesquelles procédures font bien recognoistre l'équité de la plainte des Supplians, ce qui les oblige d'avoir recours à Vostre Majesté, non seulement pour les maintenir en la fonction d'imprimer toutes Relations, Nouvelles et autres escrits, comme ils ont fait cy-devant avec permission : Mais encore pour leur donner la préférence de l'impression de la Gazette, à la charge qu'ils la rendront plus utile et agréable qu'elle n'est à présent à V.M. ny au Public, et que devant qu'ils la mettent en vente, qu'ils seront tenus d'en recevoir la censure et approbation du Sieur de Bois Robert, ou autres qu'il plaira à V.M. de nommer, auquel tous les ans ils offrent de payer la somme de deux mille livres, et de fournir à moindre prix lesdites Gazettes, ce qui feroit qu'un chacun en achepteroit plustost. Et ce faisant, Sire, ledit Renaudot n'ayant point de tiltre valable, V.M. ne luy ostera rien. Et neantmoins par ce moyen conservera un grand Peuple en ses privilèges, et Vostre Majesté et le Public mieux servie, et vostre Espargne déchargée chaque année de six mille livres, qu'il prétend avoir, pensant que V.M. ne découvrira pas que ce ne sont que traductions, et non aucunes intelligences, dont contre la vérité, il se glorifie».

Dans ses premières années, la Gazette semble avoir procuré à R. un revenu annuel de 6000 £, cependant que la monarchie aidait son gazetier d'une pension de 6000 £. Par la suite, le 22 février 1635, le roi réduisit sa participation financière à seulement 800 £ «pour lui donner moyen de supporter la dépense de ses Gazettes et aucunement le récompenser des veilles, peines et travaux qu'il employé pour vacquer à la confection d'icelles». Il s'agissait en effet de couvrir les seuls frais des feuilles distribuées gratuitement à la Cour. R. portait cependant son profit à 10 000 £ par une hausse du tirage parvenu à 1200 exemp. en 1638, et par une multiplication des Extraordinaires. Au cours des années 1640, le gazetier accrut encore ses bénéfices qui auraient alors dépassé 16 000 £ en 1642 et 1645, pour parvenir à 23 000 en 1648. Après ce sommet, les années de la Fronde semble avoir été l'époque du grand recul (9000 à 6200 £). Si l'on tient compte de la pension royale, R. aurait ainsi accumulé en 21 ans de Gazette un capital considérable, environ 261 000 £, soit peut-être 60 000 £ jusqu'en 1636, 75 000 £ entre 1637 et 1643, 86 000 £ de 1644 à 1648, enfin à peine 40 000 £ pendant les années de la Fronde (1649-1652 ; voir Feyel, L'Annonce et la nouvelle). Tout cela sans compter les autres revenus tirés du Bureau d'adresse, qui ne devaient pas être minces ! Le Bureau aidant la Gazette et réciproquement, on comprend que R. n'ait pas eu de difficultés financières à multiplier ses initiatives : les adresses, les Conférences, les «Ventes à grâce», les «fourneaux» du laboratoire de pharmacie, enfin les «Consultations charitables» et le projet de construction de leur hôtel. Il put aussi établir chacun de ses enfants, donnant par exemple 10 000 £ de dot à sa première fille en janvier 1638, et 15 000 £ à la seconde en février 1640. L'arrêt de mars 1644 n'empêcha pas seulement R. de poursuivre son œuvre philanthropique, il lui interdit surtout de poursuivre son ascension financière. Le 7 janvier 1653, R. transigea avec ses enfants au sujet de la succession de son épouse Marthe Dumoustier. Le patrimoine de leur communauté avait été évalué à 50 000 £, pour les seuls biens meubles et immeubles, non compris les privilèges de R. Ce règlement de comptes ne se fit pas sans mal, puisque les trois fils avaient menacé leur père d'un «grand procès». La mauvaise entente familiale était alors manifestement due à l'échec du second mariage du gazetier sa dissolution avait été fort coûteuse ! -, au fait aussi que par le passé, il n'avait pas approuvé tous les mariages de ses fils. Il est également probable que les trois fils désapprouvaient l'entêtement de leur père à vouloir rétablir les «Ventes à grâce», source de gros frais de justice qui venaient réduire d'autant le patrimoine. II est en tout cas évident que la formule lapidaire de Gui Patin, lors de la mort de son ennemi, est fausse. R. n'est pas mort «gueux comme un peintre», même si sa fortune n'était plus alors ce qu'elle avait été : «Le vieux Théophraste Renaudot mourut ici le mois passé, gueux comme un peintre ; c'est son fils, le conseiller des monnoies, qui fait aujourd'hui la Gazette. » (lettre au médecin Belin, de Troyes, 12 nov. 1653, Lettres de Gui Patin, éd. J.H. Réveillé-Parisé, Paris, 1846,1.1).

5. Opinions

«Créature» du cardinal de Richelieu, R. ne parvint à se faire une place à Paris, qu'après l'établissement définitif du pouvoir de son protecteur en 1624. Dès avant 1610, il a pu rencontrer en Loudunois le capucin François Le Clerc Du Tremblay - le P. Joseph - et Richelieu, tout jeune évêque de Luçon. Entre 1606 et 1609, le P. Joseph avait entrepris de réformer les couvents en Anjou, Touraine et Poitou. Sa mission avait fini par l'amener à Lencloître, suffisamment près de Loudun pour qu'il ait pu rencontrer R. Faut-il cependant suivre l'historien Gilles de La Tourette? Est-il bien nécessaire de faire intervenir le père capucin si tôt dans la carrière du médecin loudunois? Depuis décembre 1608, Richelieu résidait dans son diocèse de Luçon. Tout occupé lui aussi de réforme pastorale, il faisait de fréquents séjours en son prieuré de Coussay, non loin de Loudun. Peut-être y fit-il alors appel aux soins médicaux de R. ? C'était l'époque où l'évêque de Luçon, venant tout juste de prêcher le carême 1608 devant la Cour à Saint-Germain l'Auxerrois, espérait bien vite retourner à Paris faire apprécier son zèle et son intelligence. Cet ambitieux, désireux de pénétrer les réseaux de clientèle et d'influence pouvant conduire auprès du pouvoir, constituait alors tout naturellement sa propre clientèle. Bien que protestant, R. sut probablement faire ce qu'il fallait pour être apprécié par un évêque qui avait grand besoin de serviteurs fidèles. D'autres Poitevins peuvent d'ailleurs l'avoir aidé à approcher le roi et le cardinal de Richelieu. Fils d'un mercier de Loudun, Michel Lucas finit par occuper une position d'influence auprès de la régente Marie de Médicis, puis de Louis XIII. Secrétaire de la reine-mère entre 1613 et 1631, Lucas devint secrétaire de la chambre du roi en 1626. Etait-il parvenu à ce poste de confiance grâce à Scévole de Sainte-Marthe ? Etait-ce un des premiers jalons de Richelieu auprès de la reine? Il n'est pas douteux, en tout cas, qu'il dut sa promotion de 1626 au cardinal, alors premier ministre et anxieux d'avoir le même fidèle auprès de la mère et du fils. Lucas a pu aider R. dès 1612. Beaucoup plus tard, et jusqu'à sa mort en 1639, il fut un relais tout à fait essentiel entre le pouvoir et R. devenu gazetier. Lucas imitait très exactement l'écriture de Louis XIII. A ce titre, il mettait au point et recopiait les articles et «mémoires» que le roi et Richelieu faisaient insérer dans la feuille de R. Originaires tous deux du Poitou, le secrétaire du cardinal, Denis Charpentier, et son médecin Citoys, recrutés le premier dès 1608 aux environs de Coussay, le second en 1609à Poitiers, ont très probablement eux aussi favorisé auprès de leur maître les entreprises de R. Autre personnage de réelle importance, Michel Le Masle, prieur des Roches, gérait la fortune de Richelieu. Au début des années 1630, il avait des rapports très confiants avec R. qui était son médecin. Protégé par le roi Louis XIII et le cardinal de Richelieu, agent d'une monarchie s'efforçant d'établir son pouvoir absolu, malgré l'opposition du Parlement et des divers corps de métiers ou communautés, R. accumula contre lui beaucoup de haine parce que ses initiatives dérangèrent beaucoup d'intérêts : les intermédiaires traditionnels, les imprimeurs et libraires, les médecins de Paris. Après la disparition du roi et de son ministre, ces communautés de métier entendirent prendre leur revanche sur l'homme du pouvoir qui s'était efforcé de réduire leurs privilèges.

6. Activités journalistiques

R. a publié deux périodiques, la Gazette, qu'il a rédigée entre le 30 mai 1631 et décembre 1651, et les Conférences du Bureau d'adresse, feuille hebdomadaire parue du 22 août 1633 au 10 juin 1641, probablement rédigée avec l'aide de plusieurs collaborateurs anonymes, dont son fils Eusèbe qui publia en 1655 les Conférences du 24 juin 1641 au 1er septembre 1642 (D.P.1 217). R. publia aussi la Feuille du Bureau d'Adresse, dont on connaît quelques numéros pour 1633 (D.P.1 457), les Cahiers des commoditez présentes du Bureau d'Adresse (1651), ainsi que des mercuriales destinées aux marchands parisiens.

En 1631, la Gazette, composée en caractères Cicéros, était tirée sur un cahier de quatre pages réunissant environ 12 000 signes typographiques. A la fin de cette année-là, R. doubla le volume de sa feuille en lui annexant les Nouvelles ordinaires de ses malheureux concurrents Epstein, Martin et Vendosme. Peut-être parce qu'il était plus rapide et plus commode de faire imprimer d'une part le cahier de la Gazette, de l'autre celui des Nouvelles ordinaires, peut-être aussi parce que des accords avec Jean Epstein l'y contraignaient, peut-être enfin pour garder et « fidéliser » les lecteurs de la gazette rivale, le gazetier publia désormais deux cahiers séparés, la Gazette et les Nouvelles ordinaires, soit 24 000 signes. En janvier 1633, R. réduisit à 19 800 signes le texte de ses gazettes en les faisant composer en caractères Saint-Augustin. Comme les «corantos» hollandais et les autres gazettes étrangères de l'époque, la feuille de R. est un journal de type épistolaire : c'est une suite de nouvelles venues de différentes villes étrangères. Viennent d'abord les dépêches les plus anciennes. Chacune des nouvelles est accompagnée de sa localisation géographique - le nom de la ville-origine -, et de sa date d'envoi. Les deux premières années, ces mentions, composées en italiques, sont situées face à la nouvelle, en marge droite (page impaire) ou gauche (page paire), comme alors dans les livres. A partir de janvier 1633, avec l'emploi des caractères Saint-Augustin, R. allège la composition et la rend plus lisible en individualisant chacune des nouvelles. Devenues de véritables rubriques désormais coiffées de leur titre inséré en italiques sur une ligne et en milieu de page, ces dernières segmentent beaucoup mieux le texte. Par cette meilleure lisibilité, la Gazette n'est déjà plus tout a fait un livre.

Depuis le 4 février 1632, le gazetier distribuait dans les premiers jours de chaque mois un numéro supplémentaire, la Relation des nouvelles du monde receuës tout le mois de..., généralement précédé d'une remarquable préface. R. y exerçait pleinement son métier de journaliste, reprenant les nouvelles les plus importantes du mois écoulé, jugeant des hommes et des événements. Premier essai d'un journalisme de commentaire et de réflexion. Premier effort pour rationaliser l'information. Au-delà de l'émiettement de l'actualité, R. s'efforçait d'avoir une vision historique des événements. Dès la Relation de mars 1632, il définit parfaitement et le journalisme qui vit dans l'éphémère, qui ne doit point mentir, et l'histoire qui dispose d'assez de recul pour rechercher la vérité : « Gueres de gens possible ne remarquent la différence qui est entre l'Histoire et la Gazette. Ce qui m'oblige de vous dire que l'Histoire est le récit des choses advenues ; la Gazette seulement le bruit qui en court. La première est tenue de dire tousjours la vérité. La seconde fait assez si elle empesche de mentir. Et elle ne ment pas, mesme quand elle raporte quelque nouvelle fauce qui luy a esté donnée pour véritable. Il n'y a donc que le seul mensonge qu'elle controuveroit à dessein qui la puisse rendre digne de blasme. » Une telle liberté de jugement ne fut pas du goût de tous les lecteurs de la Gazette. Oserons-nous dire de Richelieu? R. dut déclarer en décembre 1633 : «Ayant reconnu pendant les trois ans qu'il y a que j'ai commancé la publication des Gazettes en France, que quelques-uns trouvoient trop libre la naïfveté des jugements que je croyoie estre obligé de faire dans mes Relations des mois, sous le titre de l'Estat General des Affaires : je me suis résolu de clorre ces Estats par celui de ce mois et de cette année, et vous donner désormais en leur lieu pour servir d'entre mets à nos Gazettes et Nouvelles ordinaires, les seules et simples narrations des choses qui se trouveront le mériter, à mesure qu'elles se présenteront, à la fin des mois, à leur commancement, ou à leur milieu : et pour essayer par là de vous en rendre la lecture plus agréable, tant que derechef je vous trouve las de ce changement. » Interdits de séjour dans la presse d'information - pour longtemps! -, l'analyse et le commentaire furent désormais remplacés par «la seule et simple narration des choses». La monarchie ne désirait pas encourager l'esprit critique d'une opinion naissante. Elle voulait bien distribuer de l'information, mais sous la seule forme qui lui convînt, le récit de célébration. Lecteurs habitués des occasionnels, les abonnés de la Gazette furent tout de suite favorables aux Extraordinaires de R. Il faut dire qu'avec l'assassinat de Wallenstein (24 févr. 1634), l'actualité servait admirablement le gazetier : dans ses premiers Extraordinaires, consacrés à la vie et à la mort «du Walstein» (mars 1634), le sang et le meurtre accompagnent les considérations de haute politique. Cela plut à Peiresc : « J'ay trouvé trez bonne cette relation de la vie du Valstein, et pense que cez estraordinaires seront régulièrement meilleurs que les Gazettes et Nouvelles ordinaires», écrit-il à son ami Jacques Dupuy, le 2 avril 1634. Les élites préféraient encore l'information traditionnelle, ponctuelle, au coup par coup, délivrée par les occasionnels. R. facilita leur passage de cet ancien monde de l'information, vers le nouveau monde de l'actualité périodisée, en annexant ces «bulletins d'information » à la Gazette. En même temps qu'il ordonnait le discours sur l'actualité en le périodisant, il le rationalisait et l'épurait, puisqu'il n'admettait dans la Gazette que les seuls «bulletins d'information», et rejetait les canards, ces occasionnels consacrés aux faits divers et aux «merveilles» de toute nature. Avec la Gazette, les élites apprenaient qu'il existait une information à elles destinée, et qu'il convenait de laisser au peuple les canards, ces récits ponctuels et stéréotypés d'une actualité sublimée par l'imaginaire et le rêve.

