DUCHEMIN-DESPALETZ

Auteurs

Numéro

255

Prénom

Henri

Naissance

?

Décès

1771

Né près d'Agen, Henri Jean Baptiste Joseph Duchemin-Despaletz (aussi orthographié Duchemin des Paletz ou des Palais) est mort au Port-au-Prince, île de Saint-Domingue, le 9 janvier 1771 (Description, p. 494, 1479).

3. Carrière

Lieutenant au régiment de Quercy, D. décide de rester à Saint-Domingue et obtient en 1766 le privilège des Affiches américaines (ibid.).

6. Activités journalistiques

Rédacteur des Affiches américaines de 1766 jusqu'à sa mort en 1771 (D.P.1 18), D. est également le fondateur et l'éditeur du Journal de Saint-Domingue (D.P.1 686), mensuel publié au Cap à partir de novembre 1765, et qui a continué à paraître au moins jusqu'en janvier 1767 (A.A., 1765, p. 339 ; 1766, p. 358, 374- 447 ; 1767. p. 8, 143).

8. Bibliographie

(A.A.) Affiches américaines. – Moreau de Saint-Méry, Description [...] de la partie française de L’lsle de Saint-Domingue, Philadelphie, 1797, Paris, 1984.

DUCHEMIN DE L'ETANG

Auteurs

Numéro

254

Prénom

Julien

Naissance

?

Décès

1792?

Julien François Duchemin de l'Etang (écrit aussi parfois de Létang ou Delétang) était marié et avait une fille. Il est probablement mort à Saint-Domingue en décembre 1792 (A.N., Col. E 144, f° 129-130).

2. Formation

Docteur en médecine de l'Université de Montpellier. Médecin du roi aux Cayes Saint-Louis, île de Saint-Domingue (ibid., f° 3). Membre, en 1790, de l'Assemblée provinciale du sud de l'île (Moreau, p. 1479).

3. Carrière

Après avoir étudié la médecine à Montpellier, D. semble avoir exercé un temps à Paris (Col. E 144, f° 21). Il se fait connaître en 1768 par un Mémoire sur la cause des noyés écrit à l'occasion de « l'affaire Catherine Lerouge », cette jeune fille de Lyon retrouvée noyée et dont on accusait une voisine, Mme Pera, de l'assassinat. Voltaire, pressentant l'erreur judiciaire, prend un « vif intérêt » à cette affaire, et il se sert du livre de D. pour essayer de rétablir les faits et de montrer comment les défaillances de la justice et les mécanismes de la rumeur, de la colère et de la haine, ont transformé ce qui était probablement un accident, en une «abominable affaire», Mme Pera étant accusée sans preuves, sinon «les étonnantes dépositions» de son fils, âgé de cinq ans et demi, interrogé de façon à le faire «toujours dire oui à toutes les questions qu'[on] lui [posait]» (D16152, 17100, 17516). Ruiné à la suite de spéculations malheureuses, D. part s'établir en 1775 à Saint-Domingue - il avait obtenu, le 20 février de cette année-là, un brevet de médecin du roi aux Cayes (Col. E 144, f° 3). A la fin de 1779, il obtient un congé et revient en France pour régler certaines affaires personnelles et pour essayer d'obtenir «la survivance [de la charge] de premier médecin du roi au Cap», le titulaire, Baradat, songeant alors à se retirer. La charge lui est promise, et il est nommé en attendant «médecin en second» au Cap, où il exerce pendant la durée de la guerre d'Amérique (ibid., f° 21, 31, 34, 45). Au début de 1784 cependant, malgré les assurances données, la recommandation de Pierre Poissonnier, « inspecteur et directeur général de la médecine et des hôpitaux de la marine et des colonies», et les protestations du Corps des médecins et chirurgiens du Cap. le nouveau ministre de la Marine, le comte de La Luzerne, accorde la place de médecin du roi au Cap à Jean Charles Arthaud. D. aurait été victime de «l'intrigue et de la haine», Baradat et Arthaud, qui se haïssaient l'un l'autre, mais qui haïssaient encore plus D., ayant mis de côté leurs dissensions, pour s'entendre et «surprendre la religion» des administrateurs de Saint-Domingue et du ministre (ibid., f° 39, 42, 49, 89, 113). Arthaud, que D. considérait comme son «ennemi juré», avait déjà été à l'origine, à la fin de 1778, d'une véritable campagne de presse qui avait joué un rôle déterminant dans l'échec de la Gazette de médecine pour les colonies, que D. avait entrepris de publier au Cap en novembre de cette année-là (D.P.1 543). D. demande, au printemps 1784, un nouveau congé pour se rendre en France plaider sa cause auprès du ministre (A.A., 31 mars 1784). Il ne réussit cependant ni à faire annuler la décision ni à obtenir une nomination à un poste plus important que celui des Cayes. D. est encore en France au début de 1789, trouvant prétextes après prétextes pour ne pas retourner à Saint-Domingue. Le ministre de la Marine se verra même obligé de lui ordonner, sous menace de destitution, de rejoindre son poste au plus vite, ce qu'il fait finalement le 27 juin, s'embarquant ce jour-là au Havre sur La Mère de famille à destination de Saint-Domingue (Col. E 144, f° 62, 98-99, 104-106). Revenu dans l'île, D. manifeste son «attachement à la révolution» qui commence, ce qui lui vaudra d'être suspendu de ses fonctions de médecin du roi par le Conseil supérieur de Port-au-Prince, sous prétexte que son «titre était suranné» et n'avait pas été proprement enregistré dans la colonie. Le brevet sera confirmé par le ministre de la Marine en mai 1791 (ibid., f° 123, 126-127 ; Almanach de Saint-Domingue, p. 132). D. est probablement mort à Saint-Domingue, victime des luttes révolutionnaires auxquelles il semble avoir pris une part active. Sa femme, réfugiée à Toulouse, écrit au ministre de la Marine le 2 juin 1793, pour lui demander des nouvelles de son mari dont une lettre reçue deux mois plus tôt annonçait la mort, à Saint-Domingue, au mois de décembre de l'année précédente. Le ministre fait répondre le 12, qu'il n'a pu encore trouver de confirmation officielle de ce décès (Col. E 144, f° 129, 130). D. était encore aux Cayes à la fin du mois d'août 1792. Il écrit alors à la Gazette des Cayes pour souligner que, s'il est actuellement en congé de son poste de médecin du roi, il continue à avoir une «pratique [privée]». Dans la même livraison de ce journal, une lettre de la municipalité de la ville, souligne le «patriotisme» de D., et les «principes d'humanité qui [le] caractérisent» (30 août 1792, p. 282).

4. Situation de fortune

En 1775, à la suite des «réductions des rentes sur l'hôtel de ville où il avait placé toute sa fortune», D. est non seulement ruiné, mais sous menace d'arrestation, poursuivi pour dettes par ses créanciers et ceux d'un ami qu'il avait «cautionn[é]». Il est d'ailleurs possible que ses «mauvaises affaires» l'ait «fait mettre [un temps] en prison» (Col. E 144, f° 92). Quand, en 1780, il revient en France, il devra en tout cas demander au ministre un «sauf-conduit», qui lui sera accordé, pour pouvoir séjourner dans la métropole (ibid., f° 23, 28). Selon D., qui multiplie requêtes après requêtes pour être muté à une place plus lucrative ou obtenir des « compensations » et « suppléments de gratification », médecin du roi aux Cayes était « une place d'un trop modique revenu pour fournir à sa subsistance et à celle de sa famille» (ibid., f° 21, 25, 27, 51, 62, 74). Ses appointements ne sont que de 1200 £ annuelles, mais à cela s'ajoutent des exemptions et privilèges, et la perception de plusieurs droits, notamment pour les visites de négriers, les rédactions de procès-verbaux ou les réceptions des chirurgiens et apothicaires. La pratique privée était aussi une autre source importante de revenus (ibid., f° 51 ; Pluchon, p. 95). En 1779, quand il retourne pour la première fois en France, quatre ans seulement après s'être installé à Saint-Domingue, D. emporte avec lui « 30 000 livres » économisées « pour satisfaire ses créanciers » et ramener sa famille dans la colonie. Au cours de ce voyage, cependant, il aurait perdu sa malle qui contenait, outre son argent, «tous ses titres, papiers et autres effets précieux», le navire sur lequel il s'était embarqué, le Comte d'Artois, ayant été pris dans un ouragan au large des Bermudes (Col. E 144, f° 23-25). La situation financière de D. sera par la suite souvent précaire. Au point que c'est sa femme qui, voyant qu'il ne se résout toujours pas à retourner à Saint-Domingue, écrit au ministre, au début de 1789, pour lui demander d'ordonner à son mari de rejoindre son poste, la famille se trouvant alors «dans la plus grande misère [...], [et] n'existant] que de charités» (ibid., f° 92). En 1791, son mari venant d'être suspendu de ses fonctions, elle intervient de nouveau, cette fois-ci auprès de Jean Baptiste Gérard, député de la colonie à la Constituante, qui certifie de «la situation malheureuse» et de «l'état de détresse» de la famille, et obtient du ministre que D. soit reconfirmé dans son poste de médecin du roi aux Cayes (ibid., f° 108, 111, 122-123).