En ces temps difficiles de la guerre de Trente Ans, R. vivait les dangers d'une double contrainte : servir la politique de propagande de Louis XIII et de Richelieu, mais aussi satisfaire les exigences d'un lectorat bien spécifique. La noblesse d'épée et la Haute Robe donnaient au roi les officiers qui commandaient en ses armées. Anxieuse du sort d'un père, d'un époux ou d'un fils, cette élite sociale attendait de R. les nouvelles les plus rapides et les plus exactes des derniers combats. Dans ce monde régi par les lois exigeantes de l'honneur, le «paraître» comptait tout autant, voire plus que l'«être». Cette noblesse se complaisait à l'image d'elle-même que lui renvoyait la Gazette, une image toute d'excellence, de courage, d'abnégation. Pour mettre en évidence la fonction de propagande remplie par la Gazette, mais aussi le véritable tempérament de journaliste de R., l'historien a toute latitude de choix à l'intérieur d'un vaste corpus. En 1636, pendant la si difficile « année de Corbie », la Gazette, habituée à claironner le moindre succès des armées du roi, eut bien du mal à avouer les premières défaites. Après quelques moments de flottement, le pouvoir reprit les choses en main : la Gazette organisa tout son discours autour des faits et gestes du roi, et sans oublier de déconsidérer l'ennemi, donna de nombreuses informations sur les événements.

Dans son travail de journaliste, R. puisa ses premiers informateurs auprès du pouvoir, c'est-à-dire Louis XIII, Richelieu et les ministres, mais aussi les généraux commandant les armées royales. Au-delà de ce premier cercle, quelques personnalités au statut ambigu, ambivalent, un pied dans la sphère publique du pouvoir, l'autre dans la sphère privée, par exemple le généalogiste et futur juge d'arme Pierre d'Hozier et le poète Jean Chapelain. Dernier cercle d'informateurs, des Parisiens bien informés tels les frères Dupuy, Jean Epstein ou bien des provinciaux comme Peiresc. Et puis les «agends et correspondances» fournissant les « nouvelles des pays esloignez », l'équivalent de nos modernes «correspondants permanents», mentionnés par l'auteur de la mazarinade Le Commerce des nouvelles restably. Les papiers du cardinal, ceux du roi conservés à la B.N. - f.fr. 3840 et 3843 -, prouvent que Louis XIII et son ministre envoyaient très fréquemment à R. des relations ou des articles plus courts qu'ils prenaient le soin de rédiger eux-mêmes. Il est certain que tous les articles où ils sont mis en scène ont été écrits par eux ou au moins vérifiés et réécrits au besoin. Certains familiers de Richelieu, par exemple Guillaume Bautru ou l'abbé de Boisrobert ont participé à ces travaux. R. avait une telle habitude de cette collaboration qu'il supporta difficilement de ne plus rien recevoir du pouvoir après l'exil de Mazarin en février 1651, alors que le chancelier Séguier prenait ses distances avec la Gazette. Ainsi R. est-il à tout point de vue le fondateur du journalisme en France. Avec lui et après lui, est prise l'habitude d'attendre toute information du pouvoir politique. Avec la Gazette est née la longue tradition du journalisme de communiqué. Dangereux voisinage : R. est un maître dans l'art de la propagande, mais aussi du journalisme.

7. Publications diverses

Outre la Gazette, les Conférences, les brochures et les feuilles du Bureau d'adresse, R. a publié les t. XXII-XXV du Mercure françois dont il avait fait une annexe de la Gazette, années 1637-1638, 1639-1640, 1641-1643, 1643-1644, recueils édités entre 1641, 1646, 1647 et 1648. Il a aussi rédigé de nombreuses autres pièces dont on trouvera une liste dans Cior 17, n° 58790-58818, et dans Solomon, p. 239-250 : ouvrages de médecine, brochures d'histoire, pièces de polémique ou mémoires rédigés lors du procès avec la Faculté de médecine, puis au cours de la longue procédure pour l'entérinement des «Ventes à grâce».

8. Bibliographie

H.P.L.P. ; B.H.C. ; H.G.P. – Gilles de La Tourette G., Théophraste Renaudot, d'après des documents inédits, Paris, 1884. – Dahl F., Petibon F. et Boulet M., Les Débuts de la presse française : nouveaux aperçus, Gôteborg, Paris, 1951. – Grand-Mesnil M.N., Mazarin, la Fronde et la presse, 1647-1649, Paris, 1967. – Solomon H.M., Public welfare, science, and propaganda in seventeenth century France : the innovations of Théophraste Renaudot, Princeton, 1972. – Gutton J.P., La Société et les pauvres : l'exemple de la généralité de Lyon, 1534­1789, Paris, 1971. – Jubert G., «La légende dorée de Théophraste Renaudot», Bulletin de la Société des antiquaires de l'Ouest, 4e série, t. XVI, 2e trimestre 1981, p. 141-162. – ld., «Théophraste Renaudot. inconditionnel obligé du pouvoir», Les Petites Affiches, la Loi, les Annonces de la Seine, « numéro spécial du 3 50e anniversaire de la Gazette de Renaudot-30mai(1631-1981)», 4p. – ld., «ThéophrasteRenaudot, sa famille et sa Gazette», Conférences, bulletin des amis de Théophraste Renaudot, mai 1982, p. 1-4. – ld., «Ambition, talent, et combat au temps de Louis XIII», Les Petites Affiches, la Loi, les Annonces de la Seine, n° 127 spécial, « 1586-1986, notre fondateur, Théophraste Renaudot», 22 oct. 1986, p. 6-25. – Feyel G., La «Gazette» en province à travers ses réimpressions, 1631-1752, Amsterdam, Maarssen, 1982. ld., «Richelieu et la Gazette», dans Richelieu et le monde de l'esprit, Paris, 1985, p. 207-216. – ld., dans «Richelieu et la Gazette : aux origines de la presse de propagande », Richelieu et la culture, Paris, 1987, p. 103-123. – là., L'Annonce et la Nouvelle : la presse d'information et son évolution sous l'Ancien Régime (1630-1788), thèse, U. de Paris IV, 1994 ; Oxford, Voltaire Foundation, 1999. – Vittu J.P., «Les manipulations éditoriales des premières années de la Gazette», dans Les Gazettes européennes de langue française (XVII1-XVIIIe siècles), table ronde internationale, Saint-Etienne, 21-22 mai 1992, Saint-Etienne, 1993, p. 23-29. – Théophraste Renaudot : l'homme, le médecin, le journaliste, 1586-1986, dans Cahiers de l'Institut Français de Presse, n° I, sept. 1987. Colloque tenu le 29 novembre 1986 pour le quatrième centenaire de Renaudot : Jubert G., «L'homme Renaudot», p. 9-28 ; Albert P., «Renaudot et le journalisme», p. 29-48 ; Lebrun F., «Théophraste Renaudot, médecin des pauvres, à travers Les Consultations charitables et La Présence des absens», p. 49-68 ; Feyel G., « Renaudot et sa pratique du journalisme : la Gazette en 1640», p. 69-114.

9. Additif

Carrière : Jubert, Gérard, Père des journalistes et médecin des pauvres. Théophraste Renaudot (1586-1653), Paris, Champion, 2005 : environ 450 documents inédits, pour la plupart tirés des Archives Nationales, relatifs à la carrière de T.R.

Bibliographie : Jubert G., Père des journalistes et médecin des pauvres. Théophraste Renaudot (1586-1653), Paris, Champion, 2005 (J.S.).

RABIOT DE MESLÉ

Auteurs

Numéro

663

Prénom

Denis

Naissance

?

Décès

1761

Issu d'une famille de petite noblesse bourguignonne, Denis Louis de Rabiot, «chevalier», seigneur de Meslé et de Chazeu, était le fils de Jean Baptiste Rabiot. De sa femme Christine Patizet de Morelle, il eut trois enfants : deux filles décédées célibataires et un fils, Victor Pierre François. Il mourut le I e r mai 1761, à Paris, en l'hôtel qu'il louait rue de Charonne, paroisse Sainte-Marguerite. Son fils disparut peu de temps après lui, en 1763, laissant une veuve chargée de trois enfants.

3. Carrière

Mousquetaire de la seconde compagnie de la garde du roi, R. participa aux campagnes de Bohême (1741-1742) sous les ordres du comte de Belle-Isle. Il séjourna ensuite à Francfort (1742-1743). Ce séjour fut-il d'une grande utilité? L'abbé Aunillon en doutait. R. affirma constamment par la suite y avoir dépensé énormément pour représenter dignement le roi. Rentré en France, il se trouva hors d'état de rembourser les emprunts qu'il avait faits pour ce voyage. Lui aussi ancien mousquetaire de la seconde compagnie de la garde du roi, Victor Pierre François servit comme capitaine de dragons dans le régiment de Flandre lors de la guerre de Sept Ans.

4. Situation de fortune

Vivant noblement et sur un grand train, R. mourut complètement ruiné, ne léguant que des dettes à son malheureux fils. Après son voyage de Francfort, R. vécut sans trop compter, accumulant dettes sur dettes pour paraître à Versailles et obtenir du roi un «dédommagement» financier. En 1758, il avouait 260 000 £ de dettes : «J'ai été obligé d'habiter Versailles pendant dix ans, pour solliciter un dédommagement : pendant tout ce temps je n'ai rien retiré de mes terres ; j'ai continué au contraire d'emprunter tous les ans des sommes considérables, et de faire de mauvais marchés pour soutenir ma famille à Paris et pour subsister moi-même à Versailles» (Mémoire). R. hérita également des dettes de son père : celui-ci s'endetta lourdement pour acheter en 1730 la terre de Chazeu. Il dut aussi honorer celles de son oncle, Jean de Rabiot Du Ban, demeurant à Autun. Il héritait ainsi de plus de 100 000 £ de dettes. Ces dettes ne l'empêchèrent pas de vivre confortablement : en 1761, il employait dix domestiques, dont un secrétaire, un maître d'hôtel, un valet de chambre, un cuisinier, des femmes de chambre, un cocher et des laquais. Après sa mort, toutes ses terres bourguignon-nes furent vendues 347 300 £ (les terres de Chazeu, fief de Rabiot ou du Reulet, les domaines de Santenay et des Chaumottes, la maison d'Autun, les domaines de Sampigny-des-Vignes et une maison, les quatre domaines et la maison de Meslé, les trois domaines et la manouvrerie de Runchy et la maison dite du Ban, sise à Autun). Les autres biens de R. furent également vendus. Le règlement de ses créanciers fut si long qu'il n'était pas encore achevé en 1780.

5. Opinions

Selon une note manuscrite découverte par E. Hatin dans un volume des Affiches conservé à la B.N., R. était un «homme d'esprit, parlant bien, noble et généreux dans ses procédés, bon officier» (H.P.L.P., t. IL p. 113). Le chevalier aimait les arts. L'inventaire dressé après son décès mentionne 19 lots de tableaux dont une toile de Tintoret, La Naissance d'Adonis, prisée 500 £, deux petits portraits de femme peints par Boucher, une toile de Jordane estimée 300 £, deux tableaux de Poussin, représentant l'un le Capitule, l'autre le Monte Cavallo, prisés ensemble 300 £, une peinture de Raphaël, Le Mariage de Sainte Catherine, estimée 1200 £, des œuvres des Carrache, etc. Sa bibliothèque était riche de plusieurs centaines de volumes : en tout 120 lots de livres, dont de nombreux volumes d'histoire et de géographie, des ouvrages de médecine, beaucoup de dictionnaires dont l'Encyclopédie, et surtout de nombreux périodiques : la Gazette de France, bien sûr (131 vol., 1631-1760), mais aussi le Mercure françois (33 vol.), le Mercure de France (224 vol., 1720­1760), les Mémoires de Trévoux (74 vol., 1745-1760), la Bibliothèque universelle et «autres journaux».

6. Activités journalistiques

Depuis le 22 février 1745, Antoine Boudet publiait les Affiches de Paris (puis Affiches de Paris, Avis divers). «Le chevalier de Meslé prétendait en avoir conçu le projet, et l'avoir présenté au ministre de Paris, dans les bureaux duquel l'affaire avait langui pendant quelques années» (note ms., H.P.L.P., t. II, p. 113). Les Affiches eurent un tel succès (voir « Aunillon») que R. vit dans leur gestion le moyen de refaire sa fortune. Sans se lasser, il fatigua les différents ministères de ses sollicitations et finit par obtenir le 9 mai 1749 le privilège exclusif «des feuilles périodiques». Propriétaire de la Gazette, le président Aunillon s'avisa que les Affiches dépendaient de son privilège et empêcha l'enregistrement du privilège de R. Après plusieurs tentatives infructueuses, R. parvint à récupérer le privilège de la Gazette. Il s'entendit avec le financier Louis Dominique Le Bas de Courmont (voir ce nom), protégé par la famille de Noailles. Le 22 janvier 1751, les deux hommes formaient pour quatre ans une société pour l'achat et l'exploitation du privilège. Courmont avançait 120 000 £. En contrepartie, il devait recevoir 6000 £ chaque année (5 % d'intérêt), plus un quart des bénéfices escomptés, soit 6000 £. Non sans difficultés, Courmont obtint les désistements d'Aunillon et de Boudet. En avril 1751, des lettres patentes révoquaient le privilège du président Aunillon. Réuni à celui de la Gazette, le privilège des Affiches était concédé à Courmont. Un brevet précisait le 10 avril que le nouveau privilège était en fait la propriété de R. Quel que soit l'avenir du privilège de la Gazette, les lettres patentes leur garantissaient pour 30 ans le droit de publier les Affiches à Paris et dans les autres villes du royaume. Fait nouveau, le roi se réservait la nomination du rédacteur de la Gazette, que Courmont et R. devraient rétribuer 1800£ chaque année. Au début de juin 1751, Rémond de Sainte-Albine reprenait la rédaction de la Gazette qu'il avait abandonnée deux ans plus tôt. Le 21 avril 1751, Courmont traitait avec l'imprimeur Guérin l'impression des Affiches. Le 24 avril, Courmont et R. prenaient possession des bureaux de la Gazette. Le 3 mai suivant, Boudet cessait la publication de ses Affiches. Le 13 mai débutaient les Annonces, Affiches et Avis divers (Petites Affiches de Paris). Le malheureux Boudet fut forcé de restituer à Courmont 3500 £ sur les abonnements qu'il avait perçus dès le début de 1751.

Courmont traita avec la ferme générale des Postes et supprima tous les baux précédemment passés pour la réimpression provinciale de la Gazette. Malgré les protestations des imprimeurs provinciaux, un arrêt du Conseil (28 oct. 1751) approuva cette suppression qui avait pris effet le 1er août précédent et autorisa pour 30 ans l'établissement d'une compagnie chargée de créer dans les villes «des bureaux d'adresse et de rencontre» où l'on pourrait lire la Gazette pour un sou, chargée aussi de distribuer en province l'édition parisienne de la Gazette, franche de port, contre un abonnement annuel de 21 £. Le 19 janvier 1752, Courmont et R. passèrent ensemble une convention qui confirmait les termes de leur traité de janvier 1751. Courmont prêtait à R. 20 000 £ supplémentaires et lui reconnaissait la propriété du privilège de la Gazette et des Affiches. R. lui abandonnait l'administration de toute l'affaire. Courmont, ne parvenant pas à établir les bureaux d'adresse et de rencontre projetés en province, se résolut à proposer aux provinciaux, contre un abonnement de 7 £ 10 s., une nouvelle édition parisienne de la Gazette, composée sur 4 pages et 2 colonnes à l'aide de petits caractères. Il leur proposa également, au même tarif de 7 £ 10 s., une Affiche pour les provinces. Le 29 avril 1752 parut le premier numéro de la nouvelle édition de la Gazette ; le 3 mai suivant était publiée la première livraison des Affiches des Provinces. Le I e r mai 1755, Courmont obtint la moitié des bénéfices que pouvait procurer l'exploitation de la Gazette et des Affiches. En juin 1756, de plus en plus endetté, R. traita de nouveau avec Courmont. Il fut convenu qu'il demanderait un nouveau privilège ; il jouirait entièrerement seul du produit de la Gazette et concéderait pour 40 ans à Courmont l'exploitation des Affiches. Le financier garderait les bénéfices des Affiches et aurait à son nom le brevet de retenue de 97 000 £. Le 17 juillet 1756, Courmont donna à R. 324 000 £ (159 750£ déjà prêtées à R. et 164 250 £ données en espèces ce jour-là) ; il s'engagea en outre à payer pendant 40 ans à R. ou à ses créanciers 4500 £ de rente. Sur le produit des Affiches, Courmont prélèverait, ces 4500 £ déduites, au moins 30 000 £ ; au-delà de cette somme, il reviendrait 10 000 £ à R. ; le reste serait partagé (3/4 pour Courmont, 1/4 pour R.). Les nouvelles lettres patentes de juillet 1756, scellées et enregistrées les 31 août et 2 septembre suivants, confirmèrent cet arrangement.

Par la suite, R. s'efforça d'augmenter les revenus qu'il pouvait tirer de son privilège. Le 3 septembre 1756, il traita avec un groupe de financiers l'établissement de « bureaux de correspondance » chargés de recevoir pour tous les particuliers les sommes, rentes et revenus qui pourraient leur être dus, et de remplir les commissions de toute espèce. La concession fut faite pour 25 ans. Simon Gilly, directeur de la Compagnie des Indes, Pierre François Goossens, négociant, Jean Joseph Tapret, bourgeois de Paris, et R. formèrent une société. Le nouvel établissement fut garanti financièrement par un cautionnement de 500 000 £. R. retirerait le tiers des bénéfices, mais devrait également participer au déficit et aux frais s'il y avait lieu. Enfin, R. disputa à la ferme générale des Postes le droit d'introduire en France les gazettes étrangères (1756-1758). Il fit explicitement mentionner ce privi­lège dans les lettres patentes de juillet 1756. Dès le début de 1756, il s'était efforcé sans succès de faire valoir ses droits. La ferme générale des Postes jouissait de ce privilège depuis plus de 30 ans ; elle le garda.

Après la mort de R., les lettres patentes enregistrées le 29 août 1761 donnèrent au ministère des Affaires étrangères le privilège de la Gazette et des Affiches. Le ministère confirma à Courmont la cession pour 40 ans que R. lui avait faite des Affiches. Il s'engagea à indemniser les héritiers et les créanciers de R. Le 4 décembre suivant, les héritiers de R. reconnurent avoir reçu du ministère 5171JE16S. pour prix de l'imprimerie de la Gazette. Le 29 mai 1762, Gilly, Goossens et le fils de R. se désistèrent de la société des Bureaux de correspondance. Malgré tous leurs efforts, l'affaire n'avait pas produit les bénéfices escomptés. Par la suite, le ministère traita avec d'autres financiers la constitution de Bureaux de correspondance : plusieurs sociétés se succédèrent et le succès fut lent à venir. Le 16 juillet suivant, les héritiers de R. abandonnèrent tout droit sur les bénéfices des Affiches : depuis 1756, ces bénéfices n'avaient jamais dépassé 30 000 £.

R. était décédé si complètement ruiné qu'il devait au jour de sa mort 4900 £ à l'imprimeur de la Gazette. En 1780, Jean Philippe Castellas, directeur et caissier de la Gazette, et Denis Clément Couturier, imprimeur, étaient encore au nombre des créanciers.

8. Bibliographie

8. D.P.2, art. «Aunillon». Il faut y ajouter : A.N., Sous-série V4, enregistrement des lettres patentes, 1504, 13 mai 1751 (f° 54 et 55), lettres de Courmont, 9 janvier 1762 (f° 154­156), lettres donnant au ministère des Affaires étrangères le privilège de la Gazette et des Affiches. – M.C., LXXXIX, 64 (20 mai 1749), traité passé par R. à propos de son privilège des feuilles périodiques, CXV, 591 (21 avril 1751), traité entre Courmont et Guérin, 595 (19 janv. 1752), 695 (19 juin 1756), 696 (17 juil. 1756), 698 (3, 8, 24 sept. 1756), 744 (4 déc. 1761), 747 (29 mai 1762), 748 (16 juil. 1762), divers traités passés par R., Le Bas de Courmont et autres, XXIII, 638 (17 juin 1761), inventaire après décès deR., 661 (3 avril 1764), union de ses créanciers, 663 (juil. 1764 -juil. 1781), cahier de quittances des créanciers, XXVIII, 375 (17 août 1761), traité passé entre l'imprimeur Couturier et les héritiers de R. – A.N., F. 90 20 241, Mémoires de la ferme générale des Postes, réponse au mémoire de Mr de Meslé, 15 févr. 1756, (f° 66-68), second mémoire, 22 janv. 1758 (f° 88-90). – B.N., Imprimés, Fol. Lc2 2bis, Mémoire de R., s.d. (doit être daté de l'extrême début de 1758).

LE BOUCQ

Numéro

474

Prénom

Guy

Naissance

1732

Décès

1799

Issu d'une ancienne famille bourgeoise, Guy Leboucq naquit à Chartres en 1732. Il y mourut le 28 juin 1799.

3. Carrière

«Professeur de rhétorique à Chartres» selon Feller. Professeur de rhétorique au collège Pocquet, L. devint chanoine puis doyen de la Collégiale Saint-André.

4. Situation de fortune

Sur les revenus et la fortune des professeurs de l'ancien collège de Chartres, lire M. Couturier, p. 232-239.

5. Opinions

Selon L. Merlet, L. «jouissait de l'estime universelle pour sa piété et sa vertu».

6. Activités journalistiques

D'après Brissot de Warville, qui fut son élève en classe de rhétorique à Chartres, L. collaborait vers 1770 au Journal d'éducation (1768-1778), et faisait rédiger par ses élèves des articles pour ce périodique (Mémoires, Paris, Picard et fils, 1910-1914, t. I, p. 35-36).

7. Publications diverses

L. acquit une véritable réputation par son talent de rhéteur. De 1767 à 1788, il publia divers exercices et plaidoyers qui eurent un certain retentissement dans les journaux (Année littéraire de 1767, Journal encyclopédique de 1768 et 1775). Selon M. Couturier, la classe de rhétorique de L. fut, ainsi que le prouvent les thèmes de ses exercices, un cours de morale, d'instruction civique, d'économie politique parfois. La plupart des oeuvres de l'abbé furent réunies sous ce titre : Plaidoyers littéraires, panégyriques et oraisons funèbres, Paris, 1788, 2 vol. Liste des oeuvres de L. dans Feller, dans D.L.F. et dans Cio 18, n° 38070-38074.

8. Bibliographie

Feller-Weiss, D.L.F. – Merlet L., Bibliothèque chartraine antérieure au XlXe siècle, Orléans, 1882. – Couturier, Histoire du collège de Chartres, 1535-1794, dans Bulletin de la Société archéologique d'Eure-et-Loir, n° 63 à 65, 1976-1977, p. 151-310.

LE BAS DE COURMONT

Auteurs

Numéro

470

Prénom

Louis

Naissance

?

Décès

1777

Issu d'une famille de financiers protégée par Mazarin puis par Colbert, Louis Dominique Le Bas de Courmont était l'un des sept enfants de Michel François Le Bas du Plessis (1663-1725), conseiller du roi, trésorier général de l'extraordinaire des guerres, et de Charlotte de Serre. Veuf en premières noces de Marie Anne Saget (mariage avait été célébré en 1729), L. épousa, en mars 1740, Louise Elisabeth Le Noir, fille de Séraphin Le Noir, conseiller du roi, trésorier des rentes de l'hôtel de ville et d'Elisabeth Jourdan de La Salle. Comme son père, il eut sept enfants.

3. Carrière

Ecuyer, conseiller du roi, L. fut trésorier payeur des rentes de l'Hôtel de ville. En 1758, il devint fermier général, charge dont il démissionna quelques années avant sa mort en faveur de son fils Louis Marie Le Bas de Courmont. Ce fils devait être guillotiné le 19 floréal de l'an II (8 mai 1794), le même jour que son collègue Lavoisier.