5. Opinions

Admirateur de Montesquieu, du «sublime Voltaire», du «fameux Rousseau», disciple de Boerhaave, D. s'est voulu un homme de progrès, résolu à «penser autrement», et a mené le combat de «la raison» contre les «absurdités dangereuses» et les «préjugés meurtriers» nés de «l'ignorance». D. a partagé les curiosités et les intérêts de son siècle (l'inoculation ; les propriétés de «l'air fixe» ; les influences déterminantes de «l'air» et des «exhalaisons»), et a pressenti l'importance de l'hérédité, ces «causes prédisposantes qui ne se trouvent point chez les autres» et qui font naître ou se développer certaines maladies (ibid., p. 24). Convaincu aussi du rôle essentiel joué par «l'esprit» dans la naissance et l'évolution des maladies, il s'est soucié d'imposer l'idée d'une médecine qui prévient, qui se préoccupe aussi bien de «la conservation de la santé» que de son «rétablissement». Pour D., le médecin doit tout autant travailler à changer les mentalités et les habitudes, qu'à guérir les corps. Il doit aussi, rejetant dogmatismes et a priori, pratiquer le «doute méthodique de Descartes », recueillir les données de l'observation et de l'expérience, s'y soumettre, et ne raisonner qu'à partir d'elles : le médecin «ramasse [les faits] [...] pour les comparer ensemble et en tirer ensuite des conséquences à la lumière de la raison», tout en se gardant de «décider [hâtivement], [car] la nature a de furieux écarts et nous ne la connaissons encore que très imparfaitement» (Gazette de médecine pour les colonies, p. 1-4, 10, 12, 15, 20, 22, et passim).

6. Activités journalistiques

D. est le fondateur et le rédacteur de la Gazette de médecine pour les colonies, bimensuel publié au Cap à partir du 1er novembre 1778, et qui n'aura que huit numéros (D.P.1 543). Cet «établissement fort utile à la colonie et aux progrès de l'art en général», selon Pierre Poissonnier, qui en avait encouragé la publication (Col. E 144, f° 9, 10), se donnait pour but de faire progresser la connaissance et la pratique médicale dans l'île et d'aider au développement d'une véritable «médecine coloniale», adaptée aux conditions particulières, aux ressources et aux besoins des colonies. L'échec de ce journal s'explique non pas tant par la résistance aux « idées nouvelles » qu'il véhicule, que par des rivalités personnelles et professionnelles, et cette méfiance vis-à-vis de toute innovation, de toute initiative qui, en changeant l'état de fait, remet en question les habitudes, les traditions et les hiérarchies en place.

7. Publications diverses

7. Mémoire sur la cause de la mort des noyés pour servir de réponse à MM. Faissole et Champeau, chirurgiens à Lyon, et à M. L..., chirurgien à Paris, s.l.n.d. [1768]. D. est également l'auteur de plusieurs mémoires manuscrits sur des sujets de médecine et d'histoire naturelle, notamment un Mémoire sur les garnisons et sur les maladies de Saint-Domingue, et un Mémoire sur un nouveau fourrage originaire d'Afrique et tiré de la Nouvelle-Angleterre et des isles de l'Amérique, présenté à la séance du 30 novembre 1786 de la Société royale d'agriculture de Paris (Col. E 144, f° 58, 132-136, 137-146).

8. Bibliographie

A.N., Col. E 144, dossier Duchemin de l'Etang. – Almanach de Saint-Domingue, Port-au-Prince, 1791. – (A.A.) Affiches américaines. – Gazette des Cayes. – Voltaire, Correspondence, éd. Besterman. – Moreau de Saint-Méry, Description [...] de la partie française de L’lsle Saint-Domingue, Philadelphie, 1797, Paris, 1984. – Pluchon P. et al., Histoire des médecins et pharmaciens de la marine et des colonies, Paris, 1985.

COLBERT DE MAULÉVRIER

Auteurs

Numéro

185

Prénom

Edouard

Naissance

1758

Décès

1820

Né à Paris le 24 février 1758, Edouard Charles Victurnien Colbert, chevalier puis comte de Maulévrier (parfois écrit Maulevrier), est le fils de René Henri, comte de Maulévrier et de Jacqueline Françoise de Manneville. Il descend d'un frère cadet du «Grand Colbert», François Edouard, comte de Vandières et de Maulévrier (1633-1693). De son mariage avec Charlotte de Montbois-Canullac (10 juin 1803), il eut trois filles: Charlotte (1804-1833), par mariage, comtesse de Brancas; Léontine (1808-1877), marquise de Rochebus-seau; et Pauline (1811-1863), comtesse de Leusse.

2. Formation

Après avoir étudié comme élève-officier à l'Ecole royale de marine du Havre, où il avait été admis le 7 avril 1774, C. est intégré dans le «Grand Corps», et en gravit les différents échelons jusqu'à son émigration en 1792 : garde de la marine (Ier juil. 1775); enseigne (Ier août 1777); lieutenant (4 avril 1782); capitaine de vaisseau (Ier janv. 1792). Réintégré dans la Marine à la Restauration, il est nommé capitaine des Gardes du Pavillon amiral, puis contre-amiral, en 1816. La même année, il est élevé au rang de commandeur de l'ordre de Saint-Louis, dont il avait été fait chevalier en 1790. C. était membre de l'ordre de Malte (1777), et de la Société de Cincinnati (7 août 1790) (M.U., 11 juin 1814; D.B.G. ; Contenson, p. 161-162; Chinard, p. VI, XIX).

3. Carrière

Le 20 septembre 1779, C. reçoit son premier commandement, L’Epervier, un cotre attaché à l'escadre de la Manche du comte d'Orvilliers. L'année suivante, il est affecté à «l'escadre d'Amérique» qui quitte Brest le 2 mai 1780 avec un premier contingent du corps expéditionnaire de Rochambeau. C. participe aux différentes opérations de la campagne d'Amérique, commandant la Guêpe au combat de Rhode Island, puis le Conquérant à la prise de Yorktown (1781) et à la bataille des Saintes (1782). Après la guerre d'indépendance, il est de nouveau affecté à l'escadre de la Manche (1785), puis à l'escadre d'évolution qui croise dans la Méditerranée. En 1789, il commande le Vanneau (Contenson, p. 161 ; Chinard, p. VI). Au début de 1792, C. émigré, et rejoint l'armée des Princes. Il prend part, notamment, en 1795, au débarquement de Quiberon, puis, en septembre de la même année, à la prise de l'île d'Yeu par les Anglais et un groupe d'émigrés commandé par le comte d'Artois. Après l'insurrection royaliste du 13 vendémiaire, dans laquelle il joue un rôle prépondérant, à la tête d'une des colonnes qui marchent sur la Convention et qui seront arrêtées par les troupes de Barras et Bonaparte (M.U., 10 oct. 1795), C. rejoint «l'armée royale» en Vendée. Assurant la liaison entre les insurgés vendéens et le comte d'Artois, le «chevalier de Colbert», comme on l'appelle alors, va notamment réussir à persuader le général Stofflet, qui s'était soumis, à reprendre le combat – Stofflet était un ancien garde-chasse de son frère aîné, le marquis de Maulévrier (Gabory, p. 493; Chiappe, t. III, p. 223, 228, 238). Après la capture de Stofflet, en février 1796, et la pacification de la Vendée, C. se réfugie en Amérique. De Philadelphie, où il réside, il fera plusieurs voyages à l'intérieur des Etats-Unis et au Canada (D.B.G. : Chinard, p. VI-VII). Ses carnets de voyage, illustrés de nombreux croquis et aquarelles, ont été publiés en 1935 par Gilbert Chinard. Ayant obtenu sa radiation de la liste des émigrés, C. rentre en France en 1799, mais se tient à l'écart de la vie publique. Après son mariage, en 1803, il réside au château de Montboissier que sa femme lui a apporté en dot. En juillet 1816, il y accueille Chateaubriand après la mise en vente de la Vallée au Loup (D.B.G. ; Mémoires, p. 116). C'est là que ce dernier décidera de reprendre la rédaction de ses Mémoires d'Outre-Tombe, à la suite d'une promenade solitaire, à la tombée du jour, dans les bois de Montboissier, promenade au cours de laquelle la vue de la tour d'Alluye, lieu des amours d'Henri IV et de Gabrielle d'Estrées, et le chant d'une grive, le «transport[ent] subitement dans le passé» et dans ces bois de Combourg où il entendait «si souvent siffler la grive» quand il était enfant, et lui font prendre conscience de l'urgence de «peindre [sa jeunesse] tant qu'[il] y touche encore » {Mémoires, p. 116-117). Avec le retour des Bourbons et la restauration de la monarchie, C. était revenu à la vie publique, réintégrant le corps de la Marine et entamant une brève carrière politique qu'interrompra la maladie. Elu le 22 août 1815 député de l'Eure-et-Loir à la Chambre dite «introuvable», il ne se représente pas à la suite de la dissolution de celle-ci, en septembre 1816. En octobre de l'année suivante, il fera admettre ses droits à la retraite et sera placé dans le cadre de réserve de la Marine.