4. Situation de fortune

Lors de son second mariage, C. possédait deux charges de payeur des rentes de l'Hôtel de Ville, une autre charge de contrôleur de ces mêmes rentes, cinq autres charges de contrôleur des bois à bâtir de la ville de Paris, une maison de campagne sise à Clichy, quelques portions de maisons héritées de ses parents, 60 000 £ de meubles (vaisselle d'argent, pierreries, bijoux et équipage). A tout cela s'ajoutaient quelques rentes, ainsi que des billets sur des particuliers (26 5OO £), etc. La nouvelle épouse apportait à son mari une dot de 200 000 £, dont une grande maison sise à Paris, quai Malaquais. A la fin de l'année 1770, les époux Le Bas de Courmont vivaient en leur hôtel parisien, entourés de trois de leurs enfants et de quinze domestiques. En bon père de famille, L. avait déjà établi six de ses enfants. Deux de ses fils avaient hérité de ses charges de finance : Louis Marie était fermier général, Charles Claude payeur des rentes de l'hôtel de ville. Le troisième fils, Louis Dominique, avait été orienté vers la vie militaire : il était capitaine au régiment royal Normandie. Trois de ses filles avaient épousé, l'une Jacques François de Croismare, ancien commandant en chef de la petite écurie du roi, l'autre Gilles François de Maupeou, comte d'Ableige, mestre de camp de cavalerie, sous-lieutenant des gardes du corps du roi, la troisième Jean Marie Quentin, baron de Champlost, premier valet de chambre et gentilhomme ordinaire du roi.

5. Opinions

La bibliothèque de L. était nettement moins fournie que celle de son associé le chevalier de Meslé : seulement 27 lots de livres. Des ouvrages religieux (Bible, Histoire du peuple de Dieu, Histoire de la Bible, Missel de Paris, oeuvres de Bourdaloue, et autres «livres de dévotion»), quelques livres de littérature (Marot, Corneille, Bussy-Rabutin et La Fontaine), des dictionnaires (Trévoux, Moreri), quelques ouvrages de pratique financière (Recueil sur les amortissements et les domaines, Dictionnaire des domaines, Code des tailles, Recueil des arts et métiers), peu de livres d'histoire (Histoire du vicomte de Turenne, Recueil de pièces sur les affaires du temps, Histoire de France, Histoire de Mézeray, Jugement de M. le Cardinal de Mazarin, Histoire des provinces), quelques périodiques (les Petites Affiches de Paris, l'Année littéraire, quelques autres journaux non précisés). Cette bibliothèque reflète donc fort peu l'esprit du Siècle des Lumières. Le ménage Le Bas de Courmont semble être resté très religieux : en témoigne sa bibliothèque, mais aussi la fondation à perpétuité dans la paroisse de Clichy de deux messes basses de Requiem (1772). Cette haute bourgeoisie de finance n'est pas encore complètement assimilée à la noblesse : elle n'en a pas encore totalement adopté le genre de vie ni l'univers moral et intellectuel. En revanche, le second fermier général de la famille, Louis Marie, semble avoir tout à fait adopté les goûts de la haute société : témoin sa splendide collection de tableaux inventoriée le 5 vendémiaire an III (26 septembre 1794).

Si la bibliothèque de L. paraît très éloignée de l'esprit des Lumières, ce personnage de la haute finance n'en croyait pas moins aux vertus de l'instruction. Le 11 novembre 1764, les époux Le Bas de Courmont «ont fondé et érigé à perpétuité audit Clichy une école gratuite pour les enfants de l'un et l'autre sexe de tous les habitants de Clichy».

6. Activités journalistiques

Avec L., le monde de la haute finance et du grand affairisme s'intéressa, peut-être pour la première fois, aux entreprises de presse. Nouveauté lourde de conséquences pour l'avenir. Innovation dont les contemporains les mieux informés eurent parfaitement conscience ; ainsi de Malesherbes : les Petites Affiches étaient une affaire d'argent, on avait voulu «dépouiller les libraires et les gens de lettres pour enrichir des financiers» (Grosclaude, p. 68).

Le 22 janvier 1751, le chevalier de Meslé s'entendait avec L. qui lui apportait ses protections (la famille de Noailles) et surtout ses capitaux (120 000 £) : il s'agissait de racheter au président Aunillon le privilège de la Gazette (97 000 £). Une société était formée entre les deux hommes. Les lettres patentes d'avril 1751 ayant réuni au privilège de la Gazette celui des Affiches, Meslé et L. s'efforcèrent de tirer un profit maximum d'un privilège si chèrement acquis (voir art. « Rabiot de Meslé »). Le 13 mai 1751, débutaient les Annonces, Affiches et Avis divers (Petites Affiches de Paris). Après quelques hésitations, une seconde édition de la Gazette (petits caractères, 2 colonnes sur 4 pages) était envoyée aux provinciaux contre un abonnement de 7 £. 10 s. (29 avril 1752). Pour le même tarif annuel, les Affiches des provinces leur furent proposées le 3 mai suivant.

Le 19 janvier 1752, les deux compères avaient confirmé leurs accords de l'année précédente. Il avait été convenu que leur société durerait 4 ans à partir du 1er mai 1751. L. avait reconnu à Meslé la pleine propriété du privilège et lui avait encore avancé 20 000 £. Le chevalier avait abandonné au financier l'administration de toute l'affaire. Chaque année, L. recevrait 6000 £ (5% d'intérêt), plus un quart des bénéfices escomptés, soit 6000 £. Au bout de ces 4 années, Meslé s'avéra toujours incapable de rembourser les avances de Courmont. Aussi, comme il avait été décidé en janvier 1752, le financier obtint, à dater du 1er mai 1755, la moitié des bénéfices procurés par l'exploitation de la Gazette et des Affiches. En 1756, les deux hommes décidèrent de réviser les termes de leur traité. Ils y avaient chacun intérêt : Meslé, très endetté, avait besoin de nouvelles liquidités financières ; connaissant la difficile situation de son associé, L. désirait très certainement sauver pour son propre compte l'exploitation la plus lucrative de l'affaire, celle des Affiches. De nouvelles lettres patentes furent obtenues du roi (juillet 1756) : Meslé gardait la Gazette, mais laissait les Affiches à L. pendant 40 ans. Le 17 juillet, le financier donna au chevalier 324 000 £ auxquelles s'ajoutèrent 4500 £ de rentes payables pendant ces mêmes 40 années. Ces 4500 £ déduites, L. prélèverait chaque année au moins 30 000 £ sur le produit des Affiches ; au-delà de cette somme, 10 000 £ reviendraient à Meslé ; le reste serait partagé (3/4 pour L., 1/4 pour Meslé). Le brevet de retenue de 97 000 £ (coût originel du privilège) restait au nom du financier. Certes tout cela était fort onéreux pour L. La suite des événements devait cependant montrer que le financier avait agi au mieux de ses intérêts. Après la mort du chevalier de Meslé, les lettres patentes enregistrées en août 1761 donnèrent au ministère des Affaires étrangères le privilège de la Gazette et des Affiches. Le ministre se vit forcé de confirmer à L. la cession des Affiches.

Depuis le début des années 1750, deux Affiches paraissaient à Paris : les Petites Affiches (13 mai 1751) et les Affiches des provinces (3 mai 1752). Les provinciaux se plaignirent très vite de leurs Affiches, peu intéressantes. En mai 1753, L. et Meslé cherchèrent à vendre pour 30 ans l'établissement de Bureaux d'Adresse dans 35 villes du royaume. Chaque Bureau ferait imprimer son Affiche une fois par semaine ; chacun recevrait les Affiches imprimées dans les autres villes. «Par cette circulation d'Affiches, qui se ferait toutes les semaines entre tous les Bureaux d'Adresse et de Rencontre établis dans le royaume, rien de ce qui se passerait d'utile et d'intéressant dans toute son étendue, ne serait ignoré d'une province à l'autre». Ce plan était trop ambitieux ; il ne semble pas avoir recueilli un grand écho ; il était surtout trop dispendieux pour les provinciaux éventuellement intéressés, puisqu'il prévoyait non d'affermer, mais bien de vendre les Bureaux d'Adresse «pour une somme d'argent comptant». En 1750, seule Lyon avait ses Affiches. Après 1756, L. favorisa la création des Affiches en reprenant le vieux système du bail qui avait si bien montré son efficacité lorsque la Gazette était réimprimée en province (1631-1752). Il ne fut plus question d'aliéner les Bureaux d'Adresse. Le droit de publier les Affiches fut affermé aux libraires ou aux journalistes qui en firent la demande. Après Lyon, Nantes (1757), Bordeaux (1758), Toulouse (1759), Rouen (1762) eurent leurs Affiches. Pendant les années 1770, de nombreuses autres villes bénéficièrent elles aussi d'une feuille locale. Le phénomène acheva de se généraliser au cours des années 1780.

Le 19 décembre 1776, L. traita de nouveau avec le ministère des Affaires étrangères. Il s'agissait de lutter contre une nouvelle concurrence, celle du Journal de Paris, premier quotidien français, distribué pour la première fois le 1er janvier 1777. Pour 19 ans et 4 mois, le ministère accorda à L. «le droit et privilège de porter et augmenter jusqu'à concurrence de 16 pages d'impression in-octavo la feuille des Affiches de Paris». Une autre feuille de même format «et de pareille étendue de 16 pages d'impression» était établie sous le titre d'Avis divers ; elle serait distribuée conjointement avec les Affiches ou séparément. Ces deux feuilles paraîtraient deux fois par semaine et leur abonnement annuel serait de deux fois 24 £. En échange de l'élargissement et de la confirmation de son privilège, L. devait payer chaque année au ministère des Affaires étrangères, «à titre de redevance», un seizième des abonnements soit 30 s. pour les Affiches, un quart des abonnements soit 6 £ pour les Avis divers, la somme de 2500 £ (dont 1000 £ pour payer le travail du censeur) et le service de huit exemplaires gratuits. Effectivement, à partir de janvier 1777, chaque livraison des Affiches de Paris fut composée régulièrement de 16 pages ; les Avis divers étaient une feuille littéraire contenant «toute sorte d'avis instructifs concernant l'agriculture, le commerce, les sciences et les arts».

Un peu plus d'un an après la mort de L., le 10 décembre 1778, sa veuve et ses enfants vendirent à un groupe de financiers, dont Pierre Benezech, «le droit et privilège des Annonces, Affiches et Avis divers de Paris et des provinces», le brevet de retenue de 97 000 £ ainsi que «les meubles, effets et ustenciles du Bureau ou se fait actuellement l'exploitation des Petites Affiches». La cession se fit moyennant la somme de 220 000 £ ; les acquéreurs s'engagèrent à continuer de payer 4500 £ de rentes diverses dues aux créanciers du chevalier de Meslé et 1000 £ de rente versées à Meusnier de Querlon «précédemment auteur des Affiches de province», rentes qu'il fallait ajouter aux engagements pris envers le ministère des Affaires étrangères.

Les enfants Le Bas de Courmont revendaient donc 220 000 £ ce que leur père avait acheté 324 000 £. Ces chiffres ne doivent pas laisser penser que l'affaire n'avait pas été bonne pour les Courmont. Entre 1756 et 1762, les bénéfices des Affiches (tous frais déduits, y compris le paiement des rentes) n'avaient certes jamais dépassé 30 000 £ ; mais en 1778, une année d'abonnement et de concession des provinces (fermages des Affiches publiées dans les différentes villes du royaume) était évaluée, très certainement tous frais déduits, à 23 000 £. En 22 ans (1756-1778), la famille Le Bas de Courmont a probablement tiré de son privilège près de 440 000 £. L'affaire n'avait donc pas été si mauvaise!

8. Bibliographie

H.P.L.P., t. II. – Voir les sources et la bibliographie des notices «Aunillon» et «Rabiot de Meslé». – A.N., M.C., XXXV, 793, 19 décembre 1776 : concession de privilège à L. par le ministère des Affaires étrangères ; LVI, 224, 11 décembre 1777 : inventaire après le décès de L. ; 234, 10 décembre 1778, vente du privilège des Annonces, Affiches et Avis divers de Paris et des provinces. – Grosclaude P., Malesherbes, témoin et interprète de son temps, Paris, 1961.- Durand Y., Les Fermiers généraux au XVIIIe siècle, Paris, 1971. – Feyel G., La Gazette à travers ses réimpressions en province, 1631-1752, Amsterdam, 1982.

JOUYNEAU-DESLOGES

Auteurs

Numéro

424

Prénom

René

Naissance

1736

Décès

1816

René Alexis Jouyneau Desloges est né en septembre 1736, à la Chapelle-Saint-Laurent, entre Bressuire et Parthenay (Deux-Sèvres). Il s'est marié très tard, en l'an VI ; il meurt au début de la Restauration, en septembre 1816.

2. Formation

Issu d'une famille ou l'on était notaire de père en fils depuis bien longtemps, J. suit une double tradition familiale - son grand-père maternel, Pierre Gentilz, était professeur en droit de l'université de Poitiers - en entreprenant des études juridiques à Poitiers. Licencié ès lois en 1755, il trouve d'abord un emploi à la direction des domaines de La Rochelle (1756-1760). Fatigué des questions financières, il parvient à se faire nommer secrétaire des commandements du marquis de Narbonne-Pelet, lieutenant général des armées du roi en Aunis, Poitou et Saintonge (1761-1772).

3. Carrière

Pendant ses loisirs, il se lance dans le journalisme en rédigeant gratuitement et pour le plaisir les Affiches de La Rochelle (1769-1772). Son protecteur ayant quitté le service à l'automne de 1772, il décide d'aller créer sa propre Affiche à Poitiers, plaçant son entreprise sous les patronages du comte de Blossac, intendant de Poitou, du nouveau Conseil supérieur siégeant à Poitiers, des lieutenants généraux de police, «des chefs et des membres de tous les tribunaux de la province, et de tous les ordres des citoyens». Il installe le Bureau d'avis à son domicile, canton ou quartier de la Cloche-Perce. Le succès des Affiches du Poitou lui vaudra des honneurs. J. devient en novembre 1776 avocat du duc de Chartres, gouverneur de la province du Poitou, un office qui lui donne une évidente influence : les secours et les grâces de ce prince passent par sa médiation. En février 1781, il est nommé historiographe du comte d'Artois, prince apanagiste du Poitou. Il obtient toutes ces satisfactions d'amour-propre dont sont si friands les gens de lettres à l'époque : l'Académie des belles-lettres de La Rochelle et la Société d'agriculture de cette même ville, l'Académie des Arcades de Rome, l'Académie des antiquités de Hesse-Cassel, etc.

Il obtient surtout des fonctions d'influence. Lors de la création dans le royaume des vingt chambres syndicales de l'imprimerie et de la librairie, par l'arrêt du Conseil d'Etat du 30 août 1777, il est nommé inspecteur de la librairie et gardera ce poste important jusqu'en 1789. Il doit surveiller tout ce qui s'imprime et se vend en fait de librairie sur le territoire dépendant de la chambre syndicale de Poitiers : Poitou, Aunis, Saintonge, Angoumois et Limousin. Ses attributions sont très étendues et doivent être fort occupantes (Ventre, p. 120-137). Il dut séjourner quelque temps à Limoges pour y organiser ses services entre août et octobre 1778.

6. Activités journalistiques

Fondateur, directeur et rédacteur des Affiches du Poitou entre 1773 et 1781 (D.P. 1 55), J. est certainement le plus remarquable des journalistes provinciaux français de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Dès son prospectus, Jouyneau-Desloges nourrit de grandes ambitions. Ses Affiches devront «être regardées comme la Gazette économique, civile et littéraire de la province de Poitou», et pourront «un jour servir de mémoires pour une histoire particulière de cette province». Elles seront donc beaucoup plus qu'un simple recueil d'annonces : «Tout ce qui peut être avantageux ou agréable à ses habitants, tout ce qui peut les éclairer, les servir et les honorer, soit au dedans, soit au dehors, enfin tout ce qui leur est généralement personnel et relatif, dans quelque genre que ce soit, propre à les intéresser avec une sorte de distinction, doit y trouver sa place, en même temps que les objets de moindre importance, auxquels on se fixait autrefois : c'en est le dépôt naturel, immédiat et indispensable» (7 janvier 1773).

En 1781, il brûle ses vaisseaux et annonce sa retraite définitive : «Le désir de nous livrer avec plus d'assiduité à des fonctions importantes qui nous ont été confiées, ne nous permettant plus de nous occuper de la direction et de la rédaction de ces feuilles, nous annonçons qu'à commencer du 1er janvier prochain, nous cesserons d'en exercer le privilège qui nous avait été accordé.» (6 décembre 1781). Cette fois-ci, on le laisse faire. Avide de voir reconnus ses mérites, ce célibataire de 45 ans ne veut plus exercer cette fonction de journaliste quelque peu décriée, au moins dans certains cercles de la société poitevine : «Nous oublierons encore qu'il est quelques lecteurs, en petit nombre à la vérité, dont l'opinion, cherchant à dégrader, s'ils l'avaient pu, ce genre de nos occupations, a osé prétendre que l'état, le titre d'un journaliste, d'un écrivain hebdomadaire, quelques talents, quelques connaissances qu'il pût avoir, quelque honnête que fût son ouvrage et quelques avantages qu'il pût présenter au public, étaient incompatibles avec d'autres états, d'autres titres considérés dans la société [...] Le citoyen que l'on veut avilir injustement, a le droit de rappeler aux principes de la raison et de la vérité, ceux de ses compatriotes qui s'égarent sur son compte ; nous voudrions qu'ils pensassent tous comme ceux d'entr'eux qui sont faits pour leur donner l'exemple. Quand on fait un ouvrage toujours honnête, soit journal ou feuille, rédigé d'une manière à le faire lire avec intérêt [...] je vous le demande, ô mes compatriotes! peut-il être un seul d'entre vous qui se dégrade lui-même au point de penser, de croire, d'oser dire, d'oser écrire, que l'homme de bien qui emploie ainsi son temps, s'est chargé d'une fonction qui l'avilit, qui l'isole au milieu de la société.» (27 décembre 1781).

Que d'amertume, réelle ou feinte! Le journalisme avait permis à J. de se faire connaître. Il devenait urgent de l'abandonner pour réaliser de plus grandes ambitions. En 1783, notre ancien journaliste touche enfin les dividendes de son travail. Le voici devenu chef de bureau à l'intendance du Poitou, un poste important qu'il gardera jusqu'à la Révolution. Il se garde bien, désormais, de collaborer aux Affiches du Poitou ou à une quelconque autre feuille. N'était-ce pas indigne d'un fonctionnaire d'autorité?

Il accueille la Révolution avec beaucoup d'opportunisme, si ce n'est de l'enthousiasme, et rédige seul le cahier de doléances du corps du commerce de Poitiers (avril 1789). Il est élu notable de la ville. Membre de la Société des amis de la Constitution qu'il préside en 1790, il se donne un label de parfait jacobin en publiant dans la Correspondance du département de la Vienne, journal publié à Poitiers au début de 1793, neuf lettres ayant pour but de «dénoncer les abus, les erreurs et les vexations de l'Ancien Régime». Le 8 janvier, il réfléchit sur son ancienne expérience de journaliste : «Vous entrez citoyen, dans une carrière que j'ai parcourue longtemps. Fondateur, et rédacteur pendant neuf ans - de 1773 à 1781, et je n'ai pas écrit un mot depuis -, du journal que vous rétablissez, je serais très aise de concourir à son succès, quoique vous n'ayez pas besoin de secours. Il me serait doux encore de m'occuper de l'instruction et de la prospérité de mes compatriotes, de mes concitoyens. Mais quelle différence entre mon temps et le vôtre! Vous n'aurez pas les entraves qui m'ont contrarié : aussi réussirez-vous mieux que moi. Vous n'aurez pas par exemple, de censeurs, de ces hommes qui défendaient de penser, dès qu'il s'agissait de dénoncer des abus ou des erreurs qui leur étaient utiles. Et moi, j'en avais. Eh! comme la plupart étaient susceptibles, étaient chatouilleux! on n'osait pas toucher le plus faible préjugé, le plus mince privilège, qu'ils jetaient les hauts cris. Il fallait bien se taire, et attendre un temps plus opportun. Cependant, malgré eux, j'ai dit, parfois, quelques bonnes vérités, qu'heureusement ils n'entendaient pas. D'autres les entendaient à demi-mot, et mon but était rempli. Personne n'a désormais le droit de contraindre la pensée, dès qu'elle ne sera ni séditieuse ni injurieuse. Chacun aura celui de bien dire, comme de bien faire. Je vous félicite, citoyen, de ce que vous allez jouir de cette faculté que je tâcherai de partager. Pendant que vous proclamerez, que vous justifierez les avantages du nouveau régime, je dénoncerai, moi, des abus, des erreurs, des vexations de l'ancien, qui ne sont pas connus. Les cendres de quelques morts en seront troublées : qu'importe? Tant pis pour les vivants dont les lecteurs soulèveront le masque que je leur conserverai! Je suis déjà un peu vieux : j'ai été à portée de voir de près la plupart des anciennes administrations. J'ai vu conséquemment beaucoup d'injustices et beaucoup de sottises, et je m'en souviens. Une anecdote est souvent une leçon. Je n'en raconterai que de vraies. Ou je les aurai vues ou entendues, ou je les tiendrai de témoins dignes de foi. Ma conscience vous les garantit. Au surplus je signerai tous les articles que je vous fournirai. Un homme libre doit dire la vérité et se nommer. Anathème à celui qui craint, comme à celui qui ment! ceux-là ne sont pas républicains, ils sont encore esclaves. Voilà, citoyen, la tâche que je m'impose pour contribuer, avec vous et avec vos collaborateurs, au progrès des lumières, au triomphe de la raison, à l'expansion de l'esprit de justice, dans notre commune patrie. Puissions-nous mériter tous et à la fois son estime et sa reconnaissance! alors les témoignages de ces sentiments l'honoreront autant que nous.»

Comme l'homme a changé! En dehors des dernières lignes sur le «progrès des lumières», on ne reconnaît plus le rédacteur des Affiches du Poitou. Quels comptes J. a-t-il à régler avec la censure? Il oublie un peu trop facilement qu'il en devint le représentant le plus officiel, comme inspecteur de la librairie, à partir de 1778. Il participe ensuite aux séances de la Société populaire, et y prononce le 30 nivôse an II (19 janvier 1794) un discours reprenant les mêmes thèmes. Elu juge suppléant près le tribunal de la Vienne le 11 ventôse an IV (1er mars 1796), il devient administrateur de la ville de Poitiers, dont il sera par la suite réélu trois fois conseiller municipal. A partir de 1796, il écrit de nouveau de très nombreux articles dans le Journal du département de la Vienne, le Journal des Deux-Sèvres, les Annonces de la Vendée, la Décade philosophique, le Mercure de France, le Publiciste, les Mémoires de l'Académie celtique. Il participe à la fondation de la Société d'agriculture de Poitiers - il donne quatre articles à son Bulletin de correspondance, an XIII - et à celle du Lycée des sciences et des arts dont il est président en l'an VII, un Lycée devenu l'Athénée de Poitiers. A. Richard a fait le bilan de tout ce qu'a publié Jouyneau Desloges : 368 lettres ou articles, en dehors des Affiches du Poitou, traitant des sujets les plus divers, mais plus particulièrement d'histoire, de biographie et d'économie agricole. Son ambition était de donner «un supplément ou une continuation à la bibliothèque littéraire du Poitou de Dreux-Duradier».

Véritable héraut des Lumières dans sa province, cet intellectuel s'est difficilement inséré dans la société poitevine. Refusant le notariat familial, il a trouvé sa voie assez tard, en 1773 seulement. Son célibat prolongé fut-il un choix? N'était-ce pas plutôt le prix dont il dut payer son manque de conformisme? Dans ces anciennes sociétés provinciales, il apparaît que le journalisme n'était pas un métier, n'accordait pas la respectabilité. Son successeur, Chevrier fut beaucoup plus à l'aise. Il était imprimeur-libraire avant d'être le rédacteur des Affiches. On comprend que J.ait accueilli la Révolution avec une certaine satisfaction.

8. Bibliographie

De Lastic de Saint-Jal, Bibliothèque historique et critique du Poitou par Dreux du Radier, précédée d'une introduction, et continuée jusqu'en 1849, t. III, Supplément à la Bibliothèque, Niort, 1849, p. 646-649 (notice sur J.). – Dugast Matifeux, Le premier journaliste du Poitou : notice sur René-Alexis Jouyneau Desloges, écrite par lui-même, 8 p., extr. de la Revue des provinces de l'Ouest, 3e année, 1855-1856. Autobiographie rédigée par J. en nov. 1814. – Imbert, Bulletins de la Société des antiquaires de l'Ouest, 3e trimestre, 1868, p. 115-117 (résumé d'une communication sur J.). – Richard A., «Notice biographique et bibliographique sur Jouyneau Desloges, premier journaliste du Poitou», ibid., 4e trimestre, 1870, p. 425-442. Cette étude est accompagnée d'une liste de 137 articles de Jouyneau Desloges «relatifs à la province de Poitou ou aux personnages qu'elle a produits». – Perlat R., Le Journalisme poitevin : coup d'oeil historique, Poitiers, 1898. Mentionné ici pour mémoire, ce travail n'est qu'un ouvrage de troisième main où l'auteur plagie à la virgule près sans jamais le citer A. Richard. Il recopie les souvenirs inexacts et malveillants de l'ancien recteur de l'académie de Poitiers, Belin de La Liborlière (Vieux souvenirs du Poitiers d'avant 1789, Poitiers, 1846, p. 158-159), cités en note par Dugast-Matifeux (p. 3). – Ventre M., L'Imprimerie et la Librairie en Languedoc au dernier siècle de l'Ancien Régime, 1700-1789, Paris et La Haye, 1958.

HENNIQUE

Auteurs

Numéro

395

Prénom

Pierre

Naissance

?

Décès

?

3. Carrière

Pierre Hennique, avocat au Parlement, demeurait à Paris, rue Traversière, paroisse Saint-Roch.

6. Activités journalistiques

H. devint l'un des cinq propriétaires du privilège de la Gazette du commerce (voir la notice «Benezech»). L'acte de société (3 avr. 1765) indique qu'il s'est chargé de la rédaction du Gazetin du Comestible : «La Gazette et la feuille des objets concernant la finance et l'agriculture seront composées et redigées par un rédacteur que les associés se réservent de choisir, à l'égard de la feuille du Comestible ledit Sr Hennique s'est chargé de sa rédaction» (article 6).