5. Opinions

«Il fut fidèle [...] à son Roi». Cette inscription sur son mausolée au Père-Lachaise, pourrait résumer la vie et les prises de position de C. Au début de 1792, alors qu'il vient d'être promu capitaine de vaisseau, il émigré, et ne se décidera à revenir en France qu'en mai 1799. Il certifie alors, auprès du consul de France à New York, de son «plus vif désir de rentrer dans sa patrie et [de] lui offrir ses services maintenant qu'elle a un gouvernement stable et fondé sur la justice» (Chinard, p. XIX). Il ne pourra cependant se résoudre à servir le nouveau régime, et se tiendra éloigné de la vie publique jusqu'au retour des Bourbons, reprenant du service dès juin 1814 (M.U., 21 juin 1814). Elu député en 1815, il fait partie de la majorité «ultra-royaliste» de la Chambre, et est notamment chargé de l'organisation des légions départementales. Il est aussi à l'origine de l'entreprise de révision des différents codes promulgés sous l'Empire, afin de les mettre «en harmonie avec le gouvernement existant», la monarchie restaurée (A.P., XV, 180, 189, 203, 359).

6. Activités journalistiques

C'est très probablement à l'initiative de C, et sous sa direction, qu'est publiée, à partir du 17 novembre 1780, à Newport, la Gazette française, hebdomadaire dont le but essentiel était d'informer «les Officiers» du corps expéditionnaire de Rochambeau, « et autres Particuliers », de l'évolution des « événemens politiques » en Amérique. La Gazette française était imprimée sur la presse de 1'« Imprimerie royale de l'escadre», une presse qui avait été embarquée à bord du Neptune, l'un des vaisseaux de l'escadre d'Amérique, et qui fut descendue à terre et installée au 641 rue de la Pointe à Newport (Pages, p. 119-121). D'après une liste des quartiers d'hiver des officiers français cantonnés à Newport, C. était l'officier en charge de cette imprimerie (Barthold, p. 65-66 ; Godechot, p. 81; D.P.1 563).

7. Publications diverses

Voyage dans l'intérieur des Etats-Unis et au Canada, éd. G. Chinard, Baltimore, 1935.

8. Bibliographie

D.B.F. Gazette française. – (M.U.) Moniteur universel. (A.P.) Archives parlementaires. – Robert A., Dictionnaire des parlementaires français, Paris, 1890. – Chateaubriand A. de, Mémoires d'Outre-Tombe, éd. P. Clarac, Paris, 1973.– Pages A.J., «Imprimeries d'escadre», Bulletin de la Section de géographie de l'Académie du Var, 1927, p. 113-142.– Gabory E., Les Guerres de Vendée, Paris, 1925-1928, rééd., 1989. – Contenson L. de, La Société de Cincinnati, Paris, 1934. – Barthold A.J., «Gazette françoise: Newport, R.I., 1780-1781 », Papers of the Bibliographical Society of America, t. XXVIII, n° I, 1934, p. 64-79. – Godechot J., «La Gazette françoise : the first French newspaper published in the United States», Two hundred years of Franco-American relations, Newport, R.I., 1978, p. 78-92. – Chiappe J.F., La Vendée en armes, Paris, 1982.

CARRA

Auteurs

Numéro

141

Prénom

Jean Louis

Naissance

1742

Décès

1793

Né le 9 mars 1742 à Pont-de-Veyle (Ain), Jean Louis Carra est l'aîné des six enfants de Claude Carra, commissaire aux droits seigneuriaux de cette ville, et de Marie Anne Colas. Il meurt guillotiné à Paris le 31 octobre 1793. Marié, il ne semble pas avoir laissé de descendance. Trois des six enfants de Claude Carra moururent en bas-âge. Luce, née le 2 mai 1743, entra comme novice au couvent de la Visitation de Bourg en 1772, et prit le voile en 1779. Philiberte, née le 7 mai 1744, épousa Paul Vallet, procureur et commissaire aux droits seigneuriaux à Pont-de-Veyle (Montarlot, p. 217).

2. Formation

Ses études, faites au collège des Jésuites de Mâcon, sont brusquement interrompues en mars 1758, à la suite d'une accusation de vol portée contre lui (Montarlot, p. 218). Employé par la suite comme écrivain au département des imprimés de la Bibliothèque du Roi, il en est nommé bibliothécaire, conjointement avec Chamfort, le 19 août 1792 (M.U., t. XIII, p. 498). Député de Saône-et-Loire à la Convention Nationale.

3. Carrière

C. eut une enfance troublée. Son père meurt en janvier 1750, alors qu'il a à peine huit ans. Sa mère, remariée en janvier 1752 avec Antoine Pahin, procureur à Pont-de-Veyle, meurt à son tour le 11 mars 1758 (Montarlot, p. 217) Quelques jours plus tôt, dans la nuit du 7 au 8 mars, des marchandises pour une valeur de près de 2500 £ avaient été volées chez une marchande de mode de Mâcon (S.M., 21 fév. 1792). Soupçonné d'avoir participé au vol, Louis C., qui vient d'avoir seize ans, est décrété de prise de corps. Sur le conseil de l'abbé Rivet qui semble avoir joué auprès de lui le rôle de tuteur, il se réfugie à Thoissey, ville franche située dans la principauté de Dombes. Il en est extradé le 1er juin 1758, et ramené à Mâcon entre «deux cavaliers de maréchaussée [...], à pied, enchaîné aux mains et attaché par une corde». Interrogé à plusieurs reprises, il persiste à nier toute participation au vol. L'affaire traîne en longueur, pour aboutir, le 25 septembre 1760, à un jugement «à plus amplement informé» (A.P., 21 janv. 1792).

A sa sortie de prison, deux ans plus tard, C. voyage en Europe, séjournant notamment en Autriche et en Prusse (S.M., 21 févr. 1792). En décembre 1768, il est de passage à Pont-de-Veyle où il règle différentes affaires familiales. Sur l'acte de vente d'un vignoble, il déclare alors résider à Paris et être employé comme secrétaire par le marquis d'Argenson (Montarlot, p. 222). On le retrouve en 1770 à Yverdon, où il travaille pour le libraire de Félice, à une contrefaçon de l'Encyclopédie. Puis à la suite d'une dispute avec de Félice, il offre ses services à Voltaire qui le recommande à Robinet, éditeur du Supplément de l'Encyclopédie, publié à Bouillon. C., engagé par Robinet, se rend en juillet 1771 à Genève pour travailler avec le libraire Cramer, associé à l'entreprise. Il est chargé de revoir les épreuves des Suppléments et de rédiger certains articles de géographie, d'histoire et de «droit naturel». En janvier 1772, il rencontre Robinet à Paris et repart avec lui à Bouillon. Leurs rapports se détériorent rapidement, Robinet lui reprochant notamment de copier ses articles sur ceux de l'Encyclopédie d'Yverdon (D 12769 et 17404, et Le Faux philosophe, p. 20 et suiv.). La querelle s'envenime au point que Robinet et Rousseau déposent une plainte contre C., qui quitte Bouillon en juin 1772. Il se remet alors à voyager en Europe, se rendant notamment en Italie, en Grèce, en Turquie et en Ukraine. En 1775, il est à Saint-Petersbourg où on lui offre d'entrer au service de Grégoire Ghika, hospodar de Moldavie. Il restera un an à Jassy, la capitale, s'occupant «de l'éducation des enfants du Prince de Moldavie et de sa correspondance française» (J.E., 1779, VII, p. 440). Revenu à Paris, C. devient, grâce semble-t-il à l'entremise de D'Alembert (Bacon, p. 8), secrétaire du cardinal de Rohan auquel il dédie son Histoire de la Moldavie et de la Valachie. Il fréquente l'hôtel de Valentinois à Passy, où s'installe Benjamin Franklin à son arrivée en France en mars 1777 (Vidier, p. 53). Son intérêt semble alors se tourner vers la science et il fait paraître plusieurs ouvrages scientifiques, notamment les Nouveaux Principes de physique, dédiés au roi de Prusse, qui lui fait parvenir une tabatière en or pour l'en remercier (M.U., t. XIII, 654). Ce livre, selon le Journal encyclopédique, place son auteur parmi «le petit nombre de ceux qui ont contribué essentiellement à étendre la sphère de nos connaissances en physique» (1782, t. V, p. 191-201 ; voir également 1783, t. IV, p. 205-228 et 1785, t. III, p. 415-435).

Grâce à la protection de Loménie de Brienne, il obtient un poste à la Bibliothèque du Roi, où il se trouve en avril 1784 quand l'ancien lieutenant de police Lenoir en est nommé bibliothécaire. Opposé aux mesures de réorganisation décidées par ce dernier (Vidier, p. 51-58), il fait paraître en 1787 un violent pamphlet destiné à éclairer «le peuple et le gouvernement sur les brigandages de ce Lenoir» (L'An 1787). Il s'attaque, la même année, dans un pamphlet tout aussi violent, écrit d'un «style ferme, dur et méchant» au ministre Calonne (Roland, Lettres, p. 13). Il est, en 1788, un des membres fondateurs de la Société des Amis des Noirs créée par Brissot, qui soutient sa candidature au poste de secrétaire de la Société, mais Mirabeau, qui l'apprécie peu, s'y oppose (Brissot, t. III, p. 54, 68, et t. IV, p. 8). Un nouveau pamphlet, l'Orateur des Etats-Généraux, publié en avril 1789 à la veille de l'ouverture des Etats-Généraux, le fait connaître. Ce pamphlet, qui a un grand succès puisqu'il aura 4 rééditions, fait l'objet d'un ordre de saisie le 28 mai (Tuetey, t. II, n° 2908).

Dans la Révolution qui débute, C. va jouer un rôle important. Un des sept électeurs du district de Saint-Thomas, il soutient, en juillet 1789, l'établissement de la commune et la formation de la garde bourgeoise (M.U., t. I, p. 281). A partir d'octobre 1789, il collabore régulièrement aux Annales patriotiques de Mercier. Ce journal, qu'il dirigera seul à partir de juin 1791, lui fera très vite, selon l'expression de Lamartine, «un nom redouté» (t. IX, p. 163). Il est menacé d'arrestation en mai 1792, à la suite d'une campagne de presse dirigée contre deux ministres de Louis XVI, Bertrand de Molleville et Montmorin-Saint-Hérem, qu'il accuse d'être à la tête d'un «comité autrichien» travaillant secrètement à la victoire de l'ennemi (M.U., t. XII, p. 288, 418, 431). C. avait déjà été inquiété en juillet 1791 : après le massacre du Champ-de-Mars, son nom est en tête des listes de proscription affichées sur les murs de Paris à la suite de la publication de la loi martiale (Gallois, t. II, p. 434, et A.P., 24 juil. 1791). C. est un des instigateurs de l'émeute du 20 juin 1792 où le peuple en armes des faubourgs envahit les Tuileries (Lamartine, t. X, p. 186). On le retrouve fin juillet membre du comité central des fédérés puis du «directoire insurrectionnel» qui prépare secrètement l'insurrection du 10 août dont il sera un des meneurs avec Danton, Santerre, Westermann (id., t. X, p. 307, 330 et suiv.). Roland, revenu au ministère de l'intérieur après le 10 août, le nomme, par décret du 19 août 1792, bibliothécaire de la Bibliothèque Nationale (M.U., t. XIII, p. 498). Le mois suivant, C. est élu à la Convention par huit départements (Bouches-du-Rhône, Charente, Eure, Loir-et-Cher, Saône-et-Loire, Seine-et-Oise, Somme, Orne). Il choisit d'y représenter la Saône-et-Loire.

A la fin septembre 1792, C. est envoyé en mission au camp de Châlon et à l'armée de Dumouriez, en compagnie de Sillery et de Prieur de la Marne. De retour à Paris, il est élu le 16 novembre secrétaire de la Convention (M.U., t. XIV, p. 502). Dans la lutte qui s'engage entre Jacobins et Girondins, il va prendre parti pour ces derniers. Il s'était rendu pour la dernière fois au Club des Jacobins, dont il avait été dès le début un membre assidu et influent, et, pour un temps, vice-président (Aulard, t. IV, p. 247, 284), le 12 novembre 1792. C. va se montrer cependant un des plus ardents parmi les conventionnels à demander la mise en jugement du roi. A l'issue du procès, il vote pour la mort, contre le sursis et contre l'appel au peuple soutenu par les Girondins (M.U., t. XV, 32, 150, 168, 204, 253). En mars 1793, il est envoyé en mission auprès des Armées républicaines de l'Ouest, puis, après la nouvelle répartition des armées décrétée le 30 avril, délégué auprès de l'armée des Côtes de La Rochelle (Montarlot, p. 255-260). Suspecté de prendre part à la «rébellion fédéraliste» par Marat et Robespierre qui demandent sa mise en accusation (Aulard, t. V, p. 273), C. est rappelé de mission à la fin juin. Il se défend farouchement, mais, le 2 août, sur rapport de Couthon au nom du Comité de Salut Public, la Convention, que préside Danton, déclare qu'il y a lieu à accusation contre C. «prévenu de conspiration contre la liberté et le gouvernement républicain, et d'avoir cherché par sa conduite et ses écrits, à maintenir la royauté en France» (M.U., t. XVII, p. 307). Il est arrêté le soir même et emprisonné à l'Abbaye. Il sera par la suite transféré à la Conciergerie. C. comparaît le 24 octobre devant le Tribunal Criminel Révolutionnaire en compagnie des autres députés girondins arrêtés (Lamartine, t. XIII, p. 233-241). Condamné à mort le 30 octobre au soir, il est guillotiné le lendemain à midi.

4. Situation de fortune

La situation de fortune de C. semble avoir été longtemps précaire. Bacon-Tacon, qui il est vrai ne l'aime pas, nous le présente aux alentours de 1777, au retour d'une «tournée philosophique, c'est-à-dire pédestre» en Europe, dans un état pitoyable, sans «plus d'écus que de cheveux» (p. 7). Ses ennemis politiques lui reprocheront d'avoir eu souvent recours à des expédients plus ou moins licites pour vivre (S.M., 21 févr. 1792). Collaborateur en 1771 du Supplément de l'Encyclopédie, C. se plaint de se faire exploiter par Robinet qui lui propose «30 livres, argent de France, par chaque feuille de composition», plus la jouissance «du bénéfice des libraires pour toutes les souscriptions qu'il procurera», c'est-à-dire «20% et la treizième souscription gratis». A Bouillon, il travaille également à des traductions d'anglais pour lesquelles il touche 12 £ la feuille (Le Faux philosophe, p. 27 et suiv.). Son entrée à la Bibliothèque du Roi va lui assurer une certaine stabilité matérielle. En 1788, ses appointements annuels sont de 1500 £. Il est alors deuxième écrivain au département des imprimés (C.H.A., 1908,p. 292). Nommé bibliothécaire, il refusera le salaire afférent (4000 £) pour ne pas le cumuler avec celui de député, mais s'installera dans le logement de fonction, rue de Richelieu. Au moment de son arrestation, en août 1793, il venait d'acheter une «petite maison et un jardin de trois quarts d'arpents» pour une valeur de 12 000 £, près de Montmorency (Précis, p. 3). Tous ses biens seront confisqués après son exécution (M.U., t. XVIII, p. 308).

Par décret du 15 avril 1796, le Conseil des Cinq-Cents octroiera à sa veuve, ainsi qu'à celles des autres députés girondins guillotinés, une pension annuelle de 2000 £ (M.U., t. XXVIII, p. 207).

5. Opinions

Le Système de la Raison ou le prophète philosophe, publié pour la première fois en 1773, montre l'influence du mouvement philosophique sur la pensée de C. Il croit que les progrès de la raison vont entraîner une transformation de l'homme et par là, une transformation de la société : des hommes «plus éclairés, plus sensibles, plus justes» établiront une société nouvelle fondée sur l'égalité et la justice, une société où règnera «la liberté relative, la propriété raisonnable, l'égalité morale et la sûreté individuelle» (Système, p. 3, 179-183). L'évocation de la société future, dirigée par la «Raison», s'accompagne de violentes attaques contre «les tyrans couronnés» et «les fanatiques titrés» qui règnent alors en Europe, et qui se servent notamment de la religion pour mieux asseoir leur autorité. Pour C., «le mot Dieu [...] est un mot vide de sens». S'il reconnaît l'existence d'un «Etre Suprême», celui-ci ne peut cependant être qu'un «être suprême relatif», «lié aux lois du temps et du mouvement», «un tout individuel-représentateur [de nous-même] augmenté à l'infini», «l'idée positive de ce grand être physique dans le sein duquel nous naissons et mourrons», et dont l'homme est une «image diminuée à l'infini» (ibid., p. 23-29).

Réflexion sur l'homme et la société, appel à un changement pour «un meilleur ordre des choses», le Système de la raison annonce l'engagement de C. pendant la Révolution dont il sera un partisan convaincu. Pour C., en effet, le devoir de l'écrivain, du «vrai philosophe», est d'intervenir, d'aider par ses écrits et par ses actions au progrès moral, social et politique, ne serait-ce d'abord qu'en défendant cette liberté de pensée et d'expression sans laquelle le progrès ne peut s'accomplir : «Partout où la presse n'est pas libre, le peuple est esclave et le chef tyran. Partout où l'on craint le génie de la raison et les arguments du vrai droit naturel, l'autorité est absurde et le gouvernement inique [...]. Le premier droit de l'homme est celui d'être, son second droit est celui de penser» (ibid, p. 244-245). Le Système de la raison permet aussi de mieux comprendre certaines des prises de position de C. pendant la Révolution. Ainsi ce discours prononcé au Club des Jacobins en janvier 1792, discours dans lequel il suggère d'appeler au trône de France le duc d'York, fils du roi d'Angleterre. Révolutionnaire convaincu, adversaire résolu de toutes les «aristocraties» et de toutes les «tyrannies», C. n'en restait pas moins toujours persuadé que la France n'était pas encore mûre pour une république «qui ne serait que le produit de l'effervescence de quelques démagogues» et qui mettrait le «gouvernement démocratique» à la merci de cette «foule ignorante et tumultueuse [qui] suit tantôt un avis, tantôt un autre, [...] semblable au flux et reflux de la mer» (A.P., 9 janv. 1792 ; Système, p. 185). D'où cette curieuse proposition qui servira plus tard de prétexte pour motiver sa condamnation à mort.