8. Bibliographie

A.N., M.C., LVIII-416 (1er mars et 3 avril 1765) : achat du privilège de la Gazette du commerce et constitution de la société.

EPSTEIN

Auteurs

Numéro

291

Prénom

Jean

Naissance

?

Décès

?

Jean Epstein, bourgeois de Paris, d'origine allemande et de religion calviniste ; on ignore tout de ses dates de naissance et de décès.

6. Activités journalistiques

E. tenait un véritable bureau de traduction des gazettes étrangères, venues des Pays-Bas et d'Allemagne. Le 9 juillet 1631, il s'associe par acte notarié à l'imprimeur Jean Martin et au libraire Louis Vendosme, pour publier les Nouvelles ordinaires, feuille concurrente de la Gazette de Théophraste Renaudot (acte publié par G. Jubert, p. 161-162) : «Ledict sieur Epestein a promis et promect faire venir et apporter toutes les septmaines d'Allemagne les nouvelles courantes communément appellées Gazettes, les rendre traduictes et translatées en françois en telle sorte qu'elles puissent estre receues et avoir cours - à commencer vendredy unziesme jour des presens moys et an et continuer de la en avant par chacune sepmaine audict jour. Ce qu'il effectuera tous les jeudys avant midy pour estre si faire se peult le mesme jour imprimées et assistera icelluy sieur Epestein à l'impression et correction desdictes nouvelles pour estre lesdictes nouvelles vendues et distribuées le vendredy de bonne heure. Et sera aussy tenu icelluy sieur Epestein supporter la tierce partye de tous les frays et despens qui se feront en ladicte composition, impression, publication et distraction desdictes nouvelles. Par mesme moyen est convenu que lesdicts Martin et Vendosme seront tenuz asseurer et s'obliger comme ilz promectent et s'obligent que lesdictes nouvelles pourront estre exposées en vente sans aulcun péril ni danger. A ces fins poursuivront iceulx Martin et Vendosme - à leurs frays, dilligence et despens - les permissions et licences nécessaires à ladicte exposition, mesmes obtiendront previllege si faire se peult, sinon lesdictes licences et permissions après qu'elles auront esté levées et relevées par personnes ayans à ce pouvoir, à ce que rien ne soit faict contre l'honneur de Dieu et service du roy, bien et repos de son royaume sans offense de qui que ce soit. Et tous lesdicts susnommez comparans promectent de porter chacun d'eulx la troisiesme part de tous frays et despens nécessaires à ladicte fourniture et exposition desdictes nouvelles jusques en cette ville de Paris, le tout modéré en quatre livres pour chacune septmaine. Lesquelles nouvelles seront promptement imprimées et en tel nombre d'exemplaires que lesdictes partyes adviseront sans perdre temps ny occasion de proffiter de la vente desdictes nouvelles. Et seront lesdictes nouvelles baillées par compte à l'une et à l'autre desdictes partyes pour en faire le débit soit en ceste ville de Paris soit hors d'icelle et se tiendront icellesdictes partyes bon et fidel compte l'une d'elles à l'autre de tout ce qu'elles en auront vendu pour estre partager entre elles par tiers esgalement et de bonne foy. »

Au cours de l'été 1631, Renaudot parvient à s'accorder avec E., ce qui explique sa longue querelle avec les libraires Martin et Vendosme qui l'accusaient de leur avoir volé la collaboration de ce personnage : «Il [Renaudot] s'avisa de recercher tellement ledit Epstin, qu'il l'obligea de luy fournir les Mémoires et Traductions qu'il fournissoit ausdits Imprimeurs, suivant le contract qu'il avoit fait avec eux, lesquels au mesme instant mirent en procez ledit Renaudot, et eurent trois Sentences contre luy du Baillif du Palais, soustenans qu'il n'estoit Imprimeur, qu'il ne pouvoit faire leur fonction, et encore moins empescher ledit Epstin de continuer à leur fournir ladite Gazette » (Requête des libraires contre Renaudot, oct. 1634).

En novembre 1631, peut-être parce que ses accords avec E. l'y contraignaient, peut-être aussi pour garder et «fidéliser» leurs lecteurs, Renaudot annexait les Nouvelles ordinaires à la Gazette. Désormais, jusqu'en décembre 1682, Renaudot et ses successeurs publièrent chaque semaine, deux cahiers ordinaires, les Nouvelles ordinaires, consacrées au «Nord» de l'Europe, c'est-à-dire aux pays germaniques, à la Scandinavie, à la Pologne et à la Russie, toutes régions dont E. traduisait les gazettes qu'il recevait à Paris, la Gazette, réservée au «Midi», c'est-à-dire aux nouvelles d'Angleterre, des Provinces-Unies et de Flandre, de France, d'Espagne et d'Italie, d'Orient.

Il est donc certain qu'après l'annexion des Nouvelles ordinaires, E. continua ses traductions dont profitaient Renaudot et quelques autres pourvoyeurs de nouvelles, par exemple l'écrivain Jean Chapelain. Ce dernier dirigeait un véritable bureau de nouvelles multipliant chaque semaine les copies d'une gazette manuscrite envoyée à de grands nobles alors en campagne dans les armées du roi ainsi qu'à quelques amis, tels Balzac et Godeau. E. ne se contentait pas de traduire les nouvelles étrangères, il proposait lui aussi une gazette manuscrite reçue en 1636 par le duc Bernard de Saxe-Weimar (B.N., ms. Baluze 183), en 1639-1640 par le marquis de Montausier. Il n'envoyait pas seulement des nouvelles du «septentrion» ou «de Hollande et d'Allemagne», il donnait aussi des informations sur la guerre franco-espagnole. Au marquis de Montausier, Chapelain écrit le 4 novembre 1639 «Vous trouvères icy encore une fois les nouvelles de tous les endroits où il y a guerre. A l'avenir, je laisseray faire le bon Epestheim pour le septentrion» (Lettres de Jean Chapelain, t. I, p. 521) ; le 9 avril 1640, «Monsieur, je suis bien aise de voir par vos lettres que les miennes vous sont rendues fidellement et que la correspondance du bon Epestein est aussy seure que je vous l'avois asseurée» (p. 602) ; le 21 mai 1640, «Monsieur, par la response que je receus du bon Epestein en luy envoyant nostre dernière despesche pour vous, je reconnus que vous l'aviés embarassé par les nouveaux ordres que vous luy donniés de vous faire tenir vos paquets par Nancy, pour ce qu'il n'y a point de correspondance en cette ville là, et qu'il craint qu'en les envoyant par cette voye, ils ne courussent fortune de se perdre. Si M. de la Perche eust peu demeurer un peu davantage à Paris et conférer de cette afaire avec le bon homme, nous eussions pris nos mesures pour cela et eussions réglé ce nouveau commerce. A faute de cela, nous avons continué comme aupravant par Basle, la voye estant seure, quoy que longue ; s'il revient bientost, nous résoudrons prontement ce qu'il faudra faire et vous en donnerons avis» (p. 628) ; le 15 juin 1640 «Vous recevrés désormais vos lettres par Nancy selon vos ordres, ayant averti M. Epestein de la voye que vous vouliés qu'il tint pour cela» (p. 640) ; le 10 août 1640, «Monsieur, je ne vous diray point le détail de ce qui s'est passé à l'attaque de nos retranchemens d'Arras pour ne pas courir sur le marché du bon Espestein et pour ne remplir pas tout ce papier de nouvelles de guerre» (p. 666).

A Conrart, Chapelain confie le 12 juin 1640 : «Je ne vous mande rien d'Italie, quoyqu'il y ait mille choses dignes d'estre sceues, puisque les gazettes qu'on vous a envoyées vous ont appris tout ce que nous en sçavons, et pour la Hollande et l'Allemagne j'espère vous en escrire demain les nouvelles que le bon Epestein me doit faire voir» (p. 639). A l'abbé Henri Arnauld, alors à Pomponne, il écrit les 26 et 27 octobre 1640 : «Je vous envoyé les nouvelles que M. du Maurier et M. Epestein m'ont communiquées ; vous me les renvoyerés, s'il vous plaist» (p. 711).

E. servait aussi à la nation allemande de l'université d'Orléans les nouvelles d'Allemagne. L'assesseur de l'Université lui écrit d'envoyer des nouvelles chaque semaine, le dimanche, s'il est possible, et de les donner sans parti pris, avec exactitude et brièveté : « estans intéressés par nos biens et parens aux affaires d'Allemagne, nous sommes bien aise de sçavoir les choses comme elles vont» (Mathorez, t. II, p. 25). Pressé par le duc de Saxe-Weimar puis par Chapelain, le chancelier finit par reconnaître les bons services d'E. en lui accordant à la fin de 1639 ou au début de 1640 la nationalité française, ainsi que Chapelain l'apprend à son ami Balzac, le 20 janvier 1640 : «A propos d'homme de lettres, M. Esprit, de chés M. le Chancelier, à ma prière a obtenu de luy des lettres de naturalité pour le Sr Esperstein, Alleman, Calviniste, que le Duc de Weimar luy avoit recommandé pour la mesme chose sans effect» (p. 558-560).

Mais E. donna une telle ampleur à son «industrie» qu'il finit par gêner Renaudot. Le gazetier obtint le 31 juillet 1646 un arrêt du Conseil d'Etat interdisant à E. «et plusieurs autres » de faire « ordinairement des assemblées où ils rapportent comme dans un bureau tout ce qu'ils apprennent» et de composer, écrire à la main ou copier « des nouvelles à leur fantaisie», «desquels écrits ils débitent très grande quantité tant en la ville de Paris qu'ailleurs au préjudice du service deSaMajesté» (A.N., V4 1499, f° 155-160,11epièce enregistrée).

8. Bibliographie

Dahl F., Petibon F. et Boulet M., Les Débuts de la presse française : nouveaux aperçus, Goteborg et Paris, 19 51. – Jubert G., «La légende dorée de Théophraste Renaudot», Bulletin de la Société des antiquaires de l'Ouest, 4e série, t. XVI, 2e trimestre 1981, p. 141-162. – Feyel G., «Richelieu et la Gazette», Richelieu et le monde de l'esprit, catalogue de l'exposition organisée en Sorbonne, Paris, nov. 1985, p. 205-216. –Id, « Richelieu et la Gazette : aux origines de la presse de propagande», Richelieu et la culture, actes du colloque international en Sorbonne, éd. R. Mousnier, Paris, 1987, p. 103-123. Lettres de Jean Chapelain, de l'Académie française, éd. P. Tamizey de Larroque, Paris, 1880-1883, t. I. – Mathorez J., «Les Allemands, les Hollandais, les Scandinaves», Les Etrangers en France sous l'Ancien Régime, Paris, 1921, t. II, p. 25.

BERNOU

Auteurs

Numéro

065

Prénom

Claude

Naissance

1638?

Décès

1716

Né vers 1638 à Saint-Etienne ou dans les environs, l'abbé Claude Bernou mourut à Paris le 29 juillet 1716, en son domicile de la place du Palais-Royal. Son frère, lui aussi prénommé Claude, était marchand à Saint-Etienne : en mai 1678, grâce à l'abbé, il participait à la formation d'une compagnie chargée de livrer au port de Paimboeuf des mats tirés des bois du Forez. De sa femme Gasparde Pourrat, ce frère eut une fille, Catherine Bernou, veuve de Jean Chenu, bourgeois de Lyon. Une autre nièce de l'abbé Bernou, Madeleine Thomas, épousa François Joly, lui aussi bourgeois de Lyon.

2. Formation

B. était diacre du diocèse de Lyon. «Monté» à Paris, il y avait fait ses études de théologie, n'omettant jamais de préciser par la suite qu'il était «bachelier en théologie de la faculté de Paris». Il connaissait parfaitement la langue portugaise.

3. Carrière

Protégé par Hugues de Lionne, secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères (1661-1671), ainsi que par Colbert, B. parvint à se faire une situation dans les bureaux du secrétariat d'Etat à la marine. En 1674, il résidait à Paris, rue Saint-Honoré, place du Palais-Royal. Ses fonctions au département de la marine le conduisirent à s'intéresser vivement aux expéditions françaises au Canada et ailleurs dans le monde. Entre 1677 et 1683, il rédigea de nombreux mémoires pour appuyer les entreprises de Cavelier de La Salle et de ses amis, découvreurs de la Louisiane (Margry). En mars 1683, il obtint de l'envoyé du roi de Portugal en France la mission de défendre à Rome les droits de cette Couronne sur la colonie du Saint-Sacrement contre les menées espagnoles. Vivant dans la familiarité du cardinal d'Estrées, il resta trois ans dans la Ville éternelle. Las de ce séjour, il rentra à Paris ou il parvint, grâce à ses protections, à retrouver son ancienne influence dans les bureaux de Colbert de Seignelay, secrétaire d'Etat à la marine. Jusqu'à la fin du XVIIe siècle, il fit figure de spécialiste des questions portugaises et espagnoles. Le 5 juin 1694, l'abbé Eusèbe Renaudot, à qui l'on avait envoyé une caisse de lettres et de papiers espagnols dont beaucoup concernaient les colonies espagnoles, écrivait à Pontchartrain, successeur de Seignelay, de bien vouloir confier les traductions à faire de l'espagnol à l'abbé Bernou «à qui on en avait déjà envoyé, et qui était plus capable que lui» (Margry). B. fut même prié de donner son avis à propos des Guyanes et de l'Amazonie (1688 et 1697-99).