Jacobin ardent, C. inclinait vers la Montagne, mais il s'est heurté à l'hostilité de Robespierre qui se méfiait de sa fougue et de ses excès. Ce dernier fut d'ailleurs attaqué à plusieurs reprises par C. qui lui reprochait notamment son attitude lors de l'insurrection du 10 août (A.P., 30 nov. 1792). Dès l'automne 1793, C. se rapproche des Girondins, mais il se retrouvera plusieurs fois aux côtés de la Montagne, notamment lors du procès du roi. La montée de Robespierre entraînera sa chute.

C., qui se voulait en juin 1791 «l'homme dévoué au peuple, l'ennemi juré des tyrans et le zélé prédicant de la philosophie et de la liberté universelle», a été jugé diversement. Pour certains il ne fut qu'un «brigand» prêchant «une doctrine de sang» (S.M., 21 févr. 1792) ou un «aventurier sans conscience et sans moralité» qui mettait sa plume «au service quotidien de la démagogie» et ne considérait la Révolution que comme une carrière lucrative (Montarlot, p. 228, 272-273) ; d'autres n'hésitent pas à le placer à côté de Brissot «pour son savoir, son érudition, son style, ses opinions philosophiques et son amour de la chose publique» (Gallois, t. II, p. 436).

C. a joué un rôle important durant la Révolution : on ne peut se dissimuler, souligne Mme Roland, «qu'il n'ait beaucoup contribué à nos mouvements politiques et aux soulèvements qui eurent pour objet de renverser la tyrannie» (Mémoires, p. 122). Ses variations d'attitudes, ses prises de position souvent contradictoires et ambiguës, semblent s'expliquer moins par les calculs de l'intérêt que par la nature même de son caractère. C., nous dit Lamartine, était un de ces hommes qui ont «dans les sentiments plus de lumières que dans l'intelligence» : il dessinait «sur le globe la carte de la liberté et prenait les chimères de son imagination pour le génie de l'homme d'état» (t. XIII, p. 244, 236). Exalté, passionné, fougueux, «enthousiaste de révolution, de république, de liberté» (Mémoires, p. 121), ce «boute-feu» (Aulard, t.VI, p. 692) était l'homme de tous les écarts, que ce soit dans les attitudes, dans les idées ou dans le langage. «Fort bon homme à très mauvaise tête», il s'est laissé emporter par son enthousiasme et son imagination qui lui ont fait trop souvent mal juger et des faits et des hommes (Mémoires, p. 121-122).

6. Activités journalistiques

La réputation de C. comme journaliste est surtout liée à son attitude lors de la Révolution à la tête des Annales patriotiques et littéraires. Il avait cependant acquis une expérience de journaliste auparavant, notamment lors de son séjour à Bouillon de janvier à juin 1772. Il fait alors partie, avec les frères Castilhon et J.B. Robinet, de ce petit groupe de journalistes qui forme «l'état-major» de Pierre Rousseau (Charlier, p. 24-25) et l'aide dans ses multiples tâches. Engagé initialement pour travailler au Supplément de l'Encyclopédie, C. va collaborer à d'autres publications de la maison d'édition (Le Faux philosophe, p. 103 et suiv.). Il est probable qu'il participe aussi à la rédaction de certains articles du Journal Encyclopédique, par exemple à la polémique au sujet de l'Encyclopédie d'Yverdon (J.E., 1772, II, p. 441-449). C. quitte Bouillon en juin 1772, menacé d'un procès par Robinet et Rousseau.

Le Journal Encyclopédique publiera en 1778 une notice sur Grégoire Ghika, hospodar de Moldavie, «communiquée aux auteurs de ce journal par M. Carra» (t. VIII, p. 129-135) et l'année suivante, «avec quelque regret» parce que jugée «un peu trop crue à bien des égards», sa réponse aux critiques faites par Saul à son Histoire de la Moldavie (1779, t. VII, p. 434-443). C. fera en 1781 le compte rendu de la Physique du monde de Marivetz, pour le Journal Encyclopédique (t. VII, p. 312-322 et 485-491).

Le 3 octobre 1789 est publié le premier numéro des Annales patriotiques et littéraires de la France, et affaires politiques de l'Europe, journal libre par une Société d'écrivains patriotes, et dirigé par M. Mercier. Collaboreront notamment à ce journal, D'Argis, Giraud, Guyot, Doppet, Salaville, Daunou, et C. qui y collabore dès les premiers numéros. Les Annales patriotiques paraissent chaque jour sur 4 pages, format petit in-4°, à deux colonnes, avec de fréquents suppléments de 2 pages. L'abonnement est de 36 £ par an, «franc de port par la poste dans tout le Royaume». Mercier se désintéressant bientôt de son journal, la direction passe de fait entre les mains de C., dont le nom apparaîtra dans le titre du journal à dater du numéro du 10 septembre 1790 : Annales patriotiques [...] par une société d'écrivains patriotes, dirigée par M. Mercier et par M. Carra, un des Auteurs. Ce dernier en assumera seul la direction à partir de juin 1791. Sauf en de rares exceptions, comme par exemple les jours qui suivent le massacre du Champ de Mars pendant lesquels il se cache, C. remplit chaque jour presque la moitié du journal.

Après le 10 août, les Annales patriotiques auraient été secrètement financées par le gouvernement. Un pamphlet de l'époque accuse Roland d'en faire acheter chaque jour 2000 exemplaires (Dialogue, p. 9-10 ; voir aussi Mémoires, p. 171-172). Les archives du ministère des Affaires Etrangères révèlent qu'en janvier 1793 Lebrun-Tondu, alors ministre, en fait acheter 3400 exemplaires sur les fonds secrets du ministère (Masson, p. 276).

Sa variété, comme la personnalité de son directeur, font des Annales patriotiques un des journaux les plus populaires et les plus lus de la Révolution. Largement diffusé en province et influent, il fut longtemps, pour les sociétés affiliées, l'«oracle officieux» du Club des Jacobins de Paris. C. sait trouver les mots qui portent : les Annales, remarque Mme Roland, «réussissaient merveilleusement dans le peuple par un certain ton prophétique, toujours imposant pour le vulgaire» (Mémoires, p. 122). Elles auraient eu un temps, selon leur directeur, plus de 12 000 abonnés (Précis, p. 58). Ce succès explique qu'en septembre 1792, élu par huit départements à la Convention, C. soit l'un des hommes les plus populaires de France. Après son élection, ses fonctions de député, et notamment les missions qu'il effectue en province, l'obligent à délaisser quelque peu son journal, mais il continue à le diriger et à y publier des articles jusqu'à son arrestation, le 2 août 1793. Dès le lendemain, son nom disparaît du titre du journal. Jean-Baptiste Salaville va en diriger la rédaction jusqu'en mars 1796, époque à laquelle Mercier reprend la direction du journal qu'il avait fondé. Les Annales patriotiques cesseront de paraître avec le numéro du 12 messidor an V.

C. a également collaboré au Mercure national ou journal d'état et du citoyen, continuation du Journal d'état et du citoyen de Mlle de Keralio (13 août - 27 décembre 1789 ; 32 numéros). Le premier numéro du Mercure national est daté du 31 décembre 1789. Annoncé comme bi-hebdomadaire (jeudi et dimanche), il devient hebdomadaire (dimanche) dès le numéro 3. Il est rédigé par Mlle de Keralio (Louise Guynement-Robert), son mari, François Robert, futur député de Paris à la Convention, son père, Louis-Félix de Keralio, membre de l'Académie des Inscriptions et un temps rédacteur du Journal des Savants, Masclet, Hugou de Basseville. C., qui y a collaboré dès le début, interrompt sa collaboration en avril 1790 et son nom disparaît de la page de titre avec le numéro du 23 mai. Le Mercure national cesse de paraître avec le numéro du 30 août 1790, étant alors absorbé par les Révolutions de l'Europe d'Antoine Tournon (2 juillet - 30 août 1790 ; n° 1 à 16) qui devient à partir du numéro 17 : Révolutions de l'Europe et Mercure national réunis, «journal démocratique» rédigé par Mme Robert, Louis-Félix Guynement, Antoine Tournon, Hugou, François Robert.

L'Orateur des Etats-Généraux a sa place dans la Bibliographie [...] de la presse périodique française d'Eugène Hatin. Il ne s'agit pas à proprement parler d'un journal, mais il semble que C. ait songé un temps à en faire une publication périodique. L'accueil réservé à L'Orateur des Etats-Généraux, qui aurait eu «au-delà de 50 éditions» (B.H.C., p. 142), avait poussé C. à en écrire une seconde partie, parue en octobre 1789, puis une troisième partie qu'il publiera dans les numéros 4, 6, 7 et 10 du Mercure national (janv. - fév. 1790).

7. Publications diverses

Voir Cior 18, n° 15637 à 15674, et dans Martin A. et Walter G., Catalogue de l'histoire de la Révolution française, Paris, 1936-1943, 5 vol., n° 6229 à 6263.

8. Bibliographie

B.H.C. – (J.E.) Journal encyclopédique. – (A.P.) Annales patriotiques. – (S.M.) Spectateur et Modérateur. – (M.N.) Mercure national. – (J.R.E.) Journal des révolutions de l'Europe. – (M.U.) Moniteur universel, réimpression de 1847, Paris, 32 vol. – (C.H.A.) Correspondance historique et archéologique. – Tuetey A., Répertoire général des sources de l'histoire de Paris pendant la Révolution française, Paris, 1890-1914, 11 vol. – Kuscinski A., Dictionnaire des Conventionnels, Paris, 1916.- Carra J.L., Le Faux philosophe démasqué ou mémoire du Sr Carra, Bouillon, 1772. – Le Système de la raison ou le Prophète philosophe, Londres, 1773 (éd. de référence : Londres, 1782). – Id., L'An 1787, précis de l'administration de la Bibliothèque du roi, sous M. Lenoir, s.l.n.d., [Paris, 1787]. – Id., Précis de la défense de Carra, député de la Convention nationale, contre ses accusateurs, s.l., an II. – Bacon-Tacon P.J., Réponse de M. Bacon, électeur du département de Paris, à une accusation de M. Carra, faite au Club électoral, s.l.n.d., [Paris, 1792?]. – Chas J., Lettre à Messieurs les Accusateurs publics, s.l.n.d.[Paris, 1791]. – Dialogue entre le Père Duchêne et Carra, sur l'état actuel de la République française, Paris, 1793 (attribué à Dubois-Crancé). – Voltaire, Correspondence and related documents. – Brissot J.P., Mémoires, Paris, 1830, 4 vol. – Mémoires de Mme Roland, Paris, 1966. – Lettres de Mme Roland, Paris, 1900, 2 vol. – Aulard F.A., La Société des Jacobins, Paris, 1889-1897, 6 vol. – Gallois L., Histoire des journaux et des journalistes de la Révolution française, 1789-1796, Paris, 1846, 2 vol. – Lamartine A de, Oeuvres complètes, Paris, 1862-1866, 41 vol. – Masson F., Le Département des Affaires étrangères pendant la Révolution, Paris, 1877. – Montarlot P., «Carra», Mémoires de la Société éduenne, XXXIII, 1905, p. 217-273. – Vidier A., «Lenoir, Bibliothécaire du Roi», Bulletin de la Société d'histoire de Paris, LI, 1924, p. 49-61. – Charlier G. et Mortier R., Le Journal encyclopédique (1756-1793), Bruxelles, 1952.

9. Additif

Opinions: Très peu de temps après la notice d’A. Nabarra a paru le livre de Stephan Lemny : Jean-Louis Carra (1742-1793), parcours d’un révolutionnaire (L’Harmattan, 2000, préface d’E. Leroy-Ladurie), qui apporte sur la vie de C. des informations nouvelles : sur la « prison » de C. à Mâcon de juin 1758 à septembre 1760, sur ses fonctions auprès du marquis d’Argenson et ses débuts littéraires, sur son voyage en Angleterre avec le marquis en 1769, sur son rôle (sans doute réduit) dans la publication de l’Encyclopédie d’Yverdon, ses relations avec de Felice, puis Robinet et Pierre Rousseau. La correspondance du marquis d’Argenson apporte à cet égard de nombreuses précisions. S.L. analyse la formation philosophique de C. et son « système » dans Le Système de la raison ou le prophète philosophe, sans négliger le Faux philosophe et le roman Odazir. Il apporte des lumières nouvelles sur les voyages de C., notamment en Moldavie, et sur son Histoire de la Moldavie et de la Valachie. C’est cependant la carrière révolutionnaire de C. qui retient le plus longuement son attention ; il analyse avec minutie les Annales patriotiques et littéraires et les prises de position de C. comme conventionnel, ses tentatives pour rétablir des liens entre ses amis girondins et l’aile modérée des montagnards.

Bibliographie: Lemny, Stephan : Jean-Louis Carra (1742-1793), parcours d’un révolutionnaire (L’Harmattan, 2000, préface d’E. Leroy-Ladurie).(J.S.)

BUFFARDIN

Auteurs

Numéro

130

Prénom

Sextius

Naissance

?

Décès

?

A son patronyme, Sextius Buffardin ajoute le plus souvent «D'Aix», une référence probable à son pays natal. A la mort de Mirabeau, député d'Aix-en-Provence aux Etats généraux, il se dit son «compatriote» et signe son article «S. B-D'Aix» (F.C., t. I, p. 63).

2. Formation

En 1790, B. est à Saint-Pierre, Martinique, où il collabore à la Gazette de Sainte-Lucie publiée par Jean-Baptiste Thounens. Craignant des représailles pour avoir soutenu les «patriotes» de Saint-Pierre en rébellion ouverte contre le gouverneur et l'Assemblée coloniale de la Martinique, il s'enfuit, en mars 1791, à l'arrivée du nouveau gouverneur, le comte de Béhague, accompagné de quatre commissaires envoyés par la Constituante pour rétablir l'ordre aux îles du Vent, et de six mille hommes de troupe (F.C., prosp. ; Chauleau, p. 157).

3. Carrière

Réfugié à la Dominique, alors possession anglaise, B. continue la lutte contre «les cinq Apôtres» de la Martinique qu'il accuse, dans le Furet colonial, d'avoir partie liée avec les «aristocrates» du «parti planteur» et leurs alliés, les mulâtres, qui s'étaient rangés, au début de 1790, du côté du gouverneur et de l'Assemblée coloniale de l'île.

4. Situation de fortune

Au début de 1793, on retrouve B. en Guadeloupe, où il est, à Pointe-à-Pitre, «imprimeur de la Société patriotique des Amis de l'égalité» (Mém. et Doc., Amérique 18, f° 164-165). En 1796, il est à Paris, où il publie, à compte d'auteur, une tragédie imitée de Shakespeare, Brutus et Cassius. On perd ensuite sa trace.

5. Opinions

Acquis aux idées nouvelles, engagé dans la Révolution, B. n'en reste pas moins prisonnier des ambivalences de la lutte révolutionnaire aux colonies, celle-ci se greffant sur des réalités économiques et sociales particulières. Comme l'a souligné Aimé Césaire : «Il n'y a pas de "Révolution française" dans les colonies. Il y a dans chaque colonie une révolution spécifique, née à l'occasion de la Révolution française, branchée sur elle, mais se déroulant avec ses lois propres et ses objectifs particuliers» (Toussaint, p. 22). Ainsi, être «patriote» à Saint-Pierre en 1790, c'est se réclamer de la Révolution, mais c'est également prendre le parti des «négociants» des villes contre les «planteurs» de la campagne, et aussi, sans parler des esclaves, refuser de reconnaître les droits civiques des «gens de couleur libres». Au début de 1793, par contre, quand B. arrive à la Guadeloupe à la suite du capitaine Lacrosse qui vient rétablir le gouvernement républicain, les «gens de couleur libres» sont alors alliés aux «patriotes» de l'île et jouent un rôle actif dans les sociétés populaires révolutionnaires, comme cette «Société patriotique des Amis de l'égalité» dont B. sera l'imprimeur officiel (Chauleau, p. 147-150, 168-170 ; Pérotin, p. 173, et passim).

6. Activités journalistiques

Avant d'arriver aux Antilles, B. aurait collaboré en France à plusieurs «feuilles périodiques». Il se dit notamment «ancien rédacteur des Affiches d'Anjou» (F.C., prosp.). Après avoir collaboré à la Gazette de Sainte-Lucie (D.P.1 526), il rédige le Furet colonial et Réviseur universel, bi puis tri-hebdomadaire publié à Charlottevile, île de la Dominique, à partir du 10 avril 1791, et qui aurait continué à paraître au moins jusqu'à l'été 1792. «Rédacteur principal de ce journal», Sextius Buffardin-D'Aix est assisté de F.J. Willox, «coopérateur-associé», l'ancien rédacteur du Courrier des Petites-Antilles, hebdomadaire publié à Roseau, Dominique, à partir du 24 juillet 1790 et, au moins jusqu'en janvier 1791 (F.C., t. I, p. 4). A la Guadeloupe, B. entreprend de nouveau, au début de 1793, la publication d'un journal, la Gazette républicaine de la Guadeloupe ou Journal politique de la Pointe-à-Pitre (G.S.L., 1793, p. 28).