4. Situation de fortune

La fortune de B. était des plus modestes. A sa mort, il ne possédait que quelques rentes sur l'hôtel de ville de Paris et sur les aides et gabelles. Au total, et tous frais déduits, il ne légua à ses deux nièces que 10 610 £ 6 d.

5. Opinions

Peu fortuné, B. était assez peu soucieux de parvenir ou maladroit à se pousser. Désirant quitter Rome, il confiait à son ami Renaudot (1er janvier 1686) : «Aussi considerant serieusement que j'ay été toute ma vie malheureux, que je suis peu propre a m'intriguer et a solliciter des graces, que j'auray bientost 48 ans complet et que je pourrois courir risque d'etre a charge a mes amis j'ay resolu de retourner a Paris, de voir si par le credit de Mr le cardinal [d'Estrées], de mon ancien patron et de mes amis je pourroy obtenir quelque chose. J'employeray a cela environ 18 mois et si dans ce temps je ne puis rien faire je suis determiné a aller manger des patates dans mon diocese». Dans l'ombre, B. se contenta toute sa vie de jouer les confidents et les rôles de second plan. Cela ne l'empêcha pas d'avoir ses entrées dans les cercles et dans les «sociétés» érudites de Paris. Ses papiers montrent une intense curiosité scientifique. Préparant un ouvrage sur les mouvements de la mer, les courants, le flux et le reflux, il accumula un grand nombre de notes, n'hésitant pas à demander des précisions complémentaires aux voyageurs et aux missionnaires qui allaient sur le terrain. Sa bibliothèque comptait 900 volumes. Malheureusement, l'inventaire en fut fait par paquets, trop rapidement, et fort peu de titres sont mentionnés. Bernou possédait de nombreux ouvrages de géographie (descriptions, voyages), d'histoire, des dictionnaires (dont celui de Richelet), quelques ouvrages jansénistes (dont le catéchisme de Montpellier), des périodiques (le Journal des Savants et 35 volumes de la Gazette). Son exécuteur testamentaire, Pierre Clairambault, généalogiste des ordres du roi, vendit la bibliothèque 500 £ ainsi que l'avait ordonné Bernou ; 250 £ furent données aux «pauvres malades et honteux» de la paroisse Saint-Germain l'Auxerrois. Clairambault garda pour lui-même 4 tableaux que possédait Bernou (portraits du roi Louis XIV, du ministre de Lionne et de deux cardinaux) ainsi que ses papiers, conservés à la B.N.

6. Activités journalistiques

A la fin des années 1670, la Gazette était rédigée par une poignée d'amis : le plus ancien des rédacteurs, Robinet de Saint-Jean, l'abbé Bernou, enfin l'abbé Renaudot qui y faisait ses premières armes de journaliste. L'abbé Bernou semble avoir également collaboré au Mercure galant. Il quitta la Gazette en mars 1683 pour aller à Rome. Renaudot lui avait promis qu'il la retrouverait à son retour (lettre de Bernou, 18 décembre 1685). La correspondance des deux amis montre que Renaudot, resté seul avec Robinet, était anxieux de connaître les observations que pouvait faire Bernou sur le contenu de la Gazette. Par la suite, en 1684, Renaudot se passa si bien des avis de son ami que Bernou se plaignit de ne plus en recevoir de lettres aussi souvent. Rentré en France (juin 1686), Bernou ne collabore-t-il pas de nouveau à la Gazette et au Mercure galant? Fort occupé par ses divers travaux d'érudition et par les contacts diplomatiques qu'il avait été chargé d'entretenir avec la Cour de l'ancien roi Jacques II d'Angleterre (1692-1697), l'abbé Renaudot dirigeait cependant de fort près la rédaction de la Gazette. Mais la rédigeait-il vraiment lui-même? B.ne fut-il pas chargé de ce soin? Lorsque Renaudot fit lui aussi le voyage romain (1700-1701), il demanda à ses amis Claude B. et Nicolas Thoynard de diriger la rédaction de la Gazette.

7. Publications diverses

B. publia en 1688 une traduction française de la Nouvelle Relation de la Chine du père jésuite portugais Magalhaens (in-4°, VI-386 p.).

8. Bibliographie

A.N., Affaires coloniales, C.14.64. – M.C., LXXXIII-278 (22 juil. 1716) testament de Claude Bernou ; 279 (5 sept., 12 et 26 oct., 2, 23 et 31 déc. 1716), inventaire et règlement de la succession ; 280 (9 et 20 janv. 1717) partage de la succession. – B.N., n.a.fr., vol. 7497, lettres de Claude Bernou à Eusèbe Renaudot, 1683-1686 ; Mélanges Clairambault 847, 848, 1016 et 1017, papiers de Claude Bernou. – Margry P., Mémoires et documents pour servir à l'histoire des origines françaises des pays d'outre-mer, Paris, 1879-1888, 6 vol.– «Lettre adressée de Dunkerque par Mr de Château-Guillaume commissaire de la marine, à l'abbe Bernou, rédacteur de la Gazette à Paris, le 20 août 1680», dans l'Union Faulconnier, t. X, 1907, p. 159-182. – Villien A., L'abbé Eusèbe Renaudot, essai sur sa vie et sur son oeuvre liturgique, Paris, 1904. – Feyel G., La Gazette à travers ses réimpressions en province, 1631-1752, Amsterdam, 1982.

BENEZECH

Auteurs

Numéro

057

Prénom

Pierre

Naissance

1749

Décès

1802

Issu d'une famille originaire de Montpeyroux, au diocèse de Lodève, B. naquit à Montpellier en 1749 de Joseph François Benezech et de Catherine Quatrefages. Son père, écuyer, était secrétaire du roi près la Chambre des comptes, aides et finances de Montpellier. Le 6 janvier 1782, il épousa à Paris Thérèse Charlotte Saget, fille d'un conseiller au Parlement de Paris, veuve en premières noces du baron Claude Théophile de Boëil, colonel du régiment de Languedoc, décédé le 1er octobre 1776. De ce mariage naquirent deux filles. Sous le Consulat, B.

2. Formation

Après de solides études achevées à l'université de Montpellier, B. entra au cabinet de l'avocat montpelliérain Jean Albisson qui l'initia aux affaires de contentieux et à la jurisprudence.

3. Carrière

Nommé agent général des Etats de Languedoc, B. vint s'établir à Paris, en l'hôtel de la baronne de Boëil, rue Saint-Dominique. Procureur fondé des Etats auprès du gouvernement, supervisant leur correspondance, recueillant leurs actes, B. bénéficiait de grands loisirs qu'il occupa en se lançant dans les affaires. Au moment de la Révolution, il adhéra prudemment au nouvel ordre des choses qui achevait de ruiner ses affaires. Commandant de la garde nationale et juge de paix de Sucy-en-Brie. administrateur du département de Seine-et-Oise (1791), il présida à Paris la onzième commission de l'armement (1794). Ministre de l'Intérieur lors du Directoire (3 nov. 1795-31 juil. 1797), il devint sous le Consulat conseiller d'Etat (23 déc. 1799), préfet du palais (1801), enfin préfet colonial de Saint-Domingue (nov. 1801).

5. Opinions

Selon Challan (1802), B. s'efforça d'améliorer la terre du Petit-Val, située près de Sucy-en-Brie, propriété de sa femme. Il la fit assécher, étudia la nature de ses sols, les rendit cultivables. «Il publia des expériences sur la préparation des semences, le chaulage des grains ; et contribua à diminuer les effets de la carie dans l'étendue de ses terres». Il améliora également son troupeau de moutons. «Enfin, comme particulier, il fit tout ce qui était en son pouvoir pour propager les lumières, et sacrifia une partie des bénéfices de la feuille du Journal général de France, dont il était propriétaire» à un supplément sur l'agriculture et l'économie rurale, destiné aux habitants des campagnes. L'on y lut, avec intérêt, quelques articles de lui, sous le nom de «Le Pauvre, cultivateur à Sucy». Pendant la Révolution, B. montra sa sympathie pour les royalistes. Son salon en accueillait sous la Terreur ; ce salon recevait également les hommes du jour ainsi que le jeune Bonaparte.

6. Activités journalistiques

Aidé de la fortune de la baronne de Boëil, sa future femme, B. se lança dans les grandes affaires financières à la fin des années 1770. Jouissant de la faveur du ministère des Affaires étrangères, il prit rapidement le contrôle d'une partie des dépendances du privilège de la Gazette de France, les Annonces, Affiches et Avis divers de Paris et des provinces, le Bureau de la Correspondance générale, le Journal et Gazette d'Agriculture, du Commerce et des Finances et son annexe la Feuille du Marchand.

Le 10 décembre 1778, B., Antoine Joseph Boussaroque de La Font, conseiller du roi, maison et couronne de France, et Bon-Gilbert Perrot de Chezelles, premier commis du Bureau des pays d'Etat du Département des finances, s'unirent pour acheter 220 000 £ le privilège des Affiches à la veuve et aux enfants de Louis Dominique Le Bas de Courmont (voir ce nom). Le 19 décembre suivant, les trois hommes traitèrent avec le ministère des Affaires étrangères. Un nouveau privilège leur était concédé pour la durée de 40 ans. Les Affiches de Paris seraient désormais distribuées tous les jours (une feuille de 8 p., in-8°) sous le titre Annonces, Affiches et Avis divers ou Journal général de France. Créée le 1er janvier 1777, la feuille annexe des Avis divers disparaissait. Pour la remplacer, un supplément pourrait être publié si nécessaire ; il serait chaque semaine de 8 pages, ou bien chaque jour ce serait un feuillet «ou lardon» de 2 p.. B. et ses associés s'engageaient à payer chaque année au ministère une redevance de 6000 £, à quoi s'ajoutaient 1500 £ de redevance particulière, un huitième des abonnements de la nouvelle feuille d'Annonces –l'abonnement annuel était de 30 £– lorsque leur nombre dépasserait le total de 3000, enfin un autre huitième assis sur le produit des «concessions particulières dépendantes du privilège faites et à faire dans les villes des provinces du royaume, mais seulement lorsque le produit annuel de ces concessions réunies excèdera la somme de 5000 £ à laquelle il se monte quant a présent». Pour éteindre le brevet de retenue de 97 000 £, les nouveaux associés obtenaient de retenir sur la redevance de 6000 £ : 3000 £ chaque année pendant 10 ans (30 000 £), puis 4500 £ les 14 années suivantes, enfin 4000 £ la dernière année (67 000 £). B. et ses associés devaient en outre fournir «gratis» au ministère «seize exemplaires de la feuille d'Annonces, Affiches et Avis divers ou Journal général de France, et quatre exemplaires de chacune des feuilles particulières qui sont ou seront établies dans les provinces». En janvier-février 1779, B. participa à la fondation de la société qui reçut en concession le privilège des carrosses de place de Paris. Demeura-t-il longtemps dans cette compagnie?

Après l'échec des premiers Bureaux de correspondance (1756-1762) fondés par le chevalier de Meslé (voir art. « Rabiot-Meslé »), le ministère des Affaires étrangères avait concédé pour 30 ans à Jacques Sébastien de Prépaud, ministre du prince de Spire à la Cour de France, et à son fils Joseph Jacques de Prépaud de Grimat, banquier à Paris, le privilège de la Gazette du Commerce (lettres patentes d'août 1762), ainsi que le droit d'établir des «Bureaux de correspondance général d'adresse et de rencontre, de toutes les commodités réciproques des sujets de Sa Majesté et des Etrangers» (lettres d'octobre 1762). Les Prépaud s'étaient rapidement dessaisis de l'exploitation directe de ces privilèges qui dépendaient de la Gazette de France. Ils avaient affermé les Bureaux de correspondance. Charles Julien Brindeau, Sieur des Roches et Pierre Louis Destouches avaient reçu le droit d'établir des Bureaux publics d'indication où serait tenu «un répertoire général circonstancié et permanent des choses qui ne sont annoncées par les placards et autres affiches ou avis publics que d'une manière successive et momentanée» (20 octobre 1763). Jean Gabriel Thierry avait été chargé d'établir des Bureaux de correspondance générale pour les commissions en affaires de litige (22 fév. 1764). Les Prépaud avaient en outre vendu le privilège de la Gazette du Commerce à Pierre Hennique, avocat à Paris, et François Daufernet, écuyer, seigneur de Bures et Guibert, demeurant à Tinchebray en Basse Normandie (1er mars 1765) ; la cession s'était faite au prix de 36 000 £. Une société formée le 3 avril 1765 avait réuni autour d'Hennique et de Daufernet, Jules David Cromot, premier commis des finances, François Mesnard de Couichard, aussi premier commis des finances, Claude Lambinet de la Saudray, avocat à Paris. Il avait été convenu «qu'indépendamment de la Gazette du Commerce à laquelle l'exercice dudit privilège a été borné jusqu'à présent, il serait fait une feuille périodique pour les objets concernant la finance et l'agriculture ensemble ou séparément s'il y avait lieu et une autre pour les parties du comestible».