7. Publications diverses

7. Brutus et Cassius, ou la Bataille de Philippes, «suite de la Mort de César, tragédie en vers et en deux actes, imitée de l'anglais de Shakespeare», Paris, l'Auteur, an IV (B.N., 8° Yth 2376).

8. Bibliographie

A.A.E., Mémoires et Documents, Amérique 18. (G.S.L.) Gazette de Sainte-Lucie. – (F.C.) Le Furet colonial, A.N./S.O.M., Recueil Col. 2e série 30, Bibl. M. de Saint-Méry 32 (Prospectus ; t. 1, n° 1 à 52, 10 avril.- 28 sept. 1791, inc. ; t. 2, n° 1 à 30, 30 sept.- 7 déc. 1791, inc.). Pérotin-Dumont A., Etre patriote sous les tropiques, Basse-Terre, 1985. Chauleau L. et al., Antilles 1789. La Révolution aux Caraïbes, Paris, 1989.

BRUN

Auteurs

Numéro

124

Prénom

Jean François

Naissance

?

Décès

1806

Jean François Brun est mort à l'Ile de France, où il était venu s'établir, le 12 juillet 1806. Il était marié (Toussaint, p.69).

2. Formation

Avocat, notaire (1788-1797) (ibid., Bibliography, p. 547, 591).

6. Activités journalistiques

Fondateur et rédacteur, avec Jacques Durrans, du Journal des Isles de France et de Bourbon (1786-1788? D.P.1702 ).

8. Bibliographie

Toussaint A., Early Printing in the Mascarene Islands. 1767-1810, London, 1951. – Toussaint A. et Adolphe H., Bibliography of Mauritius (1502-1954), Port-Louis, 1956.

BOURNE

Auteurs

Numéro

106

Prénom

Al[exandre]

Naissance

?

Décès

?

6. Activités journalistiques

Rédacteur de la Gazette de la Martinique (D.P.1 518), au moins à partir de 1785 (A.N., C8A 85, fo 219), Bourne était sans doute associé à Pierre Richard détenteur du privilège de la Gazette et de celui d'imprimeur du roi à la Martinique (A.N., Col. E 350bis). A la fin de 1789, il semble être seul en charge de l'imprimerie de Saint-Pierre, puisque c'est à lui que s'adresse l'intendant Foulon pour interdire l'impression de l'ordonnance sur la loi martiale décrétée par le gouverneur de Vioménil à la suite des mouvements de rébellion des «patriotes» de Saint-Pierre (A.N., C8A 89, fo217-218, 224, 228 ; Chauleau, p. 149-151). Pierre Richard est cependant toujours mentionné comme imprimeur de la Gazette de la Martinique , mais à partir de mars 1790, le nom de «Al. Bourne» lui est adjoint (G.M., 1790, p. 58).

8. Bibliographie

A. N., Col., C8A 85-89, et Col. E 350bis, dossier Pierre Richard. – (G.M.) Gazette de la Martinique. – Chauleau L. et al., Antilles 1789 : La Révolution aux Caraïbes, Paris, 1989.

BOINOD

Auteurs

Numéro

083

Prénom

Daniel

Naissance

1756

Décès

1842

D'une famille d'Aubonne dont la «bourgeoisie» remontait à 1584, Jean Daniel Mathieu Boinod est né le 29 octobre 1756 à Vevey, canton de Vaud. Son père, Charles Boinod, était horloger à Aubonne. Un frère, François, mort en 1863, fut commandant de place à Vérone (Chuquet, p. 308 ; Godet). B. s'est marié et a eu plusieurs enfants. Il est mort à Paris le 28 mai 1842.

2. Formation

Entre 1776 et 1780, B. aurait étudié à l'université de Leyde (Barthold, p. 76). Chevalier de la Couronne-de-Fer (21 déc. 1807). Chevalier (24 mars 1803), officier (22 déc. 1807), commandeur (20 avril 1831) de la Légion d'Honneur.

3. Carrière

A la fin de ses études, B. revient à Aubonne où il est employé comme précepteur. En 1781, il est à Haarlem, maître-de-pension à la pension française pour jeunes gens que son ami Alexandre Gaillard a ouverte dans cette ville en mai 1780. Au cours de l'été 1783, Boinod et Gaillard s'embarquent tous deux pour les Etats-Unis où ils ont décidé d'immigrer. A Philadelphie où ils s'établissent à l'automne 1783, ils ouvrent une librairie dans Second Street, puis s'installent l'année suivante dans «Arch Street au coin de Fourth Street» (Barthold, p. 76-78). Le Courier de l'Amérique, qu'ils entreprennent de publier à la fin juillet 1784, leur vaut de nombreux démêlés avec les autorités américaines et françaises. A la suite de plusieurs articles jugés préjudiciables à l'alliance franco-américaine, ils sont convoqués devant un magistrat de Philadelphie, puis forcés, par des «moyens indirects», de cesser la publication de leur journal (D.P.1 266). Alexandre Gaillard étant mort soudainement en novembre 1784, Boinod continue à tenir la librairie dans les années qui suivent, et peut-être jusqu'en 1788 ; il est encore à Philadelphie au mois d'octobre de cette année-là (Barthold, p. 94-95).

En 1789, B. est de retour à Aubonne où il ouvre de nouveau une librairie. Acquis aux idées philosophiques, il accueille favorablement les débuts de la Révolution dont il voudrait voir les principes se propager en Suisse. Ayant participé aux manifestations de Lausanne du 14 et 15 juillet 1791, qui marquent l'anniversaire de la prise de la Bastille, il est menacé d'arrestation et doit s'enfuir (Chuquet, p. 308 ; Godet). Réfugié à Paris, B. s'affilie au club révolutionnaire «Propagande des Alpes» dont les membres, «des patriotes de la ci-devant Savoie, du pays de Vaud, de Genève, du Valais et autres parties de la Suisse», se donnent pour but «le triomphe de la révolution française et la liberté de leurs patries respectives». Au début du mois d'août 1792, ce club obtient de l'assemblée nationale la permission de se former en légion afin de «porter un corps révolutionnaire et propagandiste sur les frontières des états du roi de Sardaigne» (Réponse, p. 3-6). B. participe activement à la fondation de cette légion, la Légion franche des Allobroges, dont il est élu quartier-maître trésorier le 13 août 1792. Trois jours auparavant, il avait participé à l'attaque des Tuileries dans le bataillon des Cordeliers (Chuquet, p. 308). A la fin du mois d'août 1792, B. est à Grenoble où se rassemble la Légion allobroge pour faire campagne en Maurienne, sur les frontières de la Suisse, en Dauphiné et en Savoie. Intégré l'année suivante dans l'armée régulière, B. est nommé commissaire provisoire des guerres (15 nov. 1793) auprès des corps d'artillerie de l'armée du siège de Toulon. Il y fait la connaissance de Napoléon Bonaparte avec lequel il se lie d'amitié. Devenu commissaire des guerres titulaire (8 oct. 1795), B. fait la campagne d'Italie, puis participe, en 1798, à l'expédition d'Egypte. Sous le Consulat et sous l'Empire, il continue sa carrière dans l'intendance militaire. Commissaire-ordonnateur (12 janv. 1800), inspecteur aux revues (6 fév. 1800), il est chargé de préparer et d'assurer les subsistances et les transports lors du passage du Saint-Bernard. Il participe à la seconde campagne d'Italie, puis est en poste à la place de Besançon (14 janv. 1802) et à l'armée des côtes de l'Océan (3 oct. 1803). Après avoir fait les campagnes de 1805 avec la Grande Armée, il est détaché au ministère de la guerre du royaume d'ltalie (17 sept. 1806) – «Je vous envoie Boinod, laissez-le faire», écrit Napoléon au vice-roi Eugène en lui envoyant le décret de cette nomination (Fastes, t. IV, p. 223). B. sera par la suite intendant général de l'armée d'ltalie (15 mai 1809), puis commissaire-ordonnateur en chef de cette armée lors de sa réunion avec l'armée d'Allemagne en juillet 1809. Le 20 janvier 1810, il est nommé inspecteur en chef aux revues de l'armée avec le grade d'officier général.

Rayé des contrôles de l'armée lors de la première Restauration, B. alors âgé de 58 ans, retourne avec sa famille à Aubonne. C'est là que Joseph Bonaparte, également réfugié en Suisse, vient le chercher pour l'envoyer secrètement à l'ile d'Elbe prévenir l'Empereur du complot que trame contre lui le général Guérin de Bruslart – ce dernier, nommé gouverneur de la Corse par Louis XVIII, préparait l'enlèvement et l'assassinat de Napoléon. Ayant réussi à rejoindre l'île d'Elbe, B. fait déjouer le complot : «le brave et stoïque B. [...] sauva l'Empereur lorsque ses ennemis étaient les maîtres de l'Europe», note Joseph Bonaparte dans une lettre au général Lamarque (t. X, p. 209-210, 314-316). Resté à l'île d'Elbe, B. dirige les services administratifs de l'île. Pendant les Cent-Jours, il occupe les fonctions de commissaire-ordonnateur en chef de l'armée, poste auquel il avait été nommé le 1er mars 1815, le jour du débarquement au golfe Juan, et d'inspecteur en chef aux revues de la Garde impériale (14 avril 1815). Après la seconde abdication de Napoléon, B. est de nouveau rayé des cadres de l'armée. La Monarchie de Juillet le nomma président de la commission des anciens fonctionnaires militaires, par décision royale du 14 août 1830. Elle lui rend également son grade et le réintègre dans le cadre d'active de l'armée (31 déc. l830, A). B., âgé de 76 ans, est admis à la retraite le 27 mai 1832.

4. Situation de fortune

Le passage de B. et Gaillard en Amérique, et l'établissement de leur librairie à Philadelphie, furent financés en grande partie par la vente de la pension d'Haarlem dont Alexandre Gaillard était propriétaire (Barthold, p. 77-78). B. lui-même ne semble pas avoir eu de fortune personnelle. Leur commerce de livres semble avoir été, du moins les deux premières années, assez florissant. Le catalogue qu'ils font circuler au début de 1784, compte plus de 1500 titres, et ils annoncent, en octobre de la même année, l'ouverture d'un «magasin de livres de louage» et d'un «cabinet de lecture», le premier de ce genre en Amérique selon A.J. Barthold (p. 94 ; v. C.A., n° XIII). Dès 1784, ils se lancent également dans l'édition, publiant des éditions américaines du Procès des Trois Rois et des Aventures de Télémaque (Barthold, p. 82 ; Evans, n° 18466). A la mort d'Alexandre Gaillard, B. est nommé administrateur de ses biens et reste en charge de la librairie.

Au cours de sa carrière d'intendant militaire, B. se signale par sa probité et son désintéressement. Anecdotes et témoignages s'accordent pour souligner son intégrité dans les nombreux marchés qu'il eut à passer pour l'intendance des armées, et son souci de l'intérêt général, même au détriment de son propre intérêt. Ainsi, lors de la première campagne d'Italie, il refuse une gratification de cent mille francs que lui octroie, pour marquer son appréciation, Bonaparte : «Je ne te reconnais pas, citoyen général, le droit de disposer ainsi des deniers de la République. L'armée souffre, je viens d'employer cette somme à ses besoins» (Fastes, t. IV, p. 223). Se souvenant sans doute de ce refus, Napoléon légua à Boinod, par son troisième codicille du 24 avril 1821, une somme identique. Il avait également tenu, en 1800, lors de la nomination de B. au poste de commissaire-ordonnateur, à lui faire écrire «une lettre de satisfaction sur le zèle qu'il a toujours montré, sur son exacte probité, sur sa sévérité à empêcher les dilapidations», une lettre qui sera imprimée au journal officiel à la demande de Napoléon (ibid.).

La Restauration, tout en le rayant des cadres de l'armée, lui permet, par un «acte de clémence» signé du roi le 16 avril 1817, de faire admettre ses droits à la retraite – B. est alors âgé de 63 ans. On ne lui octroie cependant que trois mille francs, le minimum de la pension de son grade. N'ayant pas accumulé de fortune personnelle, B. doit alors, pour soutenir sa famille, solliciter un emploi à la manutention des vivres de Paris. Entré comme agent (1er mai 1818), il fut par la suite nommé gérant de cette manutention (1er juillet 1821), puis directeur des subsistances faisant fonction d'agent comptable (1er juillet 1825 ; Chuquet, p. 309).

A sa retraite définitive, en 1832, B. n 'a pour toute fortune que sa pension militaire, rétablie dans son intégralité, son traitement d'officier de la Légion d'Honneur, et les cinquante mille francs auxquels se réduisit en fait le legs que lui avait fait l'Empereur (Fastes, t. IV, p. 224).

5. Opinions

«Nés républicains», admirateurs de la «glorieuse révolution» américaine, B. et Gaillard avaient immigré aux Etats-Unis par idéal, séduits moins «par l'appât du gain que par l'attrait de vivre au milieu d'un Peuple Roi», dans un pays de «lumières» et de «liberté» (Catalogue, Avant-Propos ; C.A., n° 1 et passim). Cet idéal des «lumières» auquel B. adhère avec enthousiasme, il le défend dans les colonnes du Courier de l'Amérique qui veut mener le combat de la «vérité» et de la «liberté» contre tous les «despotismes». Sa librairie, spécialisée dans l'importation de livres européens, est aussi pour lui le moyen d'aider à la diffusion des idées philosophiques auxquelles il est acquis : si les livres «charment les loisirs des Riches», ils doivent aussi servir à «éclair[er] la Multitude, humanis[er] les Hommes puissants, [...] instruire toutes les Classes de la Société» (Catalogue, cit. de Raynal en épigraphe).

Le combat engagé à Philadelphie, où il s'est heurté aux intérêts et aux réalités politiques de l'Amérique pos-trévolutionnaire, B. le poursuit en Suisse puis à Paris pendant la Révolution. A la «Propagande des Alpes», dans la légion des «soldats de la liberté» puis dans l'armée révolutionnaire, il se fait remarquer par le «civisme le plus pur», par ses «qualités républicaines» et son «patriotisme» (Réponse, p. 3 ; Folliet, p. 134 ; Bonaparte, t. X, p. 316).

Quand, en 1793, B. se lie avec Bonaparte, ils partagent alors tous deux le même idéal révolutionnaire. Par la suite, B. resta dévoué à Napoléon, à la fois par loyalisme militaire et par attachement à sa personne : «ce n'est point l'Empereur que j'ai suivi, remarque-t-il en 1815, mais celui qui fut mon chef et mon ami» (Fastes, t. IV, p. 224). Resté néanmoins attaché aux principes républicains, B. a marqué à plusieurs reprises son opposition à l'évolution et aux travers du régime. Ainsi, lors des élections au consulat à vie et à l'Empire, il est le seul officier de l'ancienne armée d'Italie à voter négativement. «Je le reconnais bien là ; c'est un quaker», aurait été le commentaire de Napoléon (ibid.). Celui-ci, ce qui montre l'amitié et l'estime dans lesquelles il tenait Boinod, non seulement ne lui en a pas tenu rigueur, mais a continué à lui garder et à lui marquer sa confiance.

Parmi les nombreux témoignages qui attestent des talents d'administrateur, de la probité, du courage et du patriotisme de Boinod, citons ceux de Pons de l'Hérault : «l'un des hommes les plus vertueux de l'armée» ; de Joseph Bonaparte : «un homme intègre et courageux», et de Napoléon : «J'ai confiance en [ses] lumières et [sa] probité» (Pons, p. 157 ; Bonaparte, t. X, p. 315 ; Fastes, t. IV, p. 223). De B., qui fut surnommé «l'intègre», on a pu dire qu'il était «taillé à l'Antique» (Fastes, t. IV, p. 224).

6. Activités journalistiques

Associés à E. Dutilh, un commerçant d'origine française établi à Philadelphie, B. et Gaillard publient The American Herald and General Advertiser, dont cinq numéros seulement paraissent, avec une périodicité irrégulière, du 21 juin au 20 juillet 1784. Egalement en juillet 1784, associés cette fois avec Andrew Brown et l'imprimeur Charles Cist, ils annoncent la publication du United States Journal and Continental Advertiser. Le prospectus est publié dans plusieurs journaux de Philadelphie (Freeman's Journal, July 14, 1784), mais le journal lui-même semble n'avoir jamais paru.

Le Courier de l'Amérique a été publié en français à Philadelphie, du 27 juillet au 26 octobre 1784. Bihebdomadaire, il paraissait le mardi et le vendredi sur quatre pages avec de fréquents suppléments de deux p. (D.P.1 266).

7. Publications diverses

Catalogue des livres qui se trouvent chez Boinod et Gaillard, Philadelphie, 1784. Réponse de la légion franche Allobroge aux ennemis de la République, Paris, 1793 (avec A. Doppet).

8. Bibliographie

A.A.E., CP., Etats-Unis, vol. 27-29. – (C.A.) Courier de l'Amérique. – (F.J.) Freeman's Journal. – Fastes de la Légion d'Honneur, t. IV, Paris, 1844. – Evans Ch., American Bibliography, New York, 1941-1959, 14 vol. – Dictionnaire historique et biographique de la Suisse, t. II, Neuchâtel, 1924. – Bonaparte J., Mémoires et correspondance politique et militaire du roi Joseph, Paris, 1857-1858. – Folliet A., Les Volontaires de la Savoie, Paris, 1887. – Pons de l'Hérault A., Souvenirs et anecdotes de l'île d'Elbe, Paris, 1897. – Chuquet A., La Jeunesse de Napoléon, t. III, Toulon, Paris, 1899. – Barthold A.J., History of the French Newspaper Press in America. 1780-1790, thèse, Yale, 1931.