La seconde expérience des Bureaux de correspondance générale s'étant achevée sur une déconfiture financière, Michel Jouve, avocat, et Jean Pierre Charpentier, bourgeois de Paris, avaient formé une nouvelle société (3 déc. 1766) pour établir à Paris un «Bureau de correspondance générale, d'adresse et de rencontre, de commission, de recette des rentes et de toutes les commodités réciproques», garanti par le versement d'un cautionnement de 500 000 £. La société avait été constituée de 30 sols d'intérêt : leurs propriétaires devaient faire les avances financières nécessaires à la bonne marche de l'affaire ; ils se partageraient les bénéfices au prorata de leur participation. Cette société avait vécu 13 années (1766-1779) ; certains «intéressés» l'avaient quittée, d'autres les avaient remplacés. Le 22 juillet 1768, Jouve s'était retiré, mais l'affaire avait continué sous le nom de François Borel, bourgeois de Paris. Le 23 décembre 1769, un nouveau cautionnement avait été constitué. En 1776, Jean Pierre Nicolas Comynet, avocat, l'un des «intéressés» et directeur général du Bureau royal de correspondance générale, rue des deux Portes Saint-Sauveur, déclarait au ministère des Affaires étrangères que la société avait essuyé une perte très considérable et proposait au ministre de réduire la redevance à 1200 £ par an. Aussi, le 8 septembre 1779, Comynet, Nicolas Yves Julien Marchand, avocat, Pierre Henri Péan de Saint-Gilles, négociant, Prosper Boullanger, ancien contrôleur général de l'extraordinaire des guerres, Nicolas Louis François de Saint-Quentin, écuyer, François Jacques de Chastenet, marquis de Puységur, lieutenant général des armées, demeurant tous à Paris, et Jean François Allard, maire,lieutenant général de police et grand-voyer de la ville d'Angers, vendirent-ils le Bureau de correspondance. La cession se fit moyennant la somme de 200 000 £. Les acquéreurs, François de Sales Benoist, écuyer, Jean Baptiste Tropez Martin, bourgeois de Paris, Louis Cliquot, conseiller de l'Electeur de Trèves, demeurant a Paris, Bon-Gilbert Perrot de Chezelles et B., constituèrent une autre société garantie par un nouveau cautionnement de 500 000 £ versé par Bénigne Poret, vicomte de Blosseville, ancien procureur général en la Cour des comptes, aydes et finances de Normandie, secrétaire des commandements du comte d'Artois. Les cinq acquéreurs, le vicomte de Blosseville et le ministère des Affaires étrangeres répartirent entre eux les 12 s. d'intérêt de la société et nommèrent B. directeur général, lui donnant toute procuration pour agir en leur nom. Le 16 avril 1780, un arrêt du Conseil confirma l'établissement du Bureau royal de correspondance nationale et étrangère. Il restait à acquérir le privilège de la Gazette d'Agriculture. Après la cession que leur en avaient faite les Prépaud, les nouveaux propriétaires de la Gazette du Commerce avaient ajouté à son titre : de l'Agriculture et des Finances (1er mai 1765). A côté de cette gazette avaient été créées plusieurs autres feuilles, dépendant toutes de ce même privilège : le Journal d'Agriculture, du Commerce et des Finances (juil. 1765), la Feuille du Marchand et le Gazetin du Comestible. En septembre 1767, un nouveau privilège avait été accordé pour 30 ans par le ministère des Affaires étrangères. Un autre privilège pour l'établissement d'une Gazette des Arts et Métiers avait été obtenu le 27 octobre 1774. Toutes ces feuilles n'avaient pas produit de gros bénéfices ; pendant dix ans (1767-1777), le ministère des Affaires étrangères n'avait pas reçu la redevance (un douzième du bénéfice net) qui lui était due. Le Journal d'agriculture avait été interrompu en décembre 1774. En octobre 1777, le ministère décida que son douzième de redevance serait calculé sur le prix de chaque abonnement. Le Journal de l'Agriculture, du Commerce, des Arts et des Finances redébutait en janvier 1778. Selon les fonctionnaires du Ministère, le nombre des abonnements suffisait à peine aux frais de régie de ces feuilles. En 1779, les deux privilèges –le Journal et Gazette d'Agriculture, du Commerce et des Finances et leurs annexes, la Gazette des Arts et des Métiers– appartenaient pour un tiers aux propriétaires de 1765 (Cromot, Lambinet de La Saudray et Mesnard), pour un autre tiers à Edme David Leseurre, ancien contrôleur général du marc d'or des ordres du Roi, et pour le dernier tiers aux anciens «intéressés» du Bureau royal de correspondance, représentés par Comynet qui assurait la régie des feuilles. Le 2 décembre 1779, au nom de ses associés pour les Affiches, B. acheta, moyennant le prix de 38 000 £, les deux privilèges à l'exception du Gazetin du comestible. Le 5 juin suivant, les associés se réunissaient. L'achat des Affiches leur avait coûté 245 000 £, car il avait fallu éteindre une rente viagère en payant 25 000 £. Sur cette somme, la baronne de Boëil avait versé 194 000 £, B. 26 000 £, Perrot de Chezelles 20 000 £ ; 5000 £ avaient été prises sur les premiers résultats de l'entreprise. Ce 5 juin, les associés décidaient de former entre eux une société ; chacun d'eux y aurait une portion égale d'intérêt, y compris Boussaroque de La Font qui n'avait pourtant versé aucun fond. Le premier janvier précédent, la régie et l'exploitation des privilèges du Journal et Gazette d'Agriculture avaient été transportées au Bureau des affiches de Paris, rue des Bourdonnois. Ce même 5 juin, les associés arrêtèrent que la régie des Affiches serait installée à l'Hôtel de Croissy, rue Neuve-Saint-Augustin où elle rejoindrait le Bureau royal de correspondance nationale et étrangère. La réunion de ces fonds permettrait «une économie dans les frais [...] au moyen du secours que ledit Benezech pourra faire donner au Bureau des Affiches par les employés du Bureau royal de correspondance». Arnaud de Fontenay, nouveau directeur des Affiches, recevrait 1000 £ par an et son premier commis, le Sr Desplan, 600 £ (leurs prédécesseurs avaient joui de 2000 £ et 1200 £).

Les Affiches demeurèrent très probablement une bonne affaire pendant toutes les années 1780. Il ne paraît pas en avoir été de même pour les autres feuilles. En décembre 1783 la Gazette du Commerce, de l'Agriculture et des Finances et le Journal de l'Agriculture, du Commerce, des Arts et des Finances cessèrent de paraître et furent absorbés par les Affiches des provinces. En janvier 1784, ces Affiches paraissaient sous le nouveau titre : «Annonces, Affiches et Avis divers ou Journal général de France». Sous le titre plus court de «Journal genéral de France» (1785-1792), les Affiches des provinces parurent jusqu'à la Révolution,d'abord trois fois par semaine, puis tous les jours. A partir de janvier 1787, B. leur ajouta tous les quinze jours un Supplément au Journal général de France entièrement consacré à l'agriculture. Devenue hebdomadaire, cette feuille parut jusqu'en 1798 sous les titres successifs : la Feuille d'Agriculture et d'économie rurale (12 mai-29 septembre 1790), puis la Feuille du cultivateur (6 oct. 1790).

Sous les directions successives de B. (1779-1782, 1786-1798) et de Perrot de Chezelles (1782-1786), le Bureau de correspondance ne se contenta pas des simples opérations de commission qui étaient sa vocation propre ; il se lança dans de véritables opérations de banque. Des fonds considérables furent avancés aux propriétaires coloniaux de Saint-Domingue et de la Martinique. Ces avances étaient remboursées grâce à la vente des denrées coloniales débarquées en France. A Nantes, ce commerce était assuré par la maison Tessier ; un navire, le Benezech. assurait le transport des marchandises entre les Antilles et la métropole. Pour se procurer de telles avances, le Bureau de correspondance emprunta des sommes très importantes entre 1786 et 1788. La Révolution et ses désordres monétaires, la guerre maritime franco-anglaise, les troubles socio-politiques survenus dans les Antilles, tout cela empêcha l'acheminement des denrées coloniales. Pour rembourser leurs premiers emprunts, B. et ses associés durent emprunter de nouveau. Pendant quelque temps, ses fonctions politiques protégèrent B. de la poursuite de ses créanciers. Les premières actions en justice furent intentées en 1798. B. et Poret de Blosseville cherchèrent d'abord à s'en protéger : en mai et août, le Bureau de correspondance et les Affiches furent vendus a un homme de paille, Thomas Pascal Carel, l'un des rédacteurs des Affiches, moyennant seulement 20 000 £ et 4800 £ ; en septembre, les meilleures créances étaient sauvées par un remboursement fictif à Antoine Urbain Delpech, ancien directeur du Bureau. Les créanciers menaçant de saisie les biens des deux associés, il leur fallut s'incliner. Le 9 février 1799, ils réunissaient leurs créanciers et avouaient un actif de 2 287 849 £ 7 d. et un passif de 1 197 542 £ 4 s., auquel il fallait ajouter 52 726 £ 5 s. 9 d. d'intérêts échus, mais pas encore payés. Des concordats successifs étaient traités, Poret de Blosseville faisant des difficultés jusqu'en mai 1800. Le 27 juin 1799, la première vente du Bureau de correspondance et des Affiches était résiliée ; le même jour, une seconde vente était traitée avec Antoine Joseph Claude Lebel et Guillaume Claude Arbinet,homme de loi, moyennant 100 000 £ ; mais selon les créanciers, les acquéreurs avaient dû verser secrètement 33 000 £ de pot de vin, rembourser 48 000 £ de dettes et s'engager à payer 12 100 £ de rentes viagères. En juin et juillet 1800, B., Poret de Blosseville et leurs créanciers s'entendirent définitivement. Fermés quelque temps, les bureaux des Affiches et ceux du Bureau de correspondance furent rouverts : d'autres Bureaux, de nouvelles Petites Affiches de Paris (fondées en janvier 1800) les concurrençaient dangereusement. Nommé préfet colonial à Saint-Domingue, B. était autorisé par ses créanciers, le 8 novembre 1801, à «poursuivre au nom des intéressés au Bureau de correspondance le recouvrement des créances américaines à eux dues». Après la mort de B., ses dettes n'étaient toujours pas remboursées. Le 15 janvier 1803, ses créanciers, réunis au Bureau de correspondance, rue Neuve-Saint-Augustin s'efforçaient encore de rentrer dans leurs fonds.

8. Bibliographie

Voir D.B.F. et les sources et la bibliographie des notices « Aunillon », « Meslé » et « Le Bas de Courmont ». Il faut y ajouter : A.N., sous-série V4 1504, f° 166, enregistrement des lettres patentes du 11 janvier 1763, Gazette du Commerce.– M.C., il y existe de très nombreux actes parmi lesquels il faut retenir : Bureau de Correspondance, Prépaud, LVIII-406 (13 août 1762) soumission, 407 (18 oct. 1762) déclaration, 408 (19 mars 1763) traité avec le ministère des Affaires étrangères, 411 (20 oct. 1763) Bureau des indications, 412 (22 fév. 1764) Correspondance des affaires et litiges.– Bureau de correspondance, Jouve puis Borel : LXVI-554 (3 déc. 1766) société ; autres actes : LXVI-558 (13 oct., 20 nov., 23, 28 et 31 déc. 1767), 560 (11 mars et 11 avril 1768), 561 (6 mai 1768), 562 (22 juillet, 1er et 3 sept. 1768), 563 (25 oct. 1768), XXXIII-575 (23 déc. 1769), C-823 (8 sept. 1779) vente du Bureau.– Bureau de correspondance, Benezech : XLIX-844 (6 et 15 oct. 1779) société et convention entre anciens et nouveaux intéressés du Bureau, XXXIII-652 (2 août 1780) cautionnement, 697 (14 mars 1786) retrait de Perrot de Chezelles.– Gazette du Commerce : LVIII-416 (1er mars et 3 av. 1765) vente par les Prépaud et constitution de société, XLIII-497 (2 déc. 1779) vente à B..– Affiches : LVI-234 (10 déc. 1778) vente à B. et associés, XXXV-840 (19 déc. 1778) traité avec le ministère des Affaires étrangères, XLIII-500 (5 juin 1780) société Affiches et Gazette du Commerce.– Délibérations et concordats entre B., Poret de Blosseville et leurs créanciers : LXVII-865 (pluviôse an VII, janv.–fév. 1799), 867 (9 messidor an VII, 27 juin 1799) vente du Bureau de correspondance et des Affiches, 868 (26 brumaire an VIII, 17 nov. 1799).

Sur B. : Cadet de Vaux, Notice biographique sur Benezech, an X (1802). – Challan, Eloge historique de P. Benezech, 1803. – Sommervogel, Un ministre de l'Intérieur sous le Directoire, Paris, 1868. – Aimé-Azam D., «Le ministère des Affaires étrangères et la presse à la fin de l'Ancien Régime», Cahiers de la Presse, juil.-sept. 1938, p. 428-438. – Bouchary J., Les Manieurs d'argent à Paris à la fin du XVllIe siecle, Paris, 1940-1943